710. |
Tout le monde n’est pas capable de juger d’une traduction, quoy que tout le monde s’en attribuë la connoissance, et icy comme ailleurs, la maxime d’Aristote devroit servir de regle qu’il faut croire chacun en son Art. (Nicolas Perrot d’Ablancourt, « Préface », Annales [c1640] de Tacite, dans Zuber, 1972 : 122-123) |
711. |
Si les critères d’évaluation d’une traduction sont difficiles à établir, il paraît plus difficile encore de mettre au point le langage critique qui permettrait d’exprimer de telles évaluations. (David Bellos, 2012 : 339. Traduction : David Loaysa) |
712. |
Les critiques des traductions sont souvent trop enclins à traquer la trahison. (Umberto Eco, 2003 : 124) |
713. |
De toutes les possibilités de traduction, celle sur laquelle retombe la plus sévère condamnation est celle de la poésie. (Octavio Paz, 1986 : 2) |
714. |
Au sujet des critiques ou des donneurs de leçons : « Que tous les ergoteurs mettent en commun leur art et leur compétence : ils verront ainsi que traduire soi-même est un art et un travail autrement plus difficile qu’éplucher et dépecer la traduction faite par un autre. » (Martin Luther, Summarien über die Psalmen […] [c1531], dans Bocquet, 2000 : 219. Traduction : Catherine Bocquet) |
715. |
Je sais par expérience à quel point la traduction est à la fois un dur labeur et un art difficile : voilà pourquoi je refuse qu’en ce domaine ces ânes de papistes, qui n’ont rien tenté eux-mêmes, s’érigent en juges et en censeurs de mon travail. (Martin Luther, Ein Sendbrief vom Dolmetschen [c1530], dans Bocquet, 2000 : 175. Traduction : Catherine Bocquet) |
716. |
J’ai toujours trouvé amusant le compliment stéréotypé qu’un critique adresse à l’auteur d’une « nouvelle traduction » : « L’ouvrage se lit bien », dit-il. Ce plumitif qui n’a pas lu la version originale, dont il ne connaît pas la langue, fait l’éloge de la lisibilité d’une imitation simplifiée et banalisée, à défaut de pouvoir apprécier la complexité de l’œuvre originale. (Vladimir Nabokov, 1975 [c1963], I : IX. Traduction) |
717. |
Il est bien aisé de rapporter en prose les erreurs d’un poëte, mais très-difficile de traduire ses beaux vers. (Voltaire, « Lettres philosophiques – XVIIIe » [c1734], 1879 : XXII : 150) |
718. |
Pénétrer dans l’atelier de l’évaluation des traductions du passé, c’est entrer dans une vaste salle où se sont accumulés pêle-mêle au fil des siècles idées reçues, partis pris antithéoriques, opinions préconçues, ignorances, obscurités, clichés, conceptions erronées de la langue et de la littérature et autres vieilleries. C’est aussi déambuler à travers un amoncellement poussiéreux de jugements moralisateurs. (Jean Delisle, 2001 : 209) |
719. |
Tout jugement sur la traduction étant contemporain de celui qui l’énonce, il en résulte que toute définition a priori de ce qu’est – de ce que doit être – une traduction court le risque d’être anachronique. (Daniel Simeoni, 2000 : 7) |
720. |
Il est rare que nous ayons de véritables évaluations de traductions ; le plus souvent ce sont des tatillonnages sur des détails. Cela est regrettable, puisqu’une bonne traduction mérite d’être valorisée par une bonne évaluation. (Elsa Gress, 1970 : 59. Traduction) |
721. |
Critique et traduction sont structurellement parentes. Qu’il se nourrisse de livres critiques ou non pour traduire tel livre étranger, le traducteur agit en critique à tous les niveaux. (Antoine Berman, 1995 : 40) |
722. |
La première chose que les mouches de la critique, n’ayant pas accès à l’original, aperçoivent chez un traducteur : ses plaies. (Carlos Batista, 2003 : 47) |
723. |
Une comparaison avec le texte original ne suffit pas pour évaluer une traduction. Un bon jugement suppose aussi l’opposition d’une seconde traduction. (Frances Vernor Guille, 1950 : 178-179) |
724. |
Toute traduction est faite pour ceux qui n’entendent pas la langue mère, et n’est faite que pour eux, c’est ce que le critique perd de vue trop souvent. (Alfred de Vigny, « Lettre à Lord*** » [c1830], dans D’hulst, 1990 : 94) |
725. |
Un spécialiste qui juge une traduction sur des détails et non sur l’effet d’ensemble, apprécie cette traduction en pédant et l’évalue mal. (Matthew Arnold, 1865 : 308-309. Traduction) |
726. |
