CHAPITRE 5

LES COMBATTANTS DE L’IMPOSSIBLE


Si la capacité de savoir ce que font les adversaires est essentielle, elle ne serait rien sans la capacité d’agir. En effet, lorsqu’un État est confronté à autant de menaces qu’Israël, attendre qu’un adversaire attaque pour riposter, même en étant prévenu, peut être funeste. Compte tenu de l’étroitesse de son territoire, de sa faible importance démographique comparée à ses voisins et, surtout, de l’hostilité déclarée d’un grand nombre d’organisations armées, l’État hébreu considère n’avoir d’autre choix que de procéder à des actions préventives, afin de réduire les menaces dès qu’elles prennent une tournure inquiétante. C’est le rôle dévolu, bien sûr, à l’armée de l’air, mais aussi aux unités spéciales, chargées des raids au cœur du dispositif adverse.

Par « opération spéciale », il faut entendre l’ensemble des actions qu’un volume réduit de forces, engagé secrètement, pour une durée pouvant aller de quelques heures à plusieurs semaines, est amené à réaliser afin d’obtenir un résultat décisif dans un contexte hautement hostile. Les opérations spéciales sont des opérations militaires stratégiques, non conventionnelles et secrètes dont l’engagement ne concerne pas l’aspect tactique de la bataille. Ce sont toujours des actions offensives, même si elles s’inscrivent dans une stratégie défensive. À la différence des unités conventionnelles, les forces spéciales n’occupent jamais le terrain, ne livrent aucune action de combat et ne se voient pas confier de missions défensives.

Les opérations spéciales se caractérisent par six critères significatifs : la recherche d’un effet décisif, le caractère hautement périlleux des missions, le volume réduit des forces engagées, leur mode d’action non conventionnel, la maîtrise de la violence et la confidentialité entourant les unités et les personnels. Elles sont utilisées contre des objectifs à haute valeur stratégique et leur action, toujours décidée au plus haut niveau, vise à modifier le rapport de force au niveau du théâtre d’opérations. Elles sont l’instrument privilégié avec lequel le commandement peut surprendre l’adversaire et lui porter des coups décisifs.

En temps de guerre, le rôle des unités spéciales varie selon qu’il s’agit d’une opération offensive ou d’une guerre de contre-insurrection. Dans le cadre d’une opération offensive, l’emploi des unités spéciales doit apporter une contribution majeure à la victoire. Pour cela, il leur faut être capables, dès le déclenchement d’un engagement, de désorganiser les forces et la manœuvre de l’adversaire, lui interdire toute mobilité, neutraliser ses centres de décision et ses moyens de communication. Il s’agit également de s’emparer de points et de secteurs névralgiques dont le contrôle permettra à l’offensive de réussir et de guider les unités d’assaut dans la profondeur après avoir reconnu les itinéraires.

Dans le cadre de la lutte contre-terroriste, l’une des missions essentielles confiées aux unités spéciales est d’interdire toute sanctuarisation à l’ennemi, c’est-à-dire faire en sorte qu’il ne puisse se sentir en sûreté nulle part. Ces unités sont donc chargées de conduire régulièrement des actions au cœur des zones qu’il contrôle (embuscades, destruction de dépôts, élimination de cadres dirigeants, libération d’otages ou de prisonniers, etc.). Outre leur efficacité pratique, ces opérations ont un impact psychologique significatif sur l’adversaire.

Depuis sa création, Israël recourt largement à l’emploi des forces spéciales pour des opérations au-delà de ses frontières, notamment pour sauver des otages ou détruire le potentiel adverse avant que celui-ci ne soit utilisé contre lui. Il dispose à cette fin de nombreuses unités de qualité, bénéficiant toutes d’une très grande expérience opérationnelle, qui se sont étoffées avec le temps et les conflits dans lesquels s’est trouvé engagé l’État hébreu. La quantité et la diversité de ces formations méritent qu’on s’attarde à les décrire en détail, mais aussi à en présenter la genèse.

L’origine des unités spéciales israéliennes

Les forces spéciales israéliennes trouvent leur origine parmi les volontaires juifs qui combattirent les forces de l’Axe aux côtés des Alliés pendant la Seconde Guerre mondiale, fournissant notamment des éléments germanophones et arabophones pour des opérations commando. Ces unités, appelées Palmach, furent mises sur pied par la Haganah en 1941 et armées par le Special Operations Executive britannique*1, ce qui leur donnera, après guerre un avantage indéniable sur les adversaires arabes. Une de leurs premières actions eut lieu le 18 mai 1941, lorsque vingt-trois hommes s’embarquèrent en vue de saboter les raffineries de pétrole que la France de Vichy possédait à Tripoli, au Liban. Mais elle se solda par un échec total et le bateau disparut corps et biens, sans doute parce que l’entraînement s’était déroulé aux alentours du port d’Haïfa qui grouillait d’espions. Au début du mois suivant, lorsque les Britanniques se lancèrent à la conquête du Liban et de la Syrie sous mandat français, trente-cinq éclaireurs juifs se trouvaient à la tête des troupes australiennes ; ils avaient pour mission de couper les fils téléphoniques et d’occuper les ponts. Le plus connu d’entre eux, qui perdit un œil au cours de cette action, se nommait Moshé Dayan.

Après la Seconde Guerre mondiale, les Juifs de Palestine créèrent une nouvelle unité connue sous le nom de Poum (Plugot Peyuchadot : « compagnie spéciale »). Opérant dans le plus grand secret, cette structure était à la fois une force de police, un service de renseignement et de contre-espionnage et une unité spéciale. Les missions qui lui furent confiées consistaient à mettre hors d’état de nuire les combattants arabes, à exécuter les informateurs juifs et à attaquer les vedettes britanniques chargées de l’interception des navires transportant des immigrés clandestins. Quelques-uns de ses hommes contribuèrent à la formation du Mossad et y occupèrent des postes de toute première importance.

Puis, pendant la période de la lutte pour son indépendance, en 1947-1948, Israël mit sur pied, sous la houlette d’Ytzhak Sadeh, plusieurs formations clandestines ayant pour mission d’aider au retour des Juifs en Palestine (Aliyah B) ; de se procurer par tous les moyens les armes qui manquaient cruellement aux milices juives (Rekesh) ; d’infiltrer les populations arabes, en utilisant des Juifs séfarades originaires du Moyen-Orient (Ha-Machlaka Ha-Aravit).

