CHAPITRE 27

Au cours des derniers six mois, l’état de santé de la Signora Cresci s’est dégradé. A l’approche de ses cinquante ans, les appétits d’autrefois ont laissé place à une quête de spiritualité nouvelle chez cette femme active et ambitieuse. Maria s’est même attachée à la Vénérable Confrérie des sœurs laïques de San Martino, à Montughi393. Un portrait réalisé par Servolini394 offre l’image d’une personne modeste, effacée, qui, si elle a perdu de sa superbe, n’en demeure pas moins coquette. Sur le visage de la Signora Cresci traîne une ombre plus douce qu’autrefois, au temps où elle possédait encore jeunesse et attraits. La maladie qui l’a contrainte à passer l’hiver 1847 à Pise a modifié ses désirs et ses attentes, même si les uns et les autres sont toujours présents. Elle n’ose guère se déplacer, n’en ayant plus la force. Trop fière pour en faire l’aveu aux siens, elle prend la décision de quitter la maison de la via de la Pergola et de s’installer avec sa famille à la villa de Montughi. Du reste, c’est le docteur Barzellotti, son médecin, qui lui en fait la recommandation395. Sur les hauteurs de Florence, a-t-il affirmé, l’air est pur et favorable aux malades des bronches.

Si les forces physiques abandonnent peu à peu la Signora Cresci, inquiétant son entourage, l’acuité intellectuelle qui est la sienne est toujours présente et l’amène à réfléchir à ses avoirs. Comment les gérer de la manière la plus efficace ? Constitués de quatre crédits faits par elle à la Banque royale de Dépôts396 et dont la somme totale est de 200 000 lires, ils sont investis au taux de 4 %. Leurs intérêts, versés deux fois par année, permettent à la famille Cresci de vivre. En 1848, Maria avait décidé de vendre ce capital de la Banque royale au prince Tomaso Corsini parce qu’il lui offrait un intérêt de 4,5 %. Redoutant les conséquences néfastes des événements politiques en Italie, elle demande expressément que les paiements des intérêts soient effectués en « monnaie d’argent fin, c’est à dire en francescone », et non en monnaie érosive ou en papier monnayé d’aucune sorte. Elle ne souhaite pas davantage de bons de l’Etat.

Le contrat entre la Signora Cresci et le prince Corsini stipulera que la somme prêtée restera pour six ans entre les mains du prince ou de sa famille et ne pourra être réclamée par Maria que si Giulia, sa fille âgée de quinze ans en 1849, se marie. Il faudrait alors obtenir 5000 francescone pour lui constituer un trousseau. Enfin, la Signora Cresci demande au prince Corsini d’élargir l’inscription hypothécaire en sa faveur par deux domaines, dont une ferme se trouvant en partie sur la commune de Calcinaia et en partie sur celle de Pontedera.

Mais prise de doutes au dernier moment et gardant à l’esprit la malheureuse expérience de son palais, la Signora Cresci demande au chevalier Lamporecchi, qui l’a soutenue et conseillée dans toute cette affaire, de vérifier que la ferme ne soit pas déjà hypothéquée. Aussitôt, par une lettre adressée au prince397, l’avocat fait un contrôle :

« On sait que Monsieur le Prince a acheté cette Ferme à Mr. Strozzi accablé de dettes qui n’a pas payé ses créanciers. Or, les inscriptions des créanciers Strozzi qui par inadvertance n’auraient pas été payées ne pour-raient-elles point encore subsister ? Ne pourrait-il pas subsister quelque hypothèque sur la Ferme à la charge des parents de Monsieur Strozzi ? »

Une année s’écoulera avant que le contrat entre le prince Corsini et Maria puisse enfin être signé398 car la Banque royale de Dépôts, renâclant à laisser partir les avoirs de la Signora Cresci, lui offre des intérêts de 5 % que cette dernière accepte pour une durée d’un an.

