Le documentaire peut-il être scénarisé ? Le fait de prévoir et d’anticiper les lieux, les dialogues ou encore les personnages risque-t-il de soustraire toute possibilité de spontanéité et d’authenticité ? C’est ce que craignent plusieurs professionnels, professeurs de cinéma, ainsi que des étudiants fraîchement arrivés sur les bancs d’écoles. Des opinions basées sur des idées – préconçues ou non – bien ancrées.
Comprendre le documentaire, c’est avant tout revenir aux sources du cinéma en tant que tel. En effet, le premir réflexe des cinéastes de la période précédant 1900 fut de capter sur pellicule des moments sur le vif : l’arrivée d’un train en gare, la sortie d’usine de centaines d’employés, etc.
Le terme est employé à partir de la fin des années 1920. Les films Nanouk l’Esquimau (film franco-américain, 1922) et Moana (officiellement classé comme étant le premier docufiction de l’histoire, 1926) font figure d’exemples.
Quelques définitions
Wikipédia
« Un documentaire peut être un documentaire de création, reposant sur la vision d’un auteur et proposant une lecture créatrice du réel, ou encore un documentaire de type informatif ou didactique (historique, social, animalier). Le genre documentaire étant construit à partir d’images du réel, il a été longtemps opposé au genre fiction. »
Larousse
« Film, à caractère didactique ou culturel, visant à faire connaître un pays, un peuple, un artiste, une technique, etc. »
Plus ou moins subjectif, le documentaire soulève un légitime questionnement quant à la véracité de ce qu’il a à nous offrir. Nul ne peut vraiment juger de la capacité du réalisateur à prendre du recul par rapport à un sujet qui lui tient nécessairement à cœur. Très souvent auteur et à l’origine du projet, c’est de manière plus ou moins consciente qu’il l’enjolive à sa manière ou au contraire le dramatise.
Ceci peut se traduire par la coupe sur une phrase « choc » (laquelle oriente le sens du propos), la mise en scène d’un personnage (dialogues et actions non naturels donc), la planification d’une situation (dictée alors qu’elle n’avait pas lieu d’être), etc. Le tout fait que telle ou telle scène/séquence peut au final avoir été créée de toute pièce, comme le serait un film de fiction.
Pour autant, tous revendiquent leur art comme étant un « cinéma vérité ». La réalité dépassant parfois la fiction, à nous alors, spectateurs, de garder une distance par rapport à ce qui nous est montré. Car c’est aussi cela le documentaire : amener le public à réfléchir, à prendre part, à s’ajouter ou se soustraire ; à s’investir en somme, tant intellectuellement qu’humainement.
La question de la nécessité ou non d’un scénario en documentaire s’impose. Alors qu’il serait naturel de penser que le documentaire « classique » ou docufiction admet une étape franche de scénarisation, celui dit « vérité-direct » ne le devrait pas. Il est de plus convenu que la subjectivité présuppose un geste d’écriture, quand l’objectivité implique plutôt l’improvisation.
S’il n’y a toujours pas consensus, c’est simplement parce que deux écoles de pensée se bousculent encore aujourd’hui. Les puristes restent persuadés que le véritable scénario ne se crée qu’au montage quand leurs rivaux prêchent la planification par l’écriture, essentielle au financement de tout projet de production.
Ceci étant, improvisation et spontanéité ne vont pas nécessairement à l’encontre de rigueur et précision. Selon Nathalie Lenoir, rédactrice à la revue Synopsis et script doctor (voir encadré), « écrire un scénario de documentaire est une démarche qui peut sembler ardue de prime abord, parce qu’elle oblige l’auteur à anticiper un réel qui n’a pas encore eu lieu. Une bonne idée n’est pas suffisante pour donner naissance à un bon film, encore faut-il présenter une histoire, des personnages, des enjeux. Mais cette étape est aussi un moyen de prendre du recul sur le sujet du film, de se poser des questions, de donner de l’épaisseur, de la maturité au projet. Tourner un documentaire, c’est filmer l’inconnu, et l’écriture y prépare. »
Qu’est-ce qu’un script doctor ?
C’est un consultant à la scénarisation. Il ou elle réécrit en partie le scénario pour régler d’éventuels problèmes de structure, de dialogues, d’enchaînements. Bon nombres de grands films à succès sont passés entre les mains de script doctors.
Tout est ici question de format, non de genre. Alors que votre documentaire appelé « unique » est une entité distincte et complète (un seul « épisode » donc), celui dit « de série » est en plusieurs volets (minimum deux « épisodes »). Chapeauté par des caractéristiques techniques et artistiques communes, le documentaire de série se voit par ailleurs soudé par un concept fort que l’on retrouve dans chacune de ses parties.
Du point de vue du financement, l’œuvre unique comme l’œuvre de série sont traitées en tant qu’œuvre globale. Côté structure de production, la série devient ainsi une entité unique.
À l’origine en opposition directe avec le genre fiction, et bien que les cloisons d’écriture tendent à disparaître, le documentaire reste bien difficile à cerner ou compartimenter. Il y a certes de moins en moins de limites à marier, croiser et démultiplier les sous-genres mais Les Incorruptibles (Brian de Palma, 1987) demeure une fiction tandis qu’un documentaire, unique ou pas, sur Al Capone reste un documentaire. Attention donc à ne pas confondre didactique et divertissement, le piège étant de mêler faits réels et inventés.
Il bâtit son sujet sur des faits relatés, considérés comme étant véridiques et vérifiables.
Le scénariste qui choisit de traiter un événement, un fait ou encore une période de temps définie, doit s’assurer qu’il aura un appui visuel (archives) suffisamment fort pour soutenir ses propos. Narration et entrevues (historiens, spécialistes, témoins, etc.) viennent alors en renfort.
Le documentaire historique ne soulève aucun questionnement quant à son authenticité.
Exemple de documentaire historique
Apocalypse, la Seconde Guerre mondiale (Daniel Costelle, Isabelle Clarke, 2009) et la Première Guerre mondiale (Daniel Costelle, Isabelle Clarke, 2014)
D’un côté, les faits, dates et documents d’archives. De l’autre, la colorisation d’images d’archives inédites (souvent issues de collections privées) et des textes forts, parfois poétiques, aussi beaux que chargés de sens.
Le genre historique dans sa plus belle expression : rigidité et horreur de l’Histoire côtoient la plume affinée des auteurs en un enrobage visuel (insertion de la couleur) jamais rencontré dans ce type de série.
Ce cinéma propose une proximité certaine, à tout le moins plus évidente, avec la réalité.