Une fois l’État d’Israël créé, la première unité de reconnaissance moderne de Tsahal fut formée par Norbert Beyrard, un Juif français, ancien aspirant des SAS de la France libre. Ses hommes étaient tous d’origine européenne et ne parlaient qu’anglais dans l’unité. Sa première opération spéciale fut lancée en Galilée contre les forces syriennes. L’unité travaillera ensuite dans le Néguev, derrière les lignes égyptiennes.

Puis, en 1953, Ariel Sharon reçut carte blanche pour créer une nouvelle unité spéciale. Connue sous le nom d’Unité 101 et rattachée au bataillon parachutiste 890, cette formation, d’une petite centaine d’hommes, se fit rapidement connaître par une série d’opérations efficaces et sanglantes dans lesquelles périrent de nombreuses victimes civiles. Elle se singularisa par sa violence, notamment en Jordanie, où elle tua soixante-neuf habitants lors de l’assaut du village de Kibya. Elle se spécialisa également dans l’enlèvement d’officiers supérieurs arabes qui constituaient une monnaie d’échange précieuse pour Israël. Mais ses hommes furent souvent incontrôlables, n’obéissant qu’à leurs propres règles et l’unité fut bientôt contestée par les dirigeants politiques israéliens eux-mêmes, qui y virent une menace potentielle pour les institutions de leur pays. Elle fut dissoute (janvier 1954) et ses membres intégrés dans l’unité de reconnaissance du corps des parachutistes : la sayeret Tzanhanim.

Ainsi, pendant les quinze premières années de l’État hébreu, diverses unités spéciales jouèrent le rôle d’une véritable force de dissuasion destinée à décourager les dirigeants arabes de se lancer dans toute action militaire d’envergure ; et il faut reconnaître que cette stratégie de dissuasion se révéla payante. Elle fut utilisée jusqu’à ce que l’État hébreu se dote d’une force aérienne puissante et d’un arsenal nucléaire lui permettant d’assurer la dissuasion par d’autres moyens.

À l’automne 1964, sous l’impulsion de Yitzhak Rabin, alors chef d’état-major des armées, les forces spéciales israéliennes – désignées sous le terme de sayerot – sont réorganisées en quatre unités. Trois d’entre elles se voient affectées aux grands commandements de l’armée de terre : Egoz (front Nord), Haruv (front Centre) et Shaked (front Sud). La quatrième, dénommée sayeret Matkal, est rattachée directement à l’état-major général. Dans le même temps, le cadre d’emploi de ces unités se précise ; les forces spéciales vont désormais se voir engagées dans trois grands types de missions : la lutte contre les groupes palestiniens, la lutte contre le terrorisme international à l’étranger et les missions spéciales en appui des opérations militaires1.

La lutte antiterroriste devient une priorité nationale absolue après la vague de détournements d’avions qui culminera en 1970 avec Septembre noir – lorsque des mouvements palestiniens détourneront simultanément plusieurs avions de ligne vers la Jordanie – et après qu’une série d’attentats meurtriers perpétrés à Athènes, Rome et Munich a menacé de déstabiliser la société israélienne et de porter gravement atteinte à la crédibilité du gouvernement.

Parallèlement, les forces spéciales israéliennes multiplient les missions à finalité militaire, qu’il s’agisse de reconnaissance profonde, de raids de sabotage, de désignation de cibles au profit de l’armée de l’air, d’assaut direct contre des objectifs adverses ou de libération de soldats israéliens prisonniers derrière les lignes ennemies. La guerre des Six Jours (1967), la guerre d’usure*2 (1967-1970), la guerre du Kippour (1973) et la guerre du Liban (1982) sont autant d’occasions qui permettent aux unités spéciales israéliennes de faire la preuve de leur efficacité et de remporter de nombreux succès qui contribueront au mythe d’invicibilité des commandos de Tsahal.

Une nouvelle évolution du cadre d’emploi des forces spéciales intervient à la fin des années 1980, avec l’explosion de la première Intifada (1987), la disparition de l’Union soviétique et la première guerre du Golfe (1991). Ces trois événements bouleversent la donne internationale du Moyen-Orient et donc les conditions de la sécurité de l’État hébreu. Avec la chute de l’URSS, principal soutien politique et fournisseur militaire des pays arabes opposés à Israël, et avec la destruction du potentiel militaire de Saddam Hussein, le risque d’une invasion militaire directe s’estompe. Mais elle est aussitôt remplacée par de nouvelles formes de menaces plus insidieuses et plus difficiles à appréhender et à combattre : les mouvements armés qui multiplient les opérations terroristes, notamment après la conclusion des accords d’Oslo. Ainsi, les forces spéciales vont connaître une nouvelle évolution afin de s’adapter à leur nouvel environnement et aux tactiques utilisées par leurs adversaires2.

Puis, l’apparition du terrorisme djihadiste – radicalement hostile aux « juifs et aux croisés » – à partir de 2001, le développement du progamme nucléaire iranien, la montée en puissance du Hezbollah au Liban, et enfin les conséquences du « printemps arabe » (2011) – touchant toute l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient, déstabilisant profondément les voisins d’Israël et permettant l’installation d’Al-Qaïda sur ses frontières – vont venir compliquer encore davantage l’environnement sécuritaire de l’État hébreu. Les occasions d’emploi des unités spéciales vont s’en trouver multipliées.

Les forces spéciales israéliennes aujourd’hui

Au premier rang des priorités de Tsahal, les forces spéciales israéliennes se sont donc adaptées aux nouvelles menaces. Leur doctrine d’emploi est résumée par la formule suivante : « Tout système de défense est vulnérable ; il est indispensable d’être imaginatif, audacieux et de faire preuve d’initiative pour surprendre l’adversaire en créant des situations qu’il n’aura pas anticipées3. » Leurs raids se déroulent généralement de nuit, en coordination interarmées, impliquant de nombreux moyens appartenant à l’aviation (satellites, aéronefs, hélicoptères, drones), aux forces terrestres, ou à la marine ; elles bénéficient d’armements et d’équipements à la pointe de la technologie, souvent sans équivalent chez leurs adversaires.

Toutefois, dresser l’ordre de bataille des forces spéciales est une gageure. Très peu d’informations sont disponibles sur les commandos de Tsahal, protégés par le secret le plus absolu. Les sayerot changent périodiquement de dénomination ou portent simultanément plusieurs appellations pour égarer l’adversaire et ses services de renseignement. De plus, les non-spécialistes ont souvent tendance à les confondre avec les services de renseignement ou avec les unités militaires d’élite (de reconnaissance ou de combat), au profit desquels elles interviennent régulièrement.

