Scène première
DORANTE, DUBOIS
DUBOIS
Non, vous dis-je ; ne perdons point de temps. La lettre est-elle prête ?
DORANTE, la lui montrant
Oui, la voilà, et j'ai mis dessus : rue du Figuier74.
DUBOIS
Vous êtes bien assuré qu'Arlequin ne connaît pas ce quartier-là ?
DORANTE
Il m'a dit que non.
DUBOIS
Lui avez-vous bien recommandé de s'adresser à Marton ou à moi pour savoir ce que c'est ?
DORANTE
Sans doute, et je lui75 recommanderai encore.
DUBOIS
Allez donc la lui donner : je me charge du reste auprès de Marton que je vais trouver.
DORANTE
Je t'avoue que j'hésite un peu. N'allons-nous pas trop vite avec Araminte ? Dans l'agitation des mouvements* où elle est, veux-tu encore lui donner l'embarras de voir subitement éclater l'aventure ?
DUBOIS
Oh ! oui : point de quartier. Il faut l'achever, pendant qu'elle est étourdie. Elle ne sait plus ce qu'elle fait. Ne voyez-vous pas bien qu'elle triche avec moi, qu'elle me fait accroire que vous ne lui avez rien dit ? Ah ! je lui apprendrai à vouloir me souffler mon emploi de confident76 pour vous aimer en fraude.
DORANTE
Que j'ai souffert dans ce dernier entretien ! Puisque tu savais qu'elle voulait me faire déclarer, que ne m'en avertissais-tu par quelques signes ?
DUBOIS
Cela aurait été joli, ma foi ! Elle ne s'en serait point aperçue, n'est-ce pas ? Et d'ailleurs, votre douleur n'en a paru que plus vraie. Vous repentez-vous de l'effet qu'elle a produit ? Monsieur a souffert ! Parbleu ! il me semble que cette aventure-ci mérite un peu d'inquiétude.
DORANTE
Sais-tu bien ce qui arrivera ? Qu'elle prendra son parti, et qu'elle me renverra tout d'un coup.
DUBOIS
Je lui en77 défie. Il est trop tard. L'heure du courage est passée. Il faut qu'elle nous épouse.
DORANTE
Prends-y garde : tu vois que sa mère la fatigue*.
DUBOIS
Je serais bien fâché qu'elle la laissât en repos.
DORANTE
Elle est confuse de ce que Marton m'a surpris à ses genoux.
DUBOIS
Ah ! vraiment, des confusions ! Elle n'y est pas. Elle va en essuyer bien d'autres ! C'est moi qui, voyant le train que prenait la conversation, ai fait venir Marton une seconde fois.
DORANTE
Araminte pourtant m'a dit que je lui étais insupportable.
DUBOIS
Elle a raison. Voulez-vous qu'elle soit de bonne humeur avec un homme qu'il faut qu'elle aime en dépit d'elle ? Cela est-il agréable ? Vous vous emparez de son bien, de son cœur ; et cette femme ne criera pas ! Allez vite, plus de raisonnements : laissez-vous conduire.
DORANTE
Songe que je l'aime, et que, si notre précipitation réussit mal, tu me désespères.
DUBOIS
Ah ! oui, je sais bien que vous l'aimez : c'est à cause de cela que je ne vous écoute pas. Êtes-vous en état de juger de rien ? Allons, allons, vous vous moquez ; laissez faire un homme de sang-froid. Partez, d'autant plus que voici Marton qui vient à propos, et que je vais tâcher d'amuser*, en attendant que vous envoyiez Arlequin.
Dorante sort.