Ayant su tirer profit des nouvelles technologies du cinéma et de la télévision (caméra et système de prise de son plus souples), le cinéma direct se veut plus mobile, sans contrainte ni lourdeur au tournage. La caméra n’intervient pas (aucune mise en scène donc), laissant au contraire évoluer et s’exprimer naturellement les individus filmés. Le son ambiant (témoin) capture les échanges et/ou bruits lors de la prise d’images, remplaçant bien souvent une narration descriptive devenue superflue.
Le cinéma direct implique un mariage entre préparation, écriture et improvisation, dans un souci constant d’honnêteté envers soi-même et le spectateur.
Exemple de documentaire direct
Pour la suite du monde (Michel Brault, Pierre Perrault, 1962)
Considéré comme un chef-d’œuvre du cinéma direct, ce documentaire présente les habitants de l’Isle-aux-Coudres (vis-à-vis de la Baie-Saint-Paul, Charlevoix, Québec) et la pêche aux marsouins. Le style épuré, dénué de bande-sonore, laisse toute la place aux personnages ainsi qu’aux images grandioses de ce paradis reculé.
Ici, le spectateur ne se soucie guère de l’authenticité des scènes tournées car il se sait témoin de scènes de vie quotidiennes, réelles.
Comme son nom l’indique, ce type de documentaire s’appuie sur un pilier central de toute œuvre cinématographique : le personnage.
Il présente une structure très simple, pourtant tout en complexité. Simple parce que le focus ne soulève aucune ambiguïté : narration, entrevues et images d’archives servent le protagoniste. Complexe parce que le scénariste a le devoir, à chaque scène, de justifier le choix de celui-ci. Assez puissant pour soutenir le projet et porter le film, assez ambigu pour intéresser, intriguer, mystifier, voire soulever la controverse chez le spectateur.
Le documentaire-portrait peut s’avérer un sous-genre des plus attrayants pour celles et ceux désireux de faire leurs armes dans le milieu. Peu exigeant en termes de moyens techniques et équipe de tournage, il est relativement facile à mettre en place côté production. À vous alors de faire en sorte que les extraits d’entrevues du personnage principal (et des personnages secondaires) forment un discours aussi intelligent que palpitant aux yeux du spectateur en devenir.
Bien choisir son sujet, bien le mener et savoir s’appuyer sur des personnages dignes du plus grand intérêt, c’est la clé.
Exemples de documentaires-portraits
Résumer l’œuvre de Werner Herzog à la pertinence de ses personnages est assez juste.
Le mégalomane de Fitzcarraldo (1982), Klaus Kinski jouant son propre rôle dans Ennemis intimes (1999), Timothy Treadwell dans Grizzly Man (2005) : tous ont en commun cette capacité de mettre mal à l’aise tout en éveillant l’intérêt, par la puissance de leurs propos et la force de leur personnalité.
Qu’il plaise ou qu’il dérange, le cinéma de Herzog ne laisse personne indifférent. Côté fiction, des titres aussi mémorables que troublants nourrissent ainsi sa feuille de route : Aguirre, la colère de Dieu (1972), Nosferatu, fantôme de la nuit (1979), pour ne nommer que ceux-là.
Le documentaire d’opinion fait entrer le spectateur au cœur d’un débat délicat, celui des idées, des valeurs (politiques, religieuses ou encore idéologiques).
Le scénariste se doit ici de présenter toutes les facettes du « conflit » soulevé dans son œuvre via des personnages, des entrevues, des images, des citations, etc. Omettre consciemment quelques aspects reviendrait à occulter certaines opinions ; le fait que le spectateur n’ait pas toutes les cartes en mains le priverait alors de saisir le sujet dans sa globalité.
Exemple de documentaire d’opinions
Control Room (Jehane Noujaim, 2004)
La réalisatrice (journaliste, photographe et documentariste) égypto-américaine signe une œuvre majeure avec Control Room, un film sur le pouvoir des médias en pleine invasion de l’Irak en 2003. Le spectateur est au cœur du conflit, témoin des relations entre la station Al Jazeera, le US Central Command et les autres organisations venues couvrir les événements.
Jehane Noujaim dit avoir voulu parler de l’information et de ceux qui la font, qui la contrôlent. La force indéniable des personnages rencontrés ainsi que l’adresse avec laquelle la réalisatrice a su présenter tous les points de vue font de cette œuvre une pièce majeure dans l’histoire du documentaire.
Il ne s’agit pas là de votre chanteur préféré en tournée mais plutôt d’une façon de penser, de présenter et de diffuser le documentaire de masse (sur grand écran s’il vous plaît !).
Le public est quasiment unanime tant sa forme est spectaculaire, ses personnages aussi charismatiques que propres à l’identification. L’art du déploiement donc, la mise en place des grands moyens pour sublimer une situation, dénoncer sur la place publique, ou simplement offrir au spectateur des images coups de poing et/ou à couper le souffle (lieux, personnages), inédites.
De façon péjorative, on parlera d’un documentaire « racoleur ».
Exemple de documentaire spectacle
Super Size Me (Morgan Spurlock, 2004)
Afin d’étudier les effets de l’industrie du fast-food sur la population, le réalisateur décide de se mettre à un régime exclusivement issu de la chaîne McDonald.
Le début à lui seul suffit à provoquer la controverse, voire à se forger un point de vue. L’idée est spectaculaire puisqu’elle met en vedette des idées et notions préconçues dans la population en général.
Étiquetée « documentaire/drame/comédie », l’œuvre avance et défend des opinions. Amusant et efficace. N’est-ce pas là le but ultime de tout scénariste ?
Par définition aux antipodes, les deux genres cinématographiques ont fini par se rencontrer, ouvrant ainsi la voie à des scénarios aussi surprenants qu’efficients. Et il se trouve que fiction et documentaire font aujourd’hui bon ménage !
Comme son nom l’indique, ce sous-genre invite l’imaginaire à se mêler à la réalité, déjà teintée d’ajouts et/ou retraits. La magie du montage aidant, le réel se voit – en tout ou en partie – modifié afin d’orienter le propos dans le sens souhaité.
La réalité n’est pas falsifiée, seulement « exagérée » et/ou « amputée » pour la rendre plus parlante et attractive.
L’aspect « reconstitution » apparaît dans ce qu’il est convenu d’appeler le docudrame. Via une mise en scène avec des comédiens, il raconte des faits qui se seraient déroulés dans le passé ; de fréquents extraits d’entrevues avec les véritables personnes concernées peuvent s’intégrer au montage, agissant comme des pièces à conviction venues renforcer les propos.
Les croisements et entrelacements entre personnages réels et comédiens ne dérangent absolument pas du moment qu’ils sont justifiés et bien imbriqués les uns aux autres. La mise en scène ne doit en aucun cas affecter l’authenticité du « cas vécu ».