Leur nombre exact n’est pas connu pour des raisons évidentes. Il est toutefois possible de dire qu’Israël dispose de plusieurs types d’unités, organisées selon trois vocations complémentaires : les unités à vocation « stratégique », rattachées directement à l’état-major général ; les unités de front ou de zone, affectées à une aire ou à un commandement géographique précis, et les unités à vocation spécialisée, relevant souvent d’une spécialité particulière.

LES UNITÉS RATTACHÉES À LÉTAT-MAJOR GÉNÉRAL

Créée en 1957, la sayeret Matkal est l’unité la plus secrète de Tsahal. Elle a participé à la plupart des opérations spéciales majeures lancées par le gouvernement israélien depuis cinquante ans. Connue un temps sous l’appellation d’Unité 269 ou encore Unité 424, elle est considérée comme la meilleure unité de combat de l’armée israélienne, et l’une des meilleures unités de forces spéciales au monde.

Matkal remplit trois fonctions essentielles : expérimenter des modes d’action et des armements susceptibles d’être adoptés par l’ensemble des forces armées, préparer et conduire des opérations spéciales, inventer de nouvelles formes de combat adaptées aux menaces qu’impose le terrorisme international. Commandée par un colonel, elle jouit d’une indépendance dont aucun autre corps ne bénéficie au sein de Tsahal. Disposant de son propre budget, elle décide elle-même d’acheter ou de payer l’étude du matériel correspondant à ses besoins. Accédant directement aux échelons les plus élevés du commandement, elle peut obtenir renseignements et logistique des trois armées, prendre l’initiative de certaines opérations, en exécuter à la demande ou en proposer de nouvelles.

Le processus de sélection pour accéder à Matkal est particulièrement éprouvant. Une fois retenus pour l’unité, les candidats suivent alors une formation de vingt mois, l’une des plus longues au monde en la matière, comprenant notamment : navigation dans le désert, épreuves d’orientation, exercices antiterroristes, utilisation de tout type d’armes, formation au tir de précision, survie dans tous les milieux, maîtrise des moyens de transmission, utilisation de tout type de véhicules, etc.

Pendant longtemps, l’armée israélienne a eu pour politique officielle de nier l’existence de Matkal. Ses opérations ont été généralement attribuées à des « unités parachutistes d’élite ». Le public en ignora l’existence jusqu’à ce qu’Ahmed Djibril, du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), détourne un avion de la Sabena à destination d’Israël, en 1972. Matkal prit alors l’avion d’assaut et libéra les otages. Beaucoup de ses opérations sont encore classifiées à ce jour. Toutefois, le voile du secret a été levé sur un certain nombre d’autres, ce qui permet de prendre conscience de son « palmarès » impressionnant.

Matkal ne participa pas à la guerre des Six Jours car son créateur, Avraham Arnan, considérait qu’« un combattant de Matkal est trop précieux pour le chaos d’une guerre ». Ses premières actions significatives eurent lieu pendant la guerre d’usure (1967-1970). En 1968, elle sabote une centrale hydroélectrique et des ponts sur le Nil, en Égypte (opération Shock). La même année, elle sabote également quatorze avions de ligne arabes sur l’aéroport international de Beyrouth, au Liban (opération Gift). En 1969, l’unité intervient de nouveau en Égypte pour saboter des lignes à haute tension. La même année, en coopération avec la shayetet 13, l’unité spéciale de la marine, elle participe à l’assaut contre la forteresse de l’île Verte, qui garde l’entrée sud du canal de Suez (opération Bulmus). Construit par les Anglais pendant la Seconde Guerre mondiale, ce puissant bastion était considéré comme imprenable et les Égyptiens s’en servaient comme base de repli après les opérations qu’ils menaient contre les positions israéliennes sur la rive est du canal. Dans une opération audacieuse, quarante membres des forces spéciales israéliennes réussirent à prendre pied sur l’île, à tuer une grande partie de la garnison égyptienne – une centaine d’hommes dont plusieurs membres de l’unité d’élite As-Saiqa – et à rentrer à la base. Toutefois, l’île resta égyptienne ; six soldats israéliens furent tués et quelques autres blessés, dont Ami Ayalon, le futur patron du Shin Beth. Mais cette opération fut un succès psyschologique : les Égyptiens comprirent qu’ils n’étaient pas à l’abri des raids des forces spéciales de Tsahal. Toujours en 1969 et toujours sur l’île Verte, Matkal, en collaboration avec l’armée de l’air, se rend maître d’une station radar égyptienne équipée de matériels dernier cri livrés par l’Union soviétique (opération Rooster). Les commandos israéliens parviennent à s’en emparer et à les ramener sans dommage. Ces machines seront analysées par les Israéliens qui transmettront les résultats aux services secrets américains.

En juin 1972, elle enlève cinq agents de renseignement syriens (opération Crate), destinés à servir de monnaie d’échange contre trois pilotes israéliens capturés par Damas, quelques mois plus tôt. Parallèlement, Matkal conduit avec succès de nombreuses interventions antiterroristes sur le territoire national. Le 8 mai 1972, sur l’aéroport de Lod (Tel-Aviv), elle libère les passagers du vol Sabena 571 retenus en otages par des pirates de l’air du FPLP dirigés par Ahmed Jibril (opération Isotope). À noter que cette opération, qui illustre la maîtrise des Israéliens en la matière, a eu lieu avant les événements de Munich – que la police allemande n’a pas su gérer faute d’unité spécialisée – donc avant même la création du GIGN français et du GSG9 allemand4. En avril 1973, Matkal participe, avec la shayetet 13, à l’élimination des chefs terroristes de Septembre noir à Beyrouth, (opération Spring of Youth). Guidés par les hommes du Mossad, quarante commandos de l’unité, arrivés par la mer et dirigés par le futur Premier ministre Ehud Barak, donnent l’assaut à des bâtiments occupés par l’OLP dans la capitale libanaise. De nombreux cadres de l’organisation et de Septembre noir sont tués. Au cours de ce raid, les Israéliens récupèrent des centaines de kilos d’archives. Leur exploitation permettra de reconstituer et d’éliminer les réseaux de soutien de Septembre noir en Europe. Puis, lors de la guerre du Kippour, Matkal, appuyée par la brigade d’infanterie Golani, reprend le mont Hermon aux commandos syriens. Parallèlement, l’unité effectue des embuscades sur les arrières des forces égyptiennes et syriennes, au cœur même de leurs territoires. Puis, elle sauve les élèves de l’école de Maalot (1974), avant de libérer, l’année suivante, des otages retenus dans un hôtel de Tel-Aviv par l’OLP (opération Savoy). En juillet 1976, elle libère les passagers de l’Airbus d’Air France, retenus en otages dans l’aéroport d’Entebbe, en Ouganda. Cette opération reste à ce jour le plus grand succès de la Matkal5. Elle constitua un véritable modèle du genre qui servit de référence pendant plus de vingt ans aux forces spéciales et aux groupes antiterroristes du monde entier.

