Chapitre VII
Les réseaux sociaux et l’antiracisme politiquement correct au service de l’expansion frériste
« L’islamophobie déplace la question du racisme sur le champ du religieux. De fait, cela permet de réintroduire à haute dose le fait religieux dans le débat public ».
« Dans l’expression de l’islamo-gauchisme, tout se passe comme si seuls les dominés, les anciens colonisés, avaient droit à une identité, mais non la France, parce qu’elle est coupable. Il s’agit là d’un néo-vichysime. En effet, Pétain n’a cessé de culpabiliser les Français. Que disent aujourd’hui les islamo-gauchistes ? “Tout ce qui arrive à la France est naturel.” Je ne dis pas qu’ils
justifient les attentats. Mais enfin, si la France est l’une des cibles privilégiées de l’islamisme, c’est peut-être selon eux, à mettre en relation avec son passé. »
Jacques Julliar
d
Les Frères, sel de l’alliance « islamo-gauchiste »
L’expression « islamo-gauchiste », bien qu’étant fortement polémique, n’en désigne par moins un phénomène palpable, celui d’une alliance entre des forces islamistes subversives et des intellectuels, journalistes, militants ou responsables politiques venus de la gauche radicale, qui refusent de dénoncer l’islamisme sous prétexte de ne pas « stigmatiser l’islam », en réalité parce que ce dernier est perçu comme un allié de circonstance contre des ennemis communs : l’Occident judéo-chrétien, le sionisme, les États-Unis, le nationalisme, etc. En 2002, ce fut le philosophe du CNRS
Pierre-André Taguieff qui, dans son ouvrage
La Nouvelle Judéophobie
, popularisa le terme. Au départ, Taguieff entendait décrire le fait «
qu’un certain tiers-mondisme gauchiste se retrouvait côte à côte dans les mobilisations pro-palestiniennes notamment, avec divers courants islamistes
»
2
. En 2016, dans
L’Islamisme et nous
, il voyait dans la tenue de « réunions non mixtes » et du « camp d’été décolonial » des Indigènes
de la République (Reims, août 2016) – « interdit aux Européens » – la confirmation que «
l’antiracisme est mis au service de l’islamisme et de l’islamo-gauchisme, ou instrumentalisé pour la défense de causes ethnicisées
»
3
.
Utilisée également par des militants laïques de l’UFAL et dans la feuille web
Respublica
, l’expression a été reprise par Alain Finkielkraut, Caroline Fourest, Jacques Julliard,
Élisabeth Badinter,
Pascal Bruckner, ou encore
Bernard-Henri Lévy
4
. L’éditorialiste
Franz-Olivier Giesbert déplore ainsi une «
collaboration d’une partie de la gauche avec l’islamo-fascisme, donnant naissance à un islamo-gauchisme qui a des relais partout ».
Pour Jacques Julliard, l’islamo-gauchisme serait le fait d’une poignée d’intellectuels d’extrême gauche, «
peu nombreux mais très influents dans les médias et dans la mouvance des droits de l’homme, qui ont imposé une véritable sanctuarisation de l’islam dans l’espace politique français
»
5
.
L’historien explique que ce qui attire la gauche dans «
ce néo-cléricalisme musulman qui s’est emparé d’une frange de l’intelligentsia
», n’est pas tant «
le parti des pauvres, comme ils le prétendent
? (…)
Du reste, allez donc voir en
Arabie saoudite si l’islam est la religion des pauvres
.
Je constate plutôt que l’islamo-gauchisme est né du jour où l’islamisme est devenu le vecteur du terrorisme aveugle et de l’égorgement. Pourquoi cette conversion ? Parce que
l’intelligentsia est devenue, depuis le début du
XX
e
siècle, le vrai parti de la violence.
»
6
. Le journaliste et chercheur Alexandre Devecchio identifie quant à lui «
une nébuleuse rouge-verte
» pour qui «
“la lutte des races” a remplacé la lutte des classes
», face au «
mâle blanc occidental
».
Sans surprise, on retrouve les Frères musulmans au centre de cette alliance paradoxale qui réunirait, face à des « ennemis » communs, les forces de la gauche tiers-mondiste et celles de l’islamisme. Le 22 mai 2016, l’ex-Premier-ministre
Manuel Valls déclencha une violente polémique lorsqu’il qualifia d’« islamo-gauchisme »
« ces capitulations, ces ambiguïtés (des Insoumis) avec les Indigènes de la République, les discussions entre Mme
Clémentine Autain et
Tariq Ramadan, ambiguïtés entretenues qui forment le terreau de la violence et de la radicalisation »
, cela après que le site d’Ensemble, l’une des composantes du Front de gauche dont Clémentine Autain était porte-parole, avait appelé à se rendre à un meeting de Tariq Ramadan. Cette accusation faisait suite aux discussions portant sur l’article 2 de la loi antiterroriste relative à la fermeture des lieux de culte, rejetée par plusieurs membres de la France insoumise (
Alexis Corbière,
Danièle Obono,
Ugo Bernalicis, Stéphane Peu) et par le communiste
Jean-Paul Lecoq. Ainsi, ceux-là mêmes qui avaient refusé de voter la loi interdisant la
burqa
en 2010 déposèrent des amendements contre l’article (rejetés en séance), déclarant que l’arsenal législatif en place suffisait et que les fermetures de lieux de culte radicaux étaient
« inutiles, inefficaces et dangereuses »
.
La polémique sur « l’islamo-gauchisme » arriva à son paroxysme lorsque la députée de la France insoumise Danièle Obono participa aux 10 ans du Parti des indigènes de la République (PIR), connu pour sa haine des « Français souchiens », sa défense de l’islamisme, et ses causes communes avec les Frères musulmans. Obono expliqua sans complexe que
« le PIR fait partie du mouvement antiraciste. […] Je défends l’idée de se battre à côté de gens qui ont des désaccords avec moi »
7
. Pour elle, «
La radicalisation n’est pas un concept scientifique suffisamment arrêté »
, exprimant ses « doutes » sur la notion même de radicalisation terroriste. Principal soutien moral et médiatique des Frères musulmans et de l’islamisme en général en France, on ne peut manquer d’évoquer le journaliste et militant trotskiste Edwy Plenel, fondateur de
Médiapart
et ancien rédacteur en chef du
Monde,
auteur d’un ouvrage victimiste devenu une lecture de référence pour les Frères musulmans :
Pour les Musulmans
8
.
Sa thèse est que les musulmans, presque tous issus de l’immigration, seraient les « nouveaux Juifs », les victimes absolues de la pire forme de racisme : « l’islamophobie ». Plenel y affirme qu’«
aujourd’hui, l’islam est devenu le bouc émissaire principal dans le discours des intellectuels, politiques et médiatiques
»
9
. Il fustige la laïcité actuelle, accusée d’agir en «
refus des religions (…) minoritaires »,
à savoir l’islam
10
.
Plenel assure que son ouvrage vise à «
répondre à ceux qui généralisent à tous une pratique détestable de certains – ce que l’on nomme islamophobie »
. L’ex-directeur du
Monde
prône ainsi la tolérance envers le voile islamique, la
burqa
ou le
burkini
, qu’il qualifie de «
vêtement comme les autres
»
11
. Il défend ces signes prosélytes au nom d’une «
laïcité originelle
» qu’il distingue du «
laïcisme sectaire qui est à la laïcité ce que l’intégrisme est aux religions
» et qu’il voit comme «
le cheval de Troie de la banalisation de la xénophobie et du racisme par nos élites, permettant la notabilisation de l’extrême droite
»
12
.
Cette alliance rouge-verte étonnante a poussé Mohamed
Louizi, ex-membre des Frères musulmans « repenti »
13
, à suspendre son blog sur
Mediapart
, en février 2016, pour dénoncer la complaisance avec l’islamisme, les Frères musulmans et
Tariq Ramadan
14
. D’après Louizi,
Mediapart
serait ainsi devenu «
un instrument de propagande frérosalafiste antilaïcité et anti-république
(…)
15
,
la ligne éditoriale, plus que complaisante envers l’islamisme et particulièrement envers les Frères musulmans pose d’énormes
problèmes déontologiques
». Au sein de
Mediapart,
déplore Louizi, «
l’idéologique se mélange au journalistique (…), en entretenant des proximités avec des composantes islamistes
». L’ex-collaborateur de la revue
online
avertit que lorsque l’on «
reprend les éléments de langage des « Frères musulmans » ( « islamophobie ») pour empêcher tout débat serein, l’on est plutôt au service des « Frères » contre les intérêts communs de la communauté nationale et aussi des citoyens de foi et/ou de culture musulmane
»
16
.
Pour le philosophe
Pascal Brukner, Edwy Plenel mais aussi le sociologue du CNRS
Vincent Geisser, auteur d’un pamphlet
La Nouvelle islamophobie
, ou encore l’islamologue
François Burgat
17
, soutien des Frères musulmans de longue date, feraient partie « de plein droit » d’une mouvance qu’il a nommée « islamosphère », constituée par des « agents d’influence », des intellectuels, des politiques des associations agissant en « complices » subjectifs ou objectifs des islamistes
18
. Dans leur enquête, publiée dans
Le Figaro-Magazine
, les journalistes
Vincent Nouzille et
Judith Waintraub ont décrypté l’émergence de l’islamosphère qui agit comme une toile et «
étend son influence dans le monde intellectuel, politique, dans les médias et les réseaux associatifs
»
19
. Cette mouvance
rouge-verte, qui incarnerait un « néo-cléricalisme musulman », saperait méthodiquement les fondements de la France et de l’Occident en imposant une inversion permanente des valeurs, une immigration sans limites et un changement de civilisation allant dans le sens du projet d’islamisation des Frères musulmans et d’autres pôles de l’islamisme mondial. Pour la gauche, «
l’islamiste n’est donc jamais responsable de sa manière de croire et de pratiquer l’islam, comme le terroriste n’est jamais pleinement responsable de ses actes
». En revanche, la société occidentale et les Occidentaux seraient «
les véritables responsables
» de ce qui leur arrive
20
.
Vincent Geisser classe dans cette catégorie non pas uniquement la critique des
musulmans
, mais celle de la
religion musulmane
et même de l’islamisme. L’auteur accuse comme « facilitateurs d’islamophobie » des associations animées par des musulmans de naissance, comme
Ni Putes ni Soumises
et SOS-Racisme, mais aussi des imams modérés comme
Souheib Bencheikh et
Dalil Boubakeur, le philosophe pakistanais athée Ibn Warraq, auteur de l’essai
Pourquoi je ne suis pas Musulman
21
, l’ex-président de France Plus,
Arezki Dahmani, coupable d’avoir dénoncé le « lobby islamiste », et même l’ex-président de SOS Racisme et député PS,
Malek Boutih. Révélant la motivation profonde de son discours, Geisser avoue préférer à l’islamophobie le terme plus juste d’« islamistophobie », qui permettrait de blâmer comme anti-musulmans ceux qui dénoncent également
l’islamisme radical et pas seulement l’islam
22
. Conformément à la vulgate révolutionnaire marxiste, Vincent Geisser accuse Dalil Boubakeur et Souheib Bencheikh de défendre une «
conception tutélaire de l’isla
m » et surtout de «
légitimer une gestion sécuritaire de la communauté musulmane, appelant à une collaboration avec les services policiers, comme si la masse des musulmans de France, par naïveté ou immaturité, était susceptible d’être manipulée par des organisations “islamo-terroristes”
»
23
. Est également mis en pâture le journaliste-reporter à
Marianne
,
Mohamed Sifaoui, accusé lui aussi d’être lié aux «
cercles du pouvoir de l’État algérien
» anti-islamistes.
Dans la même logique de négation du danger islamiste et jihadiste,
Thomas Deltombe, auteur de
L’islam imaginaire : la construction médiatique de l’islamophobie en France (1975-2005)
24
, explique comment le petit écran et les journaux auraient progressivement « fabriqué un islam imaginaire », sous l’effet conjoint de la «
course à l’audience et d’une idéologie pernicieuse de stigmatisation de l’ « Autre » musulman »
. Selon lui, les « musulmans » seraient un bloc intouchable, victime par essence de l’État occidental et des discours sur le terrorisme, de sorte que les médias et les politiques auraient progressivement construit une véritable islamophobie nationale qui irait bien au-delà de l’extrême-droite ou des racistes mais qui serait devenue « structurelle »
25
.
Dans leur ouvrage
Islamophobie : la contre-enquête
,
Jean-Christophe Moreau et
Isabelle Kersimon
26
ont voulu vérifier si les innombrables plaintes contre « l’islamophobie » présentées par le CCIF ou autres organes dits anti-racistes ou anti-islamophobes correspondaient à des faits réels et aussi graves qu’ils le disaient. Ils ont été surpris par la légèreté des plaintes et le manque de preuves et ont conclu à une véritable opération d’usurpation qui relaierait assez fidèlement les stratégies convergentes des Frères musulmans, de l’OCI, de l’ISESCO et autres pôles de l’islamisation décrits plus haut et dont l’objectif est de faire interdire, au niveau onusien et occidental, le « blasphème ». Cela permet de se conformer en fin de compte aux commandements liberticides et suprémacistes de la
charià
(censure et délit de blasphème), sous couvert de lutte contre la « diffamation des religions » assimilée à du racisme. Cette «
lutte contre la diffamation des religions
» de l’OCI est organisée comme une guerre sainte mondiale contre les droits de l’homme, estiment les auteurs. Spécialiste du droit, Jean-Christophe Moreau montre notamment que le « flottement juridique » inhérent aux nouvelles législations françaises en matière d’antiracisme
« accrédite l’idée que toute critique intéressant de près ou de loin la religion musulmane pourrait n’être qu’une forme particulière de xénophobie »
27
.