Contresens, déshonneur de l’artisan. Fausse monnaie. C’est l’habit qui fait un pli, la planche posée de guingois, le coup de marteau sur le pouce. Et le critique fait étalage d’érudition sur le dos du pauvre traducteur qui ne peut que se taire. (François Vermeulen, 1976 : 112) |
727. |
Les lettrés surveillent méchamment le traducteur. Ils passent, comme allant de soi, au-delà de vingt tours effectués avec aisance, et jubilent quand l’équilibriste a laissé choir une assiette. Contresens ! (François Vermeulen, 1976 : 112) |
728. |
Que pour la seule langue française il existe, en vers, vingt traductions possibles et passables [de l’ode d’Horace Ad Pyrrham], fait songer aux vingt portraits qu’on pourrait faire d’un même homme, et dont aucun n’est le portrait définitif. Mais l’homme bouge et change, tandis que le poème de départ est immuable. On peut s’en rapporter à lui, comme un mètre à l’étalon, pour mesurer combien les traducteurs s’en écartent. (François Vermeulen, 1976 : 19) |
729. |
Le poème, s’il en est un, est incontestable. Sa traduction ou ses traductions sont au contraire contestables. Si l’on est bon public, on reconnaîtra du moins qu’elles le sont presque toujours. (Michel Van Schendel, 2004 : 13) |
730. |
Le plus souvent il vaut mieux ne pas s’adresser au traducteur pour obtenir une analyse fine et pénétrante de l’œuvre. Deux explications sont possibles : ou bien, à l’instar de l’écrivain, il est incapable de révéler les secrets de sa propre création ; ou bien il est véritablement le gratte-papier insipide que l’on croit. La première hypothèse est nettement préférable. (Philip Stratford, 1993 : 126-127. Traduction : François Bilodeau) |
731. |
Il n’est guère étonnant qu’un critique se fasse traducteur, car la traduction est, semble-t-il, un prolongement et un aboutissant naturel de l’activité critique. L’inverse est plutôt rare. (Philip Stratford, 1993 : 126. Traduction : François Bilodeau) |
732. |
Un traducteur n’est jamais entièrement satisfait des traductions d’un autre traducteur. (Fernanda Sottsass Pivano, 1970 : 321. Traduction) |
733. |
Les traducteurs sont toujours sensibles aux fleurs qu’on leur lance, car de nombreux critiques semblent penser que les traductions adviennent miraculeusement, sans intervention humaine ; d’autres ne s’avisent de la présence du traducteur que lorsqu’il fait des fautes… (Marcel Schwander, « Traduire Amélie Plume », dans Graf, 1998 : 107. Traduction : Marion Graf) |
734. |
Chaque traduction, pour elle-même, n’a jamais qu’une valeur relative et subjective. (Friedrich Schleiermacher, « Des différentes méthodes du traduire » [c1813], 1999 : 71. Traduction : Antoine Berman) |
735. |
Les traducteurs doivent s’attendre à recevoir des leçons, des conseils, des suggestions de correction et des commentaires de trois groupes de personnes qui prennent plaisir à leur communiquer leur avis : les compétents, les pseudo-compétents et les incompétents. (Theodore Savory, 1968 [c1957] : 49. Traduction) |
736. |
Il n’existe pas de critère absolu de la bonne traduction ; pour qu’un tel critère soit disponible, il faudrait qu’on puisse comparer le texte de départ et le texte d’arrivée à un troisième texte qui serait porteur du sens identique supposé circuler du premier au second. (Paul Ricœur, 1999 : 15) |
737. |
Une pensée qui érige le texte original en référence absolue et considère le texte-traduction par son degré d’identité par rapport à cette référence ne peut que passer à côté de la spécificité de la traduction. (Arno Renken, 2002 : 18) |
738. |
Pour chaque génération, traduire est l’acte suprême (et donc éternellement perfectible) de la critique. (Massimo Raffaeli, « Quatre lettres sur la traduction », dans Graf, 1998 : 84. Traduction : Adrien Pasquali) |
739. |
Le critique n’est un juge valable que s’il est compétent pour la littérature du pays dont on traduit les œuvres. C’est rarement le cas des grands critiques de presse. (Élie Poulenard, dans « Enquête de la FIT… », 1959 : 81) |
740. |
Au lieu de dire, comme les anciens praticiens de la traduction, que la traduction est toujours possible ou toujours impossible, toujours totale ou toujours incomplète, la linguistique contemporaine aboutit à définir la traduction comme une opération, relative dans son succès, variable dans les niveaux de la communication qu’elle atteint. (Georges Mounin, 1963 : 278) |
