Épreuve de l’étranger

644.

Un pays, une civilisation, une culture, une littérature, une langue ne concédant aucune place à l’Autre se trouvent voués à ressasser, à se répéter, à s’atrophier, à s’éteindre… (Sylvie Durastanti, 2002 : 132)

645.

La force d’une langue n’est pas de repousser l’étranger, mais de le dévorer. (Johann Wolfgang von Goethe, dans Berman, 1984 : 26)

646.

Sans l’épreuve de l’étranger, serions-nous sensibles à l’étrangeté de notre propre langue ? (Paul Ricœur, 1999 : 19)

647.

Le risque dont se paie le désir de traduire, et qui fait de la rencontre de l’étranger dans sa langue une épreuve, est insurmontable. (Paul Ricœur, 1999 : 15)

648.

Dans certaines conditions, le mouvement vers l’Autre peut être perçu comme une agression, le désir de partager comme une tentative d’annexion ou une mainmise. Il arrive alors que le traducteur éveille des soupçons, quel que soit l’idéal qui l’anime. (Betty Bednarski, « La traduction comme lieu d’échange », dans Beaudet, 1999 : 126)

649.

La traduction me paraît, plus que toute autre activité littéraire, mettre en lumière, en les rendant explicites, les rapports du moi avec l’altérité. (Betty Bednarski, 1989 : 128)

650.

Faute de bonnes traductions qui nous permettraient de mieux connaître l’Autre, nous maintenons sur le visage de l’Autre le masque de l’étrange, de l’étranger, de l’étrangéité. (Hubert Nyssen, dans Vingtièmes Assises…, 2004 : 89)

651.

L’essence de la traduction est d’être ouverture, dialogue, métissage, décentrement. Elle est mise en rapport, ou elle n’est rien. (Antoine Berman, 1984 : 16)

652.

Traduire, ce n’est pas renoncer à ma différence. C’est poser sur l’œuvre le regard d’un autre […]. C’est soumettre l’œuvre à un regard étranger. (Betty Bednarski, 1989 : 12-13)

653.

Dans l’altérité de l’autre, il y a des choses qui restent intraduisibles. Si on traduisait complètement l’autre, il ne serait plus autre. […] On l’a beaucoup fait dans la tradition de la traduction, on francisait à tour de bras. Ou on anglicisait, on américanisait, on italianisait. Ça, c’est un excès que je trouve difficilement défendable. L’autre, c’est l’autre. On le libère, on l’accueille, mais il reste l’autre. (Jacques Brault, dans Côté, 2005 : 89)

654.

La prétention à l’autosuffisance, le refus de la médiation de l’étranger, ont nourri en secret maints ethnocentrismes linguistiques et, plus gravement, maintes prétentions à l’hégémonie culturelle. (Paul Ricœur, 2004 : 10)

655.

La traduction traite par excellence de l’étranger. L’étranger n’est pas simplement celui qui parle une langue différente, mais aussi et surtout celui qui évolue dans une totalité d’horizon fondamentalement distincte. (Arno Renken, 2002 : 7)

656.

La traduction n’est plus désormais une opération tendant à montrer l’identité ultime des hommes, mais à devenir le véhicule de leurs singularités. (Octavio Paz, dans Actes des troisièmes Assises…, 1987 : 41)

657.

L’erreur fondamentale du traducteur est de figer l’état où se trouve par hasard sa propre langue, au lieu de la soumettre à l’impulsion violente qui vient d’un langage étranger. (Rudolf Pannwitz, dans Blanchot, 1971 : 72)

658.

La traduction est une activité qui suscite la méfiance parce qu’elle introduit dans notre système de valeurs des éléments qui lui sont tout à fait étrangers. La voix de l’Autre ébranle nos certitudes. (Wilson Orozco, 2004 [c2000] : 649. Traduction : Jean Delisle et Anna Maria Salvetti)

659.

Une traduction ne doit jamais déguiser le goût et le caractère des ouvrages d’une nation ; elle est imparfaite si elle ne met le lecteur en état de les connaître et d’en juger. (Étienne de Silhouette, 1737 : 266)

660.

Tant que l’on ne sent pas l’étrangeté, mais l’étranger, la traduction a rempli son but suprême ; mais là où l’étrangeté apparaît en elle-même et obscurcit peut-être même l’étranger, alors le traducteur trahit qu’il n’est pas à la hauteur de son original. (Wilhelm von Humboldt, « Sur la traduction… » [c1816], 2000 : 39)

661.

Une traduction est presque toujours regardée tout d’abord par le peuple à qui on la donne comme une violence qu’on lui fait. Le goût bourgeois résiste à l’esprit universel. (Victor Hugo, 1973 [c1864] : 339)

662.

Le traducteur littéraire, éprouve l’altérité jusque dans ses derniers retranchements. Il pratique une forme extrême de lecture, une écoute qui le mène aux sources mêmes de l’écriture, de la création. (Marion Graf, « Nationalité : frontalier », dans Graf, 1998 : 8)

663.

Que penser de ces Critiques, qui veulent retrouver même dans le stile de la Traduction Françoise d’un Ouvrage, l’air étranger de l’Original ? Comment de cette ressemblance ne naîtroit il pas un idiome barbare ? (Pierre Desfontaines, 1967b [c1738], II : 151)

664.

Le besoin de traduction révèle notre besoin de l’Autre pour exister et grandir, en nous démarquant de lui et en cultivant nos différences. (Jean Delisle)

665.

Les traductions apportent la preuve qu’une société n’accueille pas l’Étranger de la même façon à toutes les époques de son histoire. Il existe pour chaque société une manière de traduire historiquement déterminée et toute traduction porte l’empreinte de l’époque qui l’a vue naître. (Jean Delisle, 2001 : 215-216)

666.

Se décentrer. Ne pas annexer l’autre, devenir son hôte. Comment ? Et à quel prix ? En se taisant, en se portant à la rencontre d’une parole tenue pour étrangère et par un étranger. (Jacques Brault, 1975 : 15)

667.

Le traducteur s’efforcera de respecter l’Étranger. Bannir l’ethnocentrisme qui a toujours consisté à annexer la culture de l’Autre. Il faut que le lecteur sente que le texte vient d’ailleurs, même s’il ne doit pas sentir qu’il est traduit. C’est tout le doigté du traducteur que de se faire oublier, sans pour autant faire oublier l’Étranger et l’étrangeté. (Albert Bensoussan, 1995 : 38)

668.

On a beaucoup médit du traducteur, jugé sévèrement ses productions. Ce lettré instruit provoque la méfiance. […] Ce qui fait peur, en fait, c’est moins le traducteur lui-même que les valeurs étrangères nouvelles, parfois étranges, qu’il dissémine dans sa culture. (Jean-François Joly, 2014 : XIX)