Scène 10

ARAMINTE, LE COMTE, MADAME ARGANTE, MARTON, DUBOIS, ARLEQUIN

ARLEQUIN, en entrant

Tu es un plaisant magot* !

MARTON

À qui en avez-vous donc ? vous autres ?

DUBOIS

Si je disais un mot, ton maître sortirait bien vite.

ARLEQUIN

Toi ? nous nous soucions de toi et de toute ta race de canaille comme de cela.

DUBOIS

Comme je te bâtonnerais, sans le respect de Madame !

ARLEQUIN

Arrive, arrive : la voilà, Madame.

ARAMINTE

Quel sujet avez-vous donc de quereller ? De quoi s'agit-il ?

MADAME ARGANTE

Approchez, Dubois. Apprenez-nous ce que c'est que ce mot que vous diriez contre Dorante ; il serait bon de savoir ce que c'est.

ARLEQUIN

Prononce donc ce mot.

ARAMINTE

Tais-toi, laisse-le parler.

DUBOIS

Il y a une heure qu'il me dit mille invectives, Madame.

ARLEQUIN

Je soutiens les intérêts de mon maître, je tire des gages pour cela, et je ne souffrirai point qu'un ostrogoth64 menace mon maître d'un mot ; j'en demande justice à Madame.

MADAME ARGANTE

Mais, encore une fois, sachons ce que veut dire Dubois par ce mot : c'est le plus pressé.

ARLEQUIN

Je le défie d'en dire seulement une lettre.

DUBOIS

C'est par pure colère que j'ai fait cette menace, Madame ; et voici la cause de la dispute. En arrangeant l'appartement de Monsieur Dorante, j'ai vu par hasard un tableau où Madame est peinte, et j'ai cru qu'il fallait l'ôter, qu'il n'avait que faire là, qu'il n'était point décent qu'il y restât ; de sorte que j'ai été pour le détacher ; ce butor65 est venu pour m'en empêcher, et peu s'en est fallu que nous ne nous soyons battus.

ARLEQUIN

Sans doute, de quoi t'avises-tu d'ôter ce tableau qui est tout à fait gracieux, que mon maître considérait il n'y avait qu'un moment avec toute la satisfaction possible ? Car je l'avais vu qui l'avait contemplé de tout son cœur, et il prend fantaisie à ce brutal de le priver d'une peinture qui réjouit cet honnête homme. Voyez la malice* ! Ôte-lui quelque autre meuble, s'il en a trop, mais laisse-lui cette pièce, animal.

DUBOIS

Et moi, je te dis qu'on ne la laissera point, que je la détacherai moi-même, que tu en auras le démenti, et que Madame le voudra ainsi.

ARAMINTE

Eh ! que m'importe ? Il était bien nécessaire de faire ce bruit-là pour un vieux tableau qu'on a mis là par hasard, et qui y est resté. Laissez-nous. Cela vaut-il la peine qu'on en parle ?

MADAME ARGANTE, d'un ton aigre

Vous m'excuserez, ma fille ; ce n'est point là sa place, et il n'y a qu'à l'ôter ; votre intendant se passera bien de ses contemplations.

ARAMINTE, souriant d'un air railleur

Oh ! vous avez raison. Je ne pense pas qu'il les regrette. (À Arlequin et à Dubois.) Retirez-vous tous deux.