Chapitre III
La Confrérie et ses liens persistants avec le jihad

« Le jihad est le quatrième pilier, parmi dix, de l’allégeance aux Frères musulmans en Orient comme en Occident. Les membres de l’UOIF, sœurs et frères, ont exprimé leur adhésion à cette structure, jurant fidélité jusqu’à la mort à ce pilier comme aux neuf autres. » 1
Mohamed Louizi
Ex-Frères musulmans et pseudo-sécessions
Quand on parle d’islamistes violents ex-Frères musulmans, certains cherchent à donner plus d’importance au fait qu’ils ne seraient donc plus du tout membre des Ikhwan . On y verrait la preuve que l’organisation serait « modérée », puisque ses éléments les plus extrêmes seraient partis rejoindre d’autres groupes clairement jihadistes. C’est d’une part méconnaître l’endoctrinement auquel sont soumis les Frères, lequel s’étale sur plusieurs années, chaque étape n’étant abordée que lorsque la précédente a été minutieusement consolidée. C’est mal juger, d’autre part, le continuum idéologique qui fait que le jihadisme et le terrorisme sont la suite logique des enseignements des Frères. En réalité, comme le rappelle Zuhdi Jasser, fondateur de l’American Islamic Forum for Democracy (AIFD) et du Center for Islamic Pluralism, qui combat le fanatisme et réclame une séparation entre Mosquée et l’État dans les pays musulmans, «  le terrorisme est approprié quand il convient aux FM et à ses affiliés. Sheikh Yousouf Qardaoui, le Al-Banna d’aujourd’hui, dans ses discours et ses livres, engage le même processus de pensée sur le salafisme-jihadisme » 2 . Les éventuelles dissensions entre membres de l’organisation et certains de ceux qui l’ont quittée ne se font donc pas sur l’objectif à atteindre, mais plutôt sur les moyens, et ce non à l’aune d’une éthique de vie, du respect des droits et des libertés, mais parce que le moyen (violent) pourrait mettre en péril le but ultime que les Ikhwan se sont fixé, à savoir la suprématie islamique universelle. L’apparente « modération » des Frères dans nos sociétés occidentales est donc tactique – la confrontation exclusivement violente au moyen d’attentats risquant de susciter une répression. Ainsi, «  ceux qui ont vanté la modération des Frères [en Égypte] ont erronément privilégié dans leur analyse les manœuvres politiques du groupe qui ont changé au cours du temps tout en minimisant les objectifs antioccidentaux et totalitaires qui définissent les FM depuis leur conception » 3 . Les ex-Frères musulmans qui rejoignent des groupes ouvertement jihadistes ne le font pas en reniant leur endoctrinement, ils ne font que l’accomplir en s’inscrivant dans son schéma théorique et structurel originel. Comme le souligne Jasser, « il n’y a pas de meilleur exemple d’une organisation de portée mondiale qui produise sans cesse une descendance terroriste islamiste que celle des Frères musulmans » 4 . Nombre d’entre eux ont ainsi rejoint les rangs de Daech, d’Al- Qaïda ; et d’autres groupes terroristes « épousent » l’idéologie des Ikhwan . Bien qu’Al-Qaïda, Daech et les Frères se soient mutuellement rejetés ou condamnés, ces trois groupes sont, en définitive, selon lui, «  liés par leur idéologie partagée et leur vision d’un califat global gouverné par la loi islamique » 5 .
Le Soudan d’Al- Tourabi ou la convergence fréro-jihadiste officielle des années 1990
Parfois surnommé le « Pape noir du terrorisme », Hassan al-Tourabi, ancien numéro 2 du régime militaro-islamiste génocidaire 6 de Khartoum allié du général Omar El-Béchir, est la figure la plus emblématique de la convergence entre Frères musulmans « étatiques » et terrorisme islamiste. Rappelons en préliminaire que si l’organisation soudanaise des Frères, géographiquement proche de la maison-mère égyptienne, a été une simple ramification de La Confrérie égyptienne, son rôle de « pont » entre les Ikhwan et le terrorisme international a été central. Né en 1932, Tourabi dirigea le Front de la Charte islamique de 1964 à 1969, le parti de La Confrérie au Soudan 7 , dont il devint vite le chef charismatique. Cela lui valut d’être un temps emprisonné sous le président Jaafar Muhammad an-Nimeiry. Toutefois, en 1985, une fois Nimeiry renversé par un coup d’État, Tourabi – libéré – réorganisa son parti en un Front islamique international. Et c’est sous son influence idéologique que le général Omar El-Béchir – ancien officier formé au Caire – prit le pouvoir par un coup d’État, le 30 juin 1989. Président du parlement de 1995 à 1999, puis chef du Congrès national, le principal parti politique, émanation du Front islamique national, Tourabi, alors tout-puissant, prêchait un « panislamisme révolutionnaire ». Dans ce contexte, il organisa, à Khartoum, en 1991, un Conférence populaire islamique internationale, qui réunit des dirigeants du Front Islamique du Salut algérien (FIS), de la Jama’at-é Islami pakistanaise, du Jihad islamique égyptien, du  Hamas palestinien et même du Hezbollah chiite-libanais, sans oublier l’actuel chef d’Al- Qaïda, Ayman al-Zawahiri ou encore Tariq Ramadan 8 . Autrement dit, Tourabi fit de Khartoum à la fois la plaque tournante du gotha islamo-terroriste international et le centre névralgique mondial et régional de La Confrérie, alors en difficulté avec les autorités égyptiennes et de moins en moins soutenue par les Saoudiens. Du terroriste marxiste pro-palestinien néo-salafiste Carlos, qui se réfugia au Soudan en 1991, à Oussama ben Laden, qui s’y installa de 1992 à 1996, Khartoum exerça un pouvoir d’attraction majeur, bien avant même les Talibans, sur de nombreux activistes islamistes et jihadistes. D’où le fait que ce pays fut alors classé dans le liste des «  rogue states  » par les États-Unis 9 . La personnalité de Tourabi est en fait importante, car si elle illustre le côté opportuniste des Frères musulmans, elle montre aussi très concrètement les liens qu’ils sont capables d’entretenir avec le terrorisme international, tout en condamnant ce même terrorisme ailleurs. Ainsi, c’est parce qu’il rêvait de faire du Soudan une nouvelle Arabie saoudite que Tourabi invita Oussama ben Laden – avec femmes, enfants et garde rapprochée – à s’installer à Khartoum. À l’époque, si Ben Laden faisait figure de héros du jihad contre les Soviétiques aux yeux de Tourabi, il lui apparaissait surtout comme un visionnaire-stratège qui ne manquait pas d’argent et qui pouvait donc l’aider à développer son pays. En échange de sa protection, Tourabi l’entraîna dans la construction de routes et d’infrastructures qui devaient servir ses ambitions politiques. Mais celui que l’on a surnommé « le pape noir du terrorisme » et qui se rêvait en calife moderne du monde musulman n’eut pas que Ben Laden en tête. Il devait s’appuyer sur un maximum d’organisations internationales susceptibles de permettre à La Confrérie de renforcer son rôle face à l’Occident et aux pays arabes. En 1996, sur pression des États-Unis – qui placèrent le Soudan sur la liste des États soutenant le terrorisme et menacèrent de le bombarder –, Tourabi proposa de remettre Ben Laden à la CIA 10 , qui ne donna pas suite à la proposition, jugeant ne pas disposer d’assez de preuves pour le faire arrêter. Après avoir fait confisquer les biens de ce dernier, le régime soudanais l’expulsa en direction de l’Afghanistan, où les Talibans lui accordèrent l’asile. En 2002, la commission nationale sur les attaques terroristes contre les États-Unis – également appelée commission du 11 Septembre, chargée des investigations quant aux circonstances des attentats contre les tours jumelles – déclara tout de même Hassan al-Tourabi comme l’un des «  principaux soutiens d’Oussama ben Laden et d’Al-Qaïda en Afrique  ». Décédé le 5 mars 2016 après avoir produit soudainement des fatwas « progressistes » et favorables aux femmes, Tourabi demeure le parfait symbole de l’ambivalence des Frères, qui sous couvert de «  défense des musulmans face à leurs ennemis  », n’ont jamais hésité à soutenir le jihad quand cela est possible, tout en condamnant le terrorisme… Étrangement, son nom continue de fasciner la nouvelle génération des Frères.
La Confrérie et ses liens persistants avec le jihad
La scène que nous allons vous raconter se passe au Liban au printemps 2010, dans le camp palestinien d’Ain el al-Helweh, au nord de Beyrouth. Créé en 1948 pour accueillir les exilés de la guerre israélo-arabe, cet endroit où vivent près de 70 000 réfugiés palestiniens à l’époque des faits, est tenu par plusieurs milices armées. Dès l’entrée du camp, passés les check-points contrôlés par des soldats de l’armée libanaise très discrets, on ne fait pas cent mètres sans croiser des hommes armés de fusils d’assaut Kalachnikovs ou de M16. Certains sont membres du Fatah 11 , le mouvement de libération de la Palestine créé par Yasser Arafat en 1959, d’autres du Hamas, l’organisation islamiste palestinienne qui règne en maître à Gaza. On croise même des membres d’Osbat al-Ansar, une organisation jihadiste wahhabite liée à Al-Qaïda qui a sévi en Irak. Et c’est justement d’anciens combattants de la faction d’Al- Zarkaoui 12 en Irak (précurseur de l’État islamique) qu’un des auteurs de cet ouvrage, Emmanuel Razavi, est venu interviewer dans le cadre d’un reportage pour l’émission « Enquête Exclusive » 13 de M6, produite par Bernard de La Villardière. Il était accompagné d’un confrère réalisateur afin d’interviewer l’un des chefs de ce groupe terroriste caché dans le camp.
Dénommé Abu Tarik 14 , ce chef est recherché à l’époque par de nombreux services secrets occidentaux et arabes, compte tenu de son implication dans le jihad en Irak, mais aussi dans des actions terroristes perpétrées par son organisation au Pays du Cèdre. S’il a accepté de les rencontrer après plusieurs jours de tractations, c’est parce que le responsable de la branche locale du Hamas, Fadl Taha, a insisté auprès de lui. Rencontrer des journalistes français pour redorer l’image de leurs mouvements respectifs et faire passer quelques messages apparaît en effet important à ce dernier.
Sur les images du documentaire, on voit le leader du Hamas et le combattant d’Al-Qaïda poser côté à côte, tels de vieux amis. Sur une photo prise à la sauvette, on les aperçoit tous deux déambuler ensemble, en toute quiétude, dans les rues du camp de réfugiés, entourés de gardes armés. Le premier est vêtu d’un pantalon noir et d’une chemise kaki rebondissant sur son ventre bedonnant, arborant un keffieh sur le crâne et une barbe longue. Le second, fidèle au look des cadres du Hamas, est vêtu d’un costume sombre, portant quant à lui une barbe courte bien taillée. L’entretien 15 se tient dans un local où est installé un studio de postproduction vidéo du Hamas, qui sert à monter et diffuser des films de propagande et d‘attaques kamikazes.
