Psyché : double du corps ou reflet du divin ?


« Homère, écrit James Redfield, ignore tout de l’âme1. » De l’âme au sens que nous donnons à ce terme, bien entendu, car Homère, en bien des passages, mentionne la psuchē, entendant par là ce qui quitte la personne à l’heure de la mort pour descendre dans l’Hadès. D’un homme vivant, il n’est jamais dit qu’il possède une psuchē, sauf dans les rares cas où, victime d’un évanouissement, sa psuchē pour un moment le déserte comme s’il était mort. Les hommes n’ont donc pas de psuchē, ils deviennent, une fois morts, des psuchai, ombres inconsistantes qui mènent dans les ténèbres souterraines une existence amoindrie. « La psuchē, indique justement Redfield, n’est pas âme, mais fantôme2. »

Comme fantôme, la psuchē homérique s’apparente à d’autres phénomènes qui rentrent, comme elle, dans la catégorie de ce que les Grecs de l’époque archaïque nomment eidôla, qu’on devrait traduire, plutôt que par « images », par « doubles ». Chez Homère, il existe en effet trois modes d’apparition surnaturelle que dénote le même terme d’eidôlon.

D’abord le fantôme, phasma, créé par un dieu à la semblance d’une personne vivante, comme celui qu’Apollon fabrique « pareil à Énée lui-même et tel quant à ses armes3 ». Énée se trouve à l’abri dans Pergame où Apollon l’a déposé pour le soustraire à la bataille. C’est autour d’un simulacre que s’affrontent sans merci guerriers grecs et troyens également convaincus qu’il s’agit du héros en personne4. Ensuite le songe, l’image de rêve, oneiros, conçu comme l’apparition pendant le sommeil d’un double fantomatique envoyé par les dieux à l’image d’un être réel. Ainsi du songe « tout à fait semblable à Nestor » qui s’en vient, en messager de Zeus, trouver Agamemnon endormi pour qu’il appelle aux armes les guerriers achéens5, ou de l’eidôlon que fabrique Athéna en lui donnant les traits d’une femme, Iphtimé, fille d’Icare, et en l’expédiant auprès de Pénélope, plongée dans le sommeil6. Enfin et surtout les psuchai des morts appelées eidōla kamontôn, fantômes de défunts7. On s’adresse à la psuchē comme on le ferait à la personne elle-même8. La psuchē en a l’exacte apparence tout en se trouvant privée d’existence réelle, ce qui la rend, dans sa ressemblance à l’être dont elle revêt l’apparence9, comparable à une ombre ou à un songe10, à une fumée11.

Phasma, le simulacre fantomatique, oneiros, le songe, psuchē, l’âme – l’unité de ces phénomènes, pour nous disparates mais qui comportent tous, en tant qu’« apparitions », une dimension d’au-delà, vient de ce que, dans le contexte culturel de la Grèce archaïque, ils sont appréhendés de la même façon par l’esprit et revêtent une signification analogue. Aussi est-on en droit de parler à leur sujet d’une véritable catégorie psychologique, la catégorie du double, qui suppose une organisation mentale différente de la nôtre. Un double est tout autre chose qu’une image. Il n’est pas un objet « naturel », mais il n’est pas non plus un produit mental : ni une imitation d’un objet réel, ni une illusion de l’esprit, ni une création de la pensée. Le double est une réalité extérieure au sujet, inscrite dans le monde visible, mais qui, jusque dans sa conformité avec ce qu’elle simule, tranche par son caractère insolite sur les objets familiers, le décor ordinaire de la vie. Le double joue sur deux plans contrastés à la fois : dans le moment où il se montre présent il se révèle comme n’étant pas d’ici, comme appartenant à un inaccessible ailleurs.

