CHAPITRE II
À gauche des bouleaux, à droite des sapins... De l’aéroport à Helsinki, le freeway 137 serpentait au milieu d’une forêt dense, trouée parfois d’une clairière ou d’un petit lac. Malko doublait des automobilistes roulant comme des escargots, tous phares allumés malgré le soleil de plomb. Les trois quarts de l’année, les journées étaient très courtes. Les Finlandais avaient pris l’habitude de ne jamais éteindre leurs phares...
Il bâilla.
C’était rare que la Central Intelligence Agency l’envoie dans un pays aussi calme que la Finlande... Deux tiers de la surface de la France, un pays couvert de bois et de lacs avec cinq millions d’habitants, enneigé neuf mois sur douze avec un ensoleillement moyen de 17 jours par an...
Bien sûr, il y avait la longue frontière avec l’Union Soviétique. Mais, là aussi, c’était hypercalme. Parfois un défecteur passait à l’Ouest à hauteur de la Carélie et les policiers finlandais lui indiquaient discrètement le chemin de la Suède. Malgré les accords passés avec l’Union Soviétique qui les obligeaient à renvoyer dans leur pays d’origine les gens comme eux. Ça et quelques autres contraintes s’appelaient la Finlandisation et
avait évité à la Finlande, alliée de l’Allemagne durant la Seconde Guerre mondiale et ennemie héréditaire de la Russie, les beautés du Socialisme Scientifique...
Ici, le rideau de fer était en papier, tant les Soviétiques avaient confiance dans leurs alliés forcés... Pas de miradors, pas de barbelés, ni de mines. Juste des panneaux et de rares patrouilles. Pourtant on n’était qu’à quelques centaines de kilomètres de Leningrad, seconde cité de l’Union Soviétique.
Au volant de sa Volvo 140 de location, Malko s’orienta, entrant en ville. Il ignorait encore tout de sa mission et s’était arrêté à Paris pour un peu de shopping, avant de prendre un vol via Stockholm. Tous les Paris-Helsinki étaient bourrés, à longueur d’année. La Finlande se développait à vue d’œil... En dépit des quinze vols par semaine, il avait eu du mal à trouver une place en classe « affaires ».
Tournant à droite, il déboucha dans Mannerheimintie et deux kilomètres plus loin se gara en face de l’Intercontinental. Le soleil tapait comme en Sicile ! Béats, les Finlandais profitaient de cet été exceptionnel pour travailler le moins possible.
À peine dans sa chambre, il appela le chef de station de la CIA, Donald Gast. Ce dernier se trouvait sous couverture USIS
.
– Je viens d’arriver, annonça-t-il dès qu’il l’eut en ligne.
– On peut avoir un briefing dans une demi-heure ? proposa aussitôt l’Américain. Je suis juste en face de la gare. Au 10 Kaivokatu. Katu, ça veut dire rue. Quatrième étage.
Il semblait vraiment pressé de le voir.
Malko raccrocha, intrigué par cette hâte. À travers sa vitre, il apercevait un petit lac et de paisibles trams.
– Donald Gast !
Le chef de station de la CIA secoua la main de Malko comme s’il voulait la détacher de son poignet.
L’Américain était rond comme un tonneau avec une bonne bouille de jouisseur, de grosses lunettes et des cheveux gris très courts. La cinquantaine. Quand il s’assit, la masse de ses cuisses tendit tellement le tissu de son pantalon que Malko crut qu’il allait exploser. Celui-ci avait garé sa Volvo sur le trottoir, les rues encombrées de tramways étant imperméables au parking. En face, la gare ressemblait à un monument stalinien des années trente. Massive et grisâtre. Gaie comme un camp de concentration. Quelques hippies traînaient devant, prenant le soleil.
– Café ?
L’éternel et insipide breuvage américain heureusement amélioré par beaucoup de sucre. On frappa à la porte et une tête chevaline se pointa avec un sourire. Donald Gast lui fit signe d’entrer.
– Come on in, Jimmy.
Jimmy était aussi long et maigre que Donald était rondelet. Ce dernier fit les présentations.
– Jimmy Mac Lane. FBI spécial agent.
Malko ne montra rien de sa surprise. C’était rarissime de voir collaborer les hommes des deux agences fédérales, leurs « maisons » se détestant cordialement. Jimmy s’installa et prit sa ration de café.
– Vous avez fait bon voyage ? s’enquit poliment Donald Gast.