741. |
Le critique littéraire devrait, quand il rend compte d’un ouvrage étranger, porter un jugement sur la qualité de la traduction. Il le fait généralement quand cette traduction est mauvaise, mais il serait souhaitable qu’il le fît également quand elle est bonne. (Michel Mohrt, « Enquête de la FIT… », 1959 : 73) |
742. |
L’Iliade de madame Dacier, quoique élégante, tombe des mains, malgré qu’on en ait, à moins qu’une idolâtrie pour Homère ne ranime le zèle du lecteur. (Antoine Houdar de La Motte, « Lettre à Fénelon, 15 avril 1714 », dans Fénelon 1874 : 132) |
743. |
Le sentiment de suspicion à l’égard de la traduction est si profondément ancré dans les mentalités que le critique littéraire soupçonne d’emblée le traducteur d’avoir travesti l’œuvre originale. Trop souvent, hélas, ce dernier est condamné sur simples présomptions. (Jean Delisle) |
744. |
La traduction est sans doute l’un des rares domaines où l’on demande au critique de faire ou de se taire ; demande-t-on au critique d’art de refaire le roman, le film, le tableau, dans lequel, tout en l’appréciant, il a pu déceler des imperfections ? (Michel Ballard, 1995 [c1992] : 278) |
745. |
Si l’on compare les meilleures traductions, les plus soignées et les plus fidèles, on s’étonne de voir combien il y a de diversité là où l’on cherchait à obtenir simplement l’équivalence et l’homogénéité. (Wilhelm von Humboldt, « Sur la traduction… » [c1816], 2000 : 35) |
746. |
Les linguistes purs sont beaucoup moins qualifiés pour être juges en matière de traductions littéraires, encore qu’ils s’arrogent souvent ce droit, se croyant même être les premiers appelés à cette mission. (Janez Gradisnik, « Enquête de la FIT… », 1959 : 106) |
747. |
Je déplore cette malignité qui cherche à jeter le discrédit sur une traduction (peut-être, d’autre part, excellente) parce que de-ci, de-là, de légers contresens s’y sont glissés. (André Gide, « Lettre à André Thérive » [c1928], 1931 : 192) |
748. |
Voir plus clair dans la vie d’un traducteur aide à voir moins trouble dans son œuvre. (Jean Delisle, 1999 : 3) |
749. |
La critique des traductions est quasiment inexistante. Et quand elle élève la voix, c’est le plus souvent sous la forme de jugements sommaires sans référence au texte original. (Jean-Louis Cordonnier, 1995 : 134) |
750. |
Il n’est pas impossible que les traducteurs modernes qui nous paraissent directs et authentiques, rendent dans peu d’années un son doublement artificiel en laissant à nu les disparates4 que nous décelons dès maintenant et qui, dans une acoustique changée, sonneront d’autant plus faux. (Edmond Cary, 1963b : 36) |
751. |
Soyons indulgents pour les auteurs des « belles infidèles ». Ils ont fait de leur mieux en leur temps et pour leur public. Ils ont préparé d’autres temps, d’autres publics. Et d’autres traducteurs. Et pouvons-nous prévoir comment, sur la foi des traductions de notre temps, nous jugerons nos neveux ? (Edmond Cary, 1949 : 88) |
752. |
Il ne peut y avoir que des brouillons. L’idée de « texte définitif » ne relève que de la religion ou de la fatigue. (Jorge Luis Borges, « Les traductions d’Homère » [c1932], 1993 : 291. Traduction : Jean-Pierre Bernès) |
753. |
Il semble qu’activité critique et activité traduisante soient, à peu d’exceptions près, incompatibles. Pas de grand critique qui ait été grand traducteur, et vice-versa. (Antoine Berman, 1986 : 102) |
754. |
Au sujet de Nicolas Perrot d’Ablancourt, traducteur de Tacite : « Je conviendrois volontiers, que ce Traducteur a ôté les épines à son Auteur, pourvû que l’on tombât d’accord avec moi, qu’il lui a ôté ses roses avec ses épines. » (Abraham Nicolas Amelot de la Houssaie, 1686 : XXXV) |
4. Appliqué à une traduction, le mot « disparate » désigne des incohérences ou des discordances de nature stylistique. Celles-ci sont caractérisées, entre autres, par l’absence d’unité de langue, d’unité de style, d’unité de ton : registres incompatibles ou hétéroclites, distorsions sémantiques, anachronismes et archaïsmes, inconsistances lexicales, ruptures des conventions littéraires, fausse oralité, fausse langue dialectale.