Très fier de son installation, Fadl Taha explique : «  Ici, nous diffusons les actions de nos héros, les actions commandos contre l’ennemi. C’est avec ces images de nos héros que nous implantons l’amour de la Palestine dans le cœur de nos enfants. C’est comme ça qu’on les pousse à s’engager dans la résistance » . Nous demandons alors au chef du Hamas, qui se tient assis sur un canapé à côté du responsable d’Al-Qaïda : «  Le Hamas dit qu’il n’est pas une organisation terroriste. Mais vous côtoyez Abu Tarik qui appartient à Al-Qaïda et qui a combattu en Irak. Cela veut dire que Hamas et Al-Qaïda ont des liens ?  » Réponse du cadre du Hamas : «  Les médias occidentaux, vous voulez toujours nous faire passer pour des terroristes (…) Mais ce n’est pas le cas. C’est plus compliqué que ce que vous racontez (…) Nous sommes tous des résistants. Nous avons les mêmes ennemis, les sionistes et les Américains (…). Nous n’avons pas toujours les mêmes stratégies et nous ne sommes pas toujours d’accord sur tout, mais il est important que nous échangions ensemble. C’est un combat commun, il faut que tout le monde se concerte, que nous parlions de politique (…). Peut-être qu’un jour nous amènerons les gens d’Al-Qaïda à privilégier l’action politique. : si l’ennemi sioniste décide à nouveau d’attaquer le Liban, nous serons dans les rangs de la résistance et nous ne serons pas les seuls. Il y aura aussi le groupe d’Abu Tarik, Osbat al-Ansr (…) ». La réponse d’Abu Tarik est elle aussi, on ne peut plus claire : «  Du point de vue religieux, il n’y a pas de différence entre nous et le Hamas. Nous voulons tous libérer Jérusalem. Mais il y a des positions que le Hamas ne peut pas adopter. Par exemple, je suis allé combattre les Américains en Irak. Le Hamas est d’accord sur le principe. Sauf qu’eux, ils n’y vont pas !  ». La réponse du cadre du Hamas, comme celle d’Abu Tarik, prouvent la convergence idéologique entre leurs mouvements, malgré des divergences de forme. Rappelons que le Hamas, comme l’indique sa Charte originelle 16 , est «  la filiale de l’organisation égyptienne des Frères Musulmans  », laquelle a inspiré les cadres fondateurs d’Al-Qaïda. S’il s’est quelque peu désolidarisé de La Confrérie ces deux dernières années, le mouvement palestinien défend la même idéologie, puisant, à l’instar d’Al-Qaïda, ses références dans les textes d’Hassan al-Banna, de Saiyyd Qutb ou d’ Abdallah Azzam. L’article 2 de ladite Charte originelle du Hamas stipule d’ailleurs que «  le Mouvement de la Résistance Islamique est l’une des ailes des Frères musulmans en Palestine. L’organisation des Frères musulmans est un mouvement universel qui forme le plus vaste mouvement islamique de notre temps. Il se caractérise par une profonde compréhension, une portée exacte et une adoption complète de tous les concepts de l’islam dans la vie : culture, croyance, politique, économie, éducation, société, justice, jugement, éducation, art, information, science occulte, conversion à l’islam, et diffusion de l’islam  ». Voilà donc la réalité, telle que la dépeint une rencontre sur le terrain, couplée aux textes.
Pourtant, dans de nombreux cercles intellectuels occidentaux, des âmes « progressistes » s’évertuent encore à considérer le Hamas comme un mouvement de résistance et non comme un mouvement terroriste issu de La Confrérie. Ce mouvement n’a d’ailleurs jamais combattu pour la « libération » d’un territoire, la Palestine – qui a légitimement droit à la reconnaissance – mais pour l’instauration d’un État islamique sur cette zone et partout ailleurs. L’on pourrait dire, en somme, que le Hamas opère la parfaite synthèse entre Al-Qaïda et les Frères, tant il s’applique aussi bien à diffuser le discours de ces derniers – jouant le jeu lors des élections municipales et législatives palestiniennes – qu’à passer à l’action terroriste dès lors qu’il n’obtient pas ce qu’il veut. En fait, le Hamas montre que le discours frériste peut déboucher sur de l’activisme terroriste, tant il est totalitaire et suprémaciste, sa Charte précisant que «  son cadre de référence est l’Islam qui détermine ses principes, ses objectifs et ses moyens  » 17 .
Le Hamas, ou comment le jihadisme palestinien donna le ton
Présentée par le Trésor américain comme «  une organisation terroriste qui a intentionnellement tué des centaines de civils innocents et continue à tuer et mutiler dans le but de terroriser une population civile » 18 , le Hamas est une « excroissance » des Frères, « canal historique » 19 . En mai 2017, Khaled Meshaal, ex-leader du Hamas, depuis lors résident au Qatar, présentait un document cherchant à préciser les principes et la politique du mouvement. Nombre de journaux virent cela comme une rupture avec les Frères, puisque l’organisation mère égyptienne n’y était plus mentionnée. Le contexte politique de l’époque expliquait en fait ce changement d’attitude, les Frères musulmans étant alors de plus en plus décriés par l’ Arabie saoudite et l’Égypte, comme interférant dans la politique des États. Le Hamas avait de ce fait tout intérêt à se redéfinir comme «  un mouvement palestinien local qui « souligne la nécessité de construire des institutions nationales palestiniennes » plutôt que [de faire] partie d’une organisation panislamique » 20 . Quelques jours plus tard cependant, le site Albhazab News rapportait que les Frères musulmans avaient publié leurs félicitations sur la nomination d’Ismail Haniyéh à la tête du bureau politique 21 à la suite de Meshaal, mettant ainsi en doute la désaffiliation du Hamas. Et le 8 mai 2017, le site internet des Frères ( Ikhwan Online ), publiait cette déclaration : « Le mouvement Hamas et ses sœurs des mouvements de résistance en Palestine est la pierre de touche qui empêche toujours le projet sioniste d’avancer dans la destruction des terres et du matériel » 22 , l’expression « moyens de résistance » servant à décrire le terrorisme anti-israélien. «  En louant Haniyéh, les Frères placent le chef du Hamas dans une longue lignée de chefs Frères Musulmans » 23 . En mai 2017, le site Al Arabiya rapportait quant à lui que des tribus bédouines du Sinaï se plaignaient du soutien du Hamas à l’État Islamique, laissant des terroristes quitter Gaza pour rejoindre Daech 24 . Enfin, en 2003, le Trésor américain avait désigné comme terroristes six leaders du Hamas et six ONG- Charities finançant le Hamas 25 , parmi lesquels figurait Khaled Meshaal.
Différences de degré, pas de nature
Depuis 2001 – et surtout depuis les Printemps arabe – les Frères musulmans ont réussi, en Occident, à être perçus, par contraste avec les jihadistes-salafistes de Daech et Al- Qaïda, comme le « pôle modéré », « réformiste » de l’islamisme, en phase avec la modernité. Le contraste entre des images d’exécutions commises par des jihadistes armés de fusils d’assaut, scandant en arabe les versets les plus violents du coran, et celles de fréristes « bien sous tous rapports » – professeurs, docteurs, avocats des droits de l’homme – avait de quoi convaincre. Car rappelons-le : l’organisation des Ikhwan a toujours pris soin de mettre en avant dans les médias des intellectuels et universitaires rassurants.
Cette juxtaposition flatteuse a longtemps nourri l’illusion d’une sorte de pare-feu entre ce que serait l’islamisme « acceptable » des Frères et celui, « condamnable », des terroristes. Avec le Printemps arabe, les partis islamistes au Moyen-Orient sont ainsi devenus des acteurs importants sur la scène internationale, et certains gouvernements occidentaux ont révisé leur copie au profit d’une plus grande particularisation des différentes branches des Frères, d’où la distinction entre les branches « violentes » des Frères musulmans et celles qui ne seraient qu’ « idéologiques ». Les secondes ne sont pourtant que le continuum et la mise en pratique des premières.
En réalité, les liens entre Frères et terrorisme se font à des degrés divers. À l’intensité la plus faible, il s’agira seulement d’un discours ambigu et d’une réticence à dénoncer le terrorisme islamiste. Ensuite, sans commanditer d’attaques proprement dites, il y a une promptitude à s’associer avec des organisations salafistes ou jihadistes, ce qui laisse supposer fortement que les nuances idéologiques censées cloisonner le salafisme de l’héritage d’Hassan al-Banna sont un artifice langagier. Un degré plus haut, c’est la continuité qui s’opère des Frères musulmans à des groupes terroristes comme Al-Qaïda, d’ex-Frères quittant l’organisation pour rejoindre des groupes plus violents, les deux ayant pour différence de mettre en actes ce que les Ikhwan font par le discours. Enfin, au dernier échelon, il y a l’appui financier, logistique et idéologique des Frères à des organisations terroristes, quand ils ne produisent pas eux-mêmes leurs propres groupuscules armés, ainsi qu’on l’a vu en Palestine, en Algérie, en Syrie, en Libye ou au Yémen. À bien des égards, le Qatar, totalement acquis à la cause des Frères qu’il sponsorise, est l’exemple type de ces liens structurels entre islamisme transnational, islamisme d’État et jihadisme.
Filiations et affiliations :
du Frère Sayyid Qutb au Hamas et aux ex-Ikhwan d’Al-Qaïda et Daech
Ayman al- Zawahiri, bras droit de Ben Laden et chef actuel d’Al-Qaïda, Abu Bakr al-Bagdadi, à la tête de Daech, Abdallah Azzam, l’imam du jihad et mentor de Ben Laden, pour ne citer que ceux-là, ont tous été formés ou en partie inspirés par les Ikhwan . Bien loin des discours rassurants, La Confrérie égyptienne a engendré des générations de jihadistes. Le plus connu d’entre eux est sans aucun doute Oussama ben Laden, dont le mentor, le palestinien Abdallah Azzam 26 (surnommé « l’imam du Jihad »), a été un membre officiel des Frères musulmans avant d’aller plus loin dans le jihadisme. Grâce à son enseignement, Ben Laden, qui a lui-même fréquenté les Frères en Arabie saoudite, en Afghanistan et au Soudan, va non seulement s’inspirer du système pyramidal de La Confrérie pour organiser Al-Qaïda, mais reprendra les éléments de langage d’Al-Banna sur le Califat. Il empruntera son idéologie jihadiste au précurseur, Saiyyd Qutb, notamment concernant l’action violente contre «  les apostats, les infidèles et les judéo-croisés  ». L’Égyptien Ayman al-Zawahiri, l’actuel numéro 1 d’Al-Qaïda, a lui aussi été très influencé par le culte frériste du jihad et du Califat (Nous y revenons dans les pages qui suivent). On notera que Zawahiri fut le cofondateur, dans les années 1970, de l’organisation armée Jihad islamique avec d’autres Frères. Le jihad islamique est entre autres à l’origine de l’assassinat du Président égyptien Anouar el-Sadate, le 6 octobre 1981. Un rapport de la House Oversight and Government reform Committee, qui émane du Congrès américain, a révélé que l’idéologie frériste est «  largement perçue comme la passerelle vers la violence jihadiste. En effet, les dirigeants et adhérents à Al-Qaïda et à l’État islamique ont tous pris inspiration chez Al-Banna, Qutb, et d’autres penseurs des Frères-musulmans » 27 .