– Excellent, fit Malko. Que se passe-t-il ? Les Soviétiques se préparent à envahir le pays ?
– Non, non protesta Gast en riant, ils sont déjà sept cents à l’ambassade, ça suffit ! Ils se tiennent très tranquilles.
Gentleman’s agreement. On vous a peut-être fait venir pour rien ; mais on a une histoire bizarre sur les bras. Je vais laisser Jimmy vous la raconter.
Le special agent du FBI exhiba ses incisives énormes et jaunâtres avec un hennissement rentré.
– Voilà, dit-il, vous savez que ma boîte se lance de plus en plus dans l’antiterrorisme. Nous avons maintenant une « proactive policy
». Ce qui signifie qu’on se démène vraiment et qu’on a des crédits.
Malko en avait entendu parler. Cette nouvelle attitude faisait grincer des dents la CIA. Donald Gast souriait jaune. Le special agent du FBI continua :
– J’ai monté à Helsinki un petit réseau d’informateurs concernant le terrorisme moyen-oriental. Comme dans chaque grande capitale européenne.
– Il y a des Arabes ici ? demanda Malko.
C’est Donald Gast qui répondit.
– Environ deux cents : des Palestiniens, des Irakiens, des Libanais. Beaucoup sont mariés à des Finlandaises. Elles adorent les peaux brunes et vont à la chasse en Grèce ou en Italie. Plus une poignée d’Iraniens. Cependant les Finlandais sont très stricts sur l’immigration. Le PLO
a également un bureau ici.
– Et ces gens-là sont impliqués dans le terrorisme ?
– Ce n’est pas le cas à ce jour, remarqua prudemment Donald Gast. Jimmy, continuez.
– Donc, fit le
special agent du FBI, j’avais recruté un informateur chez les Palestiniens, Payé au mois. Un certain Khalil Aynam. Avec pour mission de « checker » tous les Arabes du coin et les Finlandaises maquées avec eux. Dont une journaliste finlandaise, Aija Sunblad, qui, selon des rumeurs, aurait un mystérieux amant moyen-oriental. Nous l’avons déjà fait
cribler. Apparemment, cette jeune femme a un excellent back-ground et on ne lui connaît aucune activité politique.
– Pour que je sois ici, il doit bien y avoir quelque chose de plus, objecta Malko.
– Mon Khalil Aynam a été assassiné la semaine dernière, annonça Jim Mac Lane. Poignardé sauvagement dans une cabine téléphonique. Au moins vingt blessures.
– Qu’en dit la police finlandaise ?
– Elle a conclu au crime d’un fou. L’arme était vraisemblablement un puukko, le poignard finlandais traditionnel. Khalil Aynam n’a pas été volé, ni même fouillé. À ce jour, on n’a encore arrêté personne.
– C’est tout ? interrogea Malko, déçu.
Nouveau sourire chevalin.
– Non, pas vraiment. Quelques heures avant sa mort, Khalil Aynam dansait avec notre « cible » Aija, dans un night-club. Interrogée, la journaliste a déclaré qu’il était monté boire un verre chez elle pour repartir une demi-heure plus tard. Elle ignorait ce qu’il avait fait ensuite...
Un ange passa. Cela ressemblait à tout, sauf à une affaire de terrorisme.
Malko se racla la gorge.
– Je suppose qu’en Finlande, il y a des fous, comme partout ailleurs...
— Bien sûr, approuva Donald Gast. Mais il y a quand même un petit détail que Jimmy a oublié. Quand Khalil a été tué, il était en train de lui téléphoner. D’une cabine publique située à deux pas de chez Aija Sunblad... Il a eu la femme de Jimmy qui lui a demandé de patienter. Quand Jimmy a pris l’appareil, il n’y avait plus personne. Le tueur était passé par là.
– On peut donc supposer, compléta Jimmy Mac Lane, que Khalil avait appris quelque chose d’important
chez Aija et qu’il a voulu me le communiquer immédiatement, se sentant menacé. Quelque chose d’assez « hot » pour qu’on l’élimine en pleine rue...
Malko hocha la tête.
– Chez les terroristes, c’est plutôt l’arme à feu...
– Certes, admit Donald Gast, mais le tueur craignait peut-être d’attirer l’attention. Ou avait une autre raison que nous ignorons. Khalil Ayman a dû être suivi depuis sa sortie de chez Aija Sunblad...
– Donc, elle serait complice ? demanda Malko. La police n’y a pas pensé ?