Finalement, le 10 juillet 1849, devant le Dr. Lorenzo Gargiolli, Notaire du Roi, devant son époux Antonio et devant le prince Tomaso Corsini, la Signora Cresci remet au prince le capital déposé jusque-là à la Banque royale de Dépôts. Tant qu’il n’y aura pas de demande de résiliation de la part d’une des parties, la somme restera durant six ans entre les mains des Corsini et le contrat sera prolongé d’année en année.

Dans toute cette tractation, Maria se montre une femme d’affaires avisée, minutieuse. Pourtant, secouée par des quintes de toux qui la laissent affaiblie, elle dépérit et ne se déplace plus sauf dans le jardin de Montughi. Aux yeux de ses proches et de ses amis, elle paraît frêle, délicate, amaigrie. Cette opération avec le prince Corsini l’inquiète : aura-t-elle à payer une charge fiscale au gouvernement au moment des transferts de fonds ? Et puis, la Banque royale de Dépôts a tout à coup cessé de lui verser les intérêts de ses avoirs au début de l’année 1849. Pourquoi ? S’adressant à Ranieri Lamporecchi, elle avoue ses difficultés financières :

« Je vous prie donc, Monsieur l’Avocat, d’avoir l’extrême bonté de parler avec Monsieur Adami399 pour savoir quand je pourrai être payée, car je vous dis en confidence que je ne sais pas comment commencer le mois d’avril. Vous connaissez bien les dépenses d’une famille et, bien qu’on vive de manière économe, l’éducation des enfants n’est pas une petite portion de ma rente ».400

Une fois de plus, l’avocat est en mesure d’arranger les choses. Il se fait entendre par le directeur de la Banque royale de Dépôts qui se hâte de verser à Maria ses intérêts.

Au milieu du mois d’avril 1850, la Signora Cresci apprend par une lettre de Charles de Budé qu’à Genève, le 1er avril, sa fille a donné naissance à un gros garçon nommé Alexandre, Louis. C’est à la mairie de Saconnex, devant les témoins Jules de Budé et devant le comte Ostermann, que le bébé a été enregistré. A la demande de Charles, Maria en avise l’avocat :

« Il [Charles] me dit encore qu’Agrippine a beaucoup souffert mais que tout s’est passé avec succès, grâce à Dieu.

Recevez mes plus affectueuses salutations et crois-moi [sic !] ta servante et amie la plus dévouée.

Maria Cresci »

Dans son journal, Charles de Budé avait relevé qu’à trois heures du matin, Agrippine avait ressenti les premières douleurs, que vers cinq heures on avait fait venir le Dr. Bizot tandis que Madame Hoffmann, une garde au service d’une famille Trembley, était venue apporter son aide. La veille de la naissance, Charles avait encore noté : « Bizot venu. Vent chaud. Couvert – Visites. A 1 heure la nourrice Besson est arrivée ».

A Florence, à la fin de l’été, le chevalier-avocat est en souci pour Maria. Pourquoi Agrippine ne vient-elle pas voir sa mère ? Au début du mois de septembre, Lamporecchi avait donné à Charles de Budé des nouvelles de sa belle-mère : « Elle est au lit depuis presque quarante jours avec de la fièvre, de la toux ». Accompagné de son épouse Luigia, l’ancien tuteur est allé plusieurs fois à Montughi pour rendre visite à la malade. Estimant que les soins du docteur Barzellotti ne donnent point d’amélioration, les époux Lamporecchi insistent auprès d’Antonio pour consulter un autre médecin. C’est Luigia qui obtient du professeur Punta, médecin de la famille royale, la promesse d’examiner Maria : « Cela a été fait et la Malade en a éprouvé de la satisfaction et des avantages, car Monsieur Punta a recommandé quelques remèdes avec lesquels [son état] s’est amélioré »401.

