2. La CLP, de quoi s’agit-il au juste ?

Rapide description un peu plus théorique

Nous avons vu que la CLP, la Conclusion Locale Provisoire, est la généralisation à laquelle parvient un groupe de personnes, enfants ou adultes, à partir d’observations et d’expériences faites en commun, un jour donné. Aussi petite soit-elle, elle est l’objectif d’une démarche scientifique.

Le groupe en décide les termes : la CLP doit refléter la pensée de chacun ; sa formulation doit être comprise par tous ceux qui y ont participé ; chaque participant peut la formuler avec ses mots s’il n’en change pas le sens et en même temps il se reconnaît dans la formulation choisie par le groupe. Les participants discutent, argumentent pour que tous les aspects observés au cours de l’expérience soient bien pris en compte, que le résultat ne soit pas biaisé, que la formulation traduise bien ce qui veut être dit par le groupe. Pour cela, la parole de chacun est prise en compte, reconnue, mais aussi confrontée à la réalité expérimentale. La CLP n’est pas un énoncé préétabli, déjà rédigé et photocopié à l’avance, mais une production scientifique écrite et collective, comprise et assumée par chaque membre du groupe. En tant qu’animatrice, je ne sais jamais comment sera la CLP, sur quels aspects le groupe avec lequel je me trouve, va insister.

C’est une formidable école de réflexion, d’écoute, d’argumentation, d’expression, de communication. Après avoir fait ensemble les expériences, après avoir réfléchi en son for intérieur, et en écoutant ce qui se dit, on ne peut s’empêcher de participer activement à cette élaboration.

Nous avons pu l’observer avec des groupes très différents d’enfants, même les bouts d’chou de Petite Section, ou des enfants handicapés, et aussi des adultes, qu’ils soient des scientifiques ou non.

À ce moment conclusif, la question n’est plus de trouver « la bonne réponse », de deviner « la » réponse que le maître attend, comme c’est trop souvent le cas, mais de généraliser de manière pertinente, ce qui a été observé par chacun et par le groupe. Il s’agit de décrire, de parler, de tirer des conséquences de ce vécu commun, les observations et les expériences étant les seuls contrôles pour valider.

Les CLP peuvent être aussi petites que l’on veut. Par exemple, l’eau qui s’écoule, va toujours du point le plus haut à celui qui est plus bas (voir formulation classe de Petite Section). Mais cette modestie ne les empêche pas de nous permettre d’atteindre des notions élaborées, des nuances subtiles. La devise de 1, 2, 3, sciences pourrait être : « soyons ambitieux, faisons des petites choses »… et pour commencer d’authentiques démarches scientifiques !

La CLP procède de la didactique10 : il s’agit d’exprimer le passage du particulier, de l’observation d’un phénomène avec nos sens, à l’élaboration d’un concept. Dans le contexte de la transmission des démarches scientifiques à l’Ecole et encore plus largement dans le grand public, cette généralisation constitue un critère de scientificité.

Pour le dynamisme de la démarche mise en œuvre par le groupe au cours de son élaboration, pour les performances qu’elle entraine dans l’appropriation des savoirs par chacun, la CLP procède aussi de la pédagogie, et peut être utilisée dans d’autres circonstances, dans d’autres disciplines. Dès l’Ecole Maternelle, c’est aussi un fantastique moment de langage et d’écoute ! Elle peut être utilisée dans d’autres disciplines comme l’étude de la langue ou en Histioire-Géographie.

Pour lire comment utiliser la CLP dans d’autres contextes allez à l’Annexe 1

La CLP, d’où vient-elle ?

Cette expression est passée sous mes yeux en 1997 au cours d’une réunion, dans un document de travail, au tout début de La main à la pâte. Elle m’a paru sur le champ lumineuse, et très proche du fonctionnement de la science. La CLP donne un cap accessible, une finalité aux tâtonnements expérimentaux, de même qu’elle oriente les investigations du groupe. Tout ça pour quoi ? pour parvenir à une conclusion, à une généralisation, à partir des observations réellement vécues et avec les mots des participants.

Il semble que dans l’enseignement des sciences, le bât blesse sur la question « Qui conclut ? » Traditionnellement, c’est l’expert. En classe c’est le maître, transmetteur du savoir académique que les scientifiques ont établi. La CLP, conclusion dont le groupe est l’auteur, n’a pas été retenue, sans doute parce qu’elle ne correspondait pas à l’esprit de l’enseignement français censeur de l’erreur et méfiant vis-à-vis de la collaboration dans le groupe classe : l’élève reçoit un savoir tout fait de l’enseignant qui fait de son mieux pour qu’il soit juste ; et qui par la suite évaluera. L’apprentissage est vertical : il descend du maître à l’élève.