Docufiction ou docudrame ?
Hantise (titre au Québec), Hanté (titre en France) (plusieurs créateurs, 2002-2013)
Étiquetée tantôt docudrame, tantôt docufiction, cette série populaire américaine met en scène des personnes qui racontent leur véritable histoire ainsi que des comédiens interprétant leur rôle dans une mise en scène qui utilise les codes cinématographiques du genre horreur-suspense.
Le « webdoc » fait partie intégrante du paysage cinématographique. Destiné à une diffusion sur la toile, ce sous-genre propose une lecture multimédia non linéaire. Il intègre photographies, textes, vidéos, fichiers sonores, le tout présenté dans une interface web.
L’idée de pouvoir naviguer à sa guise (et de façon souvent ludique) à travers une multitude d’informations sur un sujet donné, place la question de la structure au premier plan.
Alors que le scénariste dit « traditionnel » s’évertue à construire une structure unique, une seule storyline donc ; celui né de la culture web donne accès à la somme des informations qu’il désire véhiculer. À partir d’une simple plate-forme, il peut emprunter tous les chemins possibles et inimaginables.
Le contexte économique et les paramètres de production qui en découlent ont amené une redéfinition des termes « scénariste » et « réalisateur ». Ainsi, et souvent pour des raisons budgétaires, de confiance et de performance, les deux métiers ne font maintenant plus qu’un.
Jeunes scénaristes prêts à tout et bons partout, sachez cependant que c’est maintenant une réalité possible, plausible : le scénariste peut réaliser, et le réalisateur scénariser.
À l’origine de tout projet documentaire, trois questions fondamentales.
À cela s’ajoute le désir d’écrire sur un sujet n’ayant jamais été traité ; tout au moins de le dévoiler sous un angle différent, d’offrir du jamais-vu, du mémorable, du détonant.
Tout sujet ayant, d’une manière ou d’une autre, déjà été abordé, il apparaît clair qu’il faille a minima rendre son approche attrayante pour le plus grand nombre. Que le point de vue soit différent ou pas, il faut à tout prix éviter le déjà-vu.
La meilleure façon d’y parvenir reste de le faire avec le cœur. Donner de soi-même à sa façon revient à offrir une tranche de vérité, de fait originale puisque jamais abordée. Nul doute alors que vous recevrez en retour.
N.B. : ne jamais oublier que vous vous livrez, une fois le producteur séduit, pour le spectateur. Tout comme pour le scénario de fiction, vous écrivez pour être lu, puis vu ; pas pour garder votre manuscrit au fond d’un tiroir. À vous alors de vous démarquer !
Le scénariste désireux de s’engager dans l’aventure documentaire doit savoir qu’il s’agit là d’un long processus, tant en termes d’écriture que d’étapes menant à l’acceptation du projet. Et finalement, au tournage à proprement parler.
Cela demande beaucoup de volonté et de détermination. Il faut croire en son projet, sans quoi il sera mort dans l’œuf avant d’avoir été fécondé !
Le temps de préproduction documentaire (de l’écriture au tournage donc) peut prendre plusieurs mois, voire quelques années. Mieux vaut alors se préparer à d’éventuels découragements.
L’écriture documentaire, nous l’avons dit, naît d’une réflexion d’auteur. Tout comme la fiction, elle prend par conséquent racine sur des notions incontournables : sujet, récit et idée maîtresse.
Vous souhaitez parler d’un sujet qui vous paraît intéressant pour un vaste public. Il est ainsi de votre devoir, avant toute recherche, de vous poser les questions fondamentales au processus de création : qu’est-ce qui me lie profondément à ce sujet en particulier ? Suis-je réellement passionné par le sujet dont je veux parler ?
Si ces questionnements semblent n’avoir aucun lien avec la production cinématographique, ils soulèvent pourtant l’idée aussi répandue qu’erronée qu’un scénariste doit être spécialiste de son sujet et/ou l’avoir intimement approché pour avoir le droit de le traiter. Le simple attrait, voire la seule curiosité, suffit à vous en rendre légitime.
La seconde étape est celle de la recherche. Non de votre façon d’aborder votre projet, mais bien de ce qui aurait potentiellement déjà été fait. Existe-t-il des documentaires, ici et ailleurs, déjà diffusés sur le sujet ? Peut-être des projets semblables sont-ils en préparation ? Le scénariste qui ne s’interroge pas se verra sitôt questionné par le premier producteur aussi sérieux qu’intéressé.
Point de vue production, le « bon sujet » est celui qui n’a pas encore été traité, tout au moins pas dans la forme et sous l’angle proposés par le scénariste.
Avant même d’avoir établi votre plan d’attaque en termes de traitement, le producteur vous aura confronté à la question : que voulez-vous dire en tant qu’auteur ?
Le projet du scénariste – Prise 1
Rencontre entre le scénariste et le producteur
Sujet : les requins blancs
Prod. : Ainsi vous projetez de faire un documentaire sur les requins blancs ?
Scén. : C’est exact.
Prod. : Vous avez la télévision ?
Scén. : Oui. Pourquoi cette question ?
Prod. : Vous savez combien de documentaires existent à ce jour sur ce célèbre prédateur ?
La discussion prend une mauvaise tournure pour le scénariste qui n’a pas su clairement expliquer au producteur le sujet qui l’intéressait réellement… Il ne s’agit pas là des requins blancs !
Le projet du scénariste – Prise 2
Rencontre entre le scénariste et le producteur
Sujet : les requins blancs, découverte majeure sur leur origine
Prod. : Ainsi vous projetez de faire un documentaire sur les requins blancs ?
Scén. : Oui et non. Comme vous le savez, bon nombre de documentaires traitent déjà du sujet. Je souhaiterais y apporter un éclairage nouveau…
Prod. : Continuez…
Scén. : Le documentaire que je propose s’appuierait sur les dernières révélations d’une équipe d’experts ayant fait des découvertes majeures sur l’origine de cette espèce particulière. Jamais des scientifiques n’étaient allés aussi loin !
Prod. : Vous éveillez ma curiosité !
Scén. : Mon document de présentation fait état de mon sujet et du traitement que je propose.
Nullement spécialiste mais fasciné par cette espèce préhistorique, le scénariste a su piquer l’intérêt du producteur. Pleinement conscient du potentiel de son projet, il n’est parallèlement pas sans savoir que le sujet reste délicat ; d’où l’emploi du conditionnel (preuve de son sérieux doublé d’humilité). De son côté, le producteur a déjà décelé la puissance de ce projet à même d’apporter un regard nouveau sur la question des requins blancs.