– Si, bien sûr, mais ils n’ont rien trouvé. Ils prétendent qu’elle est transparente, qu’elle n’a même pas eu une aventure avec lui. Elle avait rencontré Khalil dans un cocktail professionnel et il l’avait « tamponnée », à notre demande.
L’ange repassa. On était en plein fait divers. Loin de l’espionnage et du terrorisme.
– Qu’attendez-vous de moi ? demanda Malko.
– Une petite enquête, répondit aussitôt Donald Gast. Officiellement pour la station d’ici mais c’est sur le budget de Jimmy. Il a demandé à ses patrons, ils sont d’accord. Ici, ils n’ont personne pour ce genre de job. La police finlandaise piétine, n’ayant aucune piste... Ils attendent d’arrêter un dingue. L’interrogatoire d’Aija n’a fourni aucun élément. Pas de témoins. Rien. Les gens du PLO sont aussi étonnés que nous. Seulement, je ne crois pas aux coïncidences. Khalil n’était pas un excité. Il n’a pas appelé Jimmy simplement pour lui raconter qu’il avait sauté Aija. Il avait un truc à lui dire. Un truc urgent et grave. Jimmy lui avait recommandé de ne l’appeler chez lui qu’en cas d’extrême nécessité. Les Finlandais ont beau jurer que les écoutes téléphoniques n’existent pas chez eux, nous nous méfions. Donc, je voudrais que vous repreniez l’enquête, à zéro.
– À partir de quoi ?
– Aija Sunblad. S’il y a un loup, c’est autour d’elle. D’après les policiers finlandais, tous les Libanais et les Palestiniens d’ici sont innocents comme des agneaux.
Malko dissimulait mal sa surprise devant cette offre bizarre.
– Je ne vois pas pourquoi cette Aija Sunblad se confierait à moi. En plus, mon finnois est très limité.
– Elle parle quatre langues, dont l’anglais, coupa Donald Gast. Vous êtes un vrai professionnel, vous allez vite sentir si elle est claire.
– Comment vais-je la rencontrer ?
L’Américain consulta sa montre.
– Dans une heure exactement. À un cocktail à l’Intercontinental organisé par MTV, la chaîne privée finlandaise. Si vous ne trouvez rien, vous passerez peut-être quelques moments agréables avec une très jolie femme.
– Merci, dit Malko. Mais Helsinki ne me paraît pas follement gai...
– Vous verrez, on s’y fait...
– Il faut un « montage » pour aborder cette Aija, objecta Malko. Si vous soupçonnez qu’elle puisse être mêlée à quelque chose...
L’Américain eut un sourire fin.
– Bien sûr. Avant ce cocktail, vous allez faire la connaissance d’un de nos meilleurs stringers. Un journaliste de l’agence STT pour laquelle travaille Aija Sunblad, Ilnari Kaarnola. C’est lui qui va vous présenter, sous votre vrai nom. Comme un confrère autrichien...
Décidément, Malko ne cessait plus d’être journaliste. Mais à Helsinki cela présentait moins de risques qu’à Kaboul...
.
L’Américain griffonna une adresse et la lui tendit.
– Voilà, il vous attend. Il est au courant de beaucoup de choses, parce qu’il a des copains chez les flics. Et il est farouchement antisoviétique, c’est la raison pour laquelle il collabore avec nous. Vous verrez : un type très bien, un peu porté sur la vodka comme tous les Finlandais... Ensuite, vous volez de vos propres ailes.
Le special agent du FBI montra ses grandes dents jaunes dans une mimique inquiète.
– J’espère que vous obtiendrez un résultat. À Washington, on commence à dire que je suis parano...
Un sourire de bouddha sur son large visage piqueté de taches de rousseur, les yeux presque complètement fermés, Ilnari Kaarnola, assis derrière son bureau encombré de papiers, parlait d’une voix douce, la bouche collée à un téléphone. Il souleva une paupière, le temps de dire à Malko de s’installer... Son bureau, au 22 de la rue Yrjönkatu, un box vitré au fond d’une grande salle de rédaction, était minuscule.
Une somptueuse blonde avec des jambes qui n’en finissaient pas entra pour déposer des papiers, et ressortit, ignorant Malko. Ilnari Kaarnola finit par raccrocher et rouvrit enfin les yeux avec un sourire angélique.
– Vous êtes l’ami de Donald ?