En réalité, si les Budé ne viennent pas à Florence, c’est parce que Charles craint les voyages. En outre, il ne voit pas d’un bon œil un retour de sa femme vers le lieu de son enfance. Qui sait l’effet d’une telle visite sur Agrippine ? De toute manière ce n’est guère le moment de quitter Genève : le couple de Budé reçoit avec munificence de nombreux personnages en vue dans la cité de Calvin. Fallmerayer, décrivant le luxe et le bon ton des soirées chez Agrippine et Charles, s’en étonne plus d’une fois.

Nicolas n’est pas venu non plus à Florence. Durant l’été 1850, l’avocat ne reçoit aucune nouvelle du jeune homme. Est-il toujours à Paris ? Est-il à Genève ? S’est-il retiré de la vie mondaine pour se réfugier dans sa demeure de Passy ? Souffre-t-il ? Se sent-il abandonné ? A-t-il des amis ? L’ex-tuteur redoute un malheur. Il voit juste. Tout à coup, c’est le désastre. Le 16 septembre, Ostermann-Tolstoï reçoit un courrier de la princesse Galitzine402 à Paris : Nicolas est malade. Gravement malade. Agrippine et Charles prennent aussitôt la poste, accompagnés de Gavard, le domestique du comte. Il leur faudra quatre jours pour arriver à Paris où les attendent la princesse Galitzine et Paul Tolstoï. Nicolas, atteint d’une forte fièvre, délire. Plusieurs médecins se succèdent à son chevet : un docteur Blanche403, un docteur Dupotet, magnétiseur, et d’autres qui diagnostiquent une « inflammation au cerveau ». Hélas ! On ne peut rien faire pour atténuer les violents maux de tête de Nicolas. Le mercredi 25 septembre, à dix heures et demie, le fils unique du comte Ostermann-Tolstoï rend le dernier soupir, à l’âge de vingt-sept ans.

Dans sa lettre du 17 octobre 1850 adressée à l’avocat404, Agrippine apporte quelques détails :

« Les derniers jours de sa vie il avait repris connaissance mais son état de faiblesse et de souffrance l’empêchait de parler il a reconnu mon mari et a pu lui faire son dernier Adieu. Je n’ai pas eu la consolation de le revoir et je n’ai pu que suivre cette dépouille chérie qui selon mon désir avait été embaumée.

Mon père a supporté ce malheur avec le courage que la nature lui a donné et il me soutient avec force. Ma pauvre mère est encore trop malade pour qu’on puisse lui apprendre cette affreuse nouvelle et selon le désir de son mari je reste dans le silence.

Je ne doute pas que vous compatissiez à notre chagrin et à nos regrets pour Celui que nous pleurerons éternellement.

Veuillez communiquer cette attristante nouvelle à Madame votre épouse et recevez de mon cœur triste et désolé l’expression de mon respect et de mon attachement.

Agrippine de Budé »

Une fois embaumé, le corps de Nicolas est transporté à Genève où le comte, accompagné du pasteur Viollier et de Charles rentré de Paris en quelques jours, tient à choisir lui-même l’emplacement de la tombe au cimetière du Petit-Saconnex. Le 19 octobre, le cercueil arrive de Paris avec Gavard, le valet d’Ostermann, et le lendemain, qui est un dimanche, les obsèques ont lieu dans le temple protestant du Petit-Saconnex, suivies de l’ensevelissement au cimetière.

A Florence, l’avocat Ranieri Lamporecchi est bouleversé en recevant la lettre d’Agrippine :

« Très chère Agrippina

La funeste nouvelle de la mort du pauvre Nicola votre frère et mon très cher ami m’a été donnée il y a déjà dix jours par Monsieur Antonio Cresci, alors que moi-même et mon épouse étions allés rendre visite à votre mère Madame Maria Cresci. Je n’ai pas de mots pour exprimer la stupeur, la terreur, la douleur qu’un événement si inattendu et terrible a provoquée en nous. Et par la peine que nous avons éprouvée et que nous éprouvons encore, nous comprenons bien quelle est et a dû être la vôtre et celle de Monsieur le Comte votre Géniteur, auquel je n’ai pas le courage d’écrire, afin de ne pas renouveler son affliction avec mes condoléances.