Ceci en vertu d’une interprétation littérale de l’article 48-1 de la loi sur la liberté de la presse qui donne aux associations qui se proposent dans leurs statuts de combattre le racisme le droit d’ester
en justice et de se porter partie civile contre des auteurs. C’est de cette façon que l’écrivain
Michel Houellebecq, en 2001, puis
Charlie Hebdo,
en 2007, furent attaqués en justice, accusés de stigmatiser les musulmans et l’islam.
Plus intéressant encore, les deux auteurs dévoilent le postulat racialiste des « anti-islamophobes » et leur croyance dans la notion de responsabilité collective, puisqu’ils veulent poursuivre des auteurs et des propos non pour des faits réellement commis, mais pour ceux que d’autres pourraient commettre sous « l’influence » présumée de leurs discours. Les auteurs dénoncent ainsi «
l’inflation sémantique de la notion d’islamophobie »
. Après avoir décortiqué la typologie des « actes islamophobes » présentée par le CCIF, ils dévoilent le véritable objet de la lutte contre « l’islamophobie » qui consiste à assimiler les simples critiques ou caricatures à des délits de droit commun. Avec la négation permanente du problème islamiste
28
, la « lutte contre l’islamophobie » participe en fin de compte d’une vision suprématiste au bénéfice d’un islamisme conquérant hostile aux valeurs des sociétés non musulmanes d’accueil. Grâce à cette stratégie victimaire, les Frères musulmans, qui œuvrent à contrôler les communautés musulmanes d’Europe, ont réussi à persuader les musulmans et les élites d’Occident que les adeptes de Mahomet seraient traités « comme les colonisés jadis », voire «
comme les Juifs dans les années 1930
» et sous la Collaboration…
L’amalgame avec l’antisémitisme et la stratégie de la réductio ad hitlerum
Dans leur stratégie de conquête asymétrique par le jihad du « verbe » et de la culpabilisation des consciences, les pôles de l’islamisation mondiale comptent tout particulièrement sur l’aide rhétorique, idéologique et politique, des forces dites « antiracistes » d’extrême-gauche, qui n’hésitent jamais, comme les Frères musulmans, à activer l’arme de la
reductio ad hitlerum
et du victimisme paranoïsant visant à faire croire que les musulmans aujourd’hui seraient traités aussi mal que les Juifs hier… Qu’il s’agisse de politiques comme
Olivier Besancenot, de
Jean-Luc Mélenchon, de
Clémentine Autain, de
Danièle Obono, de cautions morales et associations « antiracistes » comme le MRAP, la Ligue des droits de l’homme, le CCIF, ou de journalistes et intellectuels comme
Pascal Boniface, Edwy Plenel,
Vincent Geisser, Thomas Guénolé, des forces et personnalités « progressistes » médiatiquement influentes œuvrent depuis des années à faire admettre l’idée que l’islamophobie d’aujourd’hui serait l’équivalent de l’antisémitisme d’hier. C’est ainsi qu’après les attentats de l’hyper-casher et de
Charlie Hebdo,
Jean-Luc Mélenchon avait comparé le sort des musulmans dans la République française à celui des protestants massacrés lors de la Saint-Barthélémy et des Juifs génocidés par les Nazis durant la Seconde Guerre mondiale…
29
.
Pour
Cécile Duflot (Europe Écologie – Les Verts),
« les ressorts de l’usage de l’islamophobie aujourd’hui sont un peu les mêmes que les ressorts de l’usage de l’antisémitisme »
30
. Dans les années 2000, Vincent Geisser, auteur de
la Nouvelle islamophobie
31
, dénonçait déjà l’islamophobie comme « facilitateur » de racisme et d’extrême-droitisme dans le but de discréditer-diaboliser tous ceux qui combattent l’islamisme radical. De son côté, l’ex-Secrétaire général de l’Organisation de la coopération islamique,
Ekmeleddin Ihsanoglu, n’a pas hésité à appuyer sur le « point Godwin », notamment lorsqu’il a déclaré en septembre 2010 que «
nous nous dirigeons vers un paradigme ressemblant à l’antisémitisme des années 1930
»
32
.
En Belgique, l’islamologue belge
Michaël Privot, anciennement militant des Frères musulmans
33
, a pu affirmer que «
l’islamophobie et l’antisémitisme, ce sont les deux faces d’une même pièce »
34
, le même «
nom de l’Occident judéo-chrétien
»
35
… Cette vision outrancièrement victimiste, qui consiste à faire croire aux musulmans qu’ils sont traités en Occident comme les Juifs jadis victimes de pogroms ou de génocide, est très explosive, car l’histoire et la polémologie montrent qu’il est très facile de faire croire à un groupe, pour le souder et le monter contre un autre, qu’il est davantage persécuté qu’il ne l’est réellement, puis, corrélativement, de le convaincre que tous ses maux sont la faute de l’Autre, dont il doit se dissocier. La conséquence de cette représentation est que ce groupe victimisé et flatté dans un narcissisme communautaire morbide finit par ne plus être capable de se remettre en question. La suite logique consiste à s’auto-exclure de la société environnante, foncièrement hostile, et à se « désassimiler ». Les sociétés occidentales, qui baignent dans cette doxa depuis des décennies, en paient déjà le prix en matière de difficulté d’intégration et de radicalisation islamiste.
« Paranoïsation » et « désassimilation », l’antiracisme dévoyé afin de réislamiser
Bien que les Frères musulmans et d’autres mouvances islamistes sachent très bien que les musulmans ne sont pas persécutés dans les démocraties occidentales, la stratégie des
lobbies
islamistes mondiaux consiste à distiller au sein des communautés musulmanes d’Occident un sentiment de persécution. L’idée est de les pousser à ne surtout pas s’intégrer aux mœurs locales « impies » et laïques, au nom d’un « droit à la différence » et d’un antiracisme dévoyés à dessein. Pour illustrer cette stratégie de « désassimilation », rappelons les propos prononcés en février 2008 par
Recep Taiyyp Erdogan à Cologne, devant 1 600 turco-musulmans d’Allemagne, en réaction à ceux de la chancelière
Angela Merkel qui avait réclamé une plus forte intégration des Turcs à la culture allemande : «
l’intégration ou l’assimilation est un crime contre l’humanité
»
36
. Quand on sait que la vision fondamentaliste de l’islam chère au président turc, lui-même protecteur des Frères musulmans, est distillée au sein des communautés turques d’Europe depuis les années 2000 (avec le soutien du ministère turc de la Religion, Diyanet), et que, depuis juillet 2017, le Conseil français du culte musulman a été présidé par un proche d’Erdogan (
Ahmet Ogras), cela laisse augurer du devenir
du « vivre-ensemble » tant préconisé par ceux-là mêmes (multiculturalistes) qui sapent ses fondements. La stratégie de conquête-soumission des suprématistes islamistes consiste en fait à pérenniser ou créer l’« extériorité » des musulmans puis à les pousser à vivre de façon séparée des « mécréants ».
Ce processus de « ghetto volontaire » se nourrit de la contagion paranoïaque, qui permet de pousser des musulmans victimisés à se radicaliser et à se ranger progressivement, par « réaction », sous la bannière protectrice et l’ordre sans frontière de la
charià
. Les plus extrêmes voient dans le jihadisme l’aboutissement final de cette stratégie de la partition, mais le processus de « désengagement-désassimilation » est assuré en amont par les
lobbies
islamiques officiels qui « dénoncent » le terrorisme tout en niant sa nature islamiste. L’objectif sécessionniste poursuivi par les pôles de l’islamisme mondial, jihadistes ou institutionnels, est certes combattu par les États musulmans nationalistes (
Émirats arabes unis, Égypte, Jordanie, Algérie, Syrie d’
Assad, Kazakhstan), qui craignent le nouvel impérialisme vert tourné contre leur souveraineté nationale, et appuyé par le Qatar, la Turquie néo-ottomane d’Erdogan, le Pakistan, et les Frères musulmans. Toutefois, en dépit des rivalités opposant États et pôles islamistes entre eux dans la lutte pour le
leadership
musulman mondial, ces pôles ont réussi à rendre une partie des communautés musulmanes d’Occident hostiles à leurs pays d’adoption ou de naissance perçus comme « mécréants », « pervers », et « hostiles aux musulmans et à l’islam ». La force mobilisatrice des pôles violents comme non-violents du totalitarisme islamiste
consiste en fait à motiver le musulman qui se sentirait « exclu », à ne plus se conformer aux mœurs et ordres des « ennemis infidèles de l’islam ».
Le CCIF : le victimisme « antiraciste » au service du suprématisme panislamique
D’après un rapport de la DGSI cité plus haut, «
Les Frères musulmans se veulent une machine à fabriquer des « citoyens confessionnels », mus par le seul avenir de leur communauté religieuse (…)
.
Le réseau des Frères est bâti autour de l’imperméabilité de la communauté. Les attaques, qu’elles soient internes ou externes à la Oumma, ne sont pas gérées de la même manière. Lorsque l’attaque vient de l’extérieur, la stratégie est triple : décrédibilisation, victimisation et appartenance »
. Toujours selon l’étude précitée, «
la première réussite de cette guérilla informationnelle et idéologique est de parvenir à confondre dans l’opinion cible et l’opinion générale les discriminations anti-musulmans (rejet massif et haineux de l’islam en tant que religion, sanctionné par les lois de la République), et le rejet du fondamentalisme musulman (lui légitime, puisque contraire aux valeurs de la République, notamment en matière de laïcité et de droits humains)
. » Parmi les relais de cette stratégie subversive, on trouve en premier lieu le Comité contre l’islamophobie en France (CCIF), lobby « antiraciste » proche des
Ikhwan
et d’autres structures qui n’y sont pas directement liées : milieux d’extrême gauche ou militantisme associatif indigéniste… «
L’amalgame
se fait dès lors dans l’opinion publique entre critique du fondamentalisme et racisme anti-musulman
», poursuivent les rédacteurs du rapport de la DGSI. «
Le point le plus insidieux de cette stratégie s’avère être la réappropriation et le retournement des valeurs républicaines et des luttes pour les droits humains au service de la défense du fondamentalisme
»
37
.
Selon l’ancien fonctionnaire du ministère de l’intérieur spécialiste de l’islam, Bernard Godard, le CCIF serait «
directement issu des jeunes réislamisés par les réseaux fréristes et accompagnés par
Ramadan »,
et son fondateur-président,
Samy Debah
38
, ancien prédicateur du Tabligh devenu proche des Frères musulmans, serait issu de cette «
nouvelle génération venue à l’islam par les réseaux fréristes, l’UOIF ou le Collectif des musulmans de France proche de Tariq Ramadan »
39
. D’après
Laurence Marchand-Taillade, présidente de l’Observatoire de la laïcité du Val d’Oise, Debah et le CCIF voudraient faire «
passer la France pour un État raciste auprès des institutions européennes par le biais de rapports (dont les chiffres ont été largement contestés dans l’ouvrage « Islamophobie la contre-enquête »)
" et ils «
dénigreraient des lois de 2004 et 2010 »
sur le voile et la burka
.
Le 17 septembre 2015, le CCIF aurait par ailleurs
« signé une convention
de partenariat avec un islamiste marocain, Amine Nejdi, qui prône le Jihad armé contre les mécréants, la lapidation des fornicatrices et le port du voile intégral, comparant les femmes non voilées à des sucreries qui attireraient les mouches, sur le site de sa mosquée, à Nancy »
40
.
L’action du Collectif contre l’islamophobie en France est en fait un cas d’école du
lobbying
islamiste visant à faire taire toute critique de la religion musulmane ou même de l’islamisme radical et à faire croire que leur critique de même que celle du terrorisme constituerait en elles-mêmes des « marques » de haine envers les musulmans. Dans le cadre de cette stratégie victimaire et d’inversion des rôles, le CCIF s’inspire à la fois de l’action de l’Organisation de la coopération islamique (OCI), de l’ISESCO (voir
infra
) et des stratégies mises en place par les Frères musulmans. Aux côtés du MRAP ou d’autres officines « antiracistes » issues notamment de l’extrême gauche – qui avaient d’ailleurs initialement diabolisé
Charlie Hebdo
en l’accusant de « racisme antimusulman » –, le CCIF recense les « actes d’islamophobie », à partir de dépôts de plaintes et de signalements divers, sans vérification préalable et sans jamais attendre les verdicts des jugements, puis assure une assistance juridique auprès des « victimes », telles que les femmes refusant d’ôter leur voile ou leur
burka
dans les lieux publics. Le CCIF recommande de signaler les actes et propos islamophobes via des lettres aux autorités, des courriers types ou encore des signalements au Conseil supérieur
de l’audiovisuel. Depuis 2015, le volume total est passé de 7 000 plaintes à 90 000. Des émissions traitant de l’islam, comme le dossier Tabou de M6 (1 600 saisies) ou encore certains propos d’Éric Zemmour (5 800 saisies), ont été accusées d’islamophobie par les signataires des plaintes. En 2012, TF1 avait reçu une lettre de « mise en garde » à la suite de la diffusion d’extraits de négociations entre Mohamed
Merah et les services de renseignement pendant le siège de son appartement à Montauban. Le Conseil est également intervenu auprès de la chaîne Numéro 23 en raison de la diffusion, le 17 février 2013, de l’émission
Hondelatte Dimanche
: « L’islam est-il soluble dans la République ? ».