Plus une affirmation qu’une question. Malko opina de la tête et le Finlandais reprit un crayon, penché sur une feuille pleine de signes cabalistiques.
– Je suis en train de planifier les vacances de mes collaborateurs, expliqua-t-il avec un sourire. Si cela vous intéresse, Aija Sunblad part justement le 22 juin. Les congés c’est un vrai casse-tête et je n’ai pas beaucoup de temps à vous consacrer maintenant. Je sais ce qu’on attend de moi. Je vous présenterai à Aija tout à
l’heure, au cocktail. Comme un confrère autrichien. Votre nom, c’est quoi ?
– Malko Linge.
Le Finlandais griffonna et se leva.
– À tout à l’heure.
– Vous ne savez rien sur l’affaire Khalil ? demanda Malko, un peu déçu par cet entretien hyper rapide.
– J’apprendrai peut-être quelque chose cette nuit. Je ne veux pas en discuter au téléphone, j’ai un ami à la SUPO
, mais il faut que j’aille le voir. Vous savez, on n’en parle déjà presque plus, c’était un étranger...
Les Finlandais n’étaient pas racistes, juste un peu xénophobes. L’habitude de vivre entre eux. Dans ce pays, les étrangers se comptaient par centaines, pas par millions. Malko se retrouva dans Yrjönkatu, bordée de massifs immeubles de pierre taillée, un peu tristounets. Il avait hâte de faire la connaissance de la journaliste finlandaise.
Aija Sunblad valait le détour. Malko n’arrivait pas à détacher son regard d’elle. Ses yeux étaient si étirés en amande qu’on aurait dit une Orientale. Quant à sa bouche, charnue, bien dessinée, elle semblait prête à avaler tous les sexes du monde. Il était fasciné par le long cou qui lui donnait un air romantique en diable, démenti par la sensualité du visage. Elle trônait comme une déesse blonde au milieu d’un cercle d’admirateurs, une coupe de champagne à la main.
Une centaine de Finlandais des deux sexes s’empif fraient de toutes les variétés connues de harengs dans un brouhaha d’enfer, tassés comme dans le métro, dans la salle à manger de l’
Intercontinental. Une majorité
d’hommes. Malko avait retrouvé Ilnari Kaarnola en conversation animée avec un gros tas de saumon fumé, les lunettes sur le front, assis sur une banquette. Il lança à Malko un regard égrillard.
– Jolie fille, non ? Et, en ce moment, on ne lui connaît aucune liaison.
Il venait de la lui désigner. Effectivement, Aija ressemblait à une Rolls perdue dans un océan de Deux Chevaux... Sa stricte robe bleue accentuait les courbes de son corps mince, avec pourtant une chute de reins cambrée à souhait. Très gaie, secouant ses cheveux bouclés au moindre éclat de rire, mesmerisant les mâles qui l’entouraient.
Malko l’observa un bon moment. Elle bougeait avec grâce, sans l’espèce de raideur qu’on trouve parfois chez les Scandinaves.
Ilnari Kaarnola avala une dernière miette de saumon, comme un lézard gobe une mouche, lampa une vodka et se leva.
– Allons-y !
Au moment où ils rejoignaient le groupe entourant Aija, tous s’esclaffèrent. Le journaliste finlandais se pencha à l’oreille de Malko :
– Ils lui proposent de partager leur sauna collectif tout à l’heure.
Ilnari Kaarnola prit le bras d’Aija qui se retourna et l’embrassa aussitôt chaleureusement. Quelques phrases en finnois où Malko saisit son nom et Aija Sunblad lui tendit la main avec un sourire ravageur. De près, elle était encore plus séduisante.
– Bienvenue en Finlande, Mr Linge. Qu’êtes-vous venu étudier ?
– La civilisation du sauna ! répliqua Malko, improvisant.
Aija ne parut pas surprise et éclata de rire.
– C’est vrai ! Chez nous, c’est une folie ! Le sauna et la bicyclette. C’est très sain. Vous avez déjà essayé ?
– Pas encore, avoua Malko.
Les yeux verts en amande auraient rendu fou le plus borné des ayatollahs. En dépit de son maintien strict, Aija dégageait une aura sexuelle hors du commun. À part sa bouche, elle était à peine maquillée, et ne portait qu’un seul bijou. Un somptueux bracelet en or, brillants et ébène, un crocodile enroulé autour de son poignet droit. Pas le genre d’objet qu’on trouvait en Finlande...