L’exemple de Control Room
Rappelez-vous de ce documentaire de Jehane Noujaim : un film sur le pouvoir des médias en pleine invasion de l’Irak en 2003. Il ne s’agit pas là d’un film sur les atrocités de la guerre, le message – idée maîtresse – restant avant tout de faire comprendre ce qui crée et véhicule l’information.
L’idée maîtresse, c’est ce que l’auteur veut réellement en dire. Dans notre exemple, les découvertes de l’équipe de scientifiques représentent le sujet du documentaire sur les requins blancs. L’idée maîtresse : nous sommes finalement peu au fait de cette espèce tant redoutée.
La viabilité d’un documentaire s’appuie sur plusieurs paramètres.
1.Nouveauté : à l’instar des requins blancs, le sujet choisi doit à lui seul éveiller l’intérêt du producteur.
2.Intérêt du public : en quoi votre documentaire peut-il intéresser le plus grand nombre ? Doit-il s’adresser à un auditoire averti, via des informations scientifiques poussées, ou au contraire au néophyte, par le biais d’une approche quelque peu « racoleuse » ? Un documentaire pour les experts ou un documentaire « spectaculaire », visuellement époustouflant mais au contenu simplifié… À vous de juger !
3.Envergure sociale : à quoi va servir votre documentaire ? Fait-il avancer des connaissances, renverse-t-il l’ordre établi ? Peut-il avoir des répercussions sur d’autres facettes de notre vie (point de vue scientifique, médical, etc.) ?
4.Qualités télévisuelles : votre documentaire est-il télévisuel ? La question peut paraître cavalière et la réponse couler de source, mais bon nombre d’équipes de production se heurtent au potentiel télévisuel de tel ou tel projet. Un documentaire viable est celui qui offre une variété de lieux, de personnages et de tout support visuel pouvant aider au développement du récit. À titre d’exemple, faire évoluer un personnage dans un seul et même lieu « asphyxie » le documentaire. Le fait d’offrir des images différentes, des propos énoncés en des situations contrastées, permet à votre spectateur de « respirer ». Dans la même veine, quelques accalmies lui offrent de reprendre son souffle. Votre dynamique est ainsi tout en relief, entre vues extérieures pour les propos à caractère personnel et salle de réunion pour ceux relatifs au travail, par exemple.
5.Ligne éditoriale : votre projet correspond-t-il au mandat du télédiffuseur (chaîne télé) que vous approchez via votre producteur ? Par exemple, inutile d’espérer voir votre documentaire scientifique dédié au Big Bang chez un télédiffuseur sportif ! Retenez qu’il n’y a pas de mauvais sujets, seulement des projets présentés aux mauvais télédiffuseurs.
Grizzly Man
Le titre du film porte à lui seul la force de l’œuvre, la puissance du personnage principal. Le défi pour Herzog ne consiste pas à nous éduquer sur le grizzly, mais bien à nous le présenter sous un angle différent, au travers du regard de son personnage-portrait : l’intérêt du public est généralement de voir comment cet excentrique de Timothy Treadwell s’y est pris pour approcher ces ours. À noter que l’homme a passé treize étés à la merci des grizzlys en Alaska. Il a filmé ses cinq dernières expéditions en se mettant en scène aux côtés de ces mastodontes de l’ouest. L’issue est littéralement la fin pour ce dernier : un final bien évidemment non prémédité, d’autant plus inoubliable.
L’enjeu social réside dans la controverse de ce même personnage à qui l’on a reproché ses techniques douteuses, de surcroît non acceptées par la communauté scientifique.
Les qualités télévisuelles du documentaire sont indéniables. Elles sont établies dès les premières secondes du film et demeurent un cadeau pour les yeux jusqu’au tout dernier plan. Les images tournées par Timothy Treadwell, doublées de celles capturées par Herzog, sont à couper le souffle de par leur dangerosité : émérite ou pas, s’aventurer à filmer d’aussi près les grizzlis dans leur habitat naturel est pure folie.
L’intérêt d’un tel documentaire est multiple. La qualité des images constitue en soi un document d’archives exceptionnel pour tout diffuseur nature ou animalier. L’approche psychologique et sociale de ce personnage – convaincu qu’il agit correctement en faveur de la protection des animaux – pose par ailleurs les bases d’une discussion on ne peut plus pertinente sur le rôle de l’homme et son ingérence dans la nature.
Le producteur qui demande au scénariste s’il a de bons personnages s’informe en fait sur la force de son projet en termes de narration.
Les personnages du scénariste – Prise 1
Rencontre entre le scénariste et le producteur
Sujet : les requins blancs
Prod. : Parlez-moi de vos personnages…
Scén. : Il s’agit d’une belle petite famille de requins blancs.
Prod. : Vous avez la télévision ?
Scén. : Oui. Pourquoi cette question ?
Prod. : Je suppose que vos requins vont parler également ! Que papa requin va flanquer une caudale à fiston pour lui faire la leçon ?
Mauvaise rencontre. À oublier.
Les personnages du scénariste – Prise 2
Rencontre entre monsieur le scénariste et le producteur
Sujet : les requins blancs
Prod. : Parlez-moi de vos personnages…
Scén. : Le documentaire tournerait autour de quatre personnages, tous membres de l’équipe scientifique : le chef de l’expédition, l’un des plongeurs les plus expérimentés au monde, un spécialiste des fonds marins et deux spécialistes des requins blancs.
Rencontre beaucoup plus prometteuse. Les personnages sont hautement justifiables, de surcroît complémentaires les uns par rapport aux autres.
Voici en quelques points ce qui fait la force de votre personnage.
1.Présence d’une quête : le personnage principal du documentaire est en quête d’une chose intimement liée à votre idée maîtresse (ce que vous voulez dire).
2.Qualités d’orateur : il est capable de s’adresser à la caméra de façon claire et convaincante. Il sait transmettre ses connaissances au spectateur de manière simple. Il utilise un langage accessible et captivant. En résumé, il porte le projet par son charisme et sa foi en le sujet.
3.Investissement personnel complet : il ne fait aucun doute que les motivations du personnage sont sincères. Il est pleinement investi dans son aventure. Sa passion personnelle et/ou professionnelle le guide, le porte et le stimule.
4.Opinions en développement constant, nuances et relief : le personnage évolue sans cesse et demeure objectif par rapport à ses idées. Il décèle ses failles, les faiblesses de sa position et accepte de se remettre en question.
Les personnages dans Grizzly Man
Parmi les quelques personnages de ce documentaire portrait, c’est naturellement Timothy Treadwell qui est au premier plan.