Avec la CLP, le groupe garantit l’énoncé établi, en respectant quelques règles précises et acquises, au cours du débat pour l’élaborer. Et c’est à nos yeux la façon la plus efficace et la plus pertinente, d’atteindre l’objectif de la science pour tous. L’apprentissage est horizontal, né d’une collaboration de groupe.

La CLP pour réussir les premiers pas en science

On ne peut pas tout aborder avec la CLP ! Certes ! En fait, cet outil permet de faire les premiers pas en science, de comprendre de quoi il est question, d’acquérir des outils mentaux comme le raisonnement, l’argumentation, la rigueur intellectuelle. Cependant, nous ne préconisons pas d’en rester là, bien au contraire ! Cet entraînement aux démarches scientifiques familières, rend curieux et capable d’appréhender plus tard des aspects plus avancés, plus théoriques des sciences, au-delà de l’approche phénoménologique à laquelle nous nous limitons. Sans oublier que les sciences avant d’être des lois formalisées, sont avant tout des phénomènes  !

Extraits de la présentation La Main à la Pâte.
Qu’est-ce que c’est ?

« Ce n’est pas celui qui parle le mieux ou qui vocifère le plus fort; ce n’est pas l’idée la plus originale ou la plus séduisante; ce n’est pas l’autorité magistrale de l’instituteur, ou le respect de la page imprimée ; ce n’est pas la loi de la majorité. C’est le raisonnement expérimental, c’est l’expérience raisonnée qui va trancher, et nous permettre d’approcher la vérité.

Il est important que l’enfant emploie ses mots à lui : que le savoir qu’il élabore vienne de sa compréhension de ce qu’il fait.

Ces notions-clés, les enfants (les) approchent avec l’aide du maître, par leurs expériences et leurs investigations, des « notions intermédiaires ». Nous voulons dire par là, des notions significatives dans le vocabulaire des enfants eux-mêmes, notions qui ne sont pas encore les concepts formalisés de la science, mais qui en sont l’approximation à peu près juste, au sens où elle fait comprendre ce qui se passe, et ne fera pas obstacle, plus tard, à la construction du concept scientifique correct…

Une idée importante est de choisir des sujets tels qu’ils permettent à l’enfant d’accéder lui-même, par son expérimentation, à une petite découverte, à une connaissance. Il ne faut pas qu’il y ait un hiatus entre ses expérimentations et la connaissance au bout, mais il importe que la connaissance soit vraiment à la portée de l’enfant par le moyen d’expériences qu’il peut lui-même concevoir (même si le maître donne un coup de pouce pour aider à la prise de conscience). Si l’enfant manipule pour manipuler, avec une vérité qui lui est finalement assénée, parce que, à tort ou à raison, on pense qu’il ne peut pas vraiment la trouver par ses propres forces, il ne met pas vraiment « La main à la pâte » au sens où nous l’entendons.

Les enfants doivent pouvoir atteindre par leurs expériences propres des « notions intermédiaires », qui ne sont peut-être pas tout à fait les concepts scientifiques, mais qui en sont une sorte d’équivalent approché, dans le registre de vocabulaire et dans les limites de compréhension des enfants. Dans cette notion intermédiaire, il y a une part de vérité et une part d’erreur, mais cette approximation n’est pas du type qui fait obstacle à une rectification ultérieure. Il vaut mieux qu’ils se servent d’une notion intermédiaire maîtrisée par eux – que de parler avec des mots scientifiques rigoureux dont ils ne peuvent maîtriser les relations théoriques. C’est le rôle de la didactique que de trouver quelles sont les notions intermédiaires les plus efficaces, les plus significatives pour les enfants, et les moins dérangeantes pour les développements futurs.  »

S. Ernst (Philosophe) pour La Main à la Pâte.

Pourquoi La Main à la Pâte n’a-t-elle pas validé l’outil Conclusion Locale Provisoire, décrit en filigrane par Sophie Ernst en 1997 ? Les piliers du système éducatif Français : la verticalité de la transmission et le statut de l’erreur, sont en cause. L’enseignement en France est basé sur les performances individuelles. On espère ainsi sélectionner les élites et créer la stimulation. L’expérience de Léon Lerderman, qui avait tant intéressé Georges Charpak au point de la rapporter de Chicago en France, était probablement plus centrée sur les enfants et leur pratique scientifique que sur l’acquisition des connaissances.