Dans le
Nouvelobs,
Yves Delahaie a estimé que «
le collectif est loin d’être motivé par le combat du racisme envers les musulmans mais est bel est bien porteur d’un combat idéologique visant à défier la République dans ses principes laïcs
»
41
. Malgré son parti pris, les liens du CCIF avec la mouvance des
Ikhwan
et ses exagérations quant à la comptabilisation des actes « islamophobes » – qui nous ont été confirmées tant par des cadres du Renseignement territorial et de la DGSI que par des responsables de la mosquée de Paris – le CCIF a été reconnu « d’intérêt général » en juin 2011. Il est même membre consultatif du Conseil économique et social des Nations Unies. En juillet 2004, il avait par exemple qualifié d’acte « islamophobe » la simple «
fermeture d’une école coranique à Grisy-Suisnes
», qui avait pourtant été ouverte
illégalement et dont la fermeture était motivée par l’agression de trois journalistes
42
par quatre personnes, parmi lesquelles son directeur,
Mohamed Hammami (imam tunisien proche du mouvement intégriste Tabligh), et son fils Moshen, entretemps condamné pour coups et blessures puis soumis à une mesure d’expulsion en 2012, notamment suite à des prêches incitant au
jihad
et à la haine envers les Juifs. Malgré cela, l’imam Hammami parviendra à gagner contre l’État français en recours administratif et ne sera pas expulsé. En mars 2007, le CCIF avait dénoncé la demande de fermeture de la mosquée de Noisy-le-Grand car les voisins de la mosquée se plaignaient de voir des « barbus » alors que ce lieu de culte avait été ouvert en violation des règles d’urbanisme par une association salafiste refusant tout droit de visite aux autorités ! En octobre 2006, le CCIF s’était indigné d’un «
rassemblement de personnalités à Lyon contre la venue de
Hani Ramadan
», qui a pourtant justifié, on l’a vu, les châtiments corporels et la lapidation. En juillet 2012, après qu’une animatrice pratiquant le jeûne musulman avait provoqué un accident de la route dans lequel furent blessés des enfants suite à son malaise dû à sa non-alimentation, le Collectif dénonça cette fois-ci
le licenciement, à Gennevilliers, de quatre animateurs qui refusaient eux aussi de s’alimenter au travail pendant le Ramadan, ceci alors même que le licenciement s’appuyait sur une clause du contrat de travail prévue par la mairie (communiste) et qui engageait les employés à
« veiller à ce que les enfants et eux-mêmes se restaurent et s’hydratent convenablement »
43
. Bien que le licenciement fût motivé par des raisons de sécurité, le CCIF affirma qu'
« identifier le jeûne comme altérant la capacité au travail est
[…]
stigmatisant et insultant pour l’ensemble des musulmans dans le monde »
44
. Autre exemple : deux semaines seulement après l’attentat meurtrier perpétré par le jihadiste Nemouche dans le Musée juif de Bruxelles, le porte-parole d’alors du Collectif,
Marwan Mohammad, né le 13 septembre 1978 à Paris, affirmait que la focalisation des autorités sur le terrorisme islamiste était « statistiquement irrationnelle » au regard du nombre d’actions commises, par exemple, par les mouvements séparatistes…
Les collaborations du Collectif avec des milieux institutionnels et publics sont officielles. Son directeur exécutif actuel, Marwan Mohammad, ex-trader et enseignant, a été notamment « conseiller spécial auprès du Bureau des institutions démocratiques et des droits humains » de l’OSCE (jusqu’en 2016). La
chercheuse Élisabeth Schemla a pourtant révélé dans son livre
L’Islam, épreuve française
qu’il adhérerait à une vision suprémaciste et prosélyte de l’islam. Elle a notamment reproduit une de ses déclarations choc, prononcée à la mosquée d’Orly fin d’août 2011 : «
Qui a le droit de dire que la France dans trente ou quarante ans ne sera pas un pays musulman ? Qui a le droit ? Personne dans ce pays n’a le droit de nous enlever ça. Personne n’a le droit de nous nier cet espoir-là. De nous nier le droit d’espérer dans une société globale fidèle à l’islam. Personne n’a le droit dans ce pays de définir pour nous ce qu’est l’identité française ».
Cette profession de foi islamiste a été reproduite lors du procès en diffamation intenté par le CCIF à l’encontre de l’éditorialiste du
Figaro
,
Ivan Rioufol
45
. Le CCIF a par ailleurs invité Nader Abou Anas et
Rachid Abou Houdeyfa – le controversé imam salafiste de Brest, connu pour ses prêches extrémistes – à participer à son dîner annuel en 2014, sachant que Houdeyfa,
alias
Rachid El Jay, avait déclaré à de jeunes musulmans suivant ses séminaires sur l’islam que «
Ceux qui aiment la musique écoutent le diable. Videz vos téléphones et vos MP3 !
»
46
. Le 29 novembre 2015, Marwan Muhammad prit pourtant directement la défense de
Houdeyfa
47
. Rappelons qu’Houdeyfa avait été visé par une enquête préliminaire par le parquet de Brest pour avoir promis notamment que ceux qui écoutaient de la musique seraient «
transformés en singes et en
porcs ». Lors d’un repas du CCIF, son fondateur,
Samy Debah, qualifia Houdeyfa « d’homme d’une grande qualité », sachant que l’imam de Brest, qui avait qualifié lors du congrès annuel des Frères au Bourget les lois françaises anti-burqa de « scélérates et discriminantes », avait déclaré, lors du salon de la femme musulmane de Pontoise en septembre 2015 : «
si la femme sort sans honneur ; qu’elle ne s’étonne pas que les hommes abusent de cette femme-là, l’honneur étant assuré par le voile
»… Il est vrai que pour Debah et le CCIF, les mesures légales d’expulsion ou d’interdiction d’imams radicaux constitueraient « une ingérence dans le discours religieux ». Malgré ces faits, l’imam salafiste de Brest défendu par le CCIF est devenu un « référent laïcité » après avoir obtenu un diplôme de l’université de Rennes1 en « Religions, droit et vie sociale »
48
.
Recommandant à ses adhérents et sympathisants de «
maintenir une vigilance sur les réseaux sociaux
», le
CCIF, très actif sur Twitter et Facebook (36 600 followers et 124 000 personnes aimant sa page Facebook), interpelle systématiquement les modérateurs afin de faire supprimer les comptes « problématiques ». D’après l’ancien journaliste du quotidien
Le Monde
Yves Mamou, la stratégie du CCIF consisterait à repérer un adversaire idéologique puis à le dénoncer comme « raciste » ou « islamophobe » afin de faire supprimer ses comptes. À titre d’exemple, Fatiha Boudjalat, cofondatrice du mouvement laïc
Viv(r)e la République,
Leila Ourzik, artiste peintre originaire de banlieue, ou encore Olivier Aron, dentiste et ancien élu, ont vu leurs comptes Facebook supprimés en raison de leur supposée « islamophobie ». Quant au journaliste-éditorialiste du
Figaro,
Ivan Rioufol, il affirme avoir été la cible d’un véritable harcèlement judiciaire de la part du CCIF, ceci pour avoir dit, en novembre 2012, sur les ondes de RTL, qu’une campagne nationale du CCIF contre l’islamophobie, baptisée « Nous (aussi) sommes la nation » (avec le logo vert et blanc du CCIF et un couple de convertis avec leurs enfants et l’épouse voilée), détournait le
Serment du jeu de paume
. La campagne, qui aurait d’ailleurs été financée en partie par la fondation Open Society de
Soros
49
, fut jugée trop partie-prenante par la RATP qui ne permit pas l’affichage dans ses structures. Ivan Rioufol et le directeur de l’émission de RTL
On refait le monde
,
Marc-Olivier Fogiel, furent ainsi attaqués en justice par le CCIF.
Le « jihad judiciaire » des « coupeurs de langues »
Cette expression désigne le combat judiciaire coordonné et orchestré par des organisations affiliées aux Frères musulmans ou autres
lobbies
islamistes. L’objectif majeur poursuivi dans ce « jihad judiciaire » est l’intimidation des adversaires de l’islamisme, l’atteinte de ceux-là sur le plan financier et moral, ainsi que leur stigmatisation médiatique. En somme, paralyser tout discours critique vis-à-vis de l’islamisme en particulier et de l’islam en général, les intégristes confondant souvent les deux. En 2016, le CCIF incrimina une personnalité de premier plan pour « injure à caractère racial » :
Laurence Rossignol, ex-ministre de la Famille, de l’Enfance et des Droits des femmes. Cette dernière avait déclaré sur RMC «
Les femmes voilées sont assimilables à ces nègres américaines qui étaient pour l’esclavage
». Une plainte fut immédiatement déposée devant la Cour de Justice de la République, et une procédure fut également engagée auprès du Tribunal correctionnel et du Tribunal administratif de Paris. En 2017, l’association tenta cette fois-ci de faire condamner en diffamation
Gilles Clavreul, délégué interministériel à la lutte contre le racisme et l’antisémitisme (DILCRA), qui avait osé mettre en évidence la présence de personnalités antisémites dans certains évènements organisés par le CCIF.
Animé par des islamistes notoirement liés aux branches françaises des Frères musulmans (notamment l’UOIF), le Collectif œuvre parfois de concert avec des forces
communautaristes rouges-vertes radicales comme l’association des « Indivisibles », créée en 2007, qui prétend « déconstruire » les préjugés ethno-raciaux tout en défendant les femmes en
burqa
et en ne dénonçant que l’islamophobie et les formes occidentales de racisme ; le MIB (Mouvement de l’immigration et des banlieues créé en 1995), axé sur la dénonciation du « racisme institutionnel » dont seraient systématiquement victimes les enfants d’immigrés extra-européens musulmans, assimilés à des « néo-colonisés » ; ou encore l’association des « Indigènes de la République », créée en 2005.
Houria Bouteldja, sa porte-parole, qualifie les Français de souche de « souchiens », de « colonisateurs héréditaires », et les fils de colonisés, d'« opprimés par filiation », en vertu de la thèse terrifiante de la supposée « responsabilité collective » héréditaire des Européens et du fameux « continuum colonial »
50
. Les Indigènes de la République prônent de ce fait une forme d’intolérance « à rebours » fondée sur la diabolisation de l’histoire des seuls Européens réduits à l’islamophobie, à la négrophobie, aux croisades, à la colonisation et au fascisme
51
.
Au cœur de ce dispositif surfant sur un « antiracisme » à l’origine bien légitime mais dévoyé depuis, se trouvent notamment le MRAP, lié aux Indigènes de la République, et la Ligue des droits de l’homme, longtemps dirigée par Michel Tubiana, elle aussi liée à l’extrême-gauche et au PCF, des entités que les auteurs de ces lignes ont eu l’occasion de croiser à la 17
e
chambre correctionnelle de Paris à plusieurs reprises. Depuis une vingtaine d’années en effet, la Ligue et le MRAP, qui ont littéralement préparé le terrain du CCIF, ont été parties civiles de nombreux cas supposés « d’islamophobie ». Une islamophobie qui commencerait avec la simple critique de l’islam et même de l’islamisme, « injustement » associés au terrorisme. Défendant alors l’UOIF, la Ligue des droits de l’homme avait considéré, en 1999, la demande du ministère de l’Intérieur de reconnaître le « droit à changer de religion » inscrit dans une « Charte de l’islam républicain » proposée par
Jean-Pierre Chevènement comme une forme de « racisme antimusulman »… En 1995, au moment des attentats commis par le GIA algérien en France, la Ligue faisait partie du comité de soutien à
Tariq Ramadan qui venait d’être interdit de séjour en raison de liens supposés entre le Centre islamique de Genève, géré alors par lui et son frère
Hani, et d’ex-membres du GIA
52
. Cette stratégie d’alliance rouge-verte du MRAP sur fond de procès apparut encore plus évidente lorsque le Mouvement, alors dirigé par l’élu communiste de Saint-Denis
Mouloud Aounit, prit la défense des jeunes filles voilées converties à l’islam radical
refusant de retirer leur uniforme islamiste à l’entrée des lycées en criant à « l’islamophobie ». Ainsi le MRAP cofonda-t-il la « Ligue de l’anti-islamophobie » en partenariat avec la Ligue des droits de l’homme et la commission « Islam et laïcité »
53
…
Depuis des années, ces Ligues de vertu « antiracistes » justicialistes (MRAP, Ligue des droits de l’homme, CCIF, HALDE, etc) sont parvenues à imposer un ordre lexical et juridique islamiquement correct et de plus en plus liberticide. Elles ont réussi,
via
les procès et la diabolisation, à asseoir leur domination idéologique et morale sur nombre de médias, de milieux intellectuels et de politiques, de ce fait intimidés. Opposées à la loi sur les signes religieux ostensibles à l’école, qui interdit le voile islamique, et aux lois postérieures anti-burqa (2010), ces nouvelles générations d’associations « antiracistes » ont
renoncé à la fois à la laïcité républicaine et au féminisme prônés jadis par le PS, SOS Racisme ou par la courageuse association Ni Putes Ni Soumises, bête noire des nouveaux antiracistes qui les accusent « d’islamophobie ». Elles ont en fait troqué les valeurs universalistes et individualistes de jadis et la défense des droits de l’homme et des individus libres contre un communautarisme victimaire « ethno-différentialiste » à la fois radicalement anti-occidental et anti-judéo-chrétien.