Dès les premières secondes du film, Treadwell révèle une personnalité pour le moins originale, dans sa façon de parler, de répéter des mots, de prendre des pauses « photogéniques » face à sa propre caméra, etc. Il s’agit là du premier souhait d’Herzog : que le spectateur remette en question son personnage principal. Pas sa crédibilité mais sa stabilité mentale… Cet homme n’est-il pas devenu fou à force de passer trop de temps face aux dangers de la nature ? À moins que ce ne soit la solitude qui l’ait fait déjanter ? Le cinéaste allemand nous présente un homme tourmenté. Il n’a toutefois pas jugé utile de pointer ses « travers » puisque l’inconscience quasi pathologique de Treadwell suffit à influencer notre opinion.
Deuxième personnage, Herzog lui-même. Tantôt à la narration, tantôt face caméra, il mène son récit et les nombreuses rencontres semées çà et là au fil du développement (médecin légiste, ex-compagne et parents de Treadwell, etc.). Cette façon de se mettre en scène est familière pour le cinéaste, comme pour bien d’autres conscients de l’impact de leur présence à l’écran (Michael Moore).
Les textes de Herzog sont toujours simples, puissants. Pas de discours scientifiques, de jargons empruntés à des spécialistes. Un commentaire humain qui questionne, interroge et surtout, énonce les faits tels qu’ils sont. Herzog nous fait douter, accepter et rejeter tour à tour les dires et gestes de Treadwell. Rien n’est jamais noir ni blanc. Herzog remet en question un personnage ayant voué sa vie (et sa mort) aux animaux tout en mettant en avant sa haine et sa peur de l’espèce humaine. Au spectateur de se faire sa propre idée.
Le récit est votre histoire (votre scénario), votre façon de raconter. Le « Comment ? », en résumé.
Dans l’idée qu’un bon film ne laisse voir aucune des techniques de montage utilisées pour rendre l’histoire crédible et vraisemblable, un scénario bien structuré sait détourner l’attention du mécanisme sophistiqué par lequel « l’invisibilité » devient possible.
Exemple : dès les premières secondes de ses documentaires, il est fréquent qu’Herzog place son personnage au premier plan, dans une scène révélatrice de son propos d’auteur. Dans Grizzly Man, nous l’avons vu, il veut amener le spectateur à ressentir la complexité et l’amertume d’un être déçu par l’homme. Surpris, heurté, le public est ainsi immédiatement plongé dans le vif du sujet. Une technique devenue invisible donc : l’auteur-réalisateur fait passer son message en toute discrétion.
Si vous parvenez à faire comprendre au producteur ce que vous voulez dire et comment vous vous y prendrez, vous êtes sur la bonne voie ! Ceci étant dit, il y a certaines règles à suivre afin de ne pas perdre l’essentiel de votre message.
1.L’idée maîtresse : une fois convaincu de l’intérêt que peut représenter votre sujet, définissez clairement par écrit ce que vous désirez véhiculer au spectateur.
2.Le bon personnage : demandez-vous si votre personnage principal est à la hauteur de ce que vous voulez dire. Est-il assez puissant/charismatique/expert en la matière pour porter le sujet sur ses épaules ? Aussi renommé soit-il, un spécialiste incapable de transmettre clairement ses idées au grand public n’est pas un bon personnage.
3.Les personnages secondaires : définissez les autres personnages à même de donner du corps à votre sujet via des prises de position différentes.
4.Le plan : faites un plan qui résumera les grandes séquences de votre documentaire. Vous conduit-il à la démonstration de ce que vous voulez dire ?
5.Le respect du spectateur : ne perdez jamais de vue que le public ne sait rien du monde dans lequel vous l’invitez, du sujet que vous avez passé plusieurs mois à décortiquer. Prenez-le par la main et offrez-lui des explications accessibles. Les images et la narration devront refléter cette limpidité des propos.
6.Le climax : le point culminant de votre documentaire doit mettre votre idée maîtresse en exergue, faire la lumière sur ce pourquoi vous avez travaillé si fort et si longtemps. Pas nécessairement les plein phares, juste le projecteur : votre message passe-t-il clairement ? Est-il compréhensible ?
Le scénario est l’aboutissement d’un long processus saturé de mille et un documents résultant de votre investissement : le dossier de recherches. Il est l’élément clé de consultation lors de l’écriture, l’exact portrait de votre avancée (succès et difficultés).
Le fruit de votre travail : le dossier de recherches regroupe l’ensemble de vos notes issues de livres, articles, archives, sites web, rencontres et pré-entrevues. Il inclut également vos brouillons, idées de scènes et personnages non définitifs.
Vos sources : une recherche ordonnée commence par une classification de vos sources d’information et de contenu. Rien de pire que de passer à l’acte d’écriture en ayant égaré ses sources ! Vous apprendrez assez vite que le producteur est friand de l’origine de vos dires, chiffres, citations, données historiques, etc. Ce travail débute dans le dossier de recherches. Faites-vous des tableaux, des fichiers dûment identifiés afin de pouvoir y accéder rapidement. Autant de dossiers/fichiers que nécessaires en résumé : personnages – lieux de repérage/tournage – sources historiques (par livre) – idées personnelles d’auteur – questions non élucidées, etc.
Les preuves matérielles : vous vous êtes déplacé, avez peut-être voyagé et donc dépensé de l’argent personnel au cours de vos recherches. Un conseil : conservez précieusement vos reçus de frais et dépenses diverses (stationnement, péage, essence, restaurant, hôtel, location, etc.). Il arrive que les producteurs intéressés par un projet demandent les sommes investies à l’auteur. Ces dernières pourront alors vous être remboursées via un budget de recherches.
Exemple : notre documentariste féru de requins blancs jette le ticket de 1,25 $ CAN de l’horodateur des Archives Nationales. Erreur ! S’il avait établi un tableau « Notes de frais », il aurait constaté que ce genre de frais peut atteindre une certaine somme au bout de six mois de recherches…
Le suivi des recherches : établissez un tableau (sous la forme qu’il vous plaira) au sein duquel vous inscrirez, de façon chronologique, les jours et heures travaillées sur votre projet. En parallèle seront annotés, plus spécifiquement, les jours/heures destinés aux recherches et, conséquemment, aux déplacements nécessaires pour ce faire (lieux, raisons, dépenses encourues, etc.).
La question financière n’est pas la seule raison de ce type de suivi : il est un portrait exact de l’état de vos recherches, des différents éléments de votre projet documentaire (lieux, personnages, contenu, etc.).
Pour un auteur, développer un sujet pour lequel il n’a pas réellement d’intérêt et/ou au sein duquel il trouve difficilement sa place est périlleux. Dans le cas particulier d’une commande, l’exercice risque d’aboutir à un essoufflement et un manque de motivation si le désir de s’investir n’est pas complet.
