ACTE III

SCÈNE PREMIÈRE

MARTON, HORTENSE, FRONTIN

HORTENSE

À tout hasard, va le chercher.

SCÈNE II

HORTENSE, MARTON

HORTENSE

Marton, je ne veux pas lui parler d’abord, je suis d’avis de l’impatienter ; dis-lui que dans le cas présent je n’ai pas jugé qu’il fût nécessaire de nous voir, et que je le prie de vouloir bien s’expliquer avec toi sur ce qu’il a à me dire ; s’il insiste, je ne m’écarte point, et tu m’en avertiras.

MARTON

C’est bien dit : Hâtez-vous de vous retirer, car je crois qu’il avance.

SCÈNE III

MARTON, ROSIMOND

SCÈNE IV

DORIMÈNE, ROSIMOND

ROSIMOND

C’est qu’on croirait peut-être que je regrette Hortense, et je veux qu’on sache qu’elle ne me refuse que parce que j’aime ailleurs.

DORIMÈNE

Eh bien, il n’en sera que mieux que je sois présente, la preuve de votre amour en sera encore plus forte, quoiqu’à vrai dire, elle soit inutile ; ne sait-on pas que vous m’aimez ? Cela est si bien établi et si croyable.

ROSIMOND

Eh ! De grâce, Madame, allez-vous-en. (À part.) Ne pourrai-je l’écarter ?

DORIMÈNE

Attendez donc ; ne pouvez-vous m’épouser qu’avec l’agrément de votre mère ? Il serait plus flatteur pour moi qu’on s’en passât, si cela se peut, et d’ailleurs c’est que je ne me raccommoderai point : je suis piquée.

DORIMÈNE

Que vous êtes entêté !

ROSIMOND à part.

L’incommode femme !

DORIMÈNE

Parlons raison. À qui vous adressez-vous ?

ROSIMOND

Puisque vous voulez le savoir, c’est à Hortense6 que j’attends, et qui arrive, je pense.

DORIMÈNE

Je vous laisse donc, à condition que je reviendrai savoir ce que vous aurez conclu avec elle : entendez-vous ?

ROSIMOND

Eh ! non, tenez-vous en repos ; j’irai vous le dire.

SCÈNE V

ROSIMOND, HORTENSE, MARTON

HORTENSE

J’en ai meilleure augure7 ; essayons toujours : mon père y songeait, et moi aussi, Monsieur : ainsi, comptez tous deux sur nous. Est-ce là tout ?

ROSIMOND

J’avais à vous parler de son billet qu’on a trouvé, et je venais vous protester que je n’y ai point de part ; que j’en ai senti tout le manque de raison, et qu’il m’a touché plus que je ne puis le dire.

MARTON en riant.

Hélas !

HORTENSE

Pure bagatelle qu’on pardonne à l’amour.

ROSIMOND

C’est qu’assurément vous ne méritez pas la façon de penser qu’elle y a eu ; vous ne la méritez pas.

MARTON à part.

Vous ne la méritez pas ?

HORTENSE

Parlez, Monsieur.

MARTON à part.

Écoutons.

ROSIMOND

Je ne saurais revenir de mon étonnement : j’admire le malentendu qui nous sépare ; car enfin, pourquoi rompons-nous ?

MARTON riant à part.

Voyez quelle aisance !

ROSIMOND

Un mariage arrêté, convenable, que nos parents souhaitaient, dont je faisais tout le cas qu’il fallait, par quelle tracasserie arrive-t-il qu’il ne s’achève pas ? Cela me passe.

HORTENSE

Ne devez-vous pas être charmé, Monsieur, qu’on vous débarrasse d’un mariage où vous ne vous engagiez que par complaisance ?

MARTON

Tenez, Madame, vous croyez peut-être que monsieur le Marquis ne vous aime point, parce qu’il ne vous le dit pas bien bourgeoisement10, et en termes précis ; mais faut-il réduire un homme comme lui à cette extrémité-là ? Ne doit-on pas l’aimer gratis11 ? À votre place, pourtant, Monsieur, je m’y résoudrais. Qui est-ce qui le saura ? Je vous garderai le secret. Je m’en vais, car j’ai de la peine à voir qu’on vous maltraite.

ROSIMOND

Qu’est-ce que c’est que ce discours ?

HORTENSE

C’est une étourdie qui parle : mais il faut qu’à mon tour la vérité m’échappe, Monsieur, je n’y saurais résister. C’est que votre petit jargon de galanterie me choque, me révolte, il soulève la raison : C’est pourtant dommage. Voici Dorimène qui approche, et à qui je vais confirmer tout ce que je vous ai promis, et pour vous, et pour elle.

