Scène 9
ARAMINTE, DUBOIS
DUBOIS
Enfin, Madame, à ce que je vois, vous en voilà délivrée. Qu'il devienne tout ce qu'il voudra à présent, tout le monde a été témoin de sa folie, et vous n'avez plus rien à craindre de sa douleur ; il ne dit mot. Au reste, je viens seulement de le rencontrer plus mort que vif, qui traversait la galerie92 pour aller chez lui. Vous auriez trop ri de le voir soupirer ; il m'a pourtant fait pitié : je l'ai vu si défait, si pâle et si triste, que j'ai eu peur qu'il ne se trouve mal.
ARAMINTE, qui ne l'a pas regardé jusque-là, et qui a toujours rêvé, dit d'un ton haut
Mais qu'on aille donc voir : quelqu'un l'a-t-il suivi ? que ne le secouriez-vous ? faut-il le tuer, cet homme ?
DUBOIS
J'y ai pourvu, Madame ; j'ai appelé Arlequin, qui ne le quittera pas, et je crois d'ailleurs qu'il n'arrivera rien ; voilà qui est fini. Je ne suis venu que pour dire une chose ; c'est que je pense qu'il demandera à vous parler, et je ne conseille pas à Madame de le voir davantage ; ce n'est pas la peine.
ARAMINTE, sèchement
Ne vous embarrassez pas, ce sont mes affaires.
DUBOIS
En un mot, vous en êtes quitte, et cela par le moyen de cette lettre qu'on vous a lue et que Mademoiselle Marton a tirée d'Arlequin par mon avis ; je me suis douté qu'elle pourrait vous être utile, et c'est une excellente idée que j'ai eue là, n'est-ce pas, Madame ?
ARAMINTE, froidement
Quoi ! c'est à vous que j'ai l'obligation de la scène qui vient de se passer ?
DUBOIS, librement
Oui, Madame.
ARAMINTE
Méchant valet ! ne vous présentez plus devant moi.
DUBOIS, comme étonné
Hélas ! Madame, j'ai cru bien faire.
ARAMINTE
Allez, malheureux ! il fallait m'obéir ; je vous avais dit de ne plus vous en mêler ; vous m'avez jetée dans tous les désagréments que je voulais éviter. C'est vous qui avez répandu tous les soupçons qu'on a eus sur son compte, et ce n'est pas par attachement pour moi que vous m'avez appris qu'il m'aimait ; ce n'est que par le plaisir de faire du mal. Il m'importait peu d'en être instruite, c'est un amour que je n'aurais jamais su, et je le trouve bien malheureux d'avoir eu affaire à vous, lui qui a été votre maître, qui vous affectionnait, qui vous a bien traité, qui vient, tout récemment encore, de vous prier à genoux de lui garder le secret. Vous l'assassinez, vous me trahissez moi-même. Il faut que vous soyez capable de tout, que je ne vous voie jamais, et point de réplique.
DUBOIS s'en va en riant
Allons, voilà qui est parfait.