Ilnari Kaarnola s’éclipsa et Malko se retrouva presque seul avec la jeune femme. Les invités commençaient à s’en aller, le buffet nettoyé comme par un vol de sauterelles...
Il attrapa une coupe de Moët sur le plateau d’un garçon et la tendit à la journaliste. Celle-ci jeta un coup d’oeil à sa montre.
– Vous êtes pressée ? demanda Malko.
– Je voulais prendre un sauna, mais il est déjà tard.
– J’ai des tas de questions à vous poser, dit-il. Voulez-vous dîner avec moi ?
Elle hésita à peine. Visiblement, l’introduction d’Ilnari Kaarnola avait du poids.
– Oui, à condition de ne pas rentrer trop tard.
– J’espère que cela ne dérange pas votre mari que je vous emmène dîner.
Aija Sunblad eut un sourire amusé.
– Je n’ai pas de mari et je vis seule. Nous sommes beaucoup dans ce cas en Finlande. Il y a plus de femmes que d’hommes. Et ceux-ci ne pensent qu’à travailler, à faire du sport et à boire. Et puis, une femme cela coûte cher et les impôts sont très élevés.
— Où allons-nous ? demanda-t-il.
— Il y a un endroit agréable, proposa-t-elle. Le Kulosaari Casino, sur l’île de Kulosaari.
Soudain, alors qu’il s’apprêtait à partir, une femme le frôla, tendant la main pour saisir un verre sur le plateau d’un serveur. Son geste trop brusque le fit se renverser sur la manche de Malko et la maladroite poussa une exclamation désolée.
– Oh, I am so sorry !
Malko se trouva nez à nez avec l’opposé d’Aija. Une grande brune pulpeuse au nez aquilin, avec une énorme bouche entrouverte sur des dents d’un blanc éblouissant et de grands yeux marron qui le fixaient sans ciller, avec audace. Les yeux d’une femme qui a envie de se faire baiser. La poitrine somptueuse était moulée par un pull de fine laine blanche et une longue jupe ample dissimulait les jambes...
Malko lui sourit.
– Ce n’est que du champagne, cela porte bonheur !
Il se retourna vers Aija, mais la jeune femme avait déjà été happée par un des derniers hôtes du cocktail. La brune se mit à lui frotter la manche de sa veste maladroitement avec une serviette.
Un groupe s’était reformé autour d’Aija et Malko voulut la rejoindre, mais la nouvelle venue se planta devant lui et demanda d’un air gourmand :
– Je ne vous connais pas. Vous êtes nouveau à Helsinki ?
– De passage, dit Malko. Malko Linge, je suis journaliste autrichien.
Le visage de la brune s’éclaira encore plus.
– Ah, je connais bien Vienne ! Qu’est-ce que vous faites ici ?
– Reportage. Sur la vie en Finlande.
– Vous avez de la chance, moi je suis réfugiée politique, fit-elle. Libanaise. Je donne des cours de français et d’arabe. À la jeune femme qui est avec vous, entre autres. Si vous voulez, je pourrai vous raconter
quelques histoires amusantes sur les Finlandais et les Finlandaises.
Ses yeux étaient vrillés dans les siens. Elle était carrément en train de le draguer...
– Pourquoi pas ? dit Malko, sans se compromettre.
– Appelez-moi. Je m’appelle Samira Beaj. 134543. Le matin surtout. Et vous ?
– J’habite ici, dit-il Chambre 345.
Il nota le numéro et elle se décolla enfin. Malko rejoignit Aija qui lui lança avec un sourire mi-figue mi-raisin :
– Vous vous faites vite des amis.
– Je crois que vous la connaissez.
— Oui, bien sûr, c’est une réfugiée. Elle a rencontré un Finlandais dans la Finul et il l’a aidée à obtenir un permis de séjour. Elle me donne des leçons d’arabe et de français.
– Allons-y, dit Malko.
Au moment de franchir la porte, il aperçut Ilnari Kaarnola et alla vers lui pour le remercier. Ce dernier lui glissa à l’oreille :
– Si vous avez le temps, après, passez à mon bureau, j’y suis jusqu’à minuit. Je crois que je vais avoir du nouveau sur le meurtre de Khalil Aynam.
Aija Sunblad attendait dans le hall, couvée des yeux par un groupe de Japonais et il l’entraîna vers sa Volvo. Se demandant qui, d’elle ou du stringer de la CIA, allait lui apprendre quelque chose.