Le montage d’une telle opération – aux données politiques et militaires complexes, nécessitant l’engagement d’effectifs peu nombreux mais très divers, chacun chargé d’une partie spécifique et capitale de l’entreprise – reposait d’abord sur l’acquisition de renseignements de qualité sur la configuration exacte des objectifs et les forces en présence, ce qui fut fait par le Mossad, qui introduisit clandestinement des agents sur place. Dès lors, tout fut minutieusement prévu et planifié.

Un Boeing 707 banalisé des forces de défense israéliennes, devant servir d’infirmerie volante, se posa à Nairobi, au Kenya, pays entretenant traditionnellement de bonnes relations avec Israël. Il était piloté par des hommes qui connaissaient l’aéroport d’Entebbe. Profitant de la nuit, cinquante parachutistes israéliens se faufilèrent hors de l’avion-hôpital et rejoignirent aussi vite que possible les berges du lac Victoria. Grâce à des canots pneumatiques, ils gagnèrent la rive ougandaise et prirent position autour de l’aéroport. Dans le même temps, à Entebbe, six hommes du Mossad avaient encerclé l’appareil. Chacun disposait d’un émetteur-récepteur radio à haute fréquence et d’un appareil électronique destiné à brouiller les radars de la tour de contrôle.

Quatre avions de transport C-130, avec à leur bord la force d’intervention d’environ deux cents combattants provenant de diverses unités, décollent le samedi 3 juillet vers 16 heures pour un vol de 4 000 km au-dessus la mer Rouge vers Entebbe, escortés au début par des avions de chasse. Un autre Boeing 707, poste de commandement et relais de transmission volant, les accompagne, croisant au-dessus du théâtre d’opérations afin que le commandement puisse éventuellement, en cas d’incidents inattendus, en vol ou à terre, engager d’autres forces aériennes ou aéroportées maintenues en alerte en Israël.

Les appareils se posent d’abord à Nairobi afin de refaire le plein en carburant, avant de « fondre » sur l’aéroport d’Entebbe. Le système de brouillage déployé par les hommes du Mossad fonctionne à la perfection : les autorités de l’aéroport essayent encore de comprendre ce qui est arrivé à leurs radars quand les trois C-130 et l’avion-hôpital atterrissent sur la piste.

À 23 h 03 heure locale, en plein clair de lune, le premier avion se pose sur la piste secondaire de 2 600 m de l’aéroport d’Entebbe, s’arrêtant non loin de l’ancienne aérogare, lieu de détention des otages. Les deux autres suivent à quelques secondes d’intervalle. Immédiatement des jeeps armées sortent par les rampes arrière des appareils et foncent vers leurs objectifs. Ainsi, des dizaines de soldats en tenue camouflée font irruption dans le bâtiment où les otages sont retenus, les libérent et abattent les terroristes ainsi que seize soldats ougandais, avant de rembarquer aussi vite qu’ils étaient venus*3. Les parachutistes postés en soutien n’eurent même pas besoin d’entrer en action. Ils repartirent en canot sur le lac Victoria. À Nairobi, ils furent récupérés par un avion de transport israélien et ramenés au pays.

Le raid aéroporté fut préparé en cinq jours et exécuté en moins de 90 minutes, après quinze heures de vol. Le bilan fut exceptionnel : cent trois prisonniers furent libérés et seuls deux otages furent tués et cinq blessés. Les Israéliens n’eurent à déplorer qu’un tué et quatre blessés. En face, sept terroristes furent abattus, trois faits prisonniers et seize soldats ougandais furent tués. Du point de vue militaire, on peut parler de l’exécution parfaite d’une mission extrêmement délicate. Le raid montra au monde la capacité israélienne en matière d’opération spéciale. Il est important d’en mettre certains aspects en lumière.

Concevoir une telle opération en si peu de temps nécessite de disposer d’informations complètes et récentes concernant les aéroports africains, de leurs équipements radars et de leurs moyens de défense antiaériens. Sans doute existait-il, quelque part dans les tiroirs des services israéliens, un dossier d’objectif constamment tenu à jour. Il a pu être rapidement complété, notamment grâce à la très probable collaboration de services étrangers (pays occidentaux, mais aussi Kenya).

Le brouillage des moyens de détection et de transmission locaux, pendant et après l’action de force joua un rôle essentiel pour empêcher que l’armée ougandaise ne détecte l’approche des appareils et ne puisse ordonner l’arrivée de renforts. En effet, un important camp militaire était situé à courte distance du terrain d’aviation. Mais les parachutistes arrivés du Kenya en minèrent la route d’accès et installèrent un échelon de protection face à cette garnison.

Le recours à un stratagème destiné à abuser les militaires ougandais eut aussi une incidence majeure. Dès l’arrêt du premier C-130, afin d’immobiliser encore tous les personnels ougandais au sol, mis en éveil par les bruits des moteurs, une Mercedes noire occupée par dix « faux » soldats ougandais débarqua, suscitant l’interrogation et détournant l’attention des forces de sécurité pendant les dizaines de secondes nécessaires aux commandos pour bondir hors des avions et se précipiter vers leurs différents objectifs.

Enfin, une partie des commandos mit immédiatement hors service la tour de contrôle et les radars de l’aéroport, et détruisit au sol une dizaine de chasseurs ougandais MiG 17 et MiG 21 qui auraient pu abattre les avions israéliens sur le chemin du retour.

Surtout, rien n’avait été laissé au hasard : une autre unité spéciale israélienne se trouvait à Djibouti – avec l’accord du gouvernement français – prête à entreprendre une opération terrestre en cas d’échec de la première intervention. Le service de renseignement français (SDECE) aida considérablement les Israéliens en cette occasion en leur fournissant une partie des renseignements indispensables à l’action.

L’opération est incontestablement un fait d’armes exceptionnel. Pourtant, comme le déclara ensuite l’un des commandants de Matkal, « la décision politique était beaucoup plus difficile à prendre que l’opération militaire à réaliser ».