Pour
Amar Dib, grand acteur et observateur de l’islam de France depuis des années, conseiller du recteur
Dalil Boubakeur et adepte d’un islam français ouvert et loyal envers les valeurs de la République et de l’Occident, s’il est impératif de «
dialoguer avec toutes les tendances et avec tous, y compris des personnes issues des Frères musulmans ou très attachées à un islam dogmatique, comme
Marwan Mohamad, qui représentant une tendance qui a, qu’on le veuille ou non, un écho en France, il faut toutefois rester vigilant et faire attention à la dérive de la paranoïa de la chasse à « l’islamophobie »
.
L’islam doit avoir sa part de contradicteurs. L’on doit être capables d’être zen, d’accepter la critique, d’éviter le repli, et on doit faire attention à la dénonciation problématique de l’islamophobie supposée ambiante. Je pense que chacun a le droit de penser ce qu’il veut d’une religion et donc de l’islam, y compris de le « craindre ». Pour ma part, je suis très à l’aise avec ma part de dogme. Les gens peuvent penser ce qu’ils veulent de l’islam, tant que l’on n’empiète pas sur la liberté de chacun. Je rappelle que même le Prophète Mahomet a accepté des contradicteurs internes et externes, qu’il a laissé le choix de son successeur à d’autres, et qu’il y eut des débats houleux à
l’époque de Omar Bin
Khattab, y compris sur le choix de la version définitive du Coran, qui fut tranchée par Omar après moult discussions et débats. Il ne faut pas craindre la critique, d’où mon idée de faire toujours de l’éducation la priorité, elle seule permet de lutter contre l’extrémisme et le repli, contrairement à la chasse aux « islamophobes » ou au dogmatisme étroit du repli ».
Difficile d’être plus clair
.
Infiltration et da’wa
pro-frériste-communautariste dans l’enseignement
En avril 2013, le CCIF et une association
Salaam
(à Sciences-Po) ont organisé un colloque à l’École de Hautes Études de Sciences sociales (EHSS), intitulé
« L’islamophobie en questions »
, qui présentait le « rejet de l’islam » comme une
« négation occidentale de l’altérité »
54
.
Cette inversion est intellectuellement intéressante, car c’est justement le monde musulman et la loi islamique qui nient les minorités et l’altérité non musulmanes alors que l’Occident démocratico-libéral accorde une pleine liberté de mouvement et d’expression aux mouvances de l’islam les plus prosélytes et aux musulmans. Le colloque était organisé sous «
la direction scientifique du sociologue, chargé de recherche à l’EHESS, Marwan Muhammad
», ce qui permettait de donner un vernis « scientifique » à une opération de négation du problème islamiste ramené à une «
construction islamophobe
». Dans
un jargon sociologisant typique, mais qui véhicule la paranoïa victimaire analysée plus haut, la brochure du colloque expliquait que «
dans le contexte hexagonal, la « question musulmane » est au cœur de nombreuses controverses remettant en cause la légitimité de la présence des musulmans (ou présumés) ainsi que la visibilité de l’Islam pratiqué sur le territoire national. Cette hostilité, revendiquée ou implicite, à l’encontre des musulmans se manifeste, au moins depuis la fin des années 1970, par une forte inflation de discours et de pratiques de disqualification et de discrimination »
55
.
« Le hijab
day » ou la banalisation du voile islamique à Science-Po
Ces dernières années, les Frères musulmans ont désigné comme priorité absolue pour l’Europe et la France de mettre l’accent sur l’enseignement, notamment à travers la création d’établissements scolaires, ce qui revient en fin de compte à renouer avec la stratégie initiale d’Hassan al-Banna, lui-même enseignant. Les
Ikhwan
jugent d’ailleurs tout aussi crucial de contrôler l’enseignement de la langue arabe et l’apprentissage de la culture musulmane dans des écoles privées et associations culturelles qui échappent au prisme « laïque » des structures publiques « infidèles ». Plus d’une centaine de ces structures d’enseignement sont aujourd’hui dirigées ou en lien avec des personnalités de La Confrérie.
Ils se composent d’écoles privées musulmanes ou sous contrat, d’écoles coraniques et d’organismes en ligne. L’enseignement privé musulman est d’ailleurs devenu la première source de diffusion de la pensée religieuse auprès des enfants, avec environ 7 000 élèves répartis sur le territoire national. L’Île-de- France, les Hauts-de-France et le Grand Est concentrent une majorité de ces établissements. Les écoles coraniques reliées à des mosquées sont quant à elles en forte expansion, certaines entretenant des liens avec des imams reconnus pour leurs prêches radicaux. Selon une étude publiée par l’Institut d’Études de l’islam et des sociétés du monde musulman (IISMM), on compte aujourd’hui en France six établissements scolaires musulmans sous contrat avec l’Éducation nationale ; 500 écoles coraniques et on estime à 35 000 le nombre d’enfants qui y suivent des cours.
Créée en septembre 2012, Salaam Science Po Paris, présidée par
Yacine Benmohammed, officiellement répertoriée comme
« association culturelle »
de type loi 1901,
« a pour but de promouvoir la culture musulmane dans l’enceinte Sciences Po Paris [dont] la finalité(…) est de contribuer à faire découvrir et à donner l’image la plus juste de la culture musulmane
». L’association a notamment été à l’origine, en avril 2016, du fameux « Hijab Day » qui se proposait de «
démystifier le tissu tout en mettant l’accent sur la stigmatisation vécue par de nombreuses femmes voilées en France »
56
. Elle illustre parfaitement la stratégie d’infiltration frériste dans les grandes écoles.
« Salaam Sciences Po Paris relaie des publications
de la galaxie féministe musulmane et de personnalités et structures très influentes de la galaxie des Frères Musulmans comme
Marwan Muhammad et Havre de Savoir
» (HDS)
57
. Toujours dans ce cadre d’entrisme « universitaire » et de subversion de l’enseignement républicain, les Frères musulmans ont développé une vraie stratégie d’islamisation de la connaissance. C’est dans ce contexte que l’un des responsables de la Fédération des organisations islamiques en Europe (FOIE), Abdellah Benmansour, a publié un texte en 2006 intitulé « Cellule de la pensée » (
Magazine Al-Europiya
), qui réfute globalement l’approche philosophique occidentale («
prison obscure créée autour de la pensée de Darwin, Marx, Durkheim et Freud
»), au profit d’une approche « islamique ». Benmansour écrit que la civilisation occidentale, celle « des quatre murs » aurait pour but de nier toute existence de Dieu dans l’univers, pour que l’homme jouisse du bonheur dans la perversité, précisant que dans la pensée islamique, «
la priorité est accordée au religieux, en attendant de confirmer ou de contredire ce qu’avance la Raison
»…
L’association des Étudiants musulmans de France (EMF) est aussi issue des Frères musulmans et dépend de leur association nationale, Musulmans de France. Fondée entre 1986 et 1989 en tant qu’« Union islamique des étudiants de France » par
Zouhair Mahmood et
Abdallah Ben Mansour, l’EMF est aujourd’hui dirigée par Anas Saghrouni, également chargé de mission jeunesse au sein des Musulmans de France. Son leitmotiv
est de «
servir, aider et défendre l’étudiant
». Habilement, l’EMF gomme en apparence toute référence à la culture religieuse. Son discours fédérateur a été amplifié – à l’occasion d’une énième polémique autour du port du voile – par Maryam Pougetoux, représentante (voilée) de l’Union nationale des étudiants de France à l’Université Paris IV. Dans le cadre de leur alliance avec le syndicat de gauche UNEF, qui a accueilli sur ses listes des représentants EMF, les EMF ont fait leur la rhétorique de défense des «
opprimé-e-s et victimes de violences physiques et verbales, racistes, islamophobes, sexistes, homophobes, antisémites
», un peu à la manière d’AJ +
(voir
infra
). Partenaire du Secours Islamique, les EMF ont édité avec le CCIF un guide dédié aux seuls étudiants musulmans, intitulé « Stop à l’Islamophobie », véritable manuel d’auto-défense des musulmans pratiquants dans l’exercice de leurs droits religieux à l’université ou dans la vie active. Parallèlement, le Réseau Musulman des Grandes Écoles fédère les étudiants et actifs musulmans en vue de leur insertion professionnelle, organisant à cet effet des
afterworks
, et brunchs, auxquels ont participé Muslim’INT, Salaam Sciences Po, El Furqan-Essec ou encore l’Association des Étudiants Musulmans de Dauphine.
Les nouvelles générations fréristes témoignent
En ce soir de mai 2019, nous avons un rendez-vous avec Abdel Rahman, un jeune égyptien de 32 ans qui a fui son pays lors de la prise de pouvoir par le Maréchal Al-
Sissi, car il risquait la prison en raison de son appartenance à La Confrérie. La France est devenue sa terre d’accueil. Il parle couramment le français, il est titulaire d’un bac + 5 en sociologie, et il a travaillé pour plusieurs organisations non gouvernementales, notamment en Irak. D’allure plutôt sympathique, son
look
est très
sportwear
, et il boit du vin modérément. Voici ce que nous explique ce jeune cadre « sympathique » proche des Frères musulmans, qui a choisi la France comme terre d’asile : «
La France est islamophobe. Vous, les journalistes, avez donné une image de l’Islam totalement stupide, au Moyen-Orient comme ici. Les Frères musulmans incarnaient une voie démocratique, nationale et religieuse qui était la seule voie en Égypte. Elle d’ailleurs la voie en Europe aussi, car l’Europe est aussi une terre musulmane, puisque nous incarnons la deuxième religion. Vous devez composer avec nous. Ne pas le faire, c’est vous comporter comme des dictateurs, et de toute façon vous n’avez pas le choix (…). Vous devez accepter le voile, car vous devez respecter nos libertés et celles des femmes musulmanes. Si vous ne le faites pas, c’est que vous faites preuve de racisme, et cela conduira à une fracture (…). Vous ne pouvez plus supporter les dictateurs du monde arabe comme vous le faites depuis cent ans. Nous ne sommes plus à l’époque des accords Sykes et Picot.
Car plus personne ne vous craint, et cela se retournera contre vous. Je suis désolé de vous le dire, mais je connais votre langue, et sans aucun doute beaucoup mieux vos grands auteurs français que vous ne connaissez la langue arabe et nos écrivains. Vous devez donc nous respecter et nous traiter d’égal à égal. D’abord dans nos pays, mais ici, aussi. De toute façon, il y a un courant de fond chez les jeunes Arabes. Nous savons maintenant faire la guerre sans avoir besoin de combattre. En utilisant Internet, la télévision, la presse. (…). Un nouveau Printemps arabe se prépare, vous verrez. Il ne ressemblera pas au précédent, qui nous a coûté trop de vies et de gens emprisonnés et torturés. Le prochain est déjà en train de se préparer avec internet, une organisation, une communication et de nouveaux moyens qui dépassent les frontières. En fait, vous n’avez rien compris à ce qui est en train de se passer, vous ne voyez rien venir. Le prochain printemps arabe viendra d’Internet. Il aura un impact chez vous en France, comme dans le reste de l’Europe
». Le discours du jeune homme, prophétique, est à la limite de l’arrogance, mais sans hésitation et, d’une certaine manière, « illuminé », très sûr de son bon droit. Il pose l’islam à la fois comme une victime du racisme et du colonialisme, et la France – et plus généralement l’Europe – comme un pays colonialiste qui soutient les dictatures arabes et leurs persécutions. Il nous met en garde contre une nouvelle révolution qui transformera inéluctablement nos démocraties occidentales sommées d’expier leurs fautes « coloniales » passées et leur « islamophobie » en acceptant le suprémacisme islamiste et son communautariste revanchard. Il positionne dans les faits l’Occident comme un ennemi. Une posture qui
répond au schéma préconisé par les trois figures de la nouvelle garde frériste mondiale, dont nous avons parlé plus haut, et en particulier par
Jassim Sultan, véritable «
calife des média et des réseaux sociaux
».
AJ+
ou
l’Al-Jazira du Net,
conçue pour attirer les « progressistes »
Dans le cadre du «
soft power jihad
» numérique et de la « prédication 2.0 » préconisés par la « nouvelle garde » des Frères incarnée par Jassim Sultan, le penseur majeur des
Ikhwan
et ancien conseiller stratégique d’Al-Jazeera basé au Qatar, un nouvel instrument de
da’awa
qui mise en plein sur la convergence rouge-verte ou « islamo-gauchiste » analysées plus haut mérite l’attention : AJ+, média internet lancé en 2014 par le groupe Al-Jazeera Media Network, diffusé en quatre langues (anglais, espagnol, arabe et français) et donc destiné en grande partie à un public occidental. Ce rejeton d’Al-Jazeera dans la web sphère – en partie contrôlé par des Frères musulmans qataris – est parvenu depuis quelques années à mobiliser toute une jeunesse arabo-musulmane et occidentale, tant islamiste que progressiste, en instrumentalisant les combats des forces de gauche : antiracistes, écologistes, « indigénistes », tiers-mondistes, ceci dans une logique d’élargissement des luttes transversales contre l’ordre judéo-chrétien occidental établi. AJ+ publie de courtes vidéos sous-titrées via les réseaux sociaux, (YouTube, Twitter, Face book), particulièrement adaptés aux
publics de «
jeunes qui ont un mode de consommation de l’information différent
», ainsi que l’expliquait en 2018 la directrice syro-palestinienne de la rédaction, Dima Khatib à
Libération
. Le but du nouveau média digital est pour elle d’«
être la voix de tout le monde
» et d'«
offrir plus d’espace aux moins privilégiés, faire entendre la voix de ceux qui n’en ont pas
»
58
. AJ+ en anglais, lancée en septembre 2014, compte 929 000 abonnés sur Twitter et 11 millions sur sa page Facebook, et en français 14 000 followers sur Twitter et 120 000 sur Facebook, les vidéos les plus populaires dépassant souvent les 500 000 vues. Confiants qu’ils sont en leur talents de communication et de séduction de publics aux luttes « convergentes », les concepteurs d’AJ+ utilisent à merveille les outils de l’expression graphique et vidéographique puis des messages audio et visuels chers aux jeunes adeptes du web zapping plus que de la télévision.