Comme le rappelle Jonathan Schanzer, vice-président de la recherche à la Foundation for Defense of Democracies, «  ce n’est pas une coïncidence si Qutb (…) a également inspiré Oussama ben Laden, des dirigeants d’Al-Qaïda, et des jihadistes radicaux sur toute la planète » 28 . Comme on l’a vu aussi durant la guerre civile syrienne, les membres d’une mouvance islamiste passent aisément d’un groupe à l’autre, prêtent souvent allégeance à plus fort qu’eux, au gré des évolutions de rapports de force et succès sur le terrain. De ce fait, si l’idéologie est fondatrice et fondamentale, ces groupes ne sont pas sourds à leurs intérêts réciproques, d’autant plus accommodables que les objectifs utiles sont communs : « règne de Dieu sur Terre » ; rétablissement de la charià partout et unification de la Oumma dans un Califat universel.
Le témoignage de Mahfouz Azzam,
oncle de Zawahiri
Une légende entretenue par un certain nombre de chercheurs voudrait qu’Ayman al-Zawahiri, le chef d’Al-Qaïda né en 1951 au Caire, n’ait jamais eu de lien avec La Confrérie. Il y a une dizaine d’années, nous avons rencontré Mahfouz Azzam, son oncle, dans l’un des quartiers résidentiels du Caire 29 . Cet avocat était son confident et principal soutien. Grand admirateur de Sayyid Qutb (qu’il avait eu pour maître), il nous avait reçu 30 pour nous parler des liens de son neveu avec l’organisation des Frères musulmans. Précisons que Mahfouz Azzam, véritable mémoire vivante de l’histoire de La Confrérie, avait collaboré avec l’une des revues des Ikhwan 31 dirigée par Qutb, avant de devenir son conseiller personnel. Il nous avait indiqué à cet effet que son neveu avait croisé la route des Frères à l’âge de 14 ans et qu’il «  l’avait beaucoup entendu parler du courage de Qutb et que cela l’a sans doute influencé  (…).  Les Frères musulmans ont beaucoup compté dans l’éducation politico-religieuse d’Ayman  », nous avait-il dit. «  Pourtant, il n’appartenait pas leur organisation. En réalité, il pensait qu’ils étaient trop pacifistes, pas assez combatifs et qu’ils ne pouvaient rien changer au système. Pourtant, comme d’autres jeunes en Égypte, il a subi leur influence, comme celles d’autres organisations islamistes (…). Il a beaucoup milité pour que les Frères se métamorphosent en mouvement jihadiste politique ayant pour but d’organiser un coup d’état (…) ». Revenant sur les déboires de Zawahiri avec la justice égyptienne, à la suite de l’attentat contre Sadate, il nous expliqua comment son neveu avait rejoint, après sa sortie de prison, la nébuleuse jihadiste qui allait donner naissance à Al-Qaïda au Pakistan et en Afghanistan. «  Quelques années plus tard, des Frères membres de l’association médicale islamique associés au croissant rouge Koweitien et basés au Pakistan où ils disposaient d’un hôpital, ont demandé à Ayman de s’y rendre. Bien que les membres de cette institution soient des Frères musulmans égyptiens, il a quand même accepté (…) ». Listé parmi les top extrémistes dans l’annuaire des 500 musulmans les plus influents du monde, Al-Zawahiri a donc non seulement côtoyé les Frères, mais il leur devait également son passage au Pakistan, où il avait rejoint grâce à eux les milieux jihadistes qui seraient, des années plus tard, à l’origine des attentats des tours jumelles. Dans une longue publication sur le site du New Yorker , en 2002, Lawrence Wright rapporte lui aussi son entretien avec Mahfouz Azzam à propos de Zawahiri : «  déjà, étudiant, Zawahiri rêvait de mettre en application les principes de Saiyyd Qutb » 32 . À la mort de ce dernier en 1966, galvanisé par son martyre, il «  participa à la naissance d’une cellule clandestine, la Jamaat Islamiyya, qui œuvre dans l’ombre des Frères musulmans » 33 . Quelques années plus tard, il la regroupa «  avec quatre autres groupes clandestins afin de former le Jihad islamique [al-Jihad al-Islam, cf infra] égyptien  ». Accusé d’avoir fomenté l’assassinat du président Anouar al-Sadate, il fut arrêté et poursuivi. Durant les trois années de procès qui s’ensuivent, Zawahiri se lia avec «  un des accusés les plus célèbres dans les milieux intégristes : le Cheikh aveugle  » Omar Abdel Rahman, chef spirituel de Al-Jama’a al-Islamiyya ( cf. infra ), groupe terroriste dissident des Frères musulmans. «  Ils sont d’accord sur un objectif : renverser le gouvernement égyptien. Le cheikh pense galvaniser les masses musulmanes par ses prêches et les amener au jihad. Homme de l’ombre, Zawahiri préfère les complots et les cellules clandestines. (…) Bientôt, on voit œuvrer ensemble ces deux fortes personnalités, au sein d’Al- Qaïda, en Afghanistan et aux États-Unis » 34 . En 2001, Al-Zawahiri fusionne le Jihad islamique égyptien avec Al-Qaïda. «  Bien qu’ Oussama ben Laden soit devenu le visage du terrorisme islamique, les membres du Jihad Islamique et sa figure directrice, Ayman al-Zawahiri, étaient la colonne vertébrale du leadership de l’organisation plus large » 35 . Notons que le frère d’Ayman, Mohamed Al-Zawahiri 36 , est l’une des « figures » de l’ « islamisme radical dans le Sinaï » 37 .
Abdallah Azzam, « l’imam du jihad » 38
Une autre grande figure majeure du jihadisme passée par les Ikhwan est le Palestinien Abdallah Azzam (1941-1989). Ce dernier est considéré comme l’un des pères spirituels de Ben Laden et il contribua également à « radicaliser » le jeune al-Zawahiri. Ses deux plus célèbres ouvrages, La Défense des territoires musulmans et Rejoins la caravane  !, où il prône un jihad militaire mondial, sont des classiques de la littérature jihadiste 39 . Les auteurs des attentats du 11 septembre, issus de la « cellule de Hambourg » en Allemagne, mise sur pied à la fin des années 1990, furent notamment inspirés par Azzam 40 . Membre officiel des Ikhwan , élevé dans les enseignements d’Al-Banna, influencé lui aussi par Saiyd Qutb, Azzam se lia à la famille de celui-ci et à celle de Hassan al-Hudaybi, l’ancien guide général des Frères musulmans égyptiens, ainsi qu’au « cheikh aveugle » Omar Abdel Rahman, l’inspirateur-instigateur de l’attaque contre le World Trade Center en 1993 . Il rejoignit les Ikhwan dans les années 1950 et fut présenté à leur « contrôleur général » en Transjordanie. «  Pendant cette période, il s’initia aux écrits d’Al-Banna et lut d’autres publications de La Confrérie » 41 . Azzam étudia le droit musulman à Damas en Syrie, où il rencontra nombre de religieux extrémistes, dont Mohammad Said Ramadan al-Bouti (proche des Frères) et Marwan Hadid, autre figure légendaire de la mouvance islamiste. «  Au début des années 1970, il devint le chef d’une aile révolutionnaire des Frères (…) ». La mort de son mentor (Qutb) « renforça sa détermination à continuer à œuvrer pour la cause islamique et à reprendre le flambeau » en sa mémoire. Il poursuivit ses études à l’université Al- Azhar du Caire. «  Son affiliation politique aux Frères musulmans et son inscription à al-Azhar le placèrent dans une situation unique pour tisser un vaste réseau de contacts dans le mouvement islamiste égyptien » 42 . Devenu professeur de charià à l’université jordanienne, Abdallah Azzam acquit une véritable renommée, certains l’appelant même le « Sayyid Qutb jordanien ». C’est à ce titre qu’il instruisit dans le radicalisme toute une génération d’étudiants. En 1975, il devint même membre du conseil de la Shoura, la structure collégiale de commandement de La Confrérie. En 1980, il rencontra Oussama ben Laden à Djeddah, en Arabie saoudite, alors qu’il enseignait à l’université : «  Ben Laden tomba alors sous son charme » 43 . Les deux hommes collaboreront au Pakistan lors de l’occupation soviétique de l’Afghanistan : «  ce partenariat allait être le germe d’Al- Qaïda aujourd’hui. Azzam aida également à établir le groupe terroriste pakistanais Lashkar-e-Taiba (…) Et il fut une figure centrale dans la création du groupe terroriste palestinien Hamas, aidant à rédiger sa charte fondatrice » 44 . S’il fut baptisé « l’imam du jihad » par des islamistes radicaux du monde entier, c’est « en raison de son rôle capital dans le développement du « mouvement de jihad mondial » apparu à l’occasion de la guerre d’Afghanistan » 45 . Assassiné au Pakistan en 1989, il continue aujourd’hui d’être une source d’inspiration majeure pour les terroristes islamistes. «  Son travail glorifiait les opérations-suicides et le martyre, les éléments essentiels des tactiques d’Al-Qaïda. Ainsi que l’ex-chef des services secrets israéliens, le Mossad, me l’a dit il y a des années, Azzam est à la fois le père du jihad global et l’inspiration intellectuelle la plus importante de la guerre des jihadistes contre l’Amérique. » 46 Azam Tamimi, l’un des théoriciens de La Confrérie que nous avons interviewé en compagnie de notre consoeur Peggy Porquet du site d’informations GlobalGeoNews.com, répondit à la question suivante posée par Emmanuel Razavi : – Certains théoriciens des Frères, comme d’Abdallah Azzam ont rejoint Al-Qaïda. Vous évoquez pourtant une organisation pacifique. Comment l’expliquez-vous ? Réponse de l’intéressé : «  Cela n’est pas vrai qu’Abdallah Azzam était membre d’Al-Qaïda. Il n’a rien à voir avec ça. Malheureusement, il s’agit d’une fausse information que vous pouvez trouver parfois dans certains livres. Cer taines personnes prétendent être expertes sans avoir mené leurs propres recherches scientifiques. Abdallah Azzam était membre des Frères musulmans. Il est allé en Afghanistan pour soutenir la population Afghane contre l’Union soviétique. Al-Qaïda s’est installé et a prospéré grâce à Ayman al-Zawahiri, qui n’a jamais été membre des Frères musulmans mais qui, tel un bon musulman, partageait leurs idées. » Témoignage intéressant…
Abu Bakr al-Bagdadi,
des Ikhwan à Daech