 

En 1980, l’unité libère les otages de la maternelle du kibboutz de Misgav Am (1980), détenus par des membres du Front de libération arabe (FLA), d’origine irakienne. Puis, en 1982, lors de la guerre du Liban, Matkal effectue des reconnaissances profondes en avant des forces israéliennes. Ses tireurs d’élite réussissent à cibler Yasser Arafat, mais ne sont pas autorisés à l’éliminer. En 1984, elle résout avec succès la prise d’otages du bus 300, qui donnera néanmoins lieu à un scandale*4. En 1988, l’unité parvient à éliminer Abou Jihad, l’un des leaders majeurs de l’OLP, dans sa villa de Tunis. Puis, en 1989, elle enlève au Liban le cheikh Abdul Karim Obeida, un des leaders du Hezbollah, afin d’obtenir la libération du pilote israélien Ron Arad, mais sans succès, le mouvement chiite préférant sacrifier son leader religieux que de rendre son otage.

En novembre 1992, Matkal prépare l’assassinat du président irakien Saddam Hussein (opération Bramble Bush), mais la mission n’aura pas lieu. En effet, quelques jours avant son déclenchement, un missile destiné à l’opération explose sur la base des commandos dans le Néguev, tuant cinq d’entre eux. En 1994, l’unité réussit à enlever Mustafa Dirani, un leader chiite libanais. La même anné, l’unité connaît l’un de ses rares échecs. L’opération était destinée à libérer Nachshon Wachsman, un soldat pris en otage par le Hamas et retenu dans un village de Cisjordanie. Le chef du commando Matkal et l’otage qu’il était venu libérer trouvent la mort dans l’opération.

En 2006, lors de la seconde guerre du Liban, l’unité conduit de nombreuses actions – conjointement avec l’Unité Shaldag – afin de perturber le trafic d’armes à destination du Hezbollah. À l’occasion de l’une d’entre elles, des éléments de l’unité tombent dans une embuscade et un officier supérieur est tué et plusieurs cadres blessés (opération Sharp and Smooth). En 2007, Matkal est inflitrée en Syrie afin de prélever des échantillons au sol d’un réacteur nucléaire syrien présumé, ce qui permettra la confirmation de son existence et le déclenchement d’un frappe aérienne pour le détruire (opération Orchard). Depuis cette date, ses opérations ne sont pas connues. Mais Matkal intervient souvent au profit de la communauté israélienne du renseignement, avec laquelle elle entretient des liens étroits. D’ailleurs, beaucoup de ses membres rejoignent le Shin Beth, Aman ou le Mossad à l’issue de leur séjour dans l’unité.

 

Créée en 1948 par Yohai Ben-Nun à partir de quelques hommes issus du Palyam, la branche navale de la Haganah, la shayetet 13 – également connue sous la dénomination de Flotille no 13, S’13 ou de Kommando Yami – est rattachée à la marine. C’est l’une des unités spéciales les plus prestigieuses d’Israël. Elle est souvent comparée aux Navy Seals américains. Son existence ne fut révélée qu’en 1960.

Basée à Atlit, la shayetet 13 a pour mission de conduire des opérations de renseignement et de destruction en territoire ennemi, en ciblant notamment les navires de guerre amarrés dans les ports adverses (attaques sous-marines). L’unité est aussi spécialisée dans les opérations amphibies (raids de reconnaissance et sécurisation de têtes de pont) et le contre-terrorisme maritime. La formation des nageurs de combat dure vingt mois au cours desquels ils subissent un entraînement intensif, extrêment sélectif, comparable à celui de Matkal : apprentissage des techniques de combat, de plongée et de sabotage, saut en parachute, formation à la survie en milieu hostile ou au pilotage de voitures rapides, etc.

Toutefois, l’histoire de la shayetet 13 a été assez mouvementée. Dès l’origine, l’armée de terre fut hostile à la création de cette unité, considérant qu’elle disposait de forces spéciales en quantité suffisante et que le rôle de la marine devait se limiter à permettre leur acheminement vers leurs objectifs. Mais cette dernière s’obstina. L’unité vit cependant son budget et ses effectifs strictement limités, ce qui ne l’empêcha pas de multiplier les missions opérationnelles, avec des succès variés.

Le 9 juillet 1958, des commandos de la shayetet 13 s’infiltrent dans le port de Beyrouth (opération Yovel), mais ils sont découverts et doivent se replier sous les tirs. En août 1966, l’unité reçoit pour mission de récupérer l’épave d’un MiG syrien qui s’est abîmé dans la mer de Galilée, mais les plongeurs doivent abandonner l’opération sous le feu des forces syriennes qui parviennent à récupérer l’aéronef.

Pendant la guerre des Six Jours, l’unité est chargée de neutraliser les flottes ennemies. Mais, une nouvelle fois, la chance ne sera pas au rendez-vous. Des commandos s’infiltrent dans Port-Saïd mais n’y trouvent aucun navire. Puis, lors d’un raid à Alexandrie, six plongeurs sont capturés par les Égyptiens. Ils ne seront relâchés qu’en janvier 1968. Toutefois, les Komando Yami connaîtront le succès, en juillet 1967, à l’occasion d’un raid à travers le canal de Suez : ils parviennent à détruire une ligne ferroviaire égyptienne en plusieurs endroits.

En 1969, pendant la guerre d’usure, la shayetet 13 participe, avec Matkal, au raid contre l’île Verte déjà évoqué. Bien que l’opération soit un succès, elle y perd trois hommes. En septembre de la même année, l’unité conduit plusieurs raids contre les ancrages égyptiens à Ras el-Sadate et parvient à détruire deux patrouilleurs P-183 (opération Escort). Mais trois opérateurs sont tués sur le chemin du retour lorsque l’une de leurs charges explose.

Au cours des années 1970, l’unité connaît une réorganisation mettant l’accent sur la formation et orientant davantage ses actions sur les opérations à terre, ce qui génère quelques tensions avec l’armée de terre, mais qui va lui permettre de renouer avec le succès.

