CHAPITRE VIII
Le grand blond en jeans et blouson de cuir avec d’étonnants yeux bleus délavés dégustait un saucisson à l’ail accompagné de pain noir, à demi allongé sur le siège de sa vieille Volga, ses jambes dépassant par les portières ouvertes, la radio à tue-tête. Un milicien avait bien essayé de le faire bouger, mais il l’avait envoyé promener. Il adressa un clin d’œil à Malko lorsqu’il passa devant lui.
De jour, le Sovietskaya était encore plus sinistre avec sa façade grisâtre de béton fatigué. Malko faisait les cent pas derrière les rangées de bus attendant les groupes de touristes. Ceux-ci franchissaient sans cesse la porte et se ruaient vers leurs guides respectifs. Huit heures et demie. Il était là depuis sept heures et, grâce aux dollars, avait même conservé le taxi qui l’avait amené du Leningrad, celui du grand blond qui avait foncé s’acheter des cassettes rock et une bouteille de Gaston de Lagrange avec les dollars qu’il lui avait déjà donnés.
Des paquets de kolkhosiens dévalaient le perron, mais pas de Aija. Il n’y avait pourtant qu’une sortie. Un à un les bus démarraient. Enfin, une silhouette blonde au long cou franchit la porte, aidée galamment par un milicien coiffé d’une casquette au bandeau rouge. Malko eut un petit choc au cœur  : Aija Sunblad portait le sac en cuir fauve à la main... Comme il y avait peu de chance que ce soit pour faire un dépôt dans une banque soviétique, c’était forcément pour le remettre à quelqu’un. Elle se dirigea vers un des derniers bus et y monta. Malko s’approcha à son tour et fut aussitôt interpellé par la guide de l’Intourist.
Ruski Museum  ?
Niet, spasiba,1 répondit Malko.
Il savait ce qu’il voulait. Son chauffeur lampait une bonne rasade de cognac pour faire passer le saucisson à l’ail lorsqu’il se laissa tomber sur la banquette défoncée de la Volga.
– Ruski Museum, annonça-t-il.
Le Soviétique se retourna avec un sourire ravi.
Karacho  !
Il entrevoyait un avenir radieux avec tous ces dollars qui pleuvaient. Ils dévalèrent Zagorodny Prospekt jusqu’à une petite place où se dressait le musée d’Art russe, au fond d’un jardin. Dieu merci, la circulation était modeste... Toutes les rues se ressemblaient, seule variante  : la longueur des queues qui s’allongeaient devant les rares magasins.
Des couples flirtaient sur les bancs du jardin au fond duquel se dressait le musée. Malko laissa son chauffeur à son saucisson et se posta non loin de l’entrée. Dix minutes plus tard, l’autocar d’Aija Sunblad s’arrêta place Ingenernaia et la jeune femme en descendit, mêlée aux autres touristes, presque tous des Soviétiques à leur allure.
Malko la laissa prendre de l’avance. Pour une raison inconnue, l’entrée principale était condamnée et on pénétrait dans le musée par une porte de côté, à droite, suivant ensuite un long couloir en sous-sol, avant de remonter au rez-de-chaussée. La cohue était telle que Malko ne craignait guère d’être vu. Comme les autres visiteurs, Aija commença par explorer les salles de peinture du rez-de-chaussée, sans se presser. Malko ne la quittait pas des yeux, sinuant entre des groupes immobilisés devant une œuvre plus ou moins révolutionnaire, écoutant gravement les commentaires des guides.
À un moment, il se retrouva coincé derrière un groupe compact et Aija Sunblad prit de l’avance. Il dut alors commettre sa première imprudence  : traverser deux salles d’icônes, presque vides. Hélas, la troisième était une rotonde en cul-de-sac  ! Il parvint à l’entrée juste au moment où la Finlandaise faisait demi-tour.
D’un brusque pas de côté, il disparut de sa vue, bousculant au passage une vieille baba assise sur un pliant, surveillante théorique des lieux. Elle grogna sans même lever la tête. Payée cent roubles par mois, elle se contentait de faire de la présence... Malko demeura de dos à la salle, plongé dans la contemplation d’une rarissime icône du XVIIe. Lorsqu’il se retourna, Aija Sunblad avait disparu. La salle suivante était vide. Il se rua vers le palier donnant sur un monumental escalier menant au premier étage. Encombré par plusieurs dizaines de visiteurs. Il parcourut les groupes du regard.
Aucune trace d’Aija.
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Malko explora deux salles proches de l’escalier, abritant des peintures 1900, puis revint sur ses pas. Il était pris dans un affreux dilemme  : chercher activement la Finlandaise et peut-être se trouver nez à nez avec elle, ou la perdre définitivement.