La promotion du voile et l’obsession pour le conflit israélo-palestinien
AJ+ défend systématiquement, sous couvert d’antiracisme, d’égalité et de liberté, le port du voile islamique, assimilé à une forme de « droit de la femme » : en janvier 2018, le portrait de Amena Khan, une bloggeuse devenue la première femme voilée à être l’égérie de L’Oréal (elle s’est finalement retirée après que ses tweets
polémiques sur Israël eurent été exhumés), a été mis en valeur pour de célébrer « la liberté de porter le voile ». Le média qatari vante aussi le «
Hijab Cosplay », évènement pendant lequel des femmes voilées se déguisent en super-héroïnes. Lorsqu'
Emmanuel Macron a dénoncé le fait que des femmes sont obligées de porter le voile islamique contre leur volonté, AJ+ a décrété que le président «
a réussi à énumérer tous les clichés liés au voile en une seule phrase
». Parmi les autres grands thèmes de prédilection : la dénonciation des « oublis » de l’histoire, du passé colonial de l’Occident, de « l’islamophobie » ou encore le pointage d’actes et symboles « racistes », imputables aux seuls Occidentaux, etc. Le message est presque chaque fois doublé d’une image de la « France raciste », de l’Europe « oppressive » et de l’Occident « spoliateur ». Le traitement de l’actualité nationale et internationale est systématiquement utilisé pour faire passer une vision clivée et clivante du fort et « Mal absolu » (Occident islamophobe-raciste et les dictatures arabes anti-islamistes) contre le faible (le musulman victime et ses alliés progressistes antiracistes tiers-mondistes de tous poils), le premier étant tout ce qui se trouve du côté de l’État et des forces de l’ordre, le second invariablement le migrant, les minorités et les chômeurs. La stratégie d’AJ+ consiste ici à jouer sur l’indignation, légitime ou non, d’un grand nombre de Français à propos de la « persécution » des minorités, des Palestiniens et des « exclus » sociaux et économiques, ceci afin d’inciter une adhésion de principe à AJ+ et de fédérer un front « rouge-vert » en faveur des « opprimés ». Plus habile, AJ+, bien que lié à un État (le Qatar) et à une
organisation islamiste, les Frères musulmans, dont les valeurs intégristes condamnent l’homosexualité et toutes les mœurs non approuvées par la
charià
, propose comme autres thématiques favorites, dites « inclusives », l’égalité femmes-hommes, les droits LGBT, les discriminations sociales. Pour des raisons tactiques, le média prétend être « progressiste » et donc très indépendant du régime qatari qui le finance pourtant. En réalité, Aj+ ne critique jamais ni le Qatar ni les Frères musulmans, qu’il défend d’ailleurs souvent directement ou insidieusement. Il se montre en revanche très critique envers les ennemis privilégiés de l’émirat : Israël, l’
Arabie saoudite et l’Égypte en particulier. Dans une enquête publiée dans le magazine
Marianne
59
,
Hadrien Mathoux a expliqué sa conviction que derrière le progressisme apparent d’AJ+ (féminisme pro-voile couplé à la défense des LGBT, écologisme et antiracisme), se cacherait en fait «
un instrument du soft power et de propagande en faveur de l’émirat du Qatar
». Dans un autre article sur AJ+ et sa communication subversive
60
, Hadrien Mathoux cite une « enquête » d’AJ+ sur la condition des ouvriers au Qatar qui commence par des questionnements apparemment critiques et se transforme vite en spot pro-émirat… Dans cette vidéo de 9 minutes, après 3 minutes, rien n’est dit sur la confiscation des passeports des ouvriers, sur le fait
qu’ils n’ont aucun droit devant les tribunaux qataris face à des autochtones et sur le fait qu’ils triment 12 heures par jour sous une chaleur écrasante, ni même du salaire mensuel (750 riyals qataris ou 176 euros), insuffisant pour vivre dans l’émirat. Le reporter se rend sur un chantier de stade de foot et souligne que «
les ouvriers travaillant spécifiquement à la construction de stades sont protégés par le Workers' Welfare Standards, une série de mesures adoptées par le Qatar en 2014
». Les ouvriers du stade Al-Rayyan se disent tous « très heureux ». La vidéo se termine avec l’interview de travailleurs qui dansent et rient ensemble… Le média paraît ainsi relayer «
de façon inclusive les problématiques des sociétés contemporaines
» chères aux générations «
ouvertes sur le monde
» : droits des femmes et des minorités sexuelles, lutte contre le racisme, etc.
Dans la version francophone d’Aj+, la ligne conductrice métapolitique du média est de faire accroire que l’appartenance à la France républicaine serait en soi un problème pour les musulmans et les fils de colonisés d’Afrique du fait de leur « oppression » intrinsèque. D’où le repli communautariste. Comment, en effet, se dire membre ou solidaire d’une nation « laïcarde intolérante », donc « islamophobe », qui pratiquerait un « racisme d’État », soumettrait les réfugiés à des examens « inhumains » et des « déportations », et obligerait les communautés d’origine extra-européenne-musulmane à se « désintégrer en s’intégrant », selon la formule prêtée à
Tariq Ramadan. Sans surprise, AJ+ soutient le « travail social » des Frères musulmans dans le monde (construction d’hôpitaux et d’écoles) qui œuvrent souvent de concert avec des ONG
pro-migrants, caritatives, pro-minorités et qui défendent les « défavorisés ». Cet œcuménisme activiste des Frères « prouverait » qu’ils incarnent l’avant-garde d’un « islam modéré », certes identitaire, mais dont l’épanouissement serait une nécessité pour l’ensemble des « opprimés ». Des Frères musulmans, on retiendra ces clips d’AJ+ montrant qu’ils répandent les «
principes islamiques de justice dans le monde
» et que le grand-père de Ramadan, Hassan al-Banna, aurait eu pour seul but de «
lutter contre la corruption, les inégalités, et le pouvoir colonial
», se limitant ainsi à prôner pacifiquement, les «
valeurs islamiques au sein des gouvernances politiques
» à la seule fin noble de
« promouvoir une société plus morale
».
Bien que s’affichant « antiraciste », Aj+ développe une véritable
« fascination pour la notion de races »
, d’après
Hadrien Mathoux. Depuis janvier, AJ+ a ainsi sollicité des signataires de l’appel du PIR de 2005 comme
Christine Delphy et
Nacira Guénif-Souilamas ou
Imen Habib. Une des journalistes d'AJ+,
Widad Ketfi, a participé une conférence sur les « paroles non blanches » le 13 avril 2016, sur le thème de « La blanchité dans les médias ». Toute la société occidentale est analysée à l’aune de l’oppression « coloniale » infligée aux « racisés » non Blancs. Mathoux souligne ainsi l’omniprésence des Indigènes de la République (PIR), l’obsession pour le conflit israélo-palestinien, la promotion du voile islamique, le soutien à Tariq Ramadan. Un combat pro-Frères et pro-islamiste noyé dans un océan de vidéos-clips dénonçant le « racisme » anti-Noirs, le combat des « racisés » (les non-Blancs), etc. Le média web dénonce ainsi le manque de « personnages noir-e-s »
dans la saga Harry Potter et au journal télévisé, « le féminisme blanc ethnocentrique », qui serait « injuste envers les femmes de couleur », comme l’explique par exemple dans un clip Fania Noël, militante au collectif afro-féministe Mwasi. Sont aussi convoqués des « chercheurs académiques » – surtout issus du CNRS – spécialistes des « études de la blanchitude ». On peut citer notamment Christine Delphy, qui juge les féministes françaises historiques comme Elisabeth
Badinter «
complètement allumées (…), racistes »,
car
« islamophobes ».
Un autre spot de la web-tv pose la question suivante : «
Le féminisme blanc français serait-il islamophobe et raciste ? ».
Nombre de ces « experts » sollicités par AJ+ sont en fait des membres fondateurs du Parti des indigènes de la République (PIR). L’État d’Israël n’est dépeint que sous l’angle « d’oppresseur des musulmans palestiniens ». Tentant ainsi d’amener à la cause antisioniste les milieux LGBT, l’un des clips d’AJ+ en français accuse Israël de faire du «
pinkwashing
» (défendre les LGBT+ pour améliorer son image), ce qui est assez culotté de la part d’un média financé par un pays où l’homosexualité est punie de mort.
Le but clairement affiché est de prouver que « l’islamophobie » et le racisme sont omniprésents en Occident, en Europe, et notamment en France : expulsion d’une migrante enceinte dans un train à Menton ; violences contre une femme «
agressée car voilée
» à Vélizy, « violente interpellation » d’une autre en
niqab
à Montpellier ; musulmane voilée « forcée » de quitter la salle de sport de l’Aquaboulevard à Pari ; Montpelliérain coiffé de
keffieh
et refusant d’ouvrir son sac-à-dos expulsé d’un cinéma
par un garde « islamophobe et sécuritaire », etc. AJ+ publie sans surprise nombre de contenus très favorables à
Tariq Ramadan, qualifié de « professeur et d’intellectuel suisse » et qui rendent hommage à ses « combats » et soutiens (#FreeTariqRamadan), sans toutefois aborder les raisons de sa mise en examen, jugées « injuste » et « islamophobe ». L’épouse de Tariq Ramadan et d’autres soutiens fréristes anonymes sont d’ailleurs sollicités pour dénoncer le « lobby judaïste », la « persécution » de Tariq et l’éternel conflit israélo-palestinien. Un autre clip vidéo dénonce le Conseil des sages de la laïcité, créé par le ministère de l’Éducation nationale et son ministre
Blanquer, en donnant la parole au CCIF. Un autre chasseur d’islamophobes sollicité,
Asif Arif, par ailleurs animateur d’émissions, invite des musulmans qui expliquent pourquoi il faut « habituer » les jeunes filles «
aux bienfaits du voile dès l’âge de 7 ans
». Les deux « experts » précités accusent le Conseil des sages de la laïcité de propager « un
athéisme militant, anti-religieux à l’égard des musulmans en priorité
».
Soutien total au BDS,
la campagne de boycott anti-Israël
L’engagement politique d'AJ+ en faveur de « la Palestine » et contre l’État israélien est également constant puisqu’il diffuse entre deux et trois vidéos chaque jour sur ce thème fort « transversal », propice à la « convergence des luttes », donc susceptible de créer des connivences
islamo-gauchistes. Le soutien au BDS, le mouvement de « Boycott, désinvestissement, sanctions contre l’État d’Israël », chère à la gauche tiers-mondiste et aux Frères musulmans en particulier, qui y voient une arme de «
soft power jihad
» et de guerre économique, remplit cette fonction
61
. La parole est ainsi donnée régulièrement à
Imen Habib, responsable de la campagne BDS en France, par ailleurs signataire de l’appel des Indigènes de la République ou encore à
Ghislain Poissonnier, «
magistrat »
engagé dans la cause palestinienne. La journaliste d’AJ+
Widad Ketfi affirme notamment que «
le BDS dérange alors qu’il est non violent et qu’il s’inspire de la lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud
». Nelson Mandela est d’ailleurs souvent évoqué dans les vidéos aux côtés de Malcom X afin de stigmatiser le «
régime d’apartheid israélien
»… Autre thème commun à la gauche radicale anti-occidentale et aux Frères musulmans, le
Hamas est systématiquement présenté sous des jours heureux, gommant ainsi sa violence barbare faite d’enfants endoctrinés à devenir des islamikazes. L’État hébreu est quant à lui accusé
« d’asphyxier Gaza dans
l’indifférence générale
(…)
afin de pour punir les Gazaouis d’avoir élu le Hamas lors des élections de 2006
». Grand soutien de
Tariq Ramadan, c’est le journaliste du
Monde diplomatique
pro-cubain, pro-Hamas et pro-Hezbollah,
Alain Gresh, proche des Frères, qui est interviewé : «
Est-ce que certains États ne sont pas au-dessus du droit international ? Et jusqu’où la communauté internationale laissera Israël s’étendre ?
» En fait, cette omniprésence de la lutte antisioniste et de la défense du Hamas dans les clips d'AJ+ n’est pas surprenante, puisque le Qatar dépense des millions de dollars annuels pour soutenir le groupe islamo-terroriste frériste à Gaza.
Une société française « anti-migrants et islamophobe »
Du discours d'AJ+ sur la France, il ressort que ce pays mépriserait foncièrement ses autochtones (Gilets jaunes), qu’il les considérerait comme des moins que rien, qu’il pillerait leurs savoirs et richesses, et qu’il poursuivrait une « chasse aux migrants » systématique, déléguée officieusement par l’État républicain « islamophobe » et « xénophobe » à des « néo-nazis » identitaires, ceci en toute impunité. Aj+ dénonce le supposé fait que cette France post-coloniale raciste et repoussante tenterait de ramener au second plan les personnes « racisées » – victimes de naissance –, en tant que « néo-colonisés de l’intérieur. La France jacobine laïcarde et colonialiste demeurerait indifférente aux « morts dans les hôpitaux »
des laissés-pour-compte, voire complice de persécutions et « ségrégations d’État » (ghettos et cités de migrants) qui rappelleraient l
’apartheid
ou la ségrégation aux États-Unis dans les années 1960. Ces autorités républicaines laïcardes, toujours plus intolérantes et « islamophobes », mettraient ainsi en prison quiconque refuserait de révéler, lors de gardes à vue, le code de déverrouillage de leur téléphone. Tout cela sur fond d’images de camps de la mort qui rappellent celles des Juifs examinés par les nazis dans les ghettos et camps de concentration… L’on voit ainsi qu’il ne s’agit pas seulement de dénoncer des autorités dans leurs failles et manquements, mais de laisser entendre qu’elles menacent la vie de tout qui ne serait pas de leur bord.