Ainsi, par exemple, de l’eidôlon de Patrocle, qu’Achille voit se dresser devant lui lorsqu’il s’endort, au terme d’une longue nuit de déploration où, veillant seul, l’âme envahie par le pothos – le regret nostalgique de l’absent –, il n’a pas cessé de se remettre en mémoire le souvenir de son ami. L’eidôlon est debout au-dessus de la tête d’Achille étendu, comme cela se produit dans le cas du songe, de l’oneiros ; mais il est en réalité la psuchē de Patrocle. Ce qu’Achille voit en face de lui, c’est Patrocle lui-même : sa taille, ses yeux, sa voix, son corps et ses vêtements12. Cependant, quand il veut l’étreindre, l’eidôlon se révèle insaisissable : c’est une fumée qui disparaît sous terre, avec un petit cri comme une chauve-souris13. Il y a donc dans l’eidôlon un effet de tromperie, de déception, de leurre, apatē : c’est la présence de l’ami, mais aussi bien un souffle, une fumée, une ombre ou l’envol d’un oiseau.

Pour comprendre ce jeu, auquel se prête la psuchē, de l’absence dans la présence, il faut dire un mot des pratiques funéraires, telles qu’elles apparaissent dans l’épopée homérique. Leur finalité se révèle avec le plus de clarté, par effet de contraste, là où elles font défaut, quand un défunt est privé de sépulture, et surtout là où elles sont rituellement déniées, dans les procédures d’outrage au cadavre ennemi. L’aikia, l’outrage, consiste à défigurer, à déshumaniser le corps de l’adversaire, à détruire en lui toutes les valeurs qui s’y incarnent, valeurs indissolublement sociales, religieuses, esthétiques, personnelles. On salit le corps de poussière et de terre pour qu’il perde sa figure singulière, qu’il devienne méconnaissable ; on le livre en pâture aux chiens, aux oiseaux, aux poissons pour que, dispersé, morcelé, éparpillé, il perde son unité, son intégrité formelle ; on le laisse pourrir, se décomposer au soleil pour qu’il ne puisse plus assumer dans l’au-delà ces valeurs de beauté, de jeunesse et de vie que le corps humain doit refléter ici-bas ; enfin, au lieu de le fixer dans une tombe, on le réduit à devenir, dans le ventre des bêtes qui l’ont dévoré, chair et sang d’animaux sauvages, pour qu’il perde toute trace de caractère humain. On cherche ainsi à priver l’ennemi du statut humain de mort, à lui refuser ce changement d’état, cette promotion ambiguë que réalisent normalement les funérailles : disparu du monde des vivants, effacé du tissu des relations sociales dont sa présence formait un maillon, le mort est maintenant une absence, un vide ; mais il continue d’exister, sur un autre plan, dans une forme d’être qui échappe à la destruction, d’abord par la permanence de son nom et par l’éclat de son renom qui, chantés par la geste épique, restent présents, non seulement dans la mémoire de ceux qui l’ont connu en vie, mais pour tous les « hommes à venir » ; ensuite par l’édification des diverses formes de mnēma, de mémorial, qui assurent au défunt, sinon un corps ambroisien – privilège qui n’appartient qu’aux dieux, précisément parce qu’ils n’ont pas de sang, ni rien dans la chair de corruptible –, du moins un substitut équivoque de ce que le corps représente durant la vie, comme support de l’individualité et garant de la permanence du sujet social. Mnēma, sēma, stèle ont à cet égard des fonctions convergentes : ils traduisent, sous des formes et à des niveaux différents, l’inscription paradoxale de l’absence dans la présence. Au terme des rites funéraires, par son entrée définitive dans le domaine de la mort, le corps humain revêt aux yeux des vivants la forme d’une réalité à deux faces, dont chacune renvoie à l’autre et implique sa contrepartie : une face visible, localisée ici-bas, dure et permanente comme la pierre érigée sur le tombeau ; une face d’au-delà, ubiquitaire, insaisissable et fugitive comme la psuchē, exilée dans le domaine de l’ailleurs. La psuchē est semblable au corps ; dans la figuration plastique, sur les vases, elle est représentée comme un corps miniaturisé, un corpuscule ; elle est le double du corps vivant, réplique qu’on prend pour le corps même, qui en a l’exacte apparence, la vêture, les gestes et la voix. Mais cette totale similitude est aussi une complète inconsistance. La psuchē est un rien, un vide, une évanescence insaisissable, une ombre ; elle est comme un être aérien et ailé, un oiseau qui vole.