Lui aussi formé par les Frères musulmans en Irak, Al-Bagdadi, passé par Al-Qaïda avant de rejoindre Daech, a été introduit par son oncle auprès des Ikhwan . «  Bagdadi se plongea dans les écrits de ces Frères qui avaient embrassé le jihadisme (…). Le frère aîné de Bagdadi (…) faisait partie de ce mouvement. Le mentor de Bagdadi aussi, Muhammad Hardan, fut autrefois membre des Frères musulmans (…) » 47 Suite à l’invasion américaine de l’Irak en 2003, Al-Bagdadi créa un groupe militant sunnite, la Jamaat Jaysh Ahl al-Sunnah wa-l-Jamaah (Armée du Peuple de la Sunna et de la solidarité commune) , pour ensuite rejoindre Al-Qaïda en Irak et en devenir un « haut fonctionnaire », destiné à combattre les troupes américaines au nord et au centre de l’Irak. Arrêté en 2004, il fut relâché dix mois plus tard, en décembre, après avoir fait nombre de contacts en prison, véritable « usine à jihadistes ». Le Jordanien Abu  Musab al-Zarkaoui ayant été en charge de la cellule d’Al-Qaïda en Irak, il voulut l’utiliser pour mettre en place un État islamique. Mais tué en juin 2006 par des frappes aériennes américaines, Zarkaoui fut remplacé par l’Égyptien Abu Ayyub al-Masri qui poursuivit son plan : dissoudre Al-Qaïda-Iraq, «  annonçant que ses soldats faisaient maintenant partie de l’État Islamique. (…) Les nouveaux dirigeants de l’État Islamique prêtèrent serment en privé à Oussama ben Laden, mais en public ils maintinrent la fiction selon laquelle l’État était indépendant d’Al-Qaïda » 48 . Bagdadi fut alors mis à la tête des affaires religieuses de l’État Islamique. Un an plus tard, il devenait docteur en Sciences coraniques. Remarqué par Al-Masri, il devint ensuite superviseur du Comité de la charià . En 2010, Al-Masri se fit exploser plutôt que de se rendre lors d’une attaque jihadiste ayant mal tourné, alors que les forces irakiennes-américaines encerclaient son repaire. La direction de l’État Islamique étant à pourvoir, Bagdadi lui succéda 49 . La suite est connue : la proclamation par Daech, en 2014, du Califat islamique en Irak et en Syrie, accomplissement du but suprême affiché depuis des décennies par les Frères musulmans. Comme le rappelle un article du Counter-Extremism Project, «  Al-Bagdadi est loin d’être le seul extrémiste dont le chemin vers le radicalisme violent a commencé avec l’idéologie extrémiste des Frères musulmans. Des combattants étrangers d’ISIS [Daech] (…) illustrent l’influence radicalisante que l’idéologie des Frères Musulmans continue d’avoir dans l’orientation de jeunes hommes et femmes sur la route de l’extrémisme violent. » 50
Yémen : le cas du Sheikh Abd-al-Majid al- Zindani, SDGT 51
Au Yémen, qui subit une terrible une guerre civile opposant chiites houthistes sécessionnistes et sunnites fréristes, tribus rivales, Nord et Sud, sur fond de conflit par procuration entre Saoudo-émiratis et Iraniens, la convergence entre Frères musulmans officiels et jihadistes d’Al-Qaïda est plus flagrante que partout ailleurs. Le chef des Frères musulmans dans ce pays, Abdul Majeed al-Zindani, né en 1942, a été classé par le Trésor américain parmi les « Specially Designated Global Terrorists » (SDGT) 52 . En fait, cet officiel qui a dirigé la Commission sur les signes scientifiques dans le Coran 53 puis a créé en 1995, avec le soutien de la Ligue islamique mondiale et du Qatar, l’université Iman de Sanaa, aurait toujours été un pont entre frérisme, islamisme institutionnel et jihadisme. Le département du Trésor américain a affirmé que nombre d’étudiants de son université sont devenus des jihadistes et qu’il a entretenu une «  longue histoire de collaboration avec Oussama ben Laden  » pour qui il aurait été un « leader spirituel ». Le Trésor US l’a également accusé d’avoir formé les jihadistes qui ont tué trois missionnaires protestants américains puis le dénommé John Walker Lindh, converti à l’islam et devenu membre d’Al-Qaïda. Le Bureau des affaires publiques américain a publié à son propos une note en 2004, qui le décrit comme un « loyaliste de Ben Laden » et un « supporter d’Al-Qaida », y compris pour le recrutement au sein des camps d’entraînement et l’achat d’armes pour le compte de la nébuleuse et d’autres groupes terroristes 54 . Al-Zindani incarne en fait la dualité-duplicité des Frères dont la main gauche politique peut ignorer la main droite jihadiste. À l’instar de Qardaoui, il a en effet toujours soutenu le jihad défensif , façon de tourner l’agression en situation de légitime défense. En 2006, il avait également rencontré Khaled Meshaal, l’ex-leader du Hamas, afin de lever des fonds pour le groupe palestinien. Une fois de plus, ces convergences illustrent la solidarité entre les branches des Frères et les groupes terroristes, certes souvent opposés sur les tactiques, mais unis par un même objectif néo-califal théocratique.
Groupes terroristes égyptiens liés aux Ikhwan
Presque dix ans avant le 11 septembre, le 26 février 1993, 500 kilos d’explosifs placés dans une camionnette dans le garage souterrain du World Trade Centre furent mis à feu. La détonation fit «  un cratère de cinq étages dans les sous-niveaux des tours et endommagea le sol d’un hôtel voisin  », faisant six morts et mille blessés 55 . Plusieurs terroristes furent arrêtés, dont le Frère musulman égyptien Mahmoud Abu Halima, qui fut condamné à la prison à vie (il est incarcéré aux États-Unis). Il n’avait eu aucune peine à « s’associer » alors avec le Pakistanais Ramzi Yousef, neveu de Khalid Sheikh Mohammed (membre d’Al-Qaïda), lié au groupe terroriste Abu Sayyaf (le « Daech des Philippines »), avec le Palestinien Mohammed Salameh (qui assistait aux prêches de Omar Abdel Rahman, leader spirituel du groupe terroriste Al-Jama’a al-Islamiyya, lié aux Frères musulmans), Abdul Rahman Yasin (lié à Al-Qaïda), ou encore Ahmed Ajaj, qui aurait été entraîné par Al-Qaïda en Afghanistan.
Créée à la fin des années 1960 en Égypte, Al-Jama’ah al-Islamiyya est l’organisation jihadiste la plus active en Égypte. Elle commença comme une organisation étudiante affiliée aux Ikhwan . Au milieu des années 1970, Al-Jama’à se « dissocia » toutefois des Frères lorsque ceux-ci renoncèrent à la violence, tout en poursuivant les buts selon les préconisations de Al-Banna et Qutb. Al-Jama’a conserva également une structure similaire à celle des Frères et produisit une série de sous-groupes opérant en Haute-Égypte, au Caire et à Alexandrie. Elle se rapprocha alors du groupe Al-Jihad (fondé par Al- Zawahiri) et les deux collaborèrent à l’assassinat de Sadate en 1981 56 . Le leader spirituel du groupe, Sheikh Omar Abdel-Rahman (le fameux cheikh aveugle), fut fortement influencé par Ibn Taimiyya et par Saiyd Qutb. Il rencontra par ailleurs Abdullah Azzam durant ses études et les deux devinrent amis. Abdel-Rahman fut l’inspirateur des attentats contre le World Trade Center en 1993. Il est mort en 2017, emprisonné aux États-Unis. Entre 1992 et 1998, la « Gama’a al-Islamiyya », selon la translitération dialectale égyptienne, livra une guerre jijadiste contre l’État égyptien qui entraîna la mort de 800 soldats, policiers égyptiens, civils et terroristes. Le groupe fut tantôt aidé par les gouvernements du Soudan, de l’Iran et par Al-Qaïda. Il est également à l’origine de multiples assassinats de chrétiens coptes. On se souvient aussi de l’attentat contre des touristes à Louxor qui fit 58 morts en 1997. Quant au groupe Al-Jihad al-Islami, un temps proche de Al-Jama’a, il commença ses activités en 1975 mais fut réprimé après l’assassinat de Sadate, ce qui mena à son émigration au Pakistan sous le commandement d'Ayman al-Zawahiri, à l’époque le deuxième bras droit de Ben Laden. Organisation complexe (conseils, différentes branches dédiées à la levée des fonds et au recrutement), Al-Jihad compte des officiers dans plusieurs pays arabes et effectue des levées de fonds en Europe. Dirigé par al-Zawahiri, Al-Jihad comptait des milliers de membres actifs. Tout comme pour les Frères musulmans, les répressions menées par le régime égyptien contre l’organisation l’ont poussé à essaimer et à créer un réseau de cellules en Afghanistan, en Libye, en Syrie, en Arabe saoudite, en Jordanie, au Soudan, en Tchétchénie, mais aussi aux États-Unis et en Europe. Finalement, Al-Jihad rejoignit Al-Qaïda en 1998 et, en 2001, Al-Zawahiri annonça « que son organisation avait décidé de cesser ses activités anti-régime, mais insista sur la nécessité de continuer les attaques terroristes contre des cibles occidentales » 57 .
On peut également citer Al- Takfir wal-Hijra, cette autre organisation terroriste égyptienne idéologiquement issue des Frères ou, encore, plus proche de nous, Ansar Beit al-Maqdis, officiellement la branche de Daech en Égypte, qui est responsable de la plupart des attaques dans le Sinaï. Cette branche «  appartenait jadis à Al-Qaïda avant de rejoindre l’État islamique (ISIS) en 2014. Or des rapports indiquent que Ansar Beit al-Maqds était jadis « structurellement » liée aux Frères musulmans. » 58 Qualifié par la BBC 59 de «  groupe le plus dangereux en Égypte  », Ansar Beit al-Maqdis – rebaptisée Sinaï Province en 2014 – a revendiqué de multiples attaques jusqu’à aujourd’hui.
Enfin, l’on peut mentionner le Mouvement des armes de l’Égypte (Ḥarakat Sāwa’d Miṣr, ou HASM) ainsi que Liwa al-Thawra (Brigades de la Révolution). Dans un article très documenté intitulé « L’attentat à la bombe du Caire expose l’inclinaison jihadiste des Frères musulmans », le reporter du Washington Post , Eric Trager, écrit à propos des convergences entre Frères et HASM : «  quand des forces de sécurité ont tué un militant en juillet, HASM et le parti politique des Frères le réclamèrent comme l’un des leurs. De même HASM a pleuré l’ancien guide suprême des Frères musulmans Muhammad Mahdi Akef comme un » mujahid » (guerrier saint) quand il est mort en septembre [2017] après quatre années en prison » 60 . Trager ajoute que «  depuis que le dirigeant Frère musulman Mohamed Morsi a été évincé de la présidence en 2013, (…) des groupes militants prolifèrent en Égypte. Bien qu’ils ne puissent être liés avec certitude à la chaîne de commande fameusement rigide des Frères musulmans, (…) ils épousent ouvertement l’idéologie et le récit des Frères  ». Qaaf, le média qui informe régulièrement le public des attaques jihadistes, rend d’ailleurs souvent hommage aux figures historiques des Ikhwan. Sur les réseaux sociaux, il a fait référence à la devise des Frères musulmans en implorant leurs lecteurs : «  Avez-vous oublié que le jihad est notre voie, et la mort au nom d’Allah notre aspiration la plus haute  ? » Rappelons aussi que Mahdy Akef, ex- Murshid  des Frères, a explicitement soutenu les attentats suicides en Irak et a dirigé, à Munich, le plus actif des centres islamistes d’Allemagne de 1984 à 1987. Eric Trager précise que «  les Frères revendiquèrent même tous deux une attaque en juillet 2017 contre les forces de sécurité comme étant la leur » 61 . Il ajoute d’ailleurs qu’en janvier 2015, un réseau de télévision basé à Istanbul et «  aligné sur les Frères musulmans  » avait ordonné aux étrangers (compagnies, résidents, touristes, diplomates) de quitter l’Égypte ou de faire face à la «  rétribution révolutionnaire  ». « Peu de temps après, un organe des Frères Musulmans publiait un rapport intitulé « La Jurisprudence de la Résistance Populaire au Coup », qui cautionnait la violence contre les chrétiens et un large panel de « collaborateurs » du gouvernement ». (Le document n’est disponible qu’en arabe).