Ceci étant, le scénariste écrit toujours pour quelqu’un. Raison pour laquelle l’éternelle question se pose : mon sujet va-t-il plaire au grand public ? Sera-t-il retenu, voire même attendu, au regard des actuelles expectatives des spectateurs (elles-mêmes dépendant des facteurs éco-politico-sociologique) ?
Chacun souhaite évidemment parler d’un sujet qui aura un intérêt et un impact sur le plus grand nombre. Cela est parfaitement compréhensible. Passer plusieurs mois de sa vie à développer un projet de documentaire qui n’intéressera personne est démotivant à souhait, pire encore si on n’a aucune curiosité pour ce même sujet. Alors que faire ?
C’est très simple : qu’il s’agisse d’un projet propre à l’auteur (idée originale) ou d’une commande faite par un producteur, il faut d’abord être honnête envers soi-même, sans quoi vous ne le serez pas face aux autres. Quelle satisfaction vous apporterait à titre personnel ce documentaire ? Pourquoi vous investir des mois durant sur ce sujet précis ?
Des centaines de scénaristes planchent chaque jour sur des publicités dites « alimentaires ». Contrats d’argent seulement, non de passion, c’est un fait. En documentaire c’est différent : rares sont ceux qui s’aventurent sur un sujet auxquels ils ne croient pas. Le prix à payer (et il n’est ici pas question d’argent) est beaucoup trop élevé, l’investissement bien trop grand !
Vient ensuite la délicate question morale. Les tabous. Le scénariste se confrontera inévitablement à ses propres limites. Il devra ainsi délimiter ce qu’il considère comme acceptable, voire moral, afin de respecter ses propres convictions et valeurs sans ne jamais dépasser celles de la société dans laquelle il vit. Un seul mot devrait motiver chacun de ses faits et gestes : le respect.
Un exemple de choix personnel
Sous les feux de la rampe, 40 ans de magie ! (Québec, 1994)
Scénarisation : Martin Matte, Chantal Côté
Réalisation : Martin Matte
Télédiffuseur : Radio-Canada, Québec
Historique et intérêts personnels
J’ai à titre personnel entretenu un rapport difficile avec le Carnaval d’hiver de Québec (le plus important au monde en saison hivernale). Des souvenirs de soirées arrosées en plein air (à -30° C) et de cris désobligeants de participants envers les mascottes et majorettes. Bref, une expérience pas toujours heureuse.
Si quelqu’un m’avait un jour annoncé que mon premier documentaire historique télédiffusé aurait comme sujet la 40ème édition du Carnaval d’hiver de Québec, je ne l’aurais pas cru… Et n’y aurais surtout pas adhéré !
Et pourtant. En fouillant les archives visuelles (photographiques et filmiques) de la ville de Québec, j’ai découvert toute la richesse d’un passé, celui de ma propre ville, et au-delà, toute la délicatesse et la mélancolie qu’imposait le fait de travailler avec de vieilles images mettant en scène des gens ayant vraiment existé, dansé, chanté et festoyé sous la neige ! Je venais de découvrir toute l’émotion reliée aux documents d’archives.
Une co-écriture de six mois, un tournage chargé d’émotions (dans un froid mémorable) et un montage pour lequel j’ai eu la chance de confirmer et concrétiser cet immense respect pour le passé.
Le Carnaval d’hiver de Québec ? Très peu pour moi ! Les photographies et films d’archives me révélant un intérêt certain pour l’histoire et les gens ? Absolument !
Le sujet est choisi et parfaitement défini, les personnages pressentis et la réflexion d’auteur aboutie. L’heure est venue de se lancer dans l’écriture.
L’utilisation de scènes et/ou séquences s’applique de la même façon que dans le cadre d’un scénario de fiction. Le scénariste s’en tient à une logique apte à mettre en relief la structure de son récit.
Prenons un exemple. L’introduction de votre documentaire exige la mise en place de différents éléments : extraits d’entrevues, montage d’archives et animateur face caméra. Trois sources pour un seul et même bloc : votre introduction.
Mieux vaut opter pour une séquence qui englobe plusieurs scènes :
Voici quelques modèles fréquemment rencontrés en production.
De loin la plus courante, la mise en page « style fiction » permet de facilement dissocier les indications visuelles des dialogues et voix off du contenu bref. Ne jamais oublier que le scénario reste avant tout un document de référence !
Dans l’exemple qui suit, la scène représente l’unité de découpage (un travail de découpage plus poussé, au plan par plan, sera établi en amont de la réalisation).
Le scénario classique « style fiction » : le propos avant tout (peu d’indications techniques).
Par souci d’uniformité et pour des raisons pratiques, bon nombre d’équipes de production télévisuelle demandent au scénariste de présenter son travail dans un format unique : la « feuille de route » (cue sheet).
Plus poussée que le modèle vu précédemment (version classique fiction), et bien que la mise en scène soit identique, cette mise en page se rapproche du découpage puisqu’elle propose une description plus détaillée des valeurs de plans utilisées.
La « feuille de route » permet par ailleurs l’ajout de détails de mise en scène et de son. Si votre animateur fait des gestes ou déplacements précis pendant qu’il parle, cela peut être indiqué à l’endroit adéquat, dans la colonne des indications image.
La « feuille de route » : priorité au côté pratique.
Comme son nom l’indique, le format « découpage » se rapproche grandement du découpage technique conventionnel. Il s’avère très utile à l’heure de tourner tel ou tel plan. Il est ainsi fréquent de voir le scénariste – assumant lui-même les fonctions de réalisateur et de directeur-photo – choisir ce format. Répondant à plusieurs besoins, il regroupe toutes les indications relatives à la mise en scène, au minutage, à la caméra (voire au type de lentille utilisée, par l’ajout fréquent d’une colonne en plus), etc.
Le style « découpage » : la technique à l’honneur.
Le style « découpage simple » est ni plus ni moins un mariage entre les formats « standard fiction » et « feuille de route ». Ne se voulant pas plus précis au plan technique, il propose simplement une section (colonne de droite) qui permet une prise de notes/commentaires des plus pratiques pour un(e) scripte ou assistant(e) à la réalisation (sur le plateau de tournage).
Le style « découpage simple » : annotations facilitées.
Certaines mises en page permettent l’inscription du minutage. Dans l’optique que le scénariste œuvre également en tant que réalisateur du projet, mieux vaut prendre l’habitude de chronométrer !
Certains éléments sont de fait à considérer.
