Scène 12

DORANTE, ARAMINTE

ARAMINTE

Approchez, Dorante.

DORANTE

Je n'ose presque paraître devant vous.

ARAMINTE, à part

Ah ! je n'ai guère plus d'assurance que lui. (Haut.) Pourquoi vouloir me rendre compte de mes papiers ? Je m'en94 fie bien à vous. Ce n'est pas là-dessus que j'aurai à me plaindre.

DORANTE

Madame… j'ai autre chose à dire… je suis si interdit, si tremblant que je ne saurais parler.

ARAMINTE, à part,avec émotion

Ah ! que je crains la fin de tout ceci !

DORANTE, ému

Un de vos fermiers est venu tantôt, Madame.

ARAMINTE, émue

Un de mes fermiers !… cela se peut bien.

DORANTE

Oui, Madame… il est venu.

ARAMINTE, toujours émue

Je n'en doute pas.

DORANTE, ému

Et j'ai de l'argent à vous remettre.

ARAMINTE

Ah ! de l'argent… nous verrons.

DORANTE

Quand il vous plaira, Madame, de le recevoir.

ARAMINTE

Oui… je le recevrai… vous me le donnerez.

(À part.)

Je ne sais ce que je lui réponds.

DORANTE

Ne serait-il pas temps de vous l'apporter ce soir ou demain, Madame ?

ARAMINTE

Demain, dites-vous ! Comment vous garder jusque-là, après ce qui est arrivé ?

DORANTE, plaintivement

De tout le temps de ma vie que je vais passer loin de vous, je n'aurais plus que ce seul jour qui m'en serait précieux.

ARAMINTE

Il n'y a pas moyen, Dorante ; il faut se quitter. On sait que vous m'aimez, et l'on croirait que je n'en suis pas fâchée.

DORANTE

Hélas ! Madame, que je vais être à plaindre !

ARAMINTE

Ah ! allez, Dorante, chacun a ses chagrins.

DORANTE

J'ai tout perdu ! J'avais un portrait, et je ne l'ai plus.

ARAMINTE

À quoi vous sert de l'avoir ? vous savez peindre.

DORANTE

Je ne pourrai de longtemps m'en dédommager. D'ailleurs, celui-ci m'aurait été bien cher ! Il a été entre vos mains, Madame.

ARAMINTE

Mais vous n'êtes pas raisonnable.

DORANTE

Ah ! Madame, je vais être éloigné de vous. Vous serez assez vengée. N'ajoutez rien à ma douleur.

ARAMINTE

Vous donner mon portrait ! songez-vous que ce serait avouer que je vous aime ?

DORANTE

Que vous m'aimez, Madame ! Quelle idée ! qui pourrait se l'imaginer ?

ARAMINTE, d'un ton vif et naïf

Et voilà pourtant ce qui m'arrive.

DORANTE, se jetant à ses genoux

Je me meurs !

ARAMINTE

Je ne sais plus où je suis. Modérez votre joie : levez-vous, Dorante.

DORANTE se lève, et dit tendrement

Je ne la mérite pas. Cette joie me transporte. Je ne la mérite pas, Madame. Vous allez me l'ôter, mais n'importe, il faut que vous soyez instruite.

ARAMINTE, étonnée

Comment ! que voulez-vous dire ?

DORANTE

Dans tout ce qui s'est passé chez vous, il n'y a rien de vrai que ma passion qui est infinie, et que le portrait que j'ai fait. Tous les incidents qui sont arrivés partent de l'industrie95 d'un domestique qui savait mon amour, qui m'en plaint, qui par le charme de l'espérance, du plaisir de vous voir, m'a pour ainsi dire forcé de consentir à son stratagème ; il voulait me faire valoir auprès de vous. Voilà, Madame, ce que mon respect, mon amour et mon caractère ne me permettent pas de vous cacher. J'aime encore mieux regretter votre tendresse que de la devoir à l'artifice qui me l'a acquise ; j'aime mieux votre haine que le remords d'avoir trompé ce que j'adore.

ARAMINTE, le regardant quelque temps sans parler

Si j'apprenais cela d'un autre que de vous, je vous haïrais sans doute ; mais l'aveu que vous m'en faites vous-même, dans un moment comme celui-ci, change tout. Ce trait de sincérité me charme, me paraît incroyable, et vous êtes le plus honnête homme du monde. Après tout, puisque vous m'aimez véritablement, ce que vous avez fait pour gagner mon cœur n'est point blâmable : il est permis à un amant de chercher les moyens de plaire, et on doit lui pardonner lorsqu'il a réussi.

DORANTE

Quoi ! la charmante Araminte daigne me justifier !

ARAMINTE

Voici le Comte avec ma mère, ne dites mot, et laissez-moi parler.