Scène 3

DORANTE, MONSIEUR REMY, MARTON

MONSIEUR REMY, regardant son neveu

Dorante, sais-tu bien qu'il n'y a pas de fou aux Petites-Maisons55 de ta force ? (Marton arrive.) Venez, Mademoiselle Marton.

MARTON

Je viens d'apprendre que vous étiez ici.

MONSIEUR REMY

Dites-nous un peu votre sentiment ; que pensez-vous de quelqu'un qui n'a point de bien, et qui refuse d'épouser une honnête et fort jolie femme, avec quinze mille livres de rente bien venants* ?

MARTON

Votre question est bien aisée à décider. Ce quelqu'un rêve.

MONSIEUR REMY, montrant Dorante

Voilà le rêveur ; et pour excuse, il allègue son cœur que vous avez pris ; mais comme apparemment il n'a pas encore emporté le vôtre, et que je vous crois encore à peu près dans tout votre bon sens, vu le peu de temps qu'il y a que vous le connaissez, je vous prie de m'aider à le rendre plus sage. Assurément vous êtes fort jolie, mais vous ne le disputerez point à un pareil établissement* ; il n'y a point de beaux yeux qui vaillent ce prix-là.

MARTON

Quoi ! Monsieur Remy, c'est de Dorante que vous parlez ? C'est pour se garder à moi qu'il refuse d'être riche ?

MONSIEUR REMY

Tout juste, et vous êtes trop généreuse pour le souffrir.

MARTON, avec un air de passion

Vous vous trompez, Monsieur, je l'aime trop moi-même pour l'en empêcher, et je suis enchantée : oh ! Dorante, que je vous estime ! Je n'aurais pas cru que vous m'aimassiez tant.

MONSIEUR REMY

Courage ! je ne fais que vous le montrer, et vous en êtes déjà coiffée56 ! Pardi, le cœur d'une femme est bien étonnant ! le feu y prend bien vite.

MARTON, comme chagrine

Eh ! Monsieur, faut-il tant de bien pour être heureux ? Madame, qui a de la bonté pour moi, suppléera en partie par sa générosité à ce qu'il me sacrifie. Que je vous ai d'obligation, Dorante !

DORANTE

Oh ! non, Mademoiselle, aucune ; vous n'avez point de gré à me savoir de ce que je fais ; je me livre à mes sentiments, et ne regarde que moi là-dedans. Vous ne me devez rien ; je ne pense pas à votre reconnaissance.

MARTON

Vous me charmez : que de délicatesse ! Il n'y a encore rien de si tendre que ce que vous me dites.

MONSIEUR REMY

Par ma foi, je ne m'y connais donc guère ; car je le trouve bien plat. (À Marton.) Adieu, la belle enfant ; je ne vous aurais, ma foi, pas évaluée ce qu'il vous achète. Serviteur, idiot, garde ta tendresse, et moi ma succession.

Il sort.

MARTON

Il est en colère, mais nous l'apaiserons.

DORANTE

Je l'espère. Quelqu'un vient.

MARTON

C'est le Comte, celui dont je vous ai parlé, et qui doit épouser Madame.

DORANTE

Je vous laisse donc ; il pourrait me parler de son procès : vous savez ce que je vous ai dit là-dessus, et il est inutile que je le voie.