Votre documentaire raconte une histoire, met en scène des personnages, des lieux et des idées. Le travail du scénariste est de structurer tous ces éléments au profit du spectateur. C’est ainsi que les pyramides pointent à nouveau à l’horizon…
Vous êtes conscient de l’importance de votre (vos) personnage(s) et du message à délivrer sur tel ou tel sujet. Une fois choisi, ce dernier doit faire vivre vos protagonistes et les amener à dire ce que vous désirez dire. Le temps est venu de structurer le tout !
En fiction, le schéma des pyramides proposait un teaser percutant afin de nous présenter les personnages, la quête et le conflit dans un laps de temps relativement restreint. L’idée étant d’accrocher le spectateur, il en va de même pour le documentaire.
Grizzly Man : l’accroche de Herzog
C’est sans aucun préambule, sans effet visuel ni musique introductive, qu’Herzog se lance avec un Timothy Treadwell face caméra. Répétition de ses propos, pauses cinématographiques ; l’homme est tourmenté, c’est le cœur du sujet. Herzog a voulu, dès le début, que cette excentricité un peu malsaine transperce l’écran.
Treadwell = un personnage insaisissable, en voie vers l’inconscience. Quelques secondes d’extraits suffisent à brillamment le faire comprendre.
Mot d’ordre : aller droit au but. Cela vous évitera le piège d’une ouverture trop étirée, source de perdition ou de recul de votre spectateur.
Cas pratique
Votre documentaire se déroule en Amérique du Sud. Portrait d’un rescapé de naufrage ayant tout perdu, jusqu’à sa foi en la marine marchande pour laquelle il travaillait. La raison ? Les hommes de pouvoir qu’il servait n’ont eu aucun scrupule à laisser des navires délabrés prendre la mer.
Votre accroche.
L’auteur se demande comment illustrer au mieux, en tout début de documentaire, ce qu’il veut dire.
Quel choix ?
Votre idée maîtresse est rattachée à l’industrie maritime et l’étendue de la corruption qui fait loi dans certains pays défavorisés. Le focus de l’ensemble du documentaire porte sur les armateurs. Votre choix est A.
Votre idée maîtresse est intimement liée à ce personnage qui, œil du spectateur, lui permet de comprendre l’ampleur de la tragédie (mauvais entretien des navires, naufrage, etc.). Ce que vous voulez dire, c’est que la corruption est telle que les petites gens sont démunis face aux armateurs qui soudoient les inspecteurs des gouvernements, afin que ces derniers ferment les yeux sur le piètre état des navires. Votre choix est B.
Les deux possibilités d’accroche se valent. Pour autant, la seconde (B) se rapproche davantage de l’idée maîtresse du scénariste : la faiblesse des pauvres gens face aux puissants sans foi ni loi.
Personnage(s), quête et conflit mis en place, la situation est instaurée. Il est temps d’offrir au spectateur de l’information afin qu’il puisse prendre conscience des enjeux et, éventuellement, se faire une idée de la problématique que vous souhaitez traiter.
En documentaire, la montée narrative « met en scène » les intervenants – et leur point de vue respectif – de votre récit. Vous devez déployer toute l’artillerie dont vous disposez pour créer un relief captivant : les meilleurs extraits d’entrevues, les images les plus pertinentes, la narration résumant parfaitement vos propos. Ne gardez que le nécessaire, c’est-à-dire ce qui sert et conduit à l’idée maîtresse de votre documentaire.
Aussi puissante soit-elle par ses propos et le message véhiculé, la montée narrative ne saurait être une réussite sans l’apport d’un point de non-retour, tout du moins d’un élément ou événement venu bouleverser le rythme menant au point culminant.
L’exemple de Grizzly Man
Herzog intègre de façon extrêmement judicieuse la scène où il rend visite à l’ex-petite amie de son personnage principal : Jewel Palovak. Cette dernière est en possession du célèbre enregistrement sonore retrouvé sur les lieux après l’attaque fatale du grizzly (tombée par terre, la caméra continuait à tourner à l’heure du trépas de Treadwell et de sa nouvelle compagne).
Jugeant que cela n’ajoutait rien à son récit, un élément de morbidité absolue mis à part, Herzog n’a pas voulu rendre accessible la bande-son des cris du couple. Seules les images du sol sont insérées au montage.
Écouteurs aux oreilles, immobile et bouleversé, Herzog est assis en face de Jewel Palovak et entend – lui seul – l’enregistrement. Cette scène change le rythme du documentaire. Elle donne un caractère définitif à la mort de Treadwell.
Le point culminant est celui où les chemins se rencontrent. C’est la fin du voyage. Les personnages y aboutissent en exposant leur position, rejoignant ou non celle du personnage principal.
Grizzly Man
Herzog nous propose un retour sur les lieux du drame. Une poignée de proches s’est réunie pour disperser les cendres des défunts. Chacun prend le temps de dire un mot. Une scène chargée de douleur.
Le point culminant offre au spectateur un moment de réflexion, la possibilité de laisser « décanter » toute l’émotion accumulée. C’est le dénouement. Un personnage ou un narrateur en voix-off revient une ultime fois sur le point de vue de l’auteur afin de rappeler son idée maîtresse, déjà amenée en force dans l’accroche.
Grizzly Man : derniers moments avec Treadwell
Entre commentaires tranchants et éloges respectueux à l’égard de Treadwell (dernières images tournées), Herzog dévoile brillamment son opinion du monde animal ainsi que sa vision d’un homme qui a peut-être été trop loin dans sa tentative de rapprochement avec les animaux sauvages. Un dénouement à la Herzog en somme : à la fois tendre, réaliste et cruel.
« Une image vaut mille mots » soufflent bien souvent les producteurs aux jeunes scénaristes et réalisateurs. Comprenez par là qu’il est inutile d’écrire et de décrire des éléments que le spectateur pourra aisément comprendre à l’écran. Nous l’avons vu dans le chapitre traitant de la fiction, c’est également le cas pour le documentaire. Faites confiance au spectateur qui saura départager l’information respectivement donnée par l’image et le texte.
L’exemple qui suit vous paraîtra quelque peu exagéré mais demeure très représentatif du problème de dédoublement d’information auquel le scénariste se confronte.
Scène 1 Ext./village de Ste-Croix/jour
Différents bâtiments délabrés de la rue principale. Carcasses de voitures sur la route, effets personnels éparpillés. Crevasses sur les pavés.
NARRATION :
À Ste-Croix, les bâtiments sont tous délabrés. Ici et là sur la route crevassée gisent des carcasses de voitures, des effets personnels de gens ayant vraisemblablement abandonné les lieux.
Vous l’aurez compris, la narration n’a pour ainsi dire pas d’intérêt ; elle ne fait que répéter les images. Voyons la scène autrement.