La pierre est tout le contraire : compacte, massive, présente continûment au point où elle est fichée en terre. Mais cette consistance matérielle est ressemblance, non plus de la forme du corps vivant, de son apparence d’autrefois, mais de l’altérité radicale de son être actuel de mort, de l’étrangeté de son statut dans l’au-delà, de son exil en un ailleurs où s’inversent toutes les réalités d’ici-bas. La pierre est aussi froide, dure, terne, opaque, rugueuse, brute et figée que le corps jeune et vivant est, à la lumière du soleil, chaud, souple, brillant, lumineux par son regard, doux au toucher, preste et mobile dans ses déplacements. Stèle funéraire et psuchē traduisent de deux façons complémentaires le nouveau statut social du mort, son existence dans un au-delà qui se manifeste à l’univers humain sur le mode de l’absence.

Pour la psuchē, l’évidence du paraître, dans l’exactitude de ses détails les plus concrets, l’entière similitude avec la figure du vivant sont comme le revêtement d’un vide, le voile illusoire jeté sur un non-être : la psuchē n’est pas ce corps qu’on voit en elle, mais son image fantomatique, son double, un eidôlon au même titre que le rêve, le songe, l’illusion, le phasma.

Pour la stèle, sa matérialité est bien le contraire de l’ombre inconsistante, du rêve ailé, du songe insaisissable ; mais l’être que la stèle évoque à la façon d’un substitut est donné dans la forme brute de la pierre comme l’absence de ce qui s’est enfui au loin, envolé ailleurs, à la façon ailée d’un songe, d’une apparition, d’une psuchē défunte.

 

A cette psuchē homérique s’oppose une conception de l’âme différente, qui s’élabore dans des milieux de sectes philosophico-religieuses, comme les pythagoriciens et les orphiques, et qui apparaît liée à des exercices spirituels destinés à échapper au temps, aux réincarnations successives, à la mort, en purifiant et libérant la parcelle de divin que chacun porte en soi. Pindare, dans un des fragments qui nous ont été conservés14, témoigne déjà de cette mutation. Si elle est toujours définie, à la façon homérique, comme un eidôlon, la psuchē n’est plus le simulacre du défunt après sa mort. Présente dans l’homme vivant, elle ne peut plus revêtir la forme d’un double fantomatique du corps disparu ; elle est le double de l’être vital, dans sa durée continue : aiônos eidôlon15. Ce double, d’origine divine et qui échappe à la destruction à laquelle est voué le corps des mortels, dort quand les membres sont en activité ; il s’éveille quand le corps est endormi et se manifeste sous forme de rêves nous révélant le sort qui nous attend, après notre trépas, dans l’autre monde.

