Scène 13

DORANTE, ARAMINTE, DUBOIS

DUBOIS, sortant, et en passant auprès de Dorante, et rapidement

Il m'est impossible de l'instruire ; mais qu'il se découvre ou non, les choses ne peuvent aller que bien.

DORANTE

Je viens, Madame, vous demander votre protection. Je suis dans le chagrin et dans l'inquiétude : j'ai tout quitté pour avoir l'honneur d'être à vous, je vous suis plus attaché que je ne puis le dire ; on ne saurait vous servir avec plus de fidélité* ni de désintéressement ; et cependant je ne suis pas sûr de rester. Tout le monde ici m'en veut, me persécute et conspire pour me faire sortir. J'en suis consterné ; je tremble que vous ne cédiez à leur inimitié, pour moi, et j'en serais dans la dernière affliction.

ARAMINTE, d'un ton doux

Tranquillisez-vous ; vous ne dépendez point de ceux qui vous en veulent ; ils ne vous ont encore fait aucun tort dans mon esprit, et tous leurs petits complots n'aboutiront à rien ; je suis la maîtresse.

DORANTE, d'un air bien inquiet

Je n'ai que votre appui, Madame.

ARAMINTE

Il ne vous manquera pas ; mais je vous conseille une chose : ne leur paraissez pas si alarmé, vous leur feriez douter de votre capacité, et il leur semblerait que vous m'auriez beaucoup d'obligation de ce que je vous garde.

DORANTE

Ils ne se tromperaient pas, Madame ; c'est une bonté qui me pénètre de reconnaissance.

ARAMINTE

À la bonne heure ; mais il n'est pas nécessaire qu'ils le croient. Je vous sais bon gré de votre attachement et de votre fidélité* ; mais dissimulez-en une partie, c'est peut-être ce qui les indispose contre vous. Vous leur avez refusé de m'en faire accroire sur le chapitre du procès ; conformez-vous à ce qu'ils exigent ; regagnez-les par là, je vous le permets : l'événement* leur persuadera70 que vous les avez bien servis ; car toute réflexion faite, je suis déterminée à épouser le Comte.

DORANTE, d'un ton ému

Déterminée, Madame !

ARAMINTE

Oui, tout à fait résolue. Le Comte croira que vous y avez contribué ; je le lui dirai même, et je vous garantis que vous resterez ici ; je vous le promets. (À part.) Il change de couleur.

DORANTE

Quelle différence pour moi, Madame !

ARAMINTE, d'un air délibéré

Il n'y en aura aucune, ne vous embarrassez pas71, et écrivez le billet que je vais vous dicter ; il y a tout ce qu'il faut sur cette table.

DORANTE

Et pour qui, Madame ?

ARAMINTE

Pour le Comte, qui est sorti d'ici extrêmement inquiet, et que je vais surprendre bien agréablement par le petit mot que vous allez lui écrire en mon nom. (Dorante reste rêveur, et par distraction ne va point à la table.) Eh ! vous n'allez pas à la table ? À quoi rêvez-vous ?

DORANTE, toujours distrait

Oui, Madame.

ARAMINTE, à part, pendant qu'il se place

Il ne sait ce qu'il fait ; voyons si cela continuera.

DORANTE, à part, cherchant du papier

Ah ! Dubois m'a trompé !

ARAMINTE, poursuivant

Êtes-vous prêt à écrire ?

DORANTE

Madame, je ne trouve point de papier.

ARAMINTE, allant elle-même

Vous n'en trouvez point ! En voilà devant vous.

DORANTE

Il est vrai.

ARAMINTE

Écrivez. Hâtez-vous de venir, Monsieur ; votre mariage est sûr… Avez-vous écrit ?

DORANTE

Comment, Madame ?

ARAMINTE

Vous ne m'écoutez donc pas ? Votre mariage est sûr ; Madame veut que je vous l'écrive, et vous attend pour vous le dire. (À part.) Il souffre, mais il ne dit mot ; est-ce qu'il ne parlera pas ? N'attribuez point cette résolution à la crainte que Madame pourrait avoir des suites d'un procès douteux.

DORANTE

Je vous ai assuré que vous le gagneriez, Madame : douteux, il ne l'est point.

ARAMINTE

N'importe, achevez. Non, Monsieur, je suis chargé de sa part de vous assurer que la seule justice qu'elle rend à votre mérite la détermine.

DORANTE, à part

Ciel ! je suis perdu. (Haut.) Mais, Madame, vous n'aviez aucune inclination72 pour lui.

ARAMINTE

Achevez, vous dis-je… Qu'elle rend à votre mérite la détermine… Je crois que la main vous tremble ! vous paraissez changé. Qu'est-ce que cela signifie ? Vous trouvez-vous mal ?

DORANTE

Je ne me trouve pas bien, Madame.

ARAMINTE

Quoi ! si subitement ! cela est singulier. Pliez la lettre et mettez : À Monsieur le comte Dorimont. Vous direz à Dubois qu'il la lui porte. (À part.) Le cœur me bat ! (À Dorante.) Voilà qui est écrit tout de travers ! Cette adresse-là n'est presque pas lisible. (À part.) Il n'y a pas encore là de quoi le convaincre.

DORANTE, à part

Ne serait-ce point aussi pour m'éprouver ? Dubois ne m'a averti de rien.