Ainsi que l’a fait observer l’universitaire Mokhtar Awad dans un rapport publié en juillet 2017 intitulé « Small Arms Survey », «  la première vague de militants à émerger après l’expulsion de Morsi n’avait pas d’entraînement et était armée de cocktails Molotov et de petits revolvers. Arrivés à la moitié de 2016 cependant, l’émergence de HASM et Liwa al-Thawra signalait un basculement vers des groupes bien entraînés avec des systèmes de commande-et-contrôle effectifs et des communications professionnalisées. Et tandis qu’ils ont largement ciblé des hauts gradés de la sécurité égyptienne et des installations de police, ces groupes tiennent également compte des appels chez les Frères musulmans à attaquer des civils : HASM a tenté d’assassiner l’ancien Grand Mufti Ali-Gomaa l’année dernière, et Liwa al-Thawra a publié une liste de ses cibles qui inclut un homme d’affaires en vue, un journaliste, un juge, et un avocat copte. » Notant les capacités accrues et les cibles élargies, Trager remarque en fin de compte que l’écart entre ces groupes militants alignés sur les Frères et les salafistes-jihadistes se rétrécit. D’après lui, en pleurant Akef, le groupe lançait un appel pour gagner les cœurs de plus de membres des Ikhwan . «  Si de telles ouvertures réussissent, conclut l’expert, il se peut que Hasm et des groupes similaires recherchent l’expertise d’Al- Qaïda et deviennent encore plus menaçants. »
LA GAAC ou l’association avec des organisations terroristes au nom du « jihad défensif »
En 2003 une organisation multiforme a été créée et a ensuite réuni, pendant plus de douze ans, des individus et organisations salafistes, jihadistes et fréristes, parties prenantes d’une série de conférences destinées à promouvoir le «  jihad défensif »  : la Global Anti-Aggression Campaign ou GAAC 62 .
À nouveau, la séparation idéologique qui ferait que les Frères refuseraient de s’associer aux salafistes-jihadistes a montré toute sa flexibilité. Au moins sept des dirigeants de la GAAC sont fichés terroristes pour leur soutien financier ou logistique à Al-Qaïda, le recrutement dans les camps d’entraînement jihadistes, et le cautionnement de fatwas appelant à des attaques-suicides. On a pu retrouver de la sorte, assis à la même table pour « combattre l’agression de la Oumma par les sionistes et les Américains », à peu près 495 « membres fondateurs », comprenant des leaders du Hamas, des salafistes-jihadistes, et nombre de Frères musulmans et leurs leaders, réunis autour des buts communs : créations d’un « troisième front jihadiste », désignation de l’Occident maléfique, en particulier des États-Unis. Parmi eux figurait – sans surprise – l’incontournable Youssef al-Qardaoui, le précité Al- Zindani, le leader des Frères au Yémen ; Mohammed Sawalha, ex-commandant du Hamas réfugié en Grande-Bretagne et co-fondateur de la British Muslim Initiative, un front frériste ; et nombre de salafistes épinglés par les États-Unis pour leur soutien à Al-Qaïda. Pour « revitaliser » l’organisation, une deuxième campagne a été organisée en 2005. Safar Al-Hawali a pu notamment déclarer aux participants que «  la Troisième Guerre mondiale n’est pas militaire mais plutôt une guerre religieuse, hostile à nos valeurs et notre morale profondément ancrées dans toutes les terres musulmanes. » Ce deuxième débat de la GAAC a été présidé par Abdul Rahamn Bin Umair Al-Nuaimi 63 , désigné comme terroriste par Washington pour son soutien à Al-Qaïda 64 . L’ex-leader politique du Hamas Khaled Meshaal était présent ainsi qu’Abbassi Madani, l’ex-président du Front Islamique du Salut (FIS) algérien ; Ali Sadreddine Al-Bayanouni, leader des Frères en Syrie, aujourd’hui en exil à Londres ; Ishaq Farhan, leader du parti Islamic Action Front (branche des Frères-musulmans jordaniens) ; Sulaiman Abu Naro, émir des Frères au Soudan, etc, étaient également au rendez-vous. Des participants ont même représenté des associations mondialement reconnues comme la World Association of Muslim Youth, l’Islamic Assembly of North America, Alkaram Foundation. La GAAC organise principalement des conférences sur le thème de la « résistance au sionisme » et aux « impérialistes américains ». En 2013 la GAAC a intégré une nouvelle coalition de fréro-salafistes incluant l’International Union of Muslim Scholars, fondée et présidée par Qardaoui, puis la Cordoba Foundation, créée par Anas Altikriti, précédemment cité pour ses activités fréristes en Grande-Bretagne et au niveau européen. La présence de Qardaoui n’est pas surprenante. Son association Union of Good, fichée par le Trésor américain pour son soutien au terrorisme (2008 65 ), travaille de concert avec d’autres associations « caritatives » fichées par Interpol, comme Al-Waqfiya (branche de Union of Good, contrôlée par le Hamas 66 ), ou la Qatar Charity. L’on peut citer une autre « ONG d’Allah » : Al-Quds International Foundation 67 , basée au Liban et contrôlée par le Hamas, qui figure toujours sur le site des Nations Unies, ou encore la Holy Land Foundation (maintenant fermée, fichée terroriste en 2002), jadis dirigée par le Frère musulman Mohamed Abou Marzook, leader politique du Hamas. D’après Steven Merley, du Global Muslim Brotherhood Research Center , il est clair qu'«  en posant comme un groupe des droits de l’homme, cette coalition représente la nouvelle tendance en croissance chez les Frères Musulmans à un niveau global, c’est-à-dire la création d’une nouvelle organisation de façade utilisant le manteau des droits de l’homme. » 68
Frères musulmans et financement du terrorisme : le cas d’Al- Taqwa Bank
Parmi les instruments utilisés par la nébuleuse des Ikhwan dans le monde en vue du financement du jihad et du prosélytisme, via des dons à des ONG d’Allah, une banque a joué durant des décennies un rôle déterminant : Al-Taqwa Bank (du terme arabe « crainte de Dieu » ou « piété »). Al-Taqwa Management est en fait un système bancaire disposant de bureaux dans plusieurs pays (Suisse, Bahamas, Italie, Caraïbes, Autriche, Liechtenstein), qui a été fondée en Suisse en 1988 par deux hauts dignitaires des Frères musulmans : les banquiers Youssef Nada, d’origine égyptienne, et le syro-italien Ali Ghaleb Himmat, les deux étant établis entre Lugano et la commune-enclave italienne voisine de Campione d’Italia, au bord du lac de Lugano, connue pour son statut d’exemption fiscale. Emprisonné par Nasser de 1954 à 1956, Nada, le plus en vue des deux, a trouvé refuge en Libye dans les années 1960, puis dut s’enfuir quand le colonel Kadhafi prit le pouvoir. Commença alors un long exil en Europe, de la Grèce tout d’abord, à l’Autriche, puis enfin à l’Italie et à la Suisse italienne. Cette région lui réussit, puisqu’il y fit croître sa fortune acquise, notamment, dans le ciment. Il investit ensuite dans la banque. Il est d’ailleurs considéré comme l’un des pères de la finance islamique.
Avec trois sièges-bases dans le monde (Suisse, Liechtenstein et les Bahamas), la Banque islamique a prospéré pendant des décennies et a récolté des fonds en provenance des pays du Golfe pour les redistribuer à des organisations islamistes fréristes européens. Al-Taqwa créa ainsi un vaste réseau réticulaire d’ONG, de mosquées et de centres islamiques liés à La Confrérie. Opérant dans trente pays, l’institution gère des fonds en provenance du Koweït, d’ Arabie saoudite, du Qatar et des Émirats arabes unis. Officiellement, Al-Taqwa sponsorisait des « opérations humanitaires » dans des pays musulmans. Les lieux de destination de certains financements étaient pourtant curieux. Youssef Nada se rendit par exemple en 1989 en Afghanistan où il rencontra notamment Gulbuddin Hekmatyar, l’un des islamistes les plus radicaux impliqué dans le trafic d’héroïne et allié d’Al- Qaïda et des Talibans, après avoir été Premier ministre.
Quant à Ali Ghaleb Himmat, il avait fréquenté Kaboul dès 1993… Ces voyages confirment que les Frères musulmans, qui condamnent officiellement le terrorisme, peuvent entretenir des liens étonnants avec la nébuleuse jihadiste internationale. Parmi les actionnaires historiques de la Taqwa Bank, ont siégé Youssef al- Qardaoui, Ahmed Idris Nasreddin, co-fondateur du groupe et ancien consul du Koweït à Milan (d’ailleurs interpellé après le 11 septembre 2001 en raison de ses liens présumés avec Al-Qaïda), ainsi que des membres du Hamas et des individus liés à Al-Qaïda 69 . Précisons que parmi les actionnaires et créditeurs d’Al-Taqwa, on retrouvait également Huda Mohamed ben Laden et Iman ben Laden, deux frères de l’ex-chef d’Al-Qaïda, ou encore la branche grenobloise de l’Union Islamique des étudiants de France, rebaptisée depuis 1996 Étudiants Musulmans de France (EMF).
En 2001 les États-Unis ont classé la banque comme organisation terroriste pour son soutien financier à Al-Qaïda – certains fonds transférés via ou à cette banque ayant servi à financer le 11 septembre – mais aussi au Hamas et d’autres groupes telle la Gama’a al-Islamiyya en Égypte. Comme l’ont révélé différentes enquêtes lancées sur la nébuleuse Al-Qaïda en Italie et en Suisse, le financement aux groupes extrémistes s’est effectué via des « ONG d’Allah », dont l’association turque l’Insani Yardim Vakfi 70 , alias IHH, soutenue par le parti AKP d' Erdogan et qui défraya la chronique en 2010 à l’occasion de l’affaire de la flottille de Gaza (Navi Marmara). Cette puissante ONG turque, liée au Hamas, a notamment aidé des groupes jihadistes tchétchènes, bosniaques, syriens, somaliens (Al- Shabbab ; Al-Qaïda-Al- Nosra, etc). On peut également citer une autre « ONG d’Allah » célèbre, liée à la fois aux Frères et aux monarchies du Golfe, très active en Afrique sub-saharienne : l’Islamic Relief International Organisation (IIRO, voir supra ), qui possède notamment un bureau à Milan.
Nous avons évoqué dans le chapitre I le fait qu’un texte décrivant un plan stratégique secret de conquête des Frères musulmans de l’Occident (« Le Projet ») avait été trouvé en 2001 lors d’une perquisition au domicile privé de Youssef Nada. Lors d’une nouvelle perquisition au siège d’Al-Taqwa Bank, les agents de la police suisse ont trouvé un second texte qui détaillait les structures financières créées par les dirigeants fréristes durant les années 1970 grâce à des fonds des pays du Golfe. On y apprenait notamment qu’après la Suisse, l’autre place forte des Ikhwan en Europe était le Luxembourg, d’ailleurs mentionné dès les premières pages : «  la Banque Islamique Internationale au Luxembourg est l’unité principale qui dirige et contrôle toutes les autres institutions. ARINCO, une entité affiliée gère les investissements à long terme.  » En fait, ces structures servaient à financer clandestinement des centres islamiques de La Confrérie partout en Europe, au Canada et aux États-Unis afin, afin, comme l’écrit Sylvain Besson, d’«  étendre la sphère de l’islam et mettre fin à l’hégémonie de la civilisation occidentale sur le monde  ». L’homme clef de ce dispositif prosélyto-financier au Luxembourg était le banquier Gamal Attia, considéré avec l’Égyptien Abou Saud et Youssef Nada, comme l’un des pères de la finance islamique. Lui aussi égyptien et membre important des Ikhwan en Europe, très proche de Youssef Nada, Attia avait été expert pour les Nations Unies dans les années 1980.
