4.  La CLP, école de la coopération
et du travail de groupe

On imagine bien qu’avec les moyens d’information actuels, et futurs, le rôle de l’Ecole ne sera plus le même : la transmission des connaissances, en tant que telles, ne sera plus son unique raison d’être. Dès à présent, l’apprentissage d’une utilisation pertinente et raisonnée des informations sur la toile est essentiel. Mais ce ne sera pas la seule transformation nécessaire. Car dans le même temps l’expérience du réel est indispensable pour le distinguer du monde virtuel. Et comme nous l’avons vu, cette expérience du réel est aussi indispensable pour s’approprier le savoir.

Les sociologues13 constatent que le fonctionnement coopératif est de plus en plus nécessaire car on est plus intelligent avec les autres que tout seul. Ils essaient d’imaginer la Société et l’École du futur. Ils insistent sur la nécessité d’apprendre à travailler, à réfléchir non plus individuellement mais en réseau. La collaboration dans l’entreprise et les collectivités doit devenir naturelle, aussi bien pour le bénéfice des personnes que pour celui du groupe. L’Ecole doit favoriser le travail collectif. « Nous souffrons d’un manque de coopération et de réciprocité. Le fonctionnement hiérarchique et élitiste de l’école nourrit celui des entreprises et de l’Etat.  »14

Les sciences expérimentales, basées sur le vécu de l’expérience par un groupe, puis le débat scientifique pour l’élaboration de la CLP, sont un entraînement à ce travail collectif où chacun travaille seul et en interaction avec les autres.

S’émerveiller ensemble, puis collaborer

Avec l’association 1, 2, 3, sciences nous n’avons de cesse d’évoquer la curiosité puis l’émerveillement, le désir puis le plaisir de comprendre, que nous observons au cours de nos actions avec des groupes que nous accompagnons dans la pratique de la science. C’est vrai en particulier auprès des enfants alors qu’on pense souvent que les très jeunes n’ont pas les outils conceptuels qui paraissent indispensables aux apprentissages scientifiques : la causalité, l’abstraction, la modélisation.

Au-delà du seul apprentissage scientifique, nous avons remarqué encore d’autres acquisitions importantes : le développement de l’écoute et de l’esprit critique, mais aussi celui des capacités de raisonnement, d’argumentation. Je voudrais aussi insister sur l’apprentissage de la collaboration, cette compétence qui focalise à juste titre, l’intérêt des sociologues et des pédagogues. De l’expérience observée ensemble aux constats partagés et à l’élaboration collective de la Conclusion Locale Provisoire, il y a là tout un espace d’entraînement au travail collaboratif.

On est plus intelligent à plusieurs

Qu’on l’appelle « le vivre (ou travailler) ensemble » ou le « développement de l’intelligence collective », la collaboration permet d’enrichir et de faire converger les observations, la réflexion, le questionnement d’individus différents. Bien plus que la compétition, la coopération stimule l’envie de réussir ou de participer à la réussite en se dépassant. J’ai pu observer dans des situations différentes : cours de sciences physiques à des lycéens (de 15 à 19 ans), ateliers de sciences pour des enfants de Primaire (5 à 11 ans), Fols Après-Midi avec des adultes (de tous âges et toutes formations), combien l’apprentissage en groupe libère la parole et les idées. Ne plus être en compétition dans un apprentissage et une évaluation individuelle évite les réticences, voire la paralysie de l’intelligence face au jugement des autres.

Je me souviens d’enfants de 5 ou 6 ans dont je pouvais voir les lèvres bouger tant ils avaient envie de participer à cette découverte du savoir, après avoir participé à l’expérience, mais qui étaient trop intimidés : il suffisait d’une légère incitation pour les entendre s’exprimer puis s’épanouir dans un sourire de contentement : « ils avaient osé » !