Revenu au pied de l’escalier majestueux qui menait au premier étage, il hésita. Une chance sur deux de se tromper. Finalement, il l’emprunta. En haut, les salles contenaient d’immenses tableaux de guerre gardés par des babas somnolentes, soulevant de temps à autre une paupière lourde.
Il traversa comme un trait plusieurs salles, de plus en plus angoissé. Et aperçut enfin les cheveux blonds d’Aija Sunblad au milieu d’une forêt de casquettes de stakhanovistes béats, subjugués par un tableau représentant des ouvriers et des paysans montant à l’assaut de la contre-révolution.
Il demeura en arrière du groupe. Rassuré. Aija en émergea et Malko eut un coup au cœur  : le sac marron avait disparu. Machinalement, il la suivit quelques mètres, puis revint sur ses pas. Qu’en avait-elle fait  ? Il scrutait tous les visiteurs, mais personne ne portait de sac semblable. Il réalisa soudain que celui à qui elle l’avait donné allait fatalement ressortir du Musée, quel que soit l’endroit où il se trouvait  !
Fendant frénétiquement la foule à contresens, il fonça vers la sortie, empruntant le passage du sous-sol. Il émergea dans le jardin, essoufflé, regarda autour de lui. Un jet d’adrénaline. Un groupe de trois hommes franchissait la grille. Celui du centre, les épaules larges serrées dans un blouson de cuir, balançait le sac de cuir fauve à bout de bras  !
Malko démarra comme Ben Johnson sous anabolisant, intriguant les amoureux agglutinés dans tous les coins. Lorsqu’il atteignit la grille, les trois inconnus avaient disparu  ! Une Volga grise démarrait et il vit plusieurs passagers à l’intérieur, sans pouvoir distinguer leurs visages. Il se rua à la recherche de son taxi. Hélas ce dernier était coincé par trois bus  ! La Volga avait disparu. Furieux et déçu, il se retourna. Nouveau choc  : Aija Sunblad arrivait par l’allée centrale  ! Il fit aussitôt demi-tour, mais leurs regards s’étaient croisés, et il fut presque certain que la jeune femme l’avait vu. Mais l’avait-elle reconnu  ?
D’une humeur de chien, il remonta dans son taxi et se fit reconduire au Leningrad. Plus la peine de suivre Aija. La jeune femme avait délivré son paquet sous le nez de Malko. Il réalisait maintenant que sa manœuvre d’évitement avait été volontaire... C’était une professionnelle de la vie clandestine. Inattendu chez cette journaliste... Il donna encore 5 dollars à son chauffeur et entra à l’hôtel.
Il n’avait plus rien à faire à Leningrad.
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Un «  hooligan  » aux yeux injectés de sang, imprégné de vodka comme une éponge, s’amusait à déchirer son vieux blouson de cuir avec ses dents, pour le plus grand plaisir de ses copains. Une vieille Américaine, ravie, mitraillait au Nikon ces éléments anti-sociaux, tout en sirotant un Gaston de Lagrange.
Le bar au rez-de-chaussée du Leningrad n’acceptait que les devises, ce qui en faisait le QG des étrangers et des Soviétiques impliqués dans tous les trafics. Fonctionnaire comme tous les Russes, le barman jouait aux cartes dans l’arrière-salle et n’apparaissait qu’au douzième appel. Malko en était à sa seconde vodka. Après un bref moment de découragement, il s’était remis mentalement au travail.
Pourquoi avoir choisi l’Union Soviétique, pays très surveillé, pour cette opération clandestine  ? La réponse était simple  : il s’agissait de gens protégés à l’Est et recherchés à l’Ouest. Ce qui s’appliquait à tous les groupes terroristes palestiniens et assimilés. Certes, les Soviétiques n’aimaient pas beaucoup ce genre d’activités, mais ils avaient toujours peu ou prou protégé les groupuscules se livrant au terrorisme, les entraînant et leur permettant de transiter librement dans les pays sous influence du KGB. Il n’avait vu les trois hommes que de dos. Impossible de dire s’ils étaient arabes ou non.
À côté de lui, le «  hooligan  » dévorait à belles dents la manche de son blouson. Malko laissa quelques marks finlandais sur la table et se leva. Son chauffeur attitré l’accueillit avec des manifestations de joie touchantes.
Sovietskaya, dit Malko.
L’autre parut quand même surpris  : dans une ville comme Leningrad, se contenter de faire la navette entre deux hôtels, il n’y avait que ces fous de capitalistes pour faire ça. Mais les porteurs de dollars avaient tous les droits.