Malgré les éléments accablants contenus dans les saisies de documents et les preuves de financement indirect du terrorisme par Al-Taqwa Bank et ses filiales ou sociétés écrans sœurs, Youssef Nada est parvenu, en véritable expert en « jihad judiciaire », à faire condamner la Suisse en 2012 par la Cour européenne des droits de l’homme, laquelle a estimé que les autorités helvétiques avaient «  violé son droit au respect de sa vie privée  » lors des perquisitions post-11 septembre. Berne a donc dû en conséquence lui payer une amende de 30 000 euros.
Mohammed Sawalha
Conformément aux directives formulées dans « Le Projet » saisi au domicile de Youssef Nada ainsi que dans le modus operandi des Frères en Europe contenu dans le principe de Tawtine (voir chapitres I et  II ), les Ikhwan sont passés maîtres dans la multiplication d’associations, think tanks, fondations, dont le but affiché est souvent la défense des libertés et des droits de l’homme, et à la tête desquelles on retrouve souvent les mêmes noms. Le président de l’une est vice-président de l’autre, le fondateur de la première est co-fondateur de la suivante, etc. En Grande-Bretagne en particulier, le cas de Mohammed Sawalha illustre la différence de traitement d’une organisation qui, en Égypte, appelle au jihad, et, ici, prétend défendre le « vivre-ensemble ». Sawalha est un ancien haut-membre du bureau politique du Hamas et il a été actif au sein de la branche militaro-terroriste du groupe palestinien en Judée Samarie. Il a été responsable de l’acheminement de fonds au Hamas et a soutenu activement le jihad. Toutefois, lorsque le site internet des Ikhwan le présente comme un «  fonctionnaire au Royaume-Uni du Comité politique des Frères musulmans  » internationaux, ce n’est pas pour autant un mensonge car les deux sont vrais ! En réalité, Sawalha a trouvé refuge en Grande-Bretagne dans les années 1990 au moyen de faux papiers. Cette entrée illégale, son pédigrée islamo-terroriste et son fanatisme religieux ne l’ont pas empêché de demeurer en Grande-Bretagne où, après avoir fondé la Muslim Association of Britain (MAB), puis la British Muslim Initiative, qu’il préside, il est devenu une des personnalités de référence de l’islam anglais reconnues par les autorités. La MAB et la BMI diffusent en fait l’idéologie radicale des Ikhwan  : elles ont par exemple organisé et/ou participé à des « marches » contre Israël, aux côtés de gens arborant les drapeaux du Hezbollah et du Hamas.
En novembre 2017, les news britanniques ont « révélé » que le chef de la Mosquée de Finsbury Park avait été un ex-officier du Hamas en charge d’opérations terroristes 71 , ce que savaient déjà les services secrets. La « découverte » se fit dans le cadre de la visite d’une délégation du Hamas en Russie en septembre 2017 conduite par Sawalha et dont le site du Hamas publia des photos prouvant sa rencontre avec l’ex-diplomate russe Mikhaïl Bogdanov. Toutefois, Sawalha ne fut pas inquiété, car en Grande-Bretagne, seule la soi-disant « branche armée » du Hamas (les « brigades » Izz al-Din al-Qassam) est reconnue comme organisation terroriste. Or ce dernier affirma n’avoir des liens qu’avec la branche politique… Du seul fait de cette étrange nuance, l’on considère donc outre-Manche que Sawalha n’aurait commis aucun acte répréhensible 72 et demeurerait fréquentable.
Anas Altikriti
Dans ces deux organisations (MAB et BMI), un autre homme, Anas Altikriti, a occupé le poste de président. Officiellement, Altikriti incarnerait la face la plus politiquement correcte des Frères en Grande-Bretagne : policé, souriant, son organisation reconnue d’utilité publique, la Cordoba Foundation, qui prône le multiculturalisme sur le modèle d’Al-Andalus, publie des rapports sur « l’islamophobie », trouvant l’appui de « forces progressistes », antiracistes et tiers-mondistes. Le spécialiste de l’islamisme Samir Afghar, qui distingue trois « courants d’expression » de la pensée des Frères musulmans, classe pourtant Altikriti parmi ceux qui sont sous l’autorité du Guide suprême (Égypte) 73 . Et tout comme le précité Sawalha, Anas Altikriti figure parmi les membres « fondateurs » de la Global Anti-Aggression Campaign ou GAAC (GAAC, cf supra ) qui – on l’a vu – rassemble des représentants de diverses organisations pro-jihadistes, aux côtés de sa Cordoba Foundation. Dans un tweet du 11 juin 2012, Altikriti n’a pas démenti sa proximité avec le Hamas puisqu’il a informé ses abonnés de son déjeuner avec le « premier ministre palestinien », Ismail Haniyéh, à la tête du Hamas 74 . Le site Hurry Up a conservé une photo postée par Altikriti où il posait, souriant avec Haniyé, mais qui ne figure plus sur son « fil twitter ». Rappelons enfin qu’Altikriti, «  porte-parole et lobbyiste des Frères Musulmans en Grande-Bretagne  » 75 , était dans le panel de « témoins » invités par le parlement britannique lors de son enquête sur l’islam politique et les Ikhwan . Un échange entre Altikriti et l’un des députés du parlement mérite qu’on le reproduise :
Nadhim Zahawi : –  Dans votre soumission par écrit, vous êtes bien disposés envers les Frères musulmans et vous êtes (…) perçu comme ayant des liens organisationnels avec eux. Mais ai-je raison en ce que vous n’êtes (…) pas membres des Frères Musulmans ?
Q80 Dr Altikriti : – Je crois que “perçu” est le mot magique dans votre question. L’on perçoit qu’il y a des liens organisationnels. Il n’y a pas de lien au niveau de l’organisation avec les Frères musulmans. Mais il est clair que l’idéologie des Frères symbolise quelque chose dans une région qui est privée d’humanité, de démocratie et de libertés civiles depuis un siècle au moins et qui en a grand besoin. La base idéologique des valeurs islamiques devant pénétrer toutes les sphères de la vie, en particulier en politique, dans le cadre d’une transformation et d’une réforme pacifique de la société et des Gouvernements, incluant chacun et n’excluant personne – oui, cette base idéologique, je la partage entièrement.
Q81 Nadhim Zahawi : – Mais vous n’êtes pas membre des Frères Musulmans où que ce soit ?
Dr Altikriti : – Et bien, en Grande-Bretagne nous n’avons pas de Frères Musulmans. Nous n’avons pas d’organisation Frères Musulmans. Ceci est mon pays ; j’appartiens à ce qu’il y a comme organisation ici. Et la plus proche qui soit des Frères Musulmans et qui épouse les principes de base de l’idéologie des Frères, est la Muslim Association of Britain, dont je suis un membre fondateur, dont j’étais président, et dont je suis le chairman » 76 .
L’extrait ci-dessus illustre toute la complexité du problème. Il n’est pas difficile de dire que le terrorisme n’a « rien à voir avec l’islam » si l’on affirme qu’il «  n’y a pas de terrorisme dans l’islam par essence  », ou si l’on qualifie de « résistance » le meurtre de civils innocents. Et l’on peut facilement se prétendre « démocrate » si l’on considère la charià comme « démocratique ». La langue orwellienne pratiquée par les Frères dans tout l’Occident côtoie de près les « arrangements » de contenu et de formes selon les publics. Ainsi le rapport du parlement notait que les messages en arabe tendaient à plus de « conservatisme » que leurs versions en anglais, au ton plus « libéral et conciliateur ». Citons un autre extrait : en 2012, la foule en colère se déchaînait sur le site de l’ambassade américaine au Caire pour protester contre un film (tourné aux États-Unis) jugé « insultant » envers l’islam. Un échange eut lieu sur Twitter, entre le compte en anglais des Frères, et l’ambassade US : « Nous sommes soulagés qu’aucun membre du personnel de l’ambassade du Caire n’a été blessé et espérons que les relations US-Egypt soutiendront [sic] les turbulences des événements de mardi ». L’ambassade américaine répondit : « Merci. Au fait, avez-vous jeté un œil à votre fil twitter en arabe ? J’espère que vous savez que nous le lisons aussi » . Le compte Twitter en arabe des Frères Musulmans exhortait la foule à la violence…
L’Espagne, centre névralgique européen de l’alliance fréro-jihadiste
En Espagne, l’islamisme – tant frériste que salafiste – est en pleine expansion depuis les années 2000. Si l’Andalousie pleurée par tant d’islamistes (assimilée à la mythifiée « Al-Andalous » arabo-islamique du passé) incite des organisations fréro-salafistes, marocaines ou pakistanaises à essaimer, c’est toutefois en Catalogne que l’on trouve la concentration d’associations islamistes la plus impressionnante, en particulier dans le Quartier du Raval, à Barcelone, surnommé « Ravalkistan » et qui concentre une forte population musulmane d’origine marocaine et Pakistanaise, et où pullulent les associations islamistes les plus radicales. Ses rues étroites et pavées, que nous avons arpentées à maintes reprises 77 , sentent bon le cumin et les épices. Les hommes y portent bien souvent le  shalwar kamiz  et les femmes sont souvent drapées dans de longs voiles 78 . Dans les faits, s’il y a près de deux millions de musulmans en Espagne, la Catalogne est la zone géographique qui en héberge le plus, 500 000 d’entre eux résidant dans la capitale catalane et ses environs. Pour organiser leur culte, ces derniers disposent de 265 salles de prières et de trois mosquées, à Cornellà, Salt et Torroella de Montgrí. Selon les données du gouvernement de Catalogne et de l’Institut royal Elcano 79 , une centaine de ces lieux seraient salafistes, et la proximité entre les Frères et les salafistes est quasi naturelle dans la région.