Le 14 janvier 1971, la shayetet 13 conduit un raid contre une base terroriste au Liban, près de Saïda, où une vingtaine de combattants palestiniens suivent une formation de plongeurs offensifs (opération Bardas). Plusieurs bâtiments de la base sont détruits et un certain nombre de terroristes blessés, notamment leur commandant, Abou Youssef. L’objectif n’est pas pleinement atteint car, au cours du raid, les commandos découvrent plusieurs femmes dans un des bâtiments et décident de ne pas le faire sauter. Un mois plus tard, aux côtés de la sayeret Tzanhanim, les Komando Yami attaquent des bases de guérilla à Nahr al-Bared et à Beddawi (Liban) ; une quarantaine de Palestiniens sont tués et soixante sont blessés, un instructeur militaire turc est fait prisonnier. La même année toujours, la shayetet 13 intervient à Beyrouth aux côtés de Matkal pour éliminer plusieurs membres de Septembre noir, le groupe qui a perpétré le massacre des athlètes israéliens lors des jeux Olympiques de 1972 à Munich (opération Spring of Youth). Puis, pendant la guerre du Kippour, des commandos de S’13 attaquent à plusieurs reprises les ports égyptiens et parviennent à détruire cinq navires de guerre et à en endommager gravement un autre. L’unité perd deux des siens au cours du conflit.

Après la guerre du Kippour, la S’13 poursuit ses opérations contre les navires participant au trafic d’armes au profit des groupes terroristes, avec des succès mitigés. Puis, à partir des années 1980, l’unité est de plus en plus engagée dans des opérations au Liban. En 1980 et 1981, elle y conduit avec succès plus d’une vingtaine de raids contre des bases de la guérilla. Notamment, en avril 1980, suite à des renseignements selon lesquels un groupe terroriste basé au Sud-Liban préparait une action d’enlèvement dans une communauté dans le nord d’Israël, les commandos de S’13 attaquent sa base, éliminant une quinzaine de combattants.

En 1982, pendant la guerre du Liban (opération Paix en Galilée), la S’13 établit une tête de pont à l’embouchure de la rivière Awali, permettant le débarquement des blindés et de l’infanterie. L’unité effectue également, entre autres, trois raids contre des bâtiments de l’OLP à Beyrouth. Tout au long des années 1980, elle conduira des dizaines d’opérations et portera des coups décisifs, tant humains que matériels, au Hezbollah.

 

Le 5 septembre 1997, la shayetet 13 subit toutefois un échec majeur lors d’un raid au Liban, afin d’assassiner un haut dignitaire du Hezbollah. Alors que ses commandos, débarqués de nuit au sud de Sidon, entre les villes de Loubieh et Ansariya, commencent à progresser vers leur objectif, ils entrent en terrain miné et tombent dans une embuscade. Le commandant du détachement est tué le premier. Cloués au sol par le feu ennemi jusqu’à l’aube, douze de ses hommes connaîtront le même sort. Trois autres seront grièvement blessés. L’armée de l’air intervient alors sous les tirs pour évacuer les morts et les blessés. Toutefois, les corps de certains soldats israéliens ne seront renvoyés en Israël qu’en juin 1998, dans le cadre d’un accord d’échange de prisonniers. Cet événement, dénommé « le désastre naval », est à ce jour l’épisode le plus noir de l’histoire des forces spéciales israéliennes. En 2011, le Hezbollah finira par revéler qu’il était au courant de l’opération à l’avance grâce à l’interception de prises de vue des drones israéliens qui avaient survolé l’objectif quelques jours avant le raid.

Au cours de la deuxième Intifada (2000), la shayetet 13 conduit de nombreuses opérations contre-terroristes en Cisjordanie et à Gaza, afin d’arrêter ou d’éliminer des membres du Hamas, du Djihad islamique et de la Brigade des martyrs d’Al-Aqsa. L’unité participe également à la bataille de Jénine. Enfin, elle arraisonne trois navires palestiniens qui tentent de faire entrer des armes à Gaza : le Karine A, le Santorin et l’Abu-Yusuf.

En 2004, ses activités sont temporairement suspendues après qu’une plainte est déposée par un groupe israélien des droits de l’homme, accusant des membres de l’unité d’avoir tiré sans raison sur un combattant palestinien désarmé. L’enquête qui suivit révéla que l’homme abattu dissimulait une grenade sur lui et l’unité fut blanchie.

Pendant la seconde guerre du Liban (2006), les commandos réalisent un raid héliporté audacieux sur la ville de Tyr, tuant vingt-sept membres du Hezbollah et détruisant le poste de commandement d’une unité de lance-roquettes bombardant Israël.

Selon le Sunday Times, ce sont des hommes de la shayetet 13, débarqués depuis un yacht ancré au large de la côte syrienne, qui sont responsables de l’assassinat du général Muhammad Suleimane. Principal responsable du programme nucléaire de Damas et acteur incontournable pour les livraisons d’armes iraniennes au Hezbollah libanais, il a en effet été tué le 1er août 2008, pendant son séjour dans sa maison familiale près de Tartous, sur la côte méditérranéenne. Alors qu’il donne un dîner, Suleimane est abattu de plusieurs balles tirées à bout portant par un commando S’13, sans que ses gardes du corps aient eu le temps de riposter. Le régime syrien avait à l’époque gardé le silence sur cet assassinat mais de nombreuses sources avaient indiqué que tous les indices laissaient penser qu’il s’agissait d’une opération israélienne.

La shayetet 13 sera également engagée au cours de l’opération Plomb durci à Gaza, fin 2008, où elle désignera des cibles du Hamas aux avions de l’armée de l’air. L’unité conduira une mission similaire au Soudan (26 mars 2009), afin de détruire un convoi de dix-sept camions transportant des armes à destination des groupes palestiniens et un quai d’amarrage servant aux navires iraniens.

Le 31 mai 2010, la shayetet 13 a pris part à l’opération Sea Breeze (également appelée Sky Winds) afin d’intercepter une flottille de navires civils internationaux essayant de briser le blocus de Gaza. Les commandos, dotés d’armes non létales et de pistolets de 9 mm, parviennent sans difficulté à monter à bord des cinq navires. Les versions divergent sur la suite des événements : les activistes nient avoir eu recours à la force tandis que l’armée israélienne a indiqué que les hommes de S’13 ont été attaqués par des dizaines de militants qui, armés de couteaux, de barres de fer et d’armes improvisées, ont cherché à les capturer et à s’emparer de leurs armes. Trois soldats auraient même été faits prisonniers. Face à l’inefficacité des armes non létales, les commandos auraient alors ouvert le feu à balles réelles pour mettre hors d’état de nuire les activistes et prendre le contrôle du navire. Ce qui est certain, c’est que les Israéliens avaient visiblement sous-estimé la détermination des passagers du navire, dont il est maintenant clairement établi qu’ils avaient l’intention de s’opposer physiquement à toute tentative d’arraisonnement et de forcer le blocus. Finalement, neuf militants ont été tués et plusieurs dizaines d’autres blessés. Sept membres du S’13 ont également été blessés, dont deux grièvement. Cette action a été ensuite unanimement condamnée par la communauté internationale et a contribué à refroidir encore un peu plus les relations diplomatiques d’Israël avec la Turquie, dont étaient issues la plupart des victimes.