SCÈNE VI

DORIMÈNE, HORTENSE, ROSIMOND

DORIMÈNE

C’est que c’est une démarche si dure, si humiliante.

HORTENSE

Elle est nécessaire ; il ne serait pas séant de vous marier sans l’aveu de madame la Marquise, et nous allons agir mon père et moi, s’il ne l’a déjà fait.

ROSIMOND

Non, Madame, je vous prie très sérieusement qu’il ne s’en mêle point, ni vous non plus.

SCÈNE VII

LE COMTE, DORANTE,
DORIMÈNE, HORTENSE, ROSIMOND

SCÈNE VIII

ROSIMOND abattu et rêveur, FRONTIN

ROSIMOND

Mais, Frontin, je sors du monde ; y étais-je si étrange ?

FRONTIN

Regardez-moi : est-ce que vous me reconnaissez, par exemple ? Voyez comme je parle naturellement à cette heure, en comparaison d’autrefois que je prenais des tons si sots : Bonjour, la belle enfant, qu’est-ce14 ? Eh ! comment vous portez-vous ? Voilà comme vous m’aviez appris à faire, et cela me fatiguait ; au lieu qu’à présent je suis si à mon aise : Bonjour, Marton, comment te portes-tu ? Cela coule de source, et on est gracieux, avec toute la commodité possible.

ROSIMOND

Laisse-moi, il n’y a plus de ressource : Et tu me chagrines.

SCÈNE IX

MARTON, FRONTIN, ROSIMOND

FRONTIN à part à Marton.

Encore une petite façon15, et nous le tenons, Marton.

MARTON à part les premiers mots.

Je vais l’achever. Monsieur : ma maîtresse que j’ai rencontrée en passant, comme elle vous quittait, m’a chargé de vous prier d’une chose qu’elle a oubliée de vous dire16 tantôt, et dont elle n’aurait peut-être pas le temps de vous avertir assez tôt : C’est que monsieur le Comte pourra vous parler de Dorante, vous faire quelques questions sur son caractère ; et elle souhaiterait que vous en dissiez du bien, non pas qu’elle l’aime encore ; mais comme il s’y prend d’une manière à lui plaire, il sera bon, à tout hasard, que monsieur le Comte soit prévenu en sa faveur.

ROSIMOND

Oh ! Parbleu, c’en est trop ; ce trait me pousse à bout : Allez, Marton, dites à votre maîtresse que son procédé est injurieux, et que Dorante, pour qui elle veut que je parle, me répondra de l’affront qu’on me fait aujourd’hui.

MARTON

Hé, Monsieur ! À qui en avez-vous ? Quel mal vous fait-on ? Par quel intérêt refusez-vous d’obliger ma maîtresse, qui vous sert actuellement vous-même, et qui en revanche, vous demande en grâce de servir votre propre ami. Je ne vous conçois pas ! Frontin, quelle fantaisie lui prend-il donc ? Pourquoi se fâche-t-il contre Hortense ? Sais-tu ce que c’est ?

FRONTIN

Oui, Monsieur, dites toujours : je l’adore ; ce mot-là vous portera bonheur.

MARTON

Je ne dis pas cela, monsieur le Marquis, votre état me touche, et peut-être touchera-t-il ma maîtresse.

FRONTIN

Cette belle dame a l’air si clément.

MARTON

Me promettez-vous de rester comme vous êtes ? Continuerez-vous d’être aussi aimable que vous l’êtes actuellement ? En est-ce fait ? N’y a-t-il plus de petit-maître ?

ROSIMOND

Je suis confus de l’avoir été, Marton.

SCÈNE X

ROSIMOND, HORTENSE

SCÈNE XI

DORIMÈNE, DORANTE,
HORTENSE, ROSIMOND

HORTENSE à Rosimond.

Ne me sachez pas mauvais gré de ce qui s’est passé ; je vous ai refusé ma main, j’ai montré de l’éloignement pour vous ; rien de tout cela n’était sincère : c’était mon cœur qui éprouvait le vôtre21. Vous devez tout à mon penchant ; je voulais pouvoir m’y livrer, je voulais que ma raison fût contente, et vous comblez mes souhaits : jugez à présent du cas que j’ai fait de votre cœur par tout ce que j’ai tenté pour en obtenir la tendresse entière.

Rosimond se jette à genoux.

DORIMÈNE en s’en allant.

Adieu. Je vous annonce qu’il faudra l’enfermer au premier jour.

SCÈNE XII

LE COMTE, LA MARQUISE,
MARTON, FRONTIN