Scène 1 Ext./village de Ste-Croix/jour
Différents bâtiments délabrés de la rue principale. Carcasses de voitures sur la route, effets personnels éparpillés. Crevasses sur les pavés.
NARRATION :
Nul n’aurait pu prédire que, de la petite localité tranquille et sans histoire de Ste-Croix, il ne resterait que quelques malheureux souvenirs, témoins de la catastrophe à l’arme chimique.
L’image proposée au spectateur donne des informations précises. Le texte peut ainsi se consacrer à un nouvel élément qui, quant à lui, ne se devine pas : la cause de la catastrophe, l’arme chimique.
L’imprévisible : la véritable hantise du scénariste de documentaire. Comment planifier ce qui n’est pas arrivé ? Anticiper une situation qui sera hors de contrôle ? Pas plus visionnaire que voyant, encore moins omniscient, le scénariste n’est pas à même d’énoncer les propos d’un individu qui ne s’est pas encore exprimé ou de décrire une action qui n’a pas déjà eu lieu.
Ainsi le problème est soldé puisqu’il n’est pas question de décrire quoi que ce soit qui serait, de toute évidence, faux et non représentatif de la réalité.
Tout comme vos différents repérages vous offriront de vous familiariser aux lieux, d’être à même de les définir et décrire à l’écrit, les pré-entrevues vous apporteront le fil conducteur indispensable au scénario.
En voici quelques éléments :
Exercice : techniques d’entrevue
Sujet : l’avortement, évolution ou régression des positions ?
Constat
En tant qu’auteur, vous avez nécessairement un point de vue. Chaque personnage a également une opinion qui lui est propre et, par extension, une raison d’être et de prendre la parole dans votre documentaire.
Conseils
L’itinéraire d’entrevue est votre « plan de match », la chronologie des questions (et sous-questions) que vous souhaitez poser à vos intervenants.
Exercice : itinéraire d’entrevue
Sujet : l’avortement, évolution ou régression des positions ?
Constats
Préparation
Conseils sur la forme
Exemple 1
Q. : Depuis combien de temps pratiquez-vous l’avortement au sein de votre cabinet privé ?
R. : Depuis au moins dix ans.
Mauvaise réponse. Au montage, aucune question ne supporte ce propos.
Exemple 2
Q. : Depuis combien de temps pratiquez-vous l’avortement au sein de votre cabinet privé ?
R. : Je pratique l’avortement depuis au moins dix ans.
Bonne réponse. Au montage, le propos est distinct et complet. Il n’a besoin d’aucun support pour être compréhensible.
Pour les mêmes raisons de coupure (des questions) au montage, le réalisateur devra expliquer clairement, avant le tournage, pourquoi l’intervenant doit faire en sorte de ne pas couper la parole de celui ou celle qui le questionnera, de ne pas chevaucher ses propos. La réponse doit idéalement tomber une ou deux secondes après la fin de la question pour faciliter le montage.
Plus contraignant encore que l’imprévisible : l’inconnu.
La scène d’aventure implique son lot de mystères et zones d’ombre. Prenons l’exemple d’un scénario qui propose plusieurs scènes au sein desquelles un groupe d’explorateurs s’aventure dans une forêt vierge inexplorée. Comment l’écrire ?
Exercice : écriture d’une scène « hasardeuse »
Sujet : au cœur d’une forêt vierge, l’aventure de quatre explorateurs à la recherche d’une civilisation perdue.
Constats
Conseils
Exemple
Scène 12/sentier des sentinelles, Rain forest/jour
Dans l’étroit sentier des sentinelles, prises de vue du groupe de quatre explorateurs : André, Christian, Peter et Richard. Marche et pause pour se rafraîchir. Extraits d’entrevues avec Peter (angoissé) et Richard (serein, réfléchi), tous deux de la grande ville et sans aucune expérience de la forêt.
NARRATION
La pluie apporte son lot de problèmes et d’embûches lorsqu’il est question de marcher sous l’averse en pleine forêt tropicale. Pour certains, l’expérience est des plus périlleuses.
RICHARD (extraits d’entrevue)
(Nous livre ses impressions sur la distance à parcourir et le sentiment d’être nulle part, sans aucun contact avec la civilisation.)
PETER (extraits d’entrevue)
(Insiste sur le fait qu’il faut toujours regarder où mettre les pieds : la forêt grouille d’insectes et de reptiles en tous genres.)
Vous savez que deux de vos personnages ne sont pas dans leur élément ; vous insisterez donc pour que des questions ciblées leur soient posées lors du tournage. Vous ne contrôlez peut-être pas le contenu précis de leurs réponses mais avez le pouvoir sur la direction des entrevues. C’est déjà beaucoup.
Votre point de vue d’auteur est ce qui, aux yeux du producteur, différencie le documentaire du reportage. Ce dernier veut sentir que vous avez une opinion bien précise sur le sujet.
Différentes options s’offrent à vous pour vous exprimer à travers votre œuvre.
Le choix de votre personnage principal est en soi une implication à part entière. Il peut révéler votre positionnement par rapport au sujet, vis-à-vis des autres intervenants.
Exemple : le personnage central de votre documentaire est une fille-mère sans emploi désireuse de se faire avorter. Ses préoccupations occupent une large part des propos de votre film, quelques entrevues de médecins, pour ou contre l’avortement, mis à part. Vous n’êtes pas forcément pour l’avortement mais offrir la parole à cette jeune fille prouve que vous êtes ouvert à ses raisons, à même de les comprendre et d’offrir au spectateur une vision plus large, basée sur une expérience vécue (« qu’aurais-je fait dans sa situation, livrée à moi-même, sans le soutien de mes proches ? »).
La narration tient un rôle de premier plan dans le documentaire. Insérée à travers les entrevues, elle donne rythme et ton au montage tout en aidant à la continuité des idées énoncées. Elle sert également de pont entre différents thèmes afin d’éviter les changements trop brusques dans les propos. Question de vitesse qui peut, à un autre niveau, se sentir dans les cadrages.
Exemples de points de vue
Écriture objective
C’est l’écriture des faits (elle relate sans inviter le spectateur).
Exemple : Apocalypse, 1e et 2e Guerre mondiale, de Isabelle Clarke et Daniel Costelle (2009-2014).
Écriture du 3e œil
C’est l’écriture de proximité (elle inclut le spectateur aux personnages).
Exemple : Grizzly Man, de Werner Herzog (2005).
Écriture à la 1re personne
C’est l’écriture du « je » (présent en action et en propos dans le cadrage).
Exemple : My Best Friend, de Werner Herzog (1999).