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Malko surveillait le hall d’entrée du Sovietskaya, allant de la Beriotzka, dans l’autre bâtiment, à l’esplanade où les bus chargeaient les touristes. Ignorant même si Aija Sunblad se trouvait à l’hôtel. Peut-être allait-elle revoir celui à qui elle avait remis le sac.
Deux heures plus tard, il la vit entrer. Portant quelques modestes paquets. Qu’avait-elle bien pu trouver à acheter  ? Il était sept heures. Stoïque, il continua sa garde jusqu’à neuf heures, assistant au départ pour les ballets et le cirque. Son chauffeur commençait à se décourager. Malko lui redonna encore un paquet de Marlboro et cinq dollars, au cas où il aurait besoin de lui et alla grignoter un sandwich au saucisson à l’ail dans la petite cafeteria de l’hôtel.
Neuf heures  ! Les restaurants soviétiques fermaient tôt. Aija n’allait pas dîner. Ou quelqu’un était venu la voir. Malko pensa soudain à l’immense restaurant du dernier étage et s’y rua. Plein de kolkhosiens, mais pas de Finlandaise. S’enhardissant, il redescendit au seizième étage, un peu au hasard.
La babouchka n’était pas là. La porte du 1634 l’attirait comme un aimant. Que faire  ?
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Aija Sunblad, assise sur le lit étroit, maquillée, habillée, guettait les bruits du couloir, le cœur battant la chamade. Il était près de dix heures du soir et les occupants du Sovietskaya étaient tous dans les restaurants. Ensuite, on ne pouvait plus manger en Russie. Mais elle n’avait pas faim. Quand on frappa à la porte, elle se leva si brutalement qu’elle renversa un verre.
La porte s’ouvrit en grinçant sur une silhouette trapue. Un homme vêtu d’un gros blouson de cuir foncé avec une chemise ouverte et des jeans. D’un élan sauvage, Aija se jeta contre lui, écrasant sa grosse bouche sur la sienne. La moustache fournie lui piqua délicieusement la peau, l’odeur du cuir la fit chavirer. Son corps en tremblait d’excitation. Une cuisse massive se glissa entre les siennes et elle la serra de toutes ses forces, frottant son mont de Vénus contre le jeans. Elle sentait des mains qui la palpaient, qui lui arrachaient les bretelles de son soutien-gorge. Une main releva la jupe de son tailleur, atteignit son ventre. Appuyée au mur de la salle de bains, elle défaillait...
Comme une poupée molle, elle se laissa glisser le long de l’homme, sans un mot.
À genoux sur la moquette râpée, elle défit avec des gestes maladroits et fébriles la ceinture et le zip du jeans qui tomba à terre. Son crissement lui envoya une décharge électrique dans la colonne vertébrale. Son cœur cognait contre ses côtes comme si elle avait couru un marathon.
Violemment, elle tira sur le slip qu’elle baissa sur les cuisses velues. (Un ridicule slip orange en coton.) Puis, émerveillée, elle contempla quelques secondes ce qu’elle venait de libérer. Un sexe extraordinairement long, bien qu’encore au repos. Le gland décalotté reposait sur la cuisse, près de vingt centimètres plus bas. Elle leva la tête, rencontra le regard fat de son propriétaire. Depuis son plus jeune âge, ce dernier avait été habitué à cette admiration, mais il ne s’en lassait pas. Depuis qu’il s’était dévoué corps et âme à la politique, il joignait l’utile à l’agréable. Aija n’était pas la première femme qu’il mettait à son service de cette façon. Il n’en éprouvait qu’un plaisir fugitif et violent, son cerveau cessant rarement de fonctionner, axé sur une idée fixe  : la destruction d’Israël. Ses traits réguliers, ses yeux clairs et son charme auraient pu en faire un play-boy  : il avait choisi une autre voie. Ses doigts saisirent la nuque d’Aija, approchant son visage de son ventre.
Goulûment, elle l’enfourna dans sa bouche, le soulevant entre ses deux mains réunies en coupe. Bien entendu, étant donné sa taille, il lui était impossible de l’avaler complètement, mais elle sentait sa masse heurter le fond de sa gorge et les larmes lui en venaient aux yeux.