Depuis, les hommes de la shayetet 13 poursuivent leurs opérations contre les navires participant au trafic d’armes, dont plusieurs sont arraisonnés chaque année par leurs soins.

 

Moins connue et de création plus récente que Matkal et S’13, la sayeret Maglan (Ibis) – également connue sous le nom d’Unité 212 – est la troisième unité spéciale directement rattachée à l’état-major des armées. Elle est chargée de conduire des raids en profondeur en territoire ennemi, à des fins militaires ou de contre-terrorisme. Outre l’action directe, elle est spécialisée dans la désignation des cibles pour les raids aériens des avions et hélicoptères d’attaque israéliens.

Créée en 1986, son existence n’a été dévoilée qu’en 2006 et peu de choses sont connues à son sujet. Maglan aurait participé à la chasse aux Scud en territoire irakien au cours de la première guerre du Golfe (1991). Montées sur des Land Rover équipés de missiles antichars, ses équipes auraient localisé et détruit plusieurs lanceurs Scud mobiles.

Le niveau d’excellence de Maglan est comparable à celui de Matkal. La sélection, d’une durée de dix-huit mois, est extrêmement sévère et moins d’un tiers des candidats parvient à son terme. Si la résistance physique est primordiale, la force mentale l’est plus encore. Il faut être ultramotivé pour rejoindre Maglan. Mais, fait relativement rare parmi les commandos, l’unité a la réputation d’être un repaire de « pacifistes ». En effet, beaucoup de ses membres sont issus des classes moyennes ou des kibboutz, et marqués à gauche. Certains d’entre eux ont l’habitude, semble-t-il, de prendre des libertés avec la discipline militaire, s’habillant la plupart du temps en tenue civile ou en baskets et se singularisant par leurs prises de position politiques. Ainsi, au début des années 1990, des membres de Maglan ont adressé une lettre au Premier ministre Yitzhak Shamir, lui demandant qu’Israël se retire de la bande de Gaza. Puis, au début des années 2000, des cadres de l’unité ont refusé de servir dans les territoires occupés, réclamant le statut d’objecteurs de conscience. Cela n’a pas empêché Naftali Bennett, le leader du parti d’extrême droite La Maison Juive et actuel ministre de l’Économie, d’y faire carrière.

L’unité a cependant fait taire les critiques par ses succès. Les commandos de Maglan ont ainsi conduit de très nombreuses opérations à haut risque derrière les lignes ennemies, dont la plupart restent secrètes. Au cours de la seconde guerre du Liban (2006), Maglan a été la première unité engagée contre les forces du Hezbollah, au-delà de la « barrière de sécurité » et a conduit, avec succès, de nombreuses opérations. Elle aurait notamment opéré dans la zone littorale du Liban, détruisant 150 objectifs (sites de commandement, véhicules, caches de munitions, infrastructure), dont 40 lance-roquettes (opération Beach Boys). Ses objectifs se trouvaient dans des zones hors de portée pour l’armée de l’air, ou dans lesquelles celle-ci ne souhaitait pas s’engager. L’unité a ainsi acquis une remarquable expérience dans la localisation et la destruction des lance-missiles et des lance-roquettes (Katioucha) du Hezbolah, et ses opérations ont entraîné une réduction de 40 % des tirs ciblant les villes du nord d’Israël. Pour ses nombreux succès, Maglan a reçu une citation de l’état-major.

LES UNITÉS DE « FRONT »

L’unité Douvdevan (« Cerise ») a été créée en 1988 par Ehud Barak, alors chef d’état-major adjoint, pour faire face à l’Intifada. Son existence ne fut révélée qu’en 1994. C’est l’une des plus prestigieuses unités spéciales de Tsahal, subordonnée à la Division de Judée-Samarie (front Centre). Les futurs commandos de l’unité proviennent principalement de la Brigade parachutiste. Douvdevan est spécialisée dans la neutralisation des groupes terroristes palestiniens. Ses membres, tous arabisants, opèrent en petites équipes, le plus souvent en civil, au milieu de la population palestinienne*5. Ils ont largement contribué à la neutralisation des chefs historiques du Hamas et du Djihad islamique. Toutefois, la crédibilité de Douvdevan a été entachée par une série de bavures et de tirs fratricides ayant entraîné la démission d’un de ses commandants. En 1988, une unité similaire (Shimson) fut créée par Ehud Barak, en même temps que Douvdevan, afin de conduire des missions similaires dans la bande de Gaza. Elle a été dissoute suite au retrait israélien de ce territoire.

L’unité Egoz (« Noisette ») a été créée en 1956. À l’origine, sa mission était de conduire des raids derrière les lignes ennemies. Par la suite, l’unité a été dissoute et reconstituée à de nombreuses reprises. Depuis août 1995, elle est devenue l’unité spéciale de contre-terrorisme du commandement du front Nord. Egoz recrute ses hommes principalement au sein de la Brigade Golani.

L’Unité d’alpinisme (Yehidat HaAlpinistim) est une unité spéciale d’infanterie de Tsahal subordonnée au commandement de la région Nord, spécialisée dans le combat en montagne. Elle est composée de réservistes ayant tous servi dans des unités d’élite pendant leur service militaire régulier et qui continuent de suivre un entraînement poussé de combat en montagne, été comme hiver.

LES UNITÉS À VOCATION SPÉCIALISÉE

La sayeret Golani est l’unité de reconnaissance de la 1re brigade d’infanterie Golani – une des meilleures de Tsahal. Ses éclaireurs, surnommés les « Tigres volants », sont particulièrement aguerris au combat urbain et aux missions spéciales. Créée en 1948, elle s’est illustrée pendant la guerre des Six Jours en s’emparant de positions clés sur le Golan, puis lors de la guerre du Kippour en reprenant le contrôle du mont Hermon. Elle participa également au raid sur Entebbe, puis à l’opération Litani, en 1978, au Liban. C’est toutefois en juin 1982, lors de l’opération Paix en Galilée, qu’elle accède à la notoriété en délogeant les fedayins palestiniens retranchés dans le château de Beaufort, puis en combattant dans Beyrouth assiégé.