À l’instar de Paris et de Londres, Barcelone vit donc dans la crainte permanente du terrorisme. La police espagnole est d’autant plus sur les dents qu’elle garde le souvenir du terrible attentat qui frappa Atocha, la gare de Madrid, en mars 2004 (qui fit 191 morts et 1 800 blessés), comme celui des Ramblas en août 2017, lequel fit quant à lui 16 morts et 130 blessés. Le site Wikileaks a ainsi révélé un document du 2 octobre 2007 80 , dans lequel l’ambassade américaine à Madrid aurait affirmé que la Catalogne est « le plus grand centre d’activité des islamistes radicaux en Méditerranée » . Ce document souligne « l’importance de l’immigration légale et illégale, en provenance d’Afrique du Nord, comme du Pakistan et du Bangladesh » . La majeure partie de ces populations issues de l’immigration maghrébine et sud-asiatique étant très intégrée à la vie de la cité, il est facile de passer inaperçu en leur sein, ce qui fait que les associations fréristes ont essaimé, diffusant un discours très apaisant envers les autorités, mais bien souvent subversif envers les plus jeunes de leurs coreligionnaires, car mettant sans cesse en avant les « persécutions » dont feraient l’objet les musulmans à travers le monde, et appelant ces derniers à « défendre leur cause ». S’il n’est pas répréhensible, ce discours a pourtant tourné la tête à plus d’un. Ainsi, entre 1996 et 2012, une étude 81 estime que 6 % des terroristes morts dans des attentats suicides ont entamé leur processus de radicalisation dans les années 1980, en pleine guerre d’Afghanistan et de répression des Frères musulmans en Syrie par le régime d’ Hafez al-Assad. Si tout cela peut paraître anecdotique, la réalité est que ces propos victimaires, diffusés par les Frères d’origine syrienne, notamment, ont radicalisé deux générations d’Espagnols issus de l’immigration musulmane. Bien sûr, en Espagne comme en France, les membres de l’organisation nient la plupart du temps en faire partie et assurent ne pas diffuser des idées pouvant pousser les plus jeunes au terrorisme. Pourtant, les preuves du contraire ne manquent pas. Pour s’en rendre compte, il suffit d’étudier le cas d’Imad Eddin Barakat Yarkas 82 , alias Abou Dahdah, considéré comme l’ex-chef local d’Al- Qaïda, jugé en 2007 pour sa participation à la préparation des attentats contre les tours jumelles du World Trade Center. Selon l’accusation de l’époque, « ce Syrien appartenait aux Frères musulmans avant de débarquer en Espagne dans les années 1980  » 83 . Avec la complicité d’un certain Driss Chebli, Dahdah aurait organisé, en juillet 2001 à Tarragone (Catalogne), une réunion avec Mohamed Atta et deux complices parmi lesquels Ramzi Bin Shibh, un terroriste d’Al-Qaïda lié à la cellule de Hambourg, pour régler les derniers détails des attaques-suicides contre les tours jumelles 84 . L’on peut évoquer encore le cas de Mustafa Setmarian Nasar, dit Abu Musab al-Suri, autre Frère musulman syrien naturalisé espagnol et devenu le théoricien référent d’Al-Qaïda, auteur d’un célèbre «  Appel à la résistance islamique mondiale » de 1 600 pages. Cet appel recommande carrément la guerre civile en Europe pour parvenir à la destruction de l’Occident et faire régner à terme la bannière de l’islam. Il a fait de nombreux émules dans les milieux jihadistes espagnols.
En Espagne, 700 individus suspectés de jihadisme ont été arrêtés depuis 2004, parmi lesquels 200 ont été emprisonnés. Soixante-dix pour cent des personnes radicalisées l’ont été « en face à face », d’après l’Institut royal Elcano, c’est à dire par le biais d’une personne physique, «  activiste, personnage religieux ou jihadiste avec lequel il existe des liens affectifs de parenté, de voisinage ou d’amitié  ». Soixante pour cent de ces radicalisés appartiennent à la deuxième génération issue de l’immigration, notamment marocaine, les Marocains de première ou seconde génération représentant 41 % du contingent de jihadistes recensés dans l’étude. Un quart des arrestations effectuées sur le territoire espagnol concernerait la seule province de Barcelone. « Située à une heure et demie de la frontière française, Barcelone offre aux terroristes d’Al-Qaïda et de l’organisation État islamique un axe géographique déjà utilisé par les contrebandiers au XVIII e  siècle. Aujourd’hui, cet axe est devenu une porte de sortie vers l’Hexagone », explique un responsable des services de renseignements espagnols qui travaille notamment sur les Frères musulmans 85 .
Docteur en sociolinguistique et journaliste à la RTVE, la radio-télévision nationale espagnole, Bouziane Ahmed Khodja est l’un des grands spécialistes espagnols du terrorisme, du monde arabe et de l’islam. Ce quinqua à l’allure élégante, que nous avons interviewé 86 pour Valeurs Actuelles au lendemain de l’attentat des Ramblas (août 2017), expliquait qu’en Espagne, «  les parents musulmans font bien souvent le lit du radicalisme de leurs enfants en les mettant dans des écoles coraniques ou entre les mains de salafistes dès leur plus jeune âge […]. De jeunes musulmans nés en Espagne sont élevés dans la haine de l’autre, l’Espagnol, le Catalan. Ils appartiennent à une communauté hermétique, repliée sur elle-même, qui reproduit les schémas sociaux du pays d’origine et le déni de l’autre, ce qui peut déboucher sur une forme de violence où l’islamisme devient un refuge ». Concernant le profil des terroristes qui ont attaqué Barcelone, il ajoutait  : « Sur le plan sociologique, il faut chercher du côté de leur éducation islamique, de leur radicalisation rapide au contact d’un imam extrémiste et de leur basculement vers la violence comme recours à une vengeance plus religieuse et ethnique que sociale  ». Un contexte sociologique et familial qui a facilité l’implantation de La Confrérie et de ses alliés/concurrents salafistes, lesquels n’ont pas eu besoin de recourir à de grands stratagèmes, puisque le terreau était fertile.
Des imams au discours sulfureux, nous en avons rencontré un certain nombre en Catalogne, notamment dans le cadre d’une enquête que nous avons menée sur un projet d’attentats multiples, ourdi par une cellule jihadiste auto-baptisée  Fraternité Islamique qui sévissait à Barcelone, mais aussi dans ses proches banlieues de Sabadell et Terrassa. Ce groupe d’une dizaine de personnes, qui avait pour objectif de faire sauter, en 2015, le quartier général de la police catalane ainsi que plusieurs lieux touristiques, enrôlait, par l’intermédiaire de recruteurs, de jeunes adultes d’origine marocaine pour aller combattre en Syrie, aux côtés de Daech. L’une des recruteuses de l’État islamique – d’ailleurs suspectée d’avoir embrigadé ses propres enfants auxquels nous avons consacré un reportage en 2017 87  – elle-même mariée à un sympathisant des Frères musulmans, était à la fois en lien avec des Frères marocains et des salafistes. «  Vous savez, l’Espagne est un pays en apparence très calme sur le plan religieux. Personne ne s’est soucié de l’arrivée des islamistes. D’abord parce que durant des années, la principale préoccupation en matière de terrorisme était l’ETA. Ensuite, parce que le pays est très intégrateur. Particulièrement Barcelone, qui est très cosmopolite. En fait, tout cela s’est fait sans que l’on se rende compte de rien, d’autant qu’il y avait un besoin réel de main d’œuvre » , nous a expliqué un expert espagnol de l’antiterrorisme, sous couvert d’anonymat . « Aujourd’hui, les institutions policières ont mis en place des cellules de surveillance des Frères musulmans. Elles ont conscience de leur porosité avec des organisations plus radicales de type salafiste et jihadiste. Mais il n’est pas toujours simple d’agir. Nous avons donc privilégié la surveillance de ces structures et de certains de leurs membres via un réseau d’informateurs, et partageons nos données avec les services français et marocains notamment, car elles concernent le plus souvent des espagnols d’origine marocaine qui agissent dans ces trois pays. On sait par exemple qu’il y a une coordination des réseaux islamistes et jihadistes entre le Maroc, l’Espagne et la France. Mais c’est un travail de très longue haleine, et en Espagne, les Frères musulmans ne représentent qu’une partie du puzzle, sans doute la plus politique, ce qui les rend difficile à appréhender, même si l’on a conscience de la dangerosité de leurs discours (…). Ajoutez à cela qu’ils s’impliquent aussi dans le monde associatif et le commerce, cela rend la tâche très complexe, d’autant que contrairement à la France, aucun d’entre eux ne s’affiche ouvertement comme membre de La Confrérie . »

1 . Mohamed Louizi, Pourquoi j’ai quitté les Frères musulmans ? Retour éclairé vers un islam apolitique , Paris, Michalon, 2016, p. 213.
2 . Zuhdi Jasser, op. cit.
3 . Jager cité par Zuhdi Jasser, op. cit.
4 . Zuhdi Jasser, op. cit.
5 . Counter Extremism Project, « The Muslim Brotherhood’s Ties to ISIS and Al-Qaeda », op.cit.
6 . Massacres d’un millions de noirs chrétiens animistes au Sud et de 300 000 musulmans noirs du Darfour.
7 . En 1969, le général Nimeiry prend le pouvoir lors d’un coup d’État et l’arrête. Il reste en prison 6 ans avant de s’enfuir en Libye. En 1979, lorsque Nimeiry se rapproche des Frères, Al-Tourabi revient au Soudan et devient procureur général.
8 . Source : https://www.lepoint.fr/monde/khartoum-disparition-d-hassan-al-tourabi-pape-noir-du-terrorisme-07-03-2016- 2023551_24.php
9 . Hassan al Tourabi a étudié à la Sorbonne dans les années 1950. De 1964 à 1969, il a dirigé le Front de la charte islamique, parti des Frères musulmans soudanais.
10 . Deux ans plutôt, Tourabi avait livré Carlos à la France.
11 . Le Fatah se déclare laïque, même si nombre de ses cadres sont musulmans. Il est membre de l‘Internationale socialiste.
12 . Abou Moussab al-Zarkaoui, né le 30 octobre 1966, fut le chef d’Al Qaïda en Irak. Responsable de centaines d’attentats meurtriers, il a été tué le 7 juin 2006 lors d’un bombardement de l’armée américaine.
13 . Le reportage intitulé « Business, tourisme et kalachnikov : les mille visages de Beyrouth », fut diffusé le 30 mai 2010.
14 . Nom de combat de notre interlocuteur
15 . Tout l’entretien des journalistes se tient sous la garde et la menace des miliciens d’Al-Qaïda armés de Kalachnikovs. Une partie a été diffusée sur M6 en mai 2010. Les réponses d’Abu Tarik sont extraites des rushes du film et de notes prises durant l’interview.
16 . Élaborée en 1988, le Hamas l’a modifiée en mai 2017, supprimant de son article 2 l’allusion à son affiliation aux Frères.
17 . Extrait de l’article 1 de la charte du Hamas.
18 . US Treasury, « U.S. designates Five charities funding Hamas and Six Senior Hamas Leaders as Terrorist entities », 22 août 2003, https://www.treasury.gov/press-center/press-releases/Pages/js672.aspx
19 . The Avalon Project, «Hamas Covenant 1988 », Yale Law School, http://avalon.law.yale.edu/20th_century/hamas.asp
20 . Adam Hoffman, « The « Hamas Document » and the Muslim Brotherhood : Ideological or Political shift ? », Tony Blair Institute for Global Change, 4 mai 2017, https://institute.global/insight/co-existence/hamas-document-and-muslim-brotherhood-ideological-or-political-shift
21 . Albawabhnews, http://www.albawabhnews.com/2519981
22 . Ikhwan Online, « The Muslim Brotherhood congratulates Hamas for electing its new office », 8 mai 2017, http://ikhwanonline.com/official_statements/229838/Default.aspx
23 . The Investigative Project, « Muslim Brotherhood invokes antisemitism in Pro-Hamas Statement », 17 mai 2017, https://www.investigativeproject.org/6125/muslim-brotherhood-invokes-anti-semitism-in-pro
24 . Christopher W. Holton, « HAMAS, the Muslim Brotherhood and the Islamic State », Center for Security Policy, 31 mai 2017, https://www.centerforsecuritypolicy.org/2017/05/31/hamas-the-muslim-brotherhood-and-the-islamic-state/
25 . US Treasury, op.cit.