Mais c’est avec Platon que l’inversion des valeurs attribuées au corps et à l’âme se trouve entièrement accomplie. Au lieu que l’individu soit intimement lié à son corps vivant et que la psuchē se présente comme l’eidôlon de ce corps, désormais disparu, son fantôme ou son double, c’est la psuchē immortelle qui constitue, dans le for intérieur de chacun, pendant la vie, son être réel16. Le corps vivant change alors de statut : il devient à son tour une simple apparence, l’image illusoire, inconsistante, fugace et transitoire de ce que nous sommes en vérité et pour toujours. Dans le monde fantomatique des apparences, le corps est « ce qui se fait voir à la semblance de l’âme17 ». Ce ne sont plus les psuchai qui sont les eidôla, les fantômes de ceux dont le corps a été réduit en cendres dans le bûcher funéraire, mais « les corps des défunts [leurs cadavres] qui sont les eidôla de ceux qui sont morts18 ». On est ainsi passé de l’âme double fantomatique du corps au corps reflet fantomatique de l’âme. Et ce retournement de la relation corps-âme éclaire les raisons pour lesquelles Platon, premier théoricien de l’image comme artifice imitatif, comme fiction, utilise pour désigner dans sa généralité l’œuvre mimétique le terme le plus chargé de valeurs archaïques, le moins « moderne » de ceux qu’offrait à cette date le vocabulaire de l’image19. Il s’agit, dans la perspective du philosophe, de disqualifier l’image, de la rabaisser par rapport aux réalités véritables. L’image est bien eidôlon en ce sens qu’elle relève d’une sorte de magie ; elle ensorcelle les esprits en revêtant, comme la psuchē homérique, l’exacte apparence de ce dont elle est le simulacre ; elle se fait passer pour ce qu’elle n’est pas. Elle n’est rien que semblance, et cette pure similitude qui définit sa nature d’image la marque du sceau d’une totale irréalité. L’image conserve donc le caractère d’un double fantomatique ; mais à l’apparition d’un être qui s’en vient de l’autre monde, à l’irruption de l’au-delà devant nos yeux, se sont substitués les sortilèges de l’apparence, l’illusionnisme de la ressemblance dès lors qu’on demeure, avec son corps, confiné dans le domaine du simple paraître.

Pour passer du paraître à l’être il faut, par l’anamnēsis, la réminiscence, retrouver le souvenir de ce à quoi l’âme est apparentée et que sa présence dans le corps, son immersion dans le flux sensible lui ont fait oublier. Dans le Phédon, avant d’exposer sa théorie de l’anamnēsis, Platon définit la philo-sophie, conformément à ce qu’il appelle une très ancienne tradition, comme une meletē thanatou, une discipline ou un exercice de mort, consistant à purifier l’âme en la concentrant, en la ramassant sur elle-même à partir de tous les points du corps où elle se trouve dispersée, de façon qu’ainsi rassemblée et unifiée elle puisse se délier du corps et s’en évader20. Purification, concentration, séparation de l’âme, autant de termes qui signifient aussi bien remémoration, anamnēsis, et qui définissent l’ascèse du philosophe, dont le but est, dès cette vie, de rendre son âme aussi libre qu’elle le sera après la mort.

Bien entendu, dans la perspective de Platon, cet exercice de mort est en fait une discipline d’immortalité : en se détachant d’un corps auquel Platon applique les mêmes images de flux et de courant qu’au devenir, l’âme émerge du fleuve du temps pour conquérir une existence immuable et permanente, proche des dieux autant qu’il est permis à l’homme. La psuchē, qui en chacun de nous est « nous-même », a un caractère « démonique » : elle est, dans l’homme, une parcelle du divin.

En ce sens on pourrait dire qu’en ce monde terrestre où rien n’est permanent, où tout est voué à disparaître, la psuchē constitue en chaque créature humaine le reflet qu’y projette l’Être immuable, immortel, sa trace plus ou moins effacée, son image obscurcie, en somme son double ou son fantôme : l’eidôlon d’un divin dont le philosophe, comme Achille hanté du regret de Patrocle, garde la nostalgie.

 

Le corps humain, visible et périssable, simulacre de l’âme immatérielle et immortelle ; l’âme humaine, à son tour, simulacre du divin, de l’Être en tant qu’être, de l’Un. Ce qui, chez Platon, était seulement suggéré ou esquissé trouve chez Plotin, au IIIe siècle de notre ère, sa formulation explicite.