Bien calé sur ses jambes légèrement écartées, l’homme se laissait faire, caressant distraitement les cheveux blonds. Peu à peu, sous la bouche et les doigts de sa partenaire, son sexe se dressait le long de son ventre. Véritablement monstrueux. Il n’avait guère augmenté de longueur, mais le sang se ruait dans le corps caverneux, le transformait en un mât d’une rigidité impressionnante. Aija ne se lassait pas de le caresser, passant de l’énorme extrémité cramoisie à la hampe veinée de bleu, légèrement recourbée. Subrepticement, elle glissa ses doigts dans son ventre à elle et elle jouit immédiatement... L’homme n’en avait cure. Le sang affluait dans son bas-ventre et son plaisir augmentait sans cesse. Il avait l’impression d’avoir à ses pieds la plus docile des putes. Ce n’en était pas une et c’était encore meilleur.
Maintenant, Aija faisait rouler la hampe entre ses doigts comme un monstrueux cigare, tandis que sa bouche engouffrait l’extrémité mafflue. Cette combinaison arracha une plainte de plaisir à l’homme et elle lui offrit en écho un gémissement passionné.
– Jamais je ne t’ai vu aussi gros  ! murmura-t-elle pendant une courte pause.
Dès leur première rencontre, ce sexe avait été sa folie. Une envie irrépressible. Son amant s’était amusé à la prendre dans les endroits les plus invraisemblables, elle n’avait jamais dit non. Le seul fait de toucher ce gros cylindre à travers son jeans dans un endroit public la faisait jouir.
Sans vraie douceur, il la releva et regarda autour de lui. Docile, elle attendait, le ventre en feu et trempé. Il la traîna jusqu’à la table de bois, la débarrassa d’un revers et la fit s’y allonger sur le dos, la tête renversée en arrière, légèrement pendante dans le vide. Juste à la hauteur de son sexe. D’elle-même, elle ouvrit la bouche. Dans cette position, sa gorge était dans l’alignement de sa cavité buccale. Avec une lenteur sadique, l’homme s’y enfonça bien dans l’axe, jusqu’à ce que tout son sexe s’y soit englouti. C’était hallucinant  ! Les larmes perlaient aux yeux d’Aija, elle avait l’impression d’étouffer, et, en même temps, ce viol inhabituel inondait son ventre.
L’homme commença à aller et venir, se servant de sa bouche comme d’un sexe  ! Elle aurait voulu lui dire qu’elle aurait préféré qu’il prenne son ventre, mais il s’en moquait. Elle en était folle. L’idée d’être privée un jour de ce membre gigantesque lui donnait des sueurs froides...
L’homme s’était penché et lui triturait les seins avec un sadisme dont elle raffolait. Son mouvement s’accéléra et brutalement, il lâcha dans sa gorge un jet de semence avec un cri rauque. Tout son corps en fut secoué. Encore en train de jouir, il la retourna d’un coup, l’amena à genoux contre le bord de la table et lui entra son membre par-derrière d’un seul coup, lui arrachant un hurlement de plaisir et de douleur. À peine dégonflé, le sexe faisait presque éclater son vagin et elle se sentait remplie jusqu’à la matrice.
En quelques coups de reins, il l’amena à l’orgasme, ressortit, tâtonna un peu et lui arracha un hurlement quand il força l’ouverture de ses reins. Avant d’avoir joui, il n’y était jamais parvenu... Aija criait sans arrêt, parcourue de sensations si violentes qu’elle avait l’impression de mourir.
Les mains crispées sur ses hanches, l’homme se servait de ses reins comme il avait utilisé sa bouche, avec un égoïsme total. Ce qui l’excitait, c’était de se regarder, de voir l’énorme colonne brune s’enfoncer de toute sa longueur dans l’ouverture distendue et d’entendre les râles de la jeune femme.
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Les hurlements d’Aija Sunblad s’entendaient jusqu’aux ascenseurs. Heureusement, la «  babouchka  » n’était toujours pas revenue et les voisins se trouvaient toujours au restaurant.
Malko, dans le couloir, surveillait à la fois la porte du 1634 et les ascenseurs... Il ne regrettait pas d’être revenu au Sovietskaya... Aija était presque à coup sûr avec l’homme à qui elle avait remis le sac marron. Il était passé sous le nez de Malko, qui, ne le connaissant pas, avait peu de chance de l’identifier. Maintenant, il fallait attendre qu’il sorte. Au minimum, voir son visage et, au mieux, le suivre.
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L’homme donna un dernier coup de reins et, son désir émoussé, se retira, encore à des dimensions étonnantes. Aija était couverte de sueur, son cœur battait à 150 pulsations et elle ne sentait plus le bas de son corps. Et pourtant, elle était merveilleusement heureuse. Morte de plaisir, avec l’impression que cette grosse bielle était encore au fond d’elle. Son partenaire remonta tranquillement son slip orange et son jeans et s’assit sur un des lits jumeaux avant d’allumer une cigarette. Aija se remit debout et tituba jusqu’à lui pour se laisser tomber, blottie dans ses bras. Elle glissa une main sous sa chemise, caressant les poils noirs de sa poitrine. Il lui flatta le cou.
