Scène 11
ARAMINTE, LE COMTE, MADAME ARGANTE, MARTON
LE COMTE, d'un ton railleur
Ce qui est de sûr, c'est que cet homme d'affaires-là est de bon goût.
ARAMINTE, ironiquement
Oui, la réflexion est juste. Effectivement, il est fort extraordinaire qu'il ait jeté les yeux sur ce tableau.
MADAME ARGANTE
Cet homme-là ne m'a jamais plu un instant, ma fille ; vous le savez, j'ai le coup d'œil assez bon, et je ne l'aime point. Croyez-moi, vous avez entendu la menace que Dubois a faite en parlant de lui, j'y reviens encore, il faut qu'il ait quelque chose à en dire. Interrogez-le ; sachons ce que c'est. Je suis persuadée que ce petit monsieur-là ne vous convient point ; nous le voyons tous ; il n'y a que vous qui n'y prenez pas garde.
MARTON, négligemment
Pour moi je n'en suis pas contente.
ARAMINTE, riant ironiquement
Qu'est-ce donc que vous voyez, et que je ne vois point ? Je manque de pénétration : j'avoue que je m'y perds ! Je ne vois pas le sujet de me défaire d'un homme qui m'est donné de bonne main, qui est un homme de quelque chose*, qui me sert bien, et que trop bien peut-être ; voilà ce qui n'échappe pas à ma pénétration, par exemple.
MADAME ARGANTE
Que vous êtes aveugle !
ARAMINTE, d'un air souriant
Pas tant ; chacun a ses lumières. Je consens, au reste, d'écouter Dubois, le conseil est bon, et je l'approuve. Allez, Marton, allez lui dire que je veux lui parler. S'il me donne des motifs raisonnables de renvoyer cet intendant assez hardi pour regarder un tableau, il ne restera pas longtemps chez moi ; sans quoi, on aura la bonté de trouver bon que je le garde, en attendant qu'il me déplaise à moi.
MADAME ARGANTE, vivement
Eh bien ! il vous déplaira ; je ne vous en dis pas davantage, en attendant de plus fortes preuves.
LE COMTE
Quant à moi, Madame, j'avoue que j'ai craint qu'il ne me servît mal auprès de vous, qu'il ne vous inspirât l'envie de plaider, et j'ai souhaité par pure tendresse qu'il vous en détournât. Il aura pourtant beau faire, je déclare que je renonce à tout procès avec vous ; que je ne veux pour arbitre de notre discussion que vous et vos gens d'affaires, et que j'aime mieux perdre tout que de rien disputer.
MADAME ARGANTE, d'un ton décisif
Mais où serait la dispute ? Le mariage terminerait tout, et le vôtre est comme arrêté66.
LE COMTE
Je garde le silence sur Dorante ; je reviendrai simplement voir ce que vous pensez de lui, et si vous le congédiez, comme je le présume, il ne tiendra qu'à vous de prendre celui que je vous offrais, et que je retiendrai encore quelque temps.
MADAME ARGANTE
Je ferai comme Monsieur, je ne vous parlerai plus de rien non plus, vous m'accuseriez de vision, et votre entêtement finira sans notre secours. Je compte beaucoup sur Dubois que voici, et avec lequel nous vous laissons.