Pour Plotin, l’Un ou Dieu – éternellement immobile dans sa perfection accomplie – produit des « images » par un rayonnement comparable à la lumière qui émane du soleil. Tout en exprimant l’Un, ces images lui sont inférieures puisque, dépendantes de lui, engendrées par lui, elles tirent tout leur être du lien qu’elles doivent conserver avec leur source et leur modèle21. L’Un produit comme première image le nous, l’intelligence22. Et l’âme, au rang suivant, surgit comme eidôlon nou, reflet de l’intelligence, image déjà obscurcie, simulacre de ce nous, dont elle ne peut se séparer23. Comme eidôlon de ce qui l’a engendrée, l’âme est inférieure au nous. Elle se meut autour de l’intelligence, elle est la lumière qui en irradie, sa trace au-dehors. D’un côté, elle reste unie à l’intelligence, elle en est remplie ; elle en jouit ; elle en prend sa part et, elle-même, elle pense. Mais, de l’autre côté, elle est en contact avec ce qui vient après elle, ou plutôt, elle aussi, elle engendre des êtres qui lui sont nécessairement inférieurs24.

Que veut dire, se demande Plotin, descendre dans l’Hadès25? Si Hadès désigne le monde d’en bas, le lieu inférieur, l’expression signifie que notre âme, notre psuchē, se trouve au lieu même où est notre corps. Mais si le corps n’existe plus ?

Puisque l’âme n’est pas séparable de son eidôlon (de ce corps qui en est le reflet ou le simulacre), comment ne serait-elle pas là où se trouve ce corps-reflet (eidôlon) ? Et pourtant, une conversion de l’âme vers l’Intelligence et l’Un est toujours possible. « Si la philosophie nous affranchissait entièrement, seul l’eidôlon (le corps-reflet de l’âme) descendrait dans le lieu inférieur. L’âme vivrait purement dans le monde intelligible sans que rien se sépare d’elle26. » Philosopher, ce sera donc se détourner du corps simulacre de l’âme, pour faire retour à ce dont l’âme est, elle aussi, le simulacre et dont elle reste séparée aussi longtemps qu’elle se contente de le refléter au lieu de s’identifier à lui, de se perdre en lui pour se retrouver, non plus comme image, double, similitude à un modèle extérieur, mais comme être un et authentique, dans la pleine coïncidence de soi avec soi, par assimilation au dieu qui est Tout.


1.

« Le sentiment homérique du Moi », Le Genre humain, 12, 1985 (« Les usages de la nature »), p. 96.

2.

Ibid., p. 97.

3.

Iliade, V, 449-453 : autôi t’Aineia ikelon.

4.

Même emploi d’eidôlon pour le fantôme ou simulacre d’Iphimède (Iphigénie), Hésiode, fr. 23 a, 17 ; d’Héra, Hésiode, fr. 260 = scholie à Apollonius de Rhodes, 4, 58 ; d’Hélène, Hésiode, fr. 358 = scholie à Lycophron, 822.

5.

Iliade, II, 56-58 : Nestori dioi… angkhista eôikei.

6.

Odyssée, IV, 796-797, 824, 835 : l’eidôlon du songe a l’aspect corporel d’une femme : demas d’ēikto gunaiki.

7.

Iliade, XXIII, 72 et 104 ; Odyssée, XI, 83, 476, 602 ; XXIV, 14.

8.

Iliade, XXIII, 65 sq., Odyssée ; XI, 152 sq. et 475 sq. ; Bacchylide, 5, 68.

9.

Cette entière « similitude » de l’eidôlon à ce dont il est le double s’exprime toujours par des mots appartenant au vocabulaire d’eoika (il semble, il convient), avec les verbes eiskō, eikazō (assimiler), les adjectifs eikastos, eikelos (comparable, semblable) ; à cet ensemble se rattache le terme eikôn, image, en usage à partir du Ve siècle avant notre ère. Il n’y a donc pas, au départ, d’opposition entre eidôlon (idole) et eikôn (image) ; à l’époque archaïque, l’eidôlon, en tant que double, assume les valeurs d’un « simulacre » ; il est perçu à la fois comme apparition « surnaturelle » et comme apparence conforme à ce dont il est le fantôme. Je m’écarte sur ce point de la thèse soutenue par S. Saïd, « Deux noms de l’image en grec ancien : idole et icône », Comptes rendus de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, avril-juin 1987, p. 309-330. (Voir plus haut, p. 383 sq.)