Les pays anglo-saxons communautaristes,
cibles de choix
Aux États-Unis, les objectifs d'AJ+ sont encore plus limpides, si l’on compare les contenus en français (Twitter et Facebook) avec ceux diffusés en anglais (sur Youtube notamment). Comme en France, on y trouve moult références et interviews de propagandistes attachés à véhiculer l’image mythifiée du « musulman opprimé », brimé ou tué, cibles des racistes et des « islamophobes ». Quant aux institutions américaines, AJ+ les présente comme étant structurellement intolérantes et racistes. L’une des sources privilégiées de la plateforme est le réseau d’experts de l’ISPU, Institute for Social Policy
and Understanding, dont le média utilise massivement les statistiques. Alors qu’on ne trouvera que très peu de références dans la version française du site, la version anglophone insiste bien plus encore sur les questions de la place de l’islam à proprement dit et sur le sort des musulmans. Sur Twitter, Aj+ communique ce genre de messages : «
Plus besoin d’être musulman-e pour être stigmatisé aux États-Unis : en avoir l’apparence suffit
» ; ou encore «
Outre-Atlantique la religion peut jouer sur une décision de justice ET la couverture médiatique
»
62
.
La chaîne Youtube d’AJ+ traite régulièrement ces sujets consistant à faire croire que la société américaine (où le voile islamique et le communautarisme sont pourtant bien plus acceptés qu’en France), légitimerait une « islamophobie d’État », elle-même forme de justification d’un racisme au « faciès ». L’exercice est habile car il permet aux Frères d’Al-J+ de susciter la mobilisation solidaire des minorités « visibles ». Les méthodes d’occultation et d’insinuations relatives à un « racisme indirect » ou induit, donc impossible à prouver car fondé sur des procès d’intention, sont utilisées pour faire de l’activisme islamique l’avant-garde mobilisatrice des « opprimés ». Cet islamisme « progressiste », qui met sous son aile protectrice les Noirs, les Latinos et même les asiatiques ou LGBT, développe ainsi une capacité particulière à questionner le pouvoir dans le cadre de la lutte contre la « Droite sioniste » de
Donald Trump et contre les institutions américaines « islamophobes » et ségrégationnistes
par essence. Ceci en niant que les États-Unis ont mis en place depuis les années 1970 une vaste politique de « discrimination positive ». Dans ce contexte, les termes utilisés pour présenter les Frères comme des partisans d’un « islam universaliste-réformiste », favorable au causes « sociales » et en faveur de l’émancipation, sont élogieux. Et le Qatar n’est jamais égratigné.
AJ + a été accusée par nombre d’observateurs et de milieux anti-islamistes d’être liée aux
Ikhwan
et de pratiquer la
takiya
, le mensonge ou la dissimulation légale islamique. En réalité, reléguer AJ+ au rang de producteur de
fake news
n’est pas aisé. Nombre de ses informations sont factuellement plus ou moins fondées, mais orientées et instrumentalisées à d’autres fins, ce qui est la définition même de la désinformation. AJ + aime ainsi solliciter des « professeurs », des « avocats », des « juristes », parfois très gallonés au niveau académique, et ils renvoient à des sources souvent vérifiables, à des médias occidentaux établis, tel le
New York Times
, ou à des sources sérieuses et reconnues tel le Pew Research Center. Par exemple, lorsqu’un reportage sur l’islam dans les prisons diffusé sur sa chaîne Youtube en version anglaise mentionne la « lutte difficile » pour obtenir l’entrée du culte musulman dans le milieu carcéral, le fait n’est pas entièrement faux en soi, mais ce qu’AJ+ ne mentionne pas, ce sont les raisons sécuritaires qui freinent l’insertion d’aumôniers de prisons, d’imams le plus souvent intégristes, surreprésentés au sein de l’islam nord-américain. Et aucune mention n’est faite de la difficulté rencontrée jadis par les minorités catholiques et juives pour pratiquer leur foi dans un contexte de refus initial.
D’une manière générale, AJ+ maximise l’utilisation à son profit des valeurs de tolérance et des thèmes de la société « inclusive-diversitaire » et « multiculturelle ». Ainsi pouvait-on lire sur la page d’accueil du site anglophone : «
Nous nous engageons à recruter les meilleurs talents indépendamment de la race, la religion, la couleur, l’origine nationale, le sexe, l’orientation sexuelle, l’identité sexuelle, l’âge, le statut d’ancien combattant protégé, le statut d’invalide ou d’autres caractéristiques juridiques protégées
», comme si des militants islamistes très conservateurs en matière de tradition, de sexualité et de famille, pouvaient sincèrement respecter les « minorités » sexuelles ou autres lobbies LGBT hostiles à la morale monothéiste !
En fait, à travers Aj+, les
Ikhwan
ont su intelligemment appliquer sur le Web la stratégie subversive victorieuse qu’ils ont poursuivie dans le monde réel durant les révolutions arabes et maintenant dans le cadre de leur «
soft power jihad
» : ils mettent l’infidèle « oppresseur » (arabe dictatorial ou occidental) dans une position de dilemme insoluble qui l’accule à user de moyens liberticides et autoritaires s’il veut empêcher la progression de la propagande islamiste « soft ».
Le « jihad sémantique » au service du projet frériste
Nous l’avons évoqué : c’est notamment depuis Doha qu’a été pensée la stratégie religieuse et financière ayant vocation à diffuser la culture suprémaciste islamiste en
France et en Europe, notamment à travers les moyens de communications modernes, l’entrisme tous azimuts et les « transversalités des luttes » évoquées plus haut. S’il est bien sûr, tout à fait naturel qu’un État se préoccupe du rayonnement de sa culture à l’étranger, on a vu dans les pages qui précèdent comment le Qatar œuvre à faciliter en fait l’émergence de l’islamisme, avec des éléments de langage toujours bien pensés, toujours ciblés, qui consistent à mélanger islam et islamisme, mais surtout à pousser les nouvelles générations de musulmans en France et en Europe – y compris les nouveaux convertis – à s’imprégner de culture coranique, pour ensuite l’imposer dans la société. Car c’est en France, étape importante du projet de conquête des Frères – et du Qatar –, que sont le plus diffusés ces éléments de langage qui, parfois, font redondance avec ceux utilisés par les salafistes ou d’autres courants idéologiques plus violents. En ce sens, La Confrérie agit en véritable matrice intellectuelle de la dialectique islamiste, avec un discours parfois complexe à décrypter, y compris pour des musulmans n’ayant pas le bagage nécessaire à la compréhension littérale ou interprétative des textes. Les penseurs de l’UOIF l’ont bien intégré et, conformément à la doctrine de leur maison mère, ils ont su en jouer. C’est ainsi que les mouvances islamistes – La Confrérie en tête – entendent « islamiser » une partie de la société, en imposant en son sein une dialectique qui a pour objectif d’être, à terme, banalisée dans le langage courant. Ce phénomène peut conduire la classe politique, comme les journalistes, à commettre parfois des méprises en matière d’interprétation du discours
islamiste, les Frères musulmans jouant allègrement la carte du double langage pour « perdre » leurs interlocuteurs ou, tout simplement, les rassurer.
L’avis des professionnels du renseignement et de la lutte anti-terroriste
Il y a quelques années, nous avions eu un entretien pour la chaîne de télévision Arte avec
Michel Guerin
63
, qui fut l’un des patrons de l’anti-terrorisme à La DST. Ce combattant de l’ombre insistait déjà, à l’époque, sur le fait que la menace contre la France était extrême. Il expliquait : «
(…) La France cristallise les griefs de la mouvance islamiste internationale du fait de sa politique en ce qui concerne la laïcité, de sa présence en au Liban et Afghanistan et la répression qu’elle mène sur les groupes islamistes en France (…) Et s’il y a un danger à craindre, ce sont bien les Frères musulmans, qui ont des appuis internationaux très importants via certains États
». Il faisait notamment référence au Qatar. Pour rassurer leurs interlocuteurs, les Frères français aiment utiliser les mots « progressisme » et « réformateurs », se gardant bien de spécifier que le progrès ne concerne que celui de l’avancée de leur cause, et que le réformisme, dans la pensée islamiste, n’a jamais signifié aller vers plus de liberté mais, au contraire, retourner aux fondements de l’islam.
Un autre officier du renseignement intérieur français spécialiste de l’anti-terrorisme, que nous avons rencontrés à Paris au mois de mai 2019, nous expliquait quant à lui : «
l’organisation des Frères musulmans est très politisée et ses dirigeants ont compris que la France leur offrait un terrain de débats très ouvert (…). Contrairement au Maghreb et au Proche-Orient, les médias y sont totalement libres et, depuis une trentaine d’années, les idées communautaires, tiers-mondistes et anticolonialistes ont été perçues comme extrêmement importantes à défendre au nom d’un certain pluralisme. L’antisionisme est quant à lui devenu d’une certaine manière le cache-sexe de l’antisémitisme, et ils ont donc l’impression qu’on les laisse tout dire. Ajoutez à ça que n’importe qui peut monter une association loi 1901
64
à objet culturel (…). Sous couvert d’une partie de leurs associations, ils diffusent ainsi leurs discours fondamentalistes ou soit-disant antisionistes qui peuvent tourner la tête à bien des gamins (…). L’affaire Finkielkraut est à ce titre intéressante. Car lorsqu’il s’est fait insulter lors de la manifestation des Gilets jaunes, les insultes qui lui ont été assénées étaient totalement en phase avec le discours colporté par l’organisation (…). L’un des types qui l’a agressé vient d’une région bien déterminée, où ils sont très actifs (…). Mais la vérité est que les Frères sont devenus des gens intéressants pour une certaine presse de gauche qui a mis en avant leurs idées au nom de la justice sociale et du principe démocratique, sans vraiment se soucier d’aller à la source de leurs textes. Du coup, les islamistes en ont
joué à fond (…). Il faut comprendre que la France incarne en Europe une dimension particulière à leurs yeux. C’est le pays de la liberté d’expression, celui des Lumières et des révolutions, celui des intellectuels (…). Si vous parvenez à porter votre combat politique en France, alors cela vous donne une fenêtre d’expression européenne. Les membres de l’OLP
65
, comme certaines organisations marxistes, l’avaient déjà compris dans les années 70 (…). Après, cela n’excuse en rien les hommes et femmes politiques qui ont fermé les yeux sur la prolifération de ces idées, à fortiori quand on sait que nous n’avons pas cessé de faire des rapports sur La Confrérie et sa filiale française depuis la fin des années 90 pour alerter des risques qu’elle représentait (…). Car elle est bien présente sur tout le territoire français et, contrairement aux âneries que l’on entend ces derniers mois dans la presse, les sympathisants de l’organisation islamique de France sont bien plus qu’une poignée. Ce n’est pas un parti où l’on compte des gens qui sont encartés (…). Ils ont des dizaines de centres culturels dans les différentes régions de France, des dizaines d’associations, des librairies islamiques. Ils attirent aussi des dizaines de milliers de visiteurs à chacun de leurs salons
66
et, croyez-moi, on y croise plus d’un type fiché chez nous (…) Il y a d’ailleurs un ras-le-bol d’une partie de nos gars [il parle des agents du Renseignement français, ndlr] qui ne comprennent pas pourquoi on n’est pas plus sévère avec eux. La réalité est que le nombre de leurs sympathisants
augmente chaque année (…). Il faut agir avant que ça éclate, ce qu’aucun de nos politiques n’a eu le courage de faire, car il y a le Qatar et la Turquie derrière eux, qui sont des pays avec lesquels nos grandes sociétés font du business
».
