La bombe de la rue Copernic1, après d’autres attentats, ne peut nous laisser silencieux. Non que nous voulions répéter les formules d’indignation officielle et affirmer à notre tour une solidarité de principe avec ceux des Français qui étaient visés. Mais pour faire entendre ce que crie notre mémoire.
L’antisémitisme réel, triomphant, l’antisémitisme d’État, nous l’avons connu et vécu. Il s’est installé chez nous dans les fourgons de l’armée hitlérienne ; il a prospéré avec l’appui de ceux qui se sont mis au service de l’occupant.
Il n’a pas signifié seulement ce que l’on sait : les déportations, les camps de la mort, la violence, la terreur massive à l’égard des juifs, enfants compris, comme de tous ceux qui entendaient demeurer eux-mêmes et s’affirmaient différents du modèle qu’imposait la tyrannie nazie.
Pendant les quatre ans où l’antisémitisme a agi, non par la bombe en secret, mais au plein jour par le pouvoir et par la loi, nous avons pu observer sans voile sa face cachée : derrière les ratiocinations de l’idéologie raciste, un délire de l’intelligence, une perversion du sentiment des valeurs, une passion, obsessionnelle et fanatique, pour abaisser et pour détruire tout ce qui, sous la forme de l’autre, met chacun de nous en question.
Cette haine morbide, cette folie meurtrière n’auraient pu prendre racine dans notre pays si elles n’y avaient trouvé, pour s’en nourrir, un terreau fait d’indifférence égoïste, de préjugés bien ancrés, de méfiance jalouse ou d’hostilité franche envers ce qui n’est pas tout à fait familier. Devant l’horreur, il y eut chez beaucoup de Français une attitude de prudente réserve ; chez d’autres, accoutumés à hurler avec les loups, tranquille consentement ; chez ceux enfin qui trouvaient là l’occasion de régler leurs comptes, sur le dos du voisin, avec leur propre vie manquée, complicité ouverte à coups de dénonciations.
Ce temps de barbarie sauvage et de lâcheté, quand les chantres de la race conduisaient en fanfare l’enterrement de la nation française, reste inscrit dans notre mémoire comme le visage même de l’antisémitisme, sa monstrueuse vérité.
Témoins et acteurs de ce drame où nous fûmes tous engagés, que pourrions-nous dire à la communauté israélite sinon qu’à travers elle c’est chacun de nous qui a été atteint dans ce qu’il a de plus précieux, ce pour quoi, en combattant durant ces années où les antisémites étaient rois, il a donné le meilleur de lui-même : une certaine idée de la France et de l’homme
L’attentat qui visait la synagogue de la rue Copernic, à Paris, a eu lieu le 3 octobre 1980.