– Tu as été très bien au musée, remarqua-t-il.
– Merci, souffla-t-elle.
Il faisait rarement des compliments. Il élevait rarement la voix aussi. C’était un introverti qui pouvait passer des heures, seul, à réfléchir. La vie clandestine, avec ses contacts limités, avait encore accentué ce trait de caractère. Aija s’était aperçue qu’elle ne savait de lui que ce qu’il lui avait dit. D’ailleurs, dès qu’elle se trouvait en sa présence, son désir était tel que le reste s’estompait. Réalisant qu’il s’était à peine servi de son ventre, elle se sentait frustrée, mais il avait horreur d’être forcé. Elle attendrait un peu puis le prendrait dans sa bouche. C’est une caresse à laquelle il ne résistait pas.
– Maintenant, demanda-t-il d’une voix posée, dis-moi tout ce qui s’est passé à Helsinki.
Il était aussi calme que s’il venait juste de bavarder. Doué d’une insensibilité totale. À part quelques satisfactions sexuelles, c’était un ascète  : pas de cigarettes, pas d’alcool et il se nourrissait n’importe comment..
Aija se lança dans un récit complet et circonstancié.
Il l’écouta d’abord sans l’interrompre, puis l’interrogea longuement sur le journaliste autrichien, et, pour conclure, hocha la tête.
– Tu as bien réagi.
Elle leva les yeux sur lui et dit d’une voix mal assurée  :
– Cet homme... il était avec Fredrik quand... Et je suis presque sûre de l’avoir vu au musée, aujourd’hui. Il me surveillait. Il a dû te voir.
Elle sentit son voisin se raidir.
– Tu es sûre  ?
Il n’y avait aucune tendresse dans sa voix.
Elle inclina la tête sans répondre. Se dégageant, il tira vers lui son attaché-case et l’ouvrit. À l’intérieur il y avait comme toujours plusieurs lettres prêtes à être envoyées. Ali écrivait beaucoup, ne pouvant guère voyager. Dessous se trouvaient un gros pistolet et un walkie-talkie. Il le prit.
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Le bruit des portes de l’ascenseur qui s’ouvraient alerta Malko. C’était déjà arrivé trois fois depuis le début de sa planque. Il fit quelques pas dans la direction opposée au palier puis revint sur ses pas, comme s’il arrivait d’une chambre au fond du couloir. Juste après la chambre d’Aija, il croisa deux hommes qui s’effacèrent pour le laisser passer. La faible lumière du couloir ne lui permettait pas de voir leur visage.
Il allait atteindre le palier lorsqu’une main se plaqua brutalement sur sa bouche et un violent coup de genou dans les reins le projeta en avant. Il comprit trop tard que les deux hommes étaient revenus sur leurs pas. Ce n’étaient pas de simples clients du Sovietskaya. Absorbé par sa surveillance, il n’avait pas pensé à cette menace... Tout cela traversa son cerveau en quelques secondes.
Son menton heurta douloureusement le sol. Il voulut prendre appui sur une main pour se relever mais une chaussure la lui écrasa, le clouant au sol. L’autre n’avait pas lâché prise, l’empêchant de crier. Tous deux devaient être entraînés aux sports de combat car ils ne faisaient aucun mouvement inutile et ne disaient pas un mot. L’un d’eux lui tordit les bras derrière le dos pour le forcer à se remettre debout. Ils le poussèrent violemment à travers le couloir mal éclairé. Il se débattit, mais ils le tenaient trop solidement. Il se demandait ce qu’ils voulaient. C’eût été facile de le poignarder, même s’ils ne souhaitaient pas utiliser d’arme à feu.
Ils arrivaient au fond du couloir. Brutalement, ils le projetèrent de toutes leurs forces contre le mur, l’étourdissant. En un clin d’oeil, un des deux le lâcha, se rua sur la baie vitrée du fond du couloir et l’ouvrit. Il revint vers Malko, se baissa et lui saisit les chevilles, le décollant du sol. L’autre poussa, le rapprochant de la fenêtre.
Inexorablement, ils gagnaient du terrain. Il aperçut seize étages plus bas le ciment du parking faiblement éclairé.
Malko se débattit désespérément, poussa un hurlement. Maintenant, sa tête dépassait à l’extérieur. Il s’accrocha de toutes ses forces au rebord de la fenêtre, arc-bouté, sachant qu’il ne faisait que gagner quelques secondes sur l’éternité.
1. «  Musée Russe  ? – Non, merci.  »