La sayeret Tzanhanim regroupe, depuis 1954, les meilleurs éléments des troupes aéroportées. Elle fait office d’unité de reconnaissance de la brigade parachutiste et s’est spécialisée dans l’infiltration à longue distance par voie aéromobile. Cette unité a conquis ses titres de gloire lors de l’assaut sur le col de Mitla pendant la campagne du Sinaï en 1956, puis lors de la prise de la vieille ville de Jérusalem, durant la guerre des Six Jours. En 1968, plusieurs tzanhanim furent déposés près du barrage d’Assouan, en plein territoire ennemi, où ils parvinrent, avec Matkal, à détruire une installation électrique et deux ponts (opération Shock). L’unité fut également engagée lors d’une mission spéciale visant la destruction d’un pont stratégique en profondeur sur le territoire syrien, pendant la guerre du Kippour, destinée à stopper l’arrivée de renforts blindés irakiens. Par la suite, les bérets rouges israéliens, spécialisés dans le combat urbain, ont été très largement utilisés dans la lutte contre l’Intifada. La sayeret Tzanhanim a enfin été spécialement entraînée pour rechercher et détruire les Scud irakiens pendant la guerre du Golfe. Son engagement dans ce conflit fut toutefois annulé par le gouvernement israélien pour des raisons politiques.

La sayeret Givati est l’unité de reconnaissance et d’éclairage de la 5e brigade d’infanterie d’élite Givati. Elle participa aux combats les plus féroces de la guerre d’indépendance. Ses commandos se firent rapidement surnommer les « Renards de Samson ». En 1956, la brigade fut dissoute et le nom de Givati fut transféré à la 17e brigade de réserve. À la fin de la guerre du Kippour, les fantassins et les éclaireurs de cette unité tentèrent sans succès de s’emparer de la ville de Suez. Ils subirent de lourdes pertes et durent se replier dans des conditions difficiles. L’opération Paix en Galilée (1982) ayant démontré le besoin, pour l’armée israélienne, de disposer de davantage de fantassins et de commandos, la 5e brigade d’infanterie Givati fut reformée en juin 1983. Dans sa nouvelle formule, elle se spécialisa dans les opérations amphibies. Pendant près de dix-sept ans, la sayeret Givati a été au premier rang des forces spéciales israéliennes engagées au Sud-Liban.

La sayeret Ha’Druzim – également connue sous le nom d’Unité 300 – est composée d’Israéliens issus de minorités ethniques (Druzes principalement, mais aussi Circassiens et Arabes). Elle est spécialisée dans la reconnaissance des pays ennemis et l’infiltration des milieux arabes. Ce sont les combattants de cette unité qui, pendant la guerre des Six Jours, se sont emparés de la ville de Jénine, en Cisjordanie, en se faisant passer pour des soldats irakiens. Elle a également conduit des raids de représailles dans les pays voisins, comme à Karameh en 1968 ou à Beyrouth en 1973.

 

De nombreuses autres composantes de l’armée de terre disposent d’une petite unité d’élite composée de leurs meilleurs éléments, capable de conduire ponctuellement des opérations spéciales. Ainsi, le corps du génie a créé la sayeret Yahalom (« Diamant »), qui a pour missions le sabotage, la destruction d’objectifs, ainsi que la prise en charge d’armements dangereux (NRBC) et, depuis quelques années, la recherche et la destruction des tunnels et caches d’armes ennemis. La sayeret Sherion relève du corps blindé au profit duquel elle effectue des opérations de reconnaissance. La sayeret Meitar (« Corde ») est l’unité d’élite d’artillerie, etc.

L’armée de l’air a également développé plusieurs unités à vocation spéciale. La sayeret Shaldag (« Martin-Pêcheur ») – ou Unité 5101 – est chargée de la récupération des pilotes abattus en territoire ennemi (sauvetage de combat), de la désignation d’objectifs au profit des chasseurs bombardiers de l’armée de l’air. La Heyl Haavir (armée de l’air) dispose également d’une autre unité à vocation spéciale, l’Unité 669. Regroupant combattants et personnels de santé, elle est spécialisée dans le sauvetage de combat ou le secours aérien aux victimes et la recherche des soldats disparus. Enfin, l’Unité 5707 serait chargée des missions d’évaluation des bombardements (Bomb Damage Assessment).

 

Depuis leur création, les forces spéciales israéliennes ont été fréquemment engagées et ont dû remplir des missions très variées. C’est la principale raison de leur efficacité. Mais si les succès ont été nombreux et parfois spectaculaires, les échecs ont également été fréquents – ainsi que les pertes humaines –, plus que le public ne l’imagine généralement. C’est là la triste loi du genre à laquelle personne n’échappe en la matière : la performance s’obtient toujours au prix du sang versé.

Indéniablement, les forces spéciales israéliennes ont significativement contribué à donner de l’État hébreu l’image d’un pays fort et déterminé, n’hésitant pas user de la force chaque fois que cela s’avère nécesaire et ne cédant jamais face au terrorisme. Leur capacité d’action dans la profondeur, sous forme de raids de destruction stratégiques, devrait se voir renforcée dans les années à venir. En particulier, les opérations combinées avec l’armée de l’air – à l’image de celles conduites contre le site nucléaire syrien d’Al Kibar, en septembre 2007 ; contre un convoi de camions d’armes destinées au Hamas, au Soudan en janvier 2009 ; et contre une usine d’armes de Khartoum, en octobre 2012 – sont autant de « rappels que le gouvernement israélien s’autorise à agir où bon lui semble pour empêcher ses adversaires de se renforcer6 ». Le message s’adresse, en premier lieu, à l’Iran qui pourrait bien être la prochaine cible des opérations spéciales de Tsahal.


*1. SOE : service action britannique du temps de guerre.

*2. Après la guerre de 1967, les mouvements palestiniens et l’armée égyptienne mènent des raids contre Israël qui occupe le Sinaï et la Cisjordanie. Cette période, appelée « guerre d’usure » parce qu’elle ne donne pas lieu à des affrontements d’ampleur et ne remet pas en cause le statu quo territorial, prend fin en juillet 1970 avec la signature d’un accord de cessez-le-feu qui tient jusqu’à la guerre du Kippour, même s’il est utilisé par les deux belligérants pour renforcer leurs capacités militaires.

*3. L’assaut dura cinq minutes, soit deux de moins que le temps prévu. Le premier avion redécolla après 53 minutes, le dernier restant 90 minutes au sol.

*4. Cf. chapitre 10, p. 267.

*5. L’appelation de sayeret Mista’arvim – contraction de Misatavim (déguisés) et Aravim (arabes) – apparaît souvent. Elle ne désigne pas une formation particulière mais le fait que des hommes des unités spéciales se déguisent en Arabes pour conduire certaines de leurs interventions.