10.

Odyssée, XI, 207 : skiē eikelon ê kai oneiros ; 222 : ēut’ oneiros.

11.

Iliade, XXIII, 100 : ēute kapnos.

12.

Ibid., XXIII, 66 : « Et voici que vient à lui la psuchē du malheureux Patrocle, en tout pareille au héros pour la taille, les beaux yeux, la voix, et son corps est vêtu des mêmes vêtements (pant’autôi megethos te kai ommata kal’ eikuia kai phônēn…) » ; XXIII, 107 : la psuchē de Patrocle, constate Achille, lui ressemblait prodigieusement, eikto de theskelon autōi.

13.

Ibid., XXIII, 100-101, qu’on comparera à Odyssée, XXIV, 7 sq. Même scénario dans le cas d’Ulysse face à la psuchē de sa mère Anticleia, remontée des demeures d’Hadès pour boire un peu du sang de la victime immolée par son fils et retrouver, par ce breuvage, cette connaissance que la mort lui a fait perdre. Entre la mère et le fils, le dialogue se noue comme entre deux personnes réelles et vivantes ; aussi Ulysse n’a-t-il, à parler, qu’un désir : serrer entre ses bras la psuchē de sa mère ; trois fois, de ses mains elle s’échappe, envolée comme une ombre ou un songe (Odyssée, XI, 205-207).

14.

Pindare, fr. 2, Thrènes, éd. Puech = fr. 131, 62 Bergk-Schroeder.

15.

Sur les valeurs « vitales » d’aiôn et sa relation avec psuchē, cf. Iliade, XVI, 453, et XIX, 27.

16.

« Dans cette vie même, ce qui constitue notre moi à chacun n’est autre chose que l’âme », Lois, XII, 959 a, 7-8 ; cf. aussi Alcibiade, I, 130 c ; Phédon, 115 c-d. ; République, V, 469 d.

17.

« Pour chacun de nous le corps n’est que l’image ressemblante qui accompagne l’âme (to de sôma indallomenon hēmôn hekastois hepesthai) », Lois, XII, 959 b, 1.

18.

« On a raison de dire que les cadavres de ceux qui sont morts sont les eidôla des trépassés (teleutēsantōn legesthai kalôs eidōla einai ta tôn nekrôn sōmata) », Lois, XII, 959 b, 2-3. Cf. aussi Phédon, 81 d, 1-4 : « L’âme terreuse, attachée au corps, se vautre parmi les monuments funéraires et les tombeaux, autour desquels on a vu des fantômes ombreux d’âmes (psuchôn skioeidē phantasmata), simulacres (eidōla) que font apparaître de telles âmes qui, pour avoir été libérées, non pas en état de pureté, mais au contraire de participation au visible, sont par suite elles-mêmes visibles. »

19.

Cf. J.-P. Vernant, « Image et apparence dans la théorie platonicienne de la mimésis », Journal de Psychologie, 2, 1975, reproduit sous le titre « Naissance d’images », dans Religions, histoires, raisons, Paris, 1979, p. 105-137.

20.

Phédon, 67 c, 3 sq. ; 80 e, 2 sq.

21.

Plotin, Ennéades, V, 1, 6, 25 sq.

22.

Ibid., V, 1, 6, 33 et 7, 1 : « Nous disons que le nous est une image (eikôn) de l’Un. »

23.

Ibid., V, 1, 6, 46 ; 7, 39 ; eidôlon nou ; 3, 8, 9-13 : la psuchē est un simulacre (eidôlon), une image (eikôn).

24.

Ibid., V, 1, 7, 36-47.

25.

Ibid., VI, 4, 16, 37 sq.

26.

Ibid., VI, 4, 16, 41-43.