L’avis d’un expert franco-marocain de l’islamisme radical :
Youssef Chiheb
Youssef Chiheb est un spécialiste reconnu de l’islamisme, de l’islam de France, des problématiques urbaines, des territoires sensibles, ainsi que des mutations du monde arabe contemporain. Par ailleurs docteur en géographie humaine, il a été expert auprès du Programme des Nations Unies pour le Développement et Chargé de mission au Service central du renseignement territorial afin d’assister ce service dans l’analyse de l’évolution de l’islam politique et la compréhension de la radicalisation en France. Conférencier et formateur à l’École nationale supérieure de Police, il est également directeur de recherche au centre français de recherche sur le renseignement (CF2R) présidé par
Eric Denécé. Il a récemment publié un rapport très éclairant sur les éléments de langage
67
de l’islam salafo-wahhabite en France, diffusé par le CF2R, qui s’intéresse aussi à la sémantique des Frères musulmans adaptée au schéma démocratique et institutionnel. Voici ce qu’il nous a expliqué :
«
Partant d’un constat, que l’Islam s’est transformé, au fil des siècles, d’une religion monothéiste en idéologies qui l’ont conduit à devenir une religion politique, politisée et politisable, il était nécessaire de décrypter son vocabulaire pour décoder son ADN. En Islam, les éléments de langage sont à la fois polysémiques, métaphoriques et très élastiques, au même titre qui est la langue arabe littéraire. Le langage théologique est à la fois politique, philosophique et/ou juridique. Chaque terme, décontextualisé ou recontextualisé de son cadre temporel peut être interprété différemment d’une mouvance à l’autre. Le terme jihad n’a pas la même signification chez les wahhabites, les sunnites ou chez les Frères. Il n’a pas non plus le même sens chez les littéralistes (Effort) que chez les radicaux (Combat) (…). Les islamistes, ou plutôt les salafistes, ne dérogent pas à cette règle, celle de l’attachement viscéral à la langue de la révélation. Sur le plan théologique il ne peut y avoir de dichotomie entre l’islam (révélation) et la langue arabe (langue de la révélation) pour préserver le coran de l’usurpation. En revanche, sur le plan idéologique, historique et géopolitique, le monde arabe ne peut survivre en dehors de l’islam. Les islamistes se sentent dépositaires de la révélation sacrée qu’est le saint coran révélé en langue arabe, par Gabriel à Mahomet. En France, les islamistes utilisent habilement la langue arabe pour couper les Français de confession musulmane de la langue de Molière qu’ils considère comme une langue hybride, imbibée d’une sémantique laïque et illégitime, car elle a renoncé à la langue originelle du christianisme, d’où le déclin de celui-ci.
En parallèle, l’usage de la langue arabe est un handicap pour les services du renseignement, un marqueur identitaire
et communautaire et un signe idéologique, dixit le salafisme par référence aux pieux prédécesseurs qui ne parlaient que la langue arabe (…). Partant du principe que le salafisme est un retour aux sources théologiques, sociétales et politiques qui ont fait la « gloire » de l’islam et des musulmans, les salafistes distillent les éléments de langage pour une prédication efficace et une réislamisation et reconversion des masses d’une génération sans repères. Tout d’abord, la toponymie qui fait référence aux icônes historiques de l’islam. De plus en plus de jeunes de la troisième, voire de la quatrième génération se font baptiser Mohamed, Bilal, Islam, Oussama… Quant aux convertis, faute de capacité à changer leur état civil, ils excellent dans les « nouveaux prénoms », alias Abou ceci ou Abou cela… Ensuite, le nom des lieux de cultes qui portent des noms de conquérants de chefs de guerre, dont
Tariq Ibnou Ziyad, le conquérant de l’Espagne chrétienne. Aucune mosquée ne porte le nom d’un savent ou scientifique musulman tels Avicenne, Averroès,
Ibnou Haytam qui furent de brillants médecins, mathématiciens ou astrophysiciens. Également, l’usage excessif du mot As-Sunna (la tradition prophétique) pour discréditer les chiites d’Iran, qualifiés de kawarijs (…).
Concernant les Frères musulmans, Youssef
Chiheb confirme la thèse même de cet ouvrage selon laquelle les
Ikhwan
projetteraient de détruire la démocratie en l’infiltrant et la retournant : «
Les Frères musulmans sont, eux, solubles dans le jeu démocratique tout en étant hostile à la démocratie dans sa définition occidentale. Ils cooptent les intellectuels, pénètrent les corps intermédiaires, infiltrent les élites, dont l’objectif final est la conquête du pouvoir (Maroc – Tunisie- Turquie – Égypte).
Tariq Ramadan incarne
cette stratégie de ce que j’appelle » l’islam politiquement et médiatiquement correct ». Les éléments de langage sont bien distillés, le discours est lissé et policé. Ils se qualifient eux-mêmes de » Franc-maçon musulmans ». Pas de référence au jihad, réfutation du terrorisme, pas de marqueur identitaire, ni prosélytisme ostentatoire. Ils constituent un terreau pour l’émergence d’un parti politique en Europe en général et en France en particulier. Une posture de démocratie acceptant le verdict des urnes, sans séparation des pouvoirs (laïcité), sans abolition de la charià (dixit le scandale du moratoire sur la lapidation proposé par l’icône des fréristes, Tarik Ramadan lors de son débat avec
Nicolas Sarkozy
68
). La démocratie est un cheval de Troie pour s’emparer du pouvoir afin déconstruire les valeurs cardinales des démocraties (liberté de conscience, égalité Femmes – Hommes, réforme sociétales progressistes…). Les Frères musulmans se concentrent sur les vulnérabilités philosophiques, juridiques et sociétales des démocraties occidentales. Ils tablent et parient sur leur déclin endogène en suivant le cycle des civilisations en ligne parabolique : émergence, apogée et déclin, puis la naissance d’une autre, en l’occurrence l’islam politique, tel le sphinx qui renaît de ces cendres
».
En ce qui concerne la fabrique de ces éléments de langage, Youssef Chiheb reprend : «
L’intrusion des éléments de langage islamiste en France s’est effectuée en quatre séquences. La première étant la conséquence de la mainmise des pays du Maghreb sur le culte musulman en France. La République ne pouvant financer le culte, laïcité oblige, s’est fait piéger en délégant implicitement
la gestion du fait religieux et de l’islam en France aux deux pays rivaux, au regard du poids démographique de leur diaspora (l’Algérie – Maroc). Des Imams autoproclamés ou téléguidés par Rabat et Alger avaient une double mission : le partage des mosquées (dixit les organisations religieuses) et les cours d’arabisation pour les jeunes Français, issus de l’immigration. La seconde séquence étant un prosélytisme téléguidé par les prédicateurs et les financiers de l’
Arabie saoudite et du Qatar. Les premiers proposent la prise en charge de formation d’Imams dans les universités de Médine, de la Mecque et de Riyad, l’envoi de dizaine de milliers de livres théologiques et de Coran, sous forme de dons. Les Qataris, en quête de notoriété, financent les programmes d’arabisation, les subventions aux associations culturelles (sans le R) et les départs pour l’Omra (petit pèlerinage). La troisième séquence, et c’est la plus attentatoire à la sécurité nationale, s’est enclenchée depuis la guerre du Golfe, passant par les attentats du 11 septembre 2001 pour finir avec l’affaire des caricatures de Mahomet, publié par Charlie Hebdo. Enfin, la quatrième séquence, et c’est la plus difficile à contrôler, est le fruit d’un usage optimal de la « cyber-islamisation » via les sites islamistes qui saturent les réseaux sociaux. Les plus grands prédicateurs wahhabites sont entourés de professionnels des nouvelles technologies de communication pour contourner les filtres conventionnels des services du renseignement et pour wahhabiser et salafiser les zones de relégation territoriales où vivent la majorité des musulmans de France. L’objectif stratégique étant l’élimination des Imams jadis contrôlés par les pays du Maghreb, détachés en France, et d’implanter des jeunes Imams Français made in Arabie saoudite parfaitement bilingues, de
préférence des convertis pour dédiaboliser le wahhabisme et le salafisme en France et en Europe (…)
».
On le comprend à la lecture de ces lignes, il y a une stratégie du langage pensée par les mouvances islamistes, les Frères étant à la pointe dans ce domaine. Dans ce contexte de banalisation de la sémantique islamiste, nous avons également demandé à
Youssef Chiheb ce qu’il pensait de la « standardisation » de mots quasiment absents du vocabulaire français il y a encore quinze ans, comme les termes
haram
ou
halal
, à l’origine véhiculés par les Frères de l’UOIF et largement repris dans le domaine courant, notamment dans le cadre de l’affaire des cantines scolaires et de l’interdiction de proposer du porc à des enfants musulmans. Voici ce qu’il explique : «
La banalisation de certains éléments de langage est la conséquence de la saturation médiatique et la fascination pour ce langage polysémique. Les deux mots
haram
et
halal
(illicite – licite) traduisent la pensée islamiste qui repose sur une approche binaire : le mal et le bien, l’adoration et la mécréance, le musulman et le reste, le paradis et l’enfer… Quant à l’irruption du terme
halal
dans le vocabulaire français, il est dicté par des règles de marketing qui en a fait une niche économique, dixit aujourd’hui « le bio », ciblant une communauté musulmane (viande
halal
, rayon aux supermarché
halal
, boissons
halal
, vêtements
halal
, banques
halal
(finance islamique), produits touristiques
halal
(le
hajj
)… Un marché estimé à plus de trois milliards d’euros en France. En parallèle, la ségrégation sociale et/ou territoriale fournissent cette banalisation du langage islamiste et alimentent, de manière informelle, la langue française de référence. Ces mêmes éléments de
langage islamiste désagrègent le socle social et modélisent les formes les plus élaborées du communautarisme subi ou choisi. Le vivre ensemble cède, de plus en plus, de la place au vivre entre soi et au multiculturalisme (au nom de la diversité) dans ses formes les plus corrosives. Les islamistes n’en pas demandent pas autant !
»
Plus largement, concernant l’utilisation d’une dialectique frériste, il nous a semblé essentiel de comprendre comment des mots, voir des expressions sémantiques banalisées, ainsi que le double discours, pouvaient servir le projet politique des
Ikhwan
et de l’UOIF dans l’Hexagone. Là encore, la réponse de l’expert est intéressante : «
Les Frères musulmans considèrent que la démocratie est un moyen et non un objectif. Ils croient aux institutions, aux élections et au pluralisme politique, ce qui est le contraire des salafistes qui réfutent le corpus démocratique dans tous ses aspects. Chaque année, lors la rencontre annuelle de l’ex-UOIF au Bourget, ils invitent des prédateurs de Turquie, d’Égypte et d’Europe pour consolider, coopter et intégrer la jeunesse, les intellectuels musulmans modérés dans une perspective de former, à terme, un parti politique avec un ancrage territorial dans les banlieues des grandes métropoles. Les Frères considèrent que leurs militants sont avant tout des électeurs et constituent un gisement électoral. Leur double discours se manifeste par leur icône
Tariq Ramadan qui défend une certaine forme de laïcité, une démocratie électorale et non politique, un vivre ensemble constitué d’une mosaïque de vivre entre soi… Bref, d’une société selon le modèle anglo-saxon, en utilisant habilement une sémantique élaborée pour hypnotiser la France et ré-islamiser les Français issus de l’immigration. Ses prises de position
ambigües sur l’abolition de la charià, sur la lapidation de la femme pour adultère ou sur le port du hijab ou du Burkini en témoignent
».
Témoignages d’un acteur de terrain :
Naëm Bestandji
Militant féministe et laïque, Naëm Bestandji a longtemps travaillé dans le domaine socio-culturel auprès des enfants et des adolescents des quartiers populaires. Confronté depuis les années 1990 à l’avancée de l’intégrisme musulman dont, dit-il, «
les filles sont toujours les premières victimes par le contrôle des corps et des déplacements
», ce Français de culture musulmane dresse une expertise de terrain très éclairante sur la façon dont il a vu le discours frériste se répandre et toucher un certain nombre de jeunes. Lors d’un entretien que nous avons eu le 29 juillet 2019, il expliquait : «
quand on parle des tentatives d’infiltration des Frères musulmans dans la société française, on imagine qu’elles participent d’une démarche toujours planifiée et consciente. Mais ce n’est pas exactement ainsi que cela fonctionne. Il y a bien sûr une idéologie frériste qui est diffusée. Mais à chacun ensuite de la faire vivre sur le terrain, à côté des projets fréristes planifiés (créations de mosquées, de centres « culturels » musulmans, d’actions auprès d’élus locaux, etc.) qui nourrissent les initiatives individuelles. Il peut s’agir simplement d’individus qui se sont imprégnés de cette idéologie et qui la font ressortir ensuite sur leur lieu de travail (…). Par exemple, quand
je travaillais dans le socio culturel, j’ai vu des animateurs de quartiers qui ne disaient plus « bonjour », mais
salam aleikoum
aux jeunes dont ils avaient la charge. Ce n’était bien sûr en aucun cas un signe de radicalisation de leur part. Ils diffusaient cependant un signal qui n’était pas celui de la laïcité, transmettant là une identification religieuse sur la base d’éléments de langage, premier pas vers le communautarisme religieux. J’ai vu aussi de plus en plus de jeunes vérifier qu’il n’y avait pas de graisse animale, contenant potentiellement des traces de porc, dans les biscuits, ce qu’ils ne faisaient pas avant (…). La surveillance de ceux qui font le ramadan ou pas est également apparue à cette époque, dans les années 90. Avec le voile, le contrôle de la nourriture des uns et des autres et les formules verbales religieuses en arabe étaient les premiers résultats visibles du travail des Frères sur le terrain. Certains, parmi ces animateurs, écoutaient
Tariq Ramadan ou
Qardaoui, sans être pour autant dans une logique construite d’entrisme. Ils font juste ressortir leurs convictions extrémistes à partir de ces discours qui sont ceux des Frères musulmans. Et c’est par là que cela commence (…). En fait, il faut bien comprendre que les Frères cherchent d’abord ce qu’ils appellent la « réislamisation des musulmans » avant d’entamer l’islamisation de la société. Ils fonctionnent ainsi, étape par étape. Tout cela a été progressif, car leur logique s’est construite sur des décennies. Ainsi, avec le temps, dans les quartiers populaires, il y a eu une normalisation du voile et des discours religieux, y compris dans les associations non religieuses et les clubs de sport. Le discours religieux est devenu normal, alors que ceux qui le propagent ne se définissent pourtant pas comme des islamistes (…). De mon point de vue, la
menace est réelle, car les islamistes politiques sont différents, dans la méthode et la temporalité, des jihadistes qui veulent tout et maintenant. Les Frères musulmans sont très patients, prêts à attendre. Ils utilisent la stratégie des petits pas. Qui aurait ainsi imaginé, il y a dix ans, qu’on en arriverait à la problématique du burqini, même si tous les Frères ne reconnaissent pas ce vêtement ? Ils ont en réalité tout fait pour banaliser le voile par leurs actions, et on en est arrivé là ! Ainsi, une fois que les burqinis seront acceptés dans les piscines, il y en aura de plus en plus, dont les fillettes accompagnant leurs mamans. Des femmes seront contraintes de le porter, agissant sous la pression morale islamiste. Et une fois que cela fera bien partie du paysage, ils pourront passer à l’étape suivante : réclamer l’apartheid sexuel par des horaires aménagés. Leur stratégie est de tendre à l’occupation visuelle de l’idéologie islamiste à travers le voile, avec une temporalité très longue (…). C’est pour cela que les islamistes ciblent surtout la jeunesse. Comme ils savent, par exemple, qu’ils ne peuvent pas abolir la loi de 2004 à court terme, ils misent sur les jeunes. Ils comptent sur eux, futurs citoyens et élus de la République, pour supprimer cette loi dans 15 ou 20 ans.