La bienveillance aussi est un stimulant merveilleux et efficace. Les remarques de l’accompagnateur, mais encore plus du groupe font avancer les idées de chacun, alors que les moqueries les stoppent net ! Poser ses questions, réfléchir à voix haute, et entrainer ainsi la réflexion des autres. On apprend beaucoup des erreurs, de celles des autres, et des siennes.

L’enseignement en France est basé sur les performances individuelles. On espère ainsi sélectionner les élites et créer la stimulation. À la lumière de mes différentes expériences de transmission, le résultat m’apparaît plutôt comme une perte pour tous par la défiance et l’organisation hiérarchisée, qu’un tel fonctionnement installe.

La collaboration n’entraîne pas le nivellement par le bas tant annoncé et décrié ; par le respect de chacun et de ses rythmes, par la différenciation entre les élèves, elle n’est pas la cause d’une diminution de la stimulation et de l’envie, bien au contraire. On gagne en pertinence et en efficacité par la différenciation. La pédagogie de la réussite, ça marche ! C. Freinet et bien d’autres pionniers du xxe siècle l’ont mis en évidence.

Cette option pédagogique n’entraîne pas non plus le désinvestissement des élèves en difficulté : j’ai pu remarquer plus d’une fois que, par le cheminement particulier de leur pensée, ils proposent souvent l’idée qui débloque la situation. C’est tellement passionnant et valorisant de participer à la construction collective qu’ils ne peuvent s’empêcher d’y prendre un rôle positif.

Le groupe peut travailler ainsi en apprenant la pratique des démarches scientifiques, car ce que l’on vise c’est l’expression plus ou moins élaborée des « lois de la Nature » : il est toujours possible de refaire l’expérience, de chercher où sont les biais. La Nature est la référence disponible qui reste extérieure à la subjectivité du groupe.

Un apprentissage différencié

La CLP permet à chaque participant d’un groupe hétérogène d’apprendre quelque chose. À la demande d’un ou plusieurs participants, le groupe peut réfléchir sur des expressions ou des niveaux de formulation différents. Chacun va à son rythme, répond à sa question ou s’arrête selon son besoin, car on n’en est pas tous au même endroit, au même moment. Dans le même temps, observer le fonctionnement mental des autres, leurs réactions, aide à consolider son propre apprentissage. On apprend seul et avec les autres pour soi et pour les autres.

Les scientifiques qui participent à un tel groupe découvrent un plaisir nouveau, différent de celui de l’expert. Ils observent l’élaboration de la notion, les chemins employés, mais ils sont aussi mis au défi d’appréhender des notions qu’ils connaissent bien, directement, sans le truchement des lois déjà faites et du traitement mathématique. Paradoxalement, cela constitue un approfondissement de leurs connaissances. Et ils ne cachent pas leur plaisir.

Je suis contente, je suis arrivée à oublier tout ce que j’avais appris (sous-entendu pour l’appréhender à nouveau au plus proche du phénomène).

O. V. Enseignante-chercheuse, bilan de F’ESTIVALes.

(Pour lire le témoignage complet, allez à l’Annexe 2)

Un cadre sécurisant, conjugué à une prise de risque : « on pourrait essayer de faire… », « on pourrait dire autrement… on pourrait changer telle condition… tel paramètre… telle expression… », permettent d’aboutir à la CLP. Cela nous prouve que l’intelligence humaine est suffisante pour s’en sortir. Loin de les museler, la démarche scientifique développe la créativité et l’imagination.

L’accompagnateur et les membres du groupe ne sont pas dans le jugement. Il n’y a pas de sanctions, les erreurs sont des points de rebondissement : elles sont utiles à tous car elles soulèvent des questions qu’on ne s’était pas posées. L’attitude des personnes présentes donne confiance, favorise la parole. On voit des adultes se réconcilier avec les sciences alors que l’expérience scolaire qu’ils en avaient eue les avait laissés frustrés, parfois même blessés. Cependant, il est important aussi de surmonter les réticences antérieures, et d’avoir envie de « faire pour de vrai », d’expérimenter soi-même, pour découvrir, de se laisser prendre au jeu.