26 . Né en 1941 à Jénine, ce docteur en droit musulman a appartenu au bureau politique des Ikhwan jordaniens. Il enseigna dans les années 1980 à la King Abdul Aziz University de Djeddah (Arabie saoudite), où il croisa la route de Ben Laden avant de rejoindre le Pakistan. Il y créa le MAK, organisation qui préfigura Al Qaïda.
27 . Le House Oversight and Government reform Committee est un comité faisant partie du Congrès américain qui réunit des Républicains et des Démocrates, un des plus influents de la Chambre, avec sept sous-comités, dont celui de la Sécurité Nationale. Il a rappelé, le 11 juillet 2018, que « les Frères sont un organisation islamiste radicale qui a généré un réseau d’affiliés dans plus de 70 pays. Les Frères sont fichés comme une organisation terroriste dans de multiples pays y compris l’Égypte, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis. Les États-Unis ont fiché nombre d’affiliés des Frères musulmans comme organisations terroristes, y compris le Hamas. Le 31 janviers 2018, le State Department a désigné les affiliés des Frères musulmans HASM et Liwa al-Thwara ainsi que le leader politique Ismail Haniyé, comme Terroristes Mondiaux Spécifiquement Désignés (SDGT) par ordre exécutif », https://oversight.house.gov/hearing/the-muslim-brotherhoods-global-threat/ .
28 . Zuhdi Jasser témoignant devant le House Oversight and Government Reform Committee, 11 juillet 2018, p. 5.
29 . Voir Arte reportage : Les VRP de la Charia 2007 – Reportage réalisé par Emmanuel Razavi et Dominique Hennequin. Cf aussi Emmanuel Razavi, « Frères Musulmans dans l’ombre d’al Qaïda », éd. J-C. Godefroy, Paris, 2005.
30 . Si l’entretien fut court – nous avions refusé de lui verser de l’argent en contrepartie de son témoignage –, ses explications, brèves, nous avaient permis de faire le lien entre Zawahiri et La Confrérie.
31 . voir : The Looming Tower : Al Qaeda’s Road to 9/11 de Lawrence Wright (2006).
32 . Lawrence Wright, « The man behind bin Laden », The New-Yorker, 16 septembre 2002.
33 . Fabrizio Calvi, 11 septembre, la contre-enquête , Fayart (2011).
34 . Fabrizio Calvi, op.cit.
35 . Lawrence Wright, op.cit.
36 . Muhammad Rabi al-Zawahiri, frère cadet d'Ayman ex-membre du Jihad islamique égyptien, fut l’une des 14 personnes soumises à une restitution par la CIA avant la guerre contre le terrorisme de 2001.
37 . Ivan Sand, « La place du Sinaï au sein des rivalités de pouvoir en Égypte (2011-2013) », Confluences Méditerranée 2014/4 (N° 91), p. 143-163.
38 . Thomas Hegghammer, «Abdallah Azzam, l’imam du jihad », in Gilles Kepel et al., Al-Qaida dans le texte, Presses Universitaires de France « Quadrige », 2008, pp. 113-137
39 . Thomas Hegghammer, op.cit .
40 . Bruce Riedel, « The 9/11 Attacks’ spiritual father », Brookings Institute, 11 septembre 2011, https://www.brookings.edu/opinions/the-911-attacks-spiritual-father/
41 . Rapport du Meir Amit ITIC sur les Frères Musulmans, op cit., p. 95.
42 . Ibid.
43 . Bruce Riedel, op. cit.
44 . Ibid.
45 . Thomas Hegghammer, op.cit.
46 . Ibid.
47 . William McCants, « Abu Bakr Al-Baghdadi. The Believer. How an Introvert with a passion for religion and soccer became leader of the Islamic State », Brookings, 1er septembre 2015, http://csweb.brookings.edu/content/research/essays/2015/thebeliever.html
48 . Ibid.
49 . Ibid.
50 . Counter Extremism Project, « The Muslim Brotherhood’s Ties to ISIS and Al-Qaeda », op.cit.
51 . SDGT, acronyme de Specially Designated Global Terrorist.
52 . « United States Designates bin Laden Loyalist », 24 février 2004.
53 . The Muslim 500 , op. cit. p. 129.
54 . US Treasury, « United States Designates bin Laden Loyalist », note du 24 février 2014.
55 . 9/11 Memorial & Museum, « 1993 World Trade Center Bombing », https://www.911memorial.org/1993-world-trade-center-bombing
56 . Rapport du Meir Amit, op.cit. p. 90.
57 . Ibid, p. 94.
58 . Zuhdi Jasser, op.cit., p. 8
59 . BBC Monitoring, « Sinai Province : Egypt’s most dangerous group », BBC, 12 mai 2016.
60 . Eric Trager, « Cairo Bombing Exposes the Muslim Brotherhood’s Jihadist Tilt », The Washington Institute , 2 octobre 2017.
61 . Matthew Levitt, « New Palestinian and Egyptian Designations Highlight Iran and the Muslim Brotherhood », The Washington Institute, 31 janvier 2018, https://www.washingtoninstitute.org/policy-analysis/view/new-gaza-and-egypt-designations-highlight-iran-and-the-muslim-brotherhood
62 . Steven Merley, « The Global Anti-Aggression Campaign 2003-2016 », The Global Muslim Brotherhood Research Center, (2017), https://www.globalmbresearch.com/wp-content/uploads/2017/02/Global_Anti-Aggression_Campaign_2003-2016.pdf
63 . Abd Al-Rahman al-Nuaimi, né en 1954, est un sujet qatari, avocat et co-fondateur de l’ONG de défense des droits humains Al-Karama. Il a enseigné les études islamiques à l’Université du Qatar, présidé le Qatar football Association et a été membre du board de la Qatar Islamic Bank, avant d’être accusé d’être « un des plus prolifiques financiers du terrorisme  » par les autorités judiciaires et le Trésor américain, cf : https://en.wikipedia.org/wiki/Abd_Al-Rahman_al-Nuaimi .
64 . US Treasury, « Treasury designates Al-Qaida Supporters in Qatar and Yemen », 18 décembre 2013, https://www.treasury.gov/press-center/press-releases/Pages/jl2249.aspx .
65 . US Treasury, op.cit.
66 . Ibid.
67 . US Treasury, « Treasury Sanction two Hamas-controlled charities », 4 octobre 2012, https://www.treasury.gov/press-center/press-releases/Pages/tg1725.aspx
68 . Steven Merley, « The Global Anti-Aggression Campaign 2003-2016 », op. cit.
69 . Matthew Lewitt, « Islamic Extremism in Europe », 27 avril 2005, Washington Institute, https://www.washingtoninstitute.org/policy-analysis/view/islamic-extremism-in-europe-beyond-al-qaedahamas-and-hezbollah-in-europe
70 . İHH/İnsan Hak ve Hürriyetleri İnsani Yardım Vakfı, ou « Fondation pour l’aide humanitaire », créée en 1992 à Istanbul, avait pour objectif à l’origine d’aider les jihadistes bosniaques face aux Serbes puis les combattants tchétchènes face aux Russes. Elle soutint aussi des groupes islamiques en Somalie. Elle a une antenne à Gaza. En 2006, le rapport du chercheur américain Evan Kohlman The Role of Islamic Charities in International Terrorist Recruitment and Financing, qui cite entre autres un rapport du juge Jean-Louis Bruguière, montre que l’ONG a été liée à Al-Qaïda et qu’elle a été impliquée dans une tentative d’attentat contre l’aéroport de Los Angeles. Elle compte parmi ses instances dirigeantes, Murat Mercan, ex-président de la commission des affaires étrangères du Parlement turc et cadre de l’AKP, qui a participé au convoi de la flottille de Gaza. En janvier 2014, l’IHH a été accusée d’avoir acheminé un camion humanitaire rempli d’armes à destination des jihadistes syriens.
71 . David Brown, Catherine Philip, Richard Spencer, « Finsbury Mosque leader Mohammed Sawalha part of Hamas Politburo », The Times , 7 novembre 2017, https://www.thetimes.co.uk/article/finsbury-mosque-leader-mohammed-sawalha-part-of-hamas- politburo-0cdn3gs80 .
72 . Ibid.
73 . Samir Afghar, « L’Europe, terre d’influence des Frères musulmans », in Politique étrangère, Vol. 74, N° 2 (ÉTÉ 2009), p. 3777-388
74 . https://twitter.com/anasaltikriti/status/2121566989478 87105.
75 . Steven Merley, op.cit.
76 . http://data.parliament.uk/writtenevidence/committee evidence.svc/evidencedocument/foreign-affairs-committee/political-islam/oral/34225.html%20.
77 . Emmanuel Razavi, Reportage « Ravalkistan fief Pakistanais à Barcelone », https://www.valeursactuelles.com/monde/le-ravalkistan-un-fief-pakistanais-a-barcelone-29193 .
78 . Si l’on n’a pas pris rendez-vous, des fidèles baraqués dissuadent les curieux de s’aventurer trop près de leurs centres culturels. Exception faite des prostituées et des dealers qui envahissent le quartier à la tombée de la nuit, on croirait arpenter les rues de Peshawar, dans ce « barrio  » où Beaucoup de Pakistanais et de Marocains ont ouvert des restaurants et des boucheries halal .
79 . http://www.realinstitutoelcano.org/wps/portal/rielcano_es/contenido?WCM_GLOBAL_CONTEXT=/elcano/elcano_es/zonas_es/terrorismo+internacional/reinares-espagne-sur-la-route-des-jihadistes
80 . https://elpais.com/elpais/2010/12/10/actualidad/1291972643_850215.html
81 . http://www.realinstitutoelcano.org/wps/portal/rielcano_es/contenido?WCM_GLOBAL_CONTEXT=/elcano/elcano_es/zonas_es/terrorismo+internacional/dt16-2013-reinares-gciacalvo-radicalizacion-terrorismo-yihadista-espana
82 . Source : https://www.liberation.fr/planete/2005/04/22/une-branche-d-al-qaeda-jugee-a-madrid_517313 – François Musse
83 . https://www.liberation.fr/planete/2005/04/22/une-branche-d-al-qaeda-jugee-a-madrid_517313
84 . Source : https://www.elwatan.com/archives/internationale/proces-dal-qaida-en-espagne-23-04-2005 .
85 . « Longtemps, nous avons considéré que les islamistes se servaient de notre région comme d’un centre logistique permettant de fournir des faux papiers et de l’argent liquide à des individus en situation irrégulière ou sur le point de partir faire le djihad. C’est en fait devenu un lieu de passage pour les djihadistes, comme pour d’autres types de réseaux criminels. Nous savons qu’un certain nombre d’entre eux ont utilisé l’aéroport de Barcelone pour aller en Syrie (…). Ils ont bénéficié de soutiens liés aux Frères, notamment  ».
86 . Lire : https://www.valeursactuelles.com/monde/barcelone-sanctuaire-djihadiste-87834 .
87 . Arte. Tv – Espagne : un modèle antiterroriste ?