»
Naëm Bestandji résume en fait par son expérience du terrain ce que n’ont pas vu venir les politiques. Car au nom d’un islam en apparence compatible avec la laïcité et la république, les
Ikhwan
ont imposé leur dictat visuel et sémantique en toute tranquillité et, surtout, avec le soutien à peine voilé d’une partie de nos élites.
Abdelrahim
Ali, l’expert égyptien des Frères qui alerte les Occidentaux
À propos des musulmans français
,
nous avons également questionné Abdelrahim Ali, grand patron de presse et spécialiste de l’islamisme, par ailleurs député égyptien. Consterné par la naïveté française et occidentale, et auteur de nombreux ouvrages sur les
Ikhwan
, cet expert des Frères, qui a créé à Paris le Centre d’études du Moyen-Orient (CEMO) et connaît très bien la France, nous explique que «
la diffusion d’idées erronées sur les groupes de l’Islam politique en Occident et leurs rôles dans leurs pays respectifs, puis le fait de dire qu’il s’agit d’institutions démocratiques persécutées par des dictatures, a largement contribué à faire pénétrer ces mouvements extrémistes en Europe. Or, cette situation doit cesser ou du moins, il faut écouter l’interprétation et les analyses de ceux qui ont un point de vue différent, qui ont connu ces organisations, observé leurs idées et se sont opposés à elles, ainsi qu’à leurs dirigeants, leurs cadres et leurs partisans dans de nombreux débats »
.
Ce patron de presse musulman égyptien, très hostile au totalitarisme islamiste, qui passe la moitié de l’année à Paris, et qui est probablement l’un des meilleurs spécialistes de La Confrérie en Égypte et dans le monde, ajoute, apparemment plus inquiet que les autorités françaises elles-mêmes ont laissé prospérer les
Ikhwan
depuis 40 ans
69
:
« vous devez savoir que l’Union des organisations islamiques de France (comme elle s’appelait avant le milieu des années quatre-vingt-dix) a été fondée en 1983 à partir de l’union de 6 petites organisations qui sont devenues aujourd’hui 250 organisations et associations possédant 170 mosquées partout en France, et deux écoles secondaires : le lycée al-Kindy dans la banlieue de Lyon, et
Averroès à Lille. Si nous examinons les méthodes d’enseignement dans ces écoles, et le style des sermons dans les mosquées, nous constatons une séparation entre les garçons et les filles dans les classes, et l’enseignement de la matière du jihad en le définissant comme le combat contre les non musulmans, outre l’appel à des valeurs contraires aux valeurs de la République française. Ajoutons à cela que les membres de l’organisation ont juré une fidélité parfaite aux idées du fondateur Hassan al-Banna et qu’ils ont prêté allégeance au Guide de l’organisation selon le système de l’allégeance suivi à l’intérieur du groupe, et qu’ont admis nombre de ceux qui ont quitté le groupe comme Mohammad
Louizi, Tharwat al-Kharbawi ou
Mukhtar Nouh. L’allégeance signifie la fidélité à la stratégie définie par Al-Banna en six étapes : la construction de l’individu musulman selon la méthode des Frères, la construction de la famille musulmane, la construction de la société musulmane, la construction du gouvernement islamique, la construction du
califat islamique, et la domination du monde. Il n’est donc pas étrange que le nom
« Union des organisations islamiques en France » soit devenu en 1995 « Union des organisations islamiques de France », ce qui montre que l’organisation a commencé à considérer la France comme l’un des pays auquel doit être appliquée la stratégie en 6 étapes, et qui doit être transformé à un certain moment, déterminé par « la puissance, les fonds et la situation politique » en État islamique, ou plutôt en État frériste
».
1
. Lydia Gourys,
Allah est Grand, la République aussi
, 2014, J. C Lattès, Paris.
2
. Sonya Faure et Frantz Durupt, « Islamo-gauchisme, aux origines d’une expression médiatique »,
Libération.fr,
14 avril 2016.
3
.
L’Islamisme et nous. Penser l’ennemi imprévu
, éditions CNRS, 2017.
4
. Sonya Faure et Frantz Durupt,
op.cit.
5
. Jacques Julliard, «
Qu’est-ce que l’islamo-gauchisme ? », Le Figaro,
26 août 2016.
7
.
Pr
opos tenus sur
BFM TV
également.
9
. Cité dans par Nouzille & Waintraub, 2017, p. 53.
10
. Anastasia Vécrin, « Edwy Plenel : “Islamiser la question sociale induit une guerre de tous contre tous” »,
Libération
, 6 octobre 2014.
11
. Edwy Plenel, « Un vêtement comme les autres »…,
Mediapart,
14 août 2016.
12
. Anastasia Vécrin, « Edwy Plenel : Islamiser la question sociale induit une guerre de tous contre tous »,
Libération
, 6 octobre 2014.
13
. Mohamed Louizi, « Je me désabonne », Savoir ou se faire avoir, 5 mars 2016.
15
. Bruckner, Pascal (2017a),
Un racisme imaginaire : la querelle de l’islamophobie
, Grasset, 272p.
17
. Bruckner, Pascal, « Ils haïssent la France, non parce qu’elle les opprime, mais parce qu’elle les libère »,
Le Figaro-Magazine
, 7 octobre 2017, pp. 54 – 55.
18
.
Le Figaro
, 26 août 2016.
19
. Nouzille & Waintraub,
Op. cit
.
21
. L’Âge d’Homme, Paris, 1999.
22
. Vincent Geisser,
La nouvelle islamophobie, Op. cit
, p. 104.
23
. Vincent Geisser,
La nouvelle islamophobie… ibid
, p. 105.
24
. Paris, La Découverte, « Cahiers libres », 2005.
26
. Éditions Plein Jour, 2016.
27
. Isabelle Kersimon et Jean Christophe Moreau
, Islamophobie, La contre-enquête,
paris, Plein Jour, 2016,
p. 150.
28
. « Islamophobie : comment les élites françaises fabriquent le “problème musulman” », de A. Hajjat et M. Mohhamed, éd. La Découverte, 2013.
29
. Dans une émission (« Les Grandes questions », avec G-Frantz-Olivier Giesbert) dédiée aux attentats de
Charlie Hebdo
et à l’islamisme radical, auquel l’auteur de ces lignes participait aux côtés de Ghaleb Bencheikh et de Jean-Luc Mélenchon, ce dernier refusa catégoriquement de critiquer l’islam politique ou même l’islamisme radical comme cause du terrorisme jihadiste. Mélenchon fit le procès du seul catholicisme et botta en touche lorsqu’on lui demanda de désigner la menace islamiste.
30
. Projet d’accord de majorité – 2014/2019 – be gov be. brussels, p. 113.
31
.
La Nouvelle islamophobie
, La Découverte, sur le vif, Paris, 2003.
34
. Voir le « Dossier spécial – Menace terroriste – RTBF télévision » (Belgique) du 18 janvier 2015 ; voir son ouvrage
Quand j’étais frère-musulman, La Boîte de Pandore, Bruxelles, 2017.
35
.
Le Monde
, 18 octobre 1998.
37
. « Rapport 2018 sur l’état des lieux de la pénétration de l’islam fondamentaliste en France »
38
. Sylvain Mouillard et Bernadette Sauvaget, « Au Collectif contre l’islamophobie, de la suite dans les données » sur
liberation.fr,
3 avril 2016.
39
. Bernard Godard,
La question musulmane en France : Un état des lieux sans concessionss,
Fayard, 2015, 352 p.
40
. Laurence Thailarde, « Législatives : Samy Debah, le candidat du CCIF ? », Communiqué de presse, 6 juin 2017.
42
. Rappelons les faits : le 11 mars 2004, trois journalistes de Canal + qui s’étaient présentés devant le château de Ville-Main qui abritait cette école coranique clandestine avaient été violemment agressés et s’étaient fait voler la caméra. Hospitalisé, l’ingénieur du son nécessita 97 jours d’incapacité de travail. Mohamed Hammami, imam de l’association Foi et pratique (Tabligh), alors âgé de 72 ans, et son fils, Mohsen Hammami, ont été condamnés à quatre mois de prison avec sursis.
43
. Elsa Sabado, « Les organisateurs de colonies de vacances confrontés au Ramadan »,
La croix
, 31 juillet 2012.
50
. Voir sites toutesegaux.free.fr et
oumma.com.
51
. L’« appel pour les assises de l’anticolonialisme postcolonial ; ou « Appel des Indigènes de la république », publié dix mois avant le déclenchement des émeutes des banlieues françaises en janvier 2005, incarne cette tentative d’essentialiser les immigrés musulmans et d’en faire des soldats de la nouvelle révolution contre l’ordre occidental établi : «
Discriminatoire, sexiste, raciste, la loi anti-foulard est une loi d’exception aux relents coloniaux. La France a été un État colonial… […]. La décolonisation de la République reste à l’ordre du jour !
», in François Darras (J.F. Kahn), « Et maintenant, les nouveaux racistes ! »,
Marianne
, 26 février-4 mars 2005.
52
. Caroline Fourest,
La tentation obscurantiste
, op. cit, p. 37.
53
. Face à ses dérives de la lutte antiraciste, une étude du Collectif Contre TOUS les Racismes, intitulée « Les liaisons dangereuses du MRAP », publiée en février 2004 par des militants antiracistes dissidents, mit en évidence « l’antiracisme sélectif » du MRAP, dont la cause ne serait «
plus celle du combat contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples
» mais celle d’un antisionisme viscéral et de la défense des islamistes radicaux ou des mouvements ethnicistes ouvertement anti-juifs ou anti-français, «
minimisant ainsi les actes antisémites lorsqu’ils sont commis par des “arabo-musulmans” ».
Parmi les rédacteurs du rapport : Bernice Dubois, ex-membre du MRAP ; Morad El Hattab, écrivain, le scientifique Alexandre Feigenbaum, ancien du MRAP ; Kébir Jbil, président de l’association des Musulmans laïques, Rachid Kaci, ex-président de Democratia ; Belkacem Lounes, président du Mouvement mondial berbère ; Simon Midal, ex-membre de la LICRA ; Kavéh Museihni, président du mouvement des étudiants iraniens laïques, etc.
58
. Jérôme Lefilliâtre, « Avec AJ +, Al-Jazeera séduira le genre Oumma »,
Libération,
16 novembre 2018.
59
. « AJ+ français : quand la propagande du Qatar se cache derrière un progressisme féministe et LGBT »,
marianne.net
, le 25 avril 2018.
60
. « Quand AJ+ transforme une enquête sur la vie des ouvriers au Qatar en clip de propagande »,
marianne.net
, 24 octobre 2018.
61
.
https://www.bdsfrance.org/
, le site du BDS, explique que «
La campagne BDS (Boycott Désinvestissement Sanctions) a été lancée par la société civile palestinienne en 2005, suite à des dizaines d’années de lutte contre Israël et sa politique d’apartheid
.
Les Palestiniens font appel aux citoyens de conscience du monde, afin que prenne fin le plus long conflit de l’histoire récente, en leur demandant de boycotter tous les produits israéliens, mais aussi de pratiquer un boycott sportif
,
culturel et universitaire
.
Ils nous demandent également de faire pression sur les entreprises étrangères, notamment européennes, afin qu’elles arrêtent leur collaboration avec cet État criminel. »
63
. L’autre Al-Qaïda – Arte – 2007 – Emmanuel Razavi et Stéphan Villeneuve.
64
. Association à but non lucratif qui relève de la loi du 1
er
juillet 1901, dans les domaines culturel, social, sportif, humanitaire, etc.
65
. L’Organisation de libération de la Palestine, créée au Caire le 28 mai 1964
66
. Jusqu’à 170 000 visiteurs en 2019 selon le site Rassemblement Annuel des MF.
67
. Le vocabulaire islamique : Mots clés du langage théologique religieux et politique de l’islam salafo-wahhabite – Youssef Chiheb, Rapport de recherche, 25 Juillet 2019.
69
. Abdelrahim Ali est un spécialiste de l’islam politique de renommée internationale. Ses ouvrages en la matière font autorité – aussi bien dans le Moyen-Orient qu’en Europe – dont certains sont traduits en plusieurs langues (ses deux ouvrages « Daech, la redistribution des cartes dans un monde bouleversé » et « l’État des frères musulmans, l’Europe et l’expansion de l’organisation internationale » sont édités à Paris aux éditions de l’Harmattan). Il est enfin député au parlement égyptien depuis 2015.