Scène 8

ARAMINTE, MADAME ARGANTE, MONSIEUR REMY, LE COMTE, DORANTE, MARTON

MARTON, froidement

Ne vous pressez pas de le renvoyer, Madame ; voilà une lettre de recommandation pour lui, et c'est Monsieur Dorante qui l'a écrite.

ARAMINTE

Comment !

MARTON, donnant la lettre au Comte

Un instant, Madame, cela mérite d'être écouté. La lettre est de Monsieur, vous dis-je.

LE COMTE lit haut

Je vous conjure, mon cher ami, d'être demain sur les neuf heures du matin chez vous ; j'ai bien des choses à vous dire ; je crois que je vais sortir de chez la dame que vous savez ; elle ne peut plus ignorer la malheureuse passion que j'ai prise pour elle, et dont je ne guérirai jamais.

MADAME ARGANTE

De la passion, entendez-vous, ma fille ?

LE COMTE lit

Un misérable ouvrier que je n'attendais pas est venu ici pour m'apporter la boîte de ce portrait que j'ai fait d'elle.

MADAME ARGANTE

C'est-à-dire que le personnage87 sait peindre.

LE COMTE lit

J'étais absent, il l'a laissée à une fille de la maison.

MADAME ARGANTE, à Marton

Fille de la maison, cela vous regarde.

LE COMTE lit

On a soupçonné que ce portrait m'appartenait ; ainsi, je pense qu'on va tout découvrir, et qu'avec le chagrin d'être renvoyé et de perdre le plaisir de voir tous les jours celle que j'adore…

MADAME ARGANTE

Que j'adore ! ah ! que j'adore !

LE COMTE lit

J'aurai encore celui d'être méprisé d'elle.

MADAME ARGANTE

Je crois qu'il n'a pas mal deviné celui-là, ma fille.

LE COMTE lit

Non pas à cause de la médiocrité de ma fortune*, sorte de mépris dont je n'oserais la croire capable…

MADAME ARGANTE

Eh ! pourquoi non ?

LE COMTE lit

Mais seulement du peu que je vaux auprès d'elle, tout honoré que je suis de l'estime de tant d'honnêtes gens.

MADAME ARGANTE

Et en vertu de quoi l'estiment-ils tant ?

LE COMTE lit

Auquel cas je n'ai plus que faire à Paris. Vous êtes à la veille de vous embarquer88, et je suis déterminé à vous suivre.

MADAME ARGANTE

Bon voyage au galant.

MONSIEUR REMY

Le beau motif d'embarquement89 !

MADAME ARGANTE

Eh bien ! en avez-vous le cœur net, ma fille ?

LE COMTE

L'éclaircissement m'en paraît complet.

ARAMINTE, à Dorante

Quoi ! cette lettre n'est pas d'une écriture contrefaite ? vous ne la niez point ?

DORANTE

Madame…

ARAMINTE

Retirez-vous.

Dorante sort.

MONSIEUR REMY

Eh bien ! quoi ? c'est de l'amour qu'il a ; ce n'est pas d'aujourd'hui que les belles personnes en donnent et, tel que vous le voyez, il n'en a pas pris pour toutes celles qui auraient bien voulu lui en donner. Cet amour-là lui coûte quinze mille livres de rente, sans compter les mers qu'il veut courir ; voilà le mal ; car au reste, s'il était riche, le personnage en vaudrait bien un autre ; il pourrait bien dire qu'il adore. (Contrefaisant Madame Argante.) Et cela ne serait point si ridicule. Accommodez-vous90, au reste ; je suis votre serviteur, Madame.

Il sort.

MARTON

Fera-t-on monter l'intendant que Monsieur le Comte a amené, Madame ?

ARAMINTE

N'entendrai-je parler que d'intendant ! Allez-vous-en, vous prenez mal votre temps pour me faire des questions.

Marton sort.

MADAME ARGANTE

Mais, ma fille, elle a raison ; c'est Monsieur le Comte qui vous en répond, il n'y a qu'à le prendre.

ARAMINTE

Et moi, je n'en veux point.

LE COMTE

Est-ce à cause qu'il vient de ma part, Madame ?

ARAMINTE

Vous êtes le maître d'interpréter, Monsieur ; mais je n'en veux point.

LE COMTE

Vous vous expliquez là-dessus d'un air de vivacité qui m'étonne.

MADAME ARGANTE

Mais en effet, je ne vous reconnais pas. Qu'est-ce qui vous fâche ?

ARAMINTE

Tout ; on s'y est mal pris ; il y a dans tout ceci des façons si désagréables, des moyens si offensants, que tout m'en choque.

MADAME ARGANTE, étonnée

On ne vous entend point.

LE COMTE

Quoique je n'aie aucune part à ce qui vient de se passer, je ne m'aperçois que trop, Madame, que je ne suis pas exempt de votre mauvaise humeur, et je serais fâché d'y contribuer davantage par ma présence.

MADAME ARGANTE

Non, Monsieur, je vous suis. Ma fille, je retiens Monsieur le Comte ; vous allez venir nous trouver apparemment91. Vous n'y songez pas, Araminte ; on ne sait que penser.