Le tournant du XIXe siècle voit se multiplier les clefs d'intelligibilité censées livrer le fin mot de l'histoire. Pari de la perfectibilité ; foi raisonnée dans le progrès ; certitude amère d'une décadence générale : autant de scénarios combinant interprétation du passé, déchiffrement du présent, esquisse volontariste de l'avenir. La littérature n'est bien sûr pas épargnée. Objet d'hypothèses rivales, la logique de son devenir entre dans le champ de la théorisation philosophique et le « siècle de Louis XIV », en raison des qualificatifs superlatifs dont il est alors honoré (et dont il s'était lui-même orné), joue dans ce processus un rôle de premier ordre. Comme symbole proverbial de perfection, d'accomplissement ultime, il lance un défi aux théoriciens du devenir : la sanctuarisation d'une poétique particulière est-elle encore de mise dans le cadre d'une histoire déverrouillée ? Sans se borner à l'échelle d'un genre ou d'un style, les grandes philosophies de l'histoire s'emploient toutes à ressaisir l'ensemble du « siècle de Louis XIV » sous un angle à la fois statique et dynamique : comme période cohérente, le siècle est justiciable d'une description synchronique ; mais il réclame aussi, cette fois comme simple chaînon d'une histoire au long cours, l'analyse de son raccordement à ce qui le précède autant qu'à ce qui lui succède. Ces nouveaux systèmes constituent un lieu privilégié de la temporalisation des classiques. Temporalisation plus synthétique, plus théorique aussi que les arrangements d'ordre philologique, mais qui n'affecte pas moins en profondeur l'actualisation du « siècle de Louis XIV » dans la France révolutionnée.
En passant ainsi du plan philologique au plan philosophique, on trouve pour l'essentiel trois options qui, de la perfectibilité staëlienne à la décadence bonaldienne en passant par le progressisme de Guizot, produisent chacune un modèle d'intelligibilité singulier de la temporalité classique. Dans tous les cas, la difficulté réside dans le réglage d'une distance temporelle libérant la possibilité d'un vrai dialogue avec l'héritage du « siècle de Louis XIV ». Ce qui suppose, à cette époque comme aujourd'hui, que présent et passé s'extraient d'un rapport de subordination. Visant les méfaits d'un certain « provincialisme temporel », T. S. Eliot dénonçait la tendance à regarder le monde comme « la propriété des seuls vivants, propriété où les morts n'ont pas de part »{559} ; mais, inversement, la mise sous tutelle des vivants par les morts ne paraît guère plus féconde. Au fond, et quels que soient les méandres de leurs argumentations, les développements théoriques de Staël, Guizot et Bonald manifestent un même effort pour trouver la meilleure distance possible en modélisant la condition temporelle des classiques. L'intérêt de leur confrontation est de mettre en relief la difficulté à mener jusqu'à son terme une logique d'historicisation à laquelle tous semblent d'abord adhérer. Éploré ou enthousiaste, le constat d'une histoire en marche devrait en effet favoriser l'appel au renouvellement, feutré ou plus véhément selon les tempéraments, des critères d'appréciation esthétique. Or il n'en est rien : la légitimité de l'ère nouvelle à dire le sens de l'histoire n'est pas chez tous synonyme d'habilitation à refonder les règles du goût. Entre les inflexions perfectibiliste (Staël) ou progressiste (Guizot) de la sécession romantique et le refus épidermique de la nouveauté (Bonald) se déploient ainsi les différentes versions d'une tradition classique aux multiples accents. La chaleur passionnelle de ces débats dit assez qu'il n'y va pas seulement de la pertinence des trois unités, ni de la beauté de l'alexandrin. Le goût littéraire représente bien souvent la pierre de touche d'une idéologie plus massive engageant une conception du patrimoine national écartelée entre la tentation de l'essentialisme et l'appel de l'histoire.