Il est malheureusement vrai que cette pauvre terre est une vallée de larmes : et Vous, alors que d’une part vous avez eu la chance bien méritée de vous trouver un Epoux digne de vous et qui fait votre bonheur, d’autre part vous avez eu le malheur de perdre d’abord une Sœur puis un frère, les deux remplis de vertus et ayant mérité une longue vie. Malheureusement, je répète, cette pauvre terre est une vallée de larmes, dans laquelle personne ne trouve de complet bonheur et qui ne soit pas interrompu par quelques infortunes…

Monsieur Antonio Cresci aurait voulu me confier d’apporter cette triste nouvelle à Madame Maria, infirme comme vous le savez, et gisant depuis 4 mois dans son lit avec de la fièvre et de la toux. Non seulement je n’ai pas voulu accomplir une tâche si douloureuse, mais j’ai conseillé à Monsieur Cresci de lui tenir caché ce malheur car la mort du fils aurait produit une dangereuse aggravation de sa maladie, qui, il est vrai, n’est pas sans espoir de guérison, mais qui est, je ne veux pas vous le dissimuler, une maladie grave, qui nous donne à moi et à ma femme quelques appréhensions. Mais, je répète, elle ne nous enlève pas l’espoir de la voir retrouver la santé. Et je crois qu’une visite de votre part serait pour Elle une consolation, qui allégerait l’angoisse qu’elle éprouvera quand elle apprendra la mort du pauvre Nicola […]

Je pars dans quelques jours pour Pietrasanta. Avant de partir je vous enverrai mon Compte-rendu, dont je suis en train de vous faire la copie, par lequel vous prendrez connaissance de l’état de vos intérêts dans cette ville, sous mon administration.

Adieu, ma chère Agrippina, donnez-vous du courage. Agréez et faites agréer à votre digne Epoux mes salutations et celles de mon Epouse405 ».

Au comte, Lamporecchi exprime son chagrin. Par retour du courrier il reçoit une lettre dans laquelle Ostermann-Tolstoï dit sa peine :

« Mon cœur veut encore que je vous assure de ma gratitude pour votre soutien lors de mon malheur ; j’espère qu’il y aura quelque répit à ma souffrance car je sens que je ne peux m’habituer à l’absence de mon aimé Nicolas. Chacun peut me dire : patience, résignation ; mais personne, certainement, ne voudrait échanger son état contre le mien ; je suis à nouveau seul à souffrir ».

Oui, le vieux militaire est seul. Si au moins il pouvait partager sa douleur avec la mère de ses enfants ! Mais cette dernière n’est pas au courant de la mort de Nicolas. En cette fin d’octobre 1850, elle gît dans son lit, le dos soutenu par des oreillers. Le temps est encore doux. Un léger vent de tramontane apporte des cris d’enfants qui jouent au loin. Le regard de la Signora Cresci se porte au-delà de la fenêtre ouverte, sur la plaine de Montughi, là où s’étendent les « poderalis » 406 et les plaines baignées par l’Arno. Entre la villa Cresci, perchée sur la colline, et la cité de Florence dont la malade aperçoit les tours et les édifices, s’étend une large campagne parsemée de vergers d’oliviers et de cyprès noirs dans le lointain. Lorsqu’elle n’est pas déchirée par des quintes ou par une forte fièvre, Maria trouve un apaisement à la douceur du paysage.

Brusquement, dans la nuit du 8 au 9 novembre, les accès de toux redoublent de violence. Paniqué, Antonio fait parvenir un billet à l’avocat :

« Cette nuit ma Femme a passé une nuit horrible, car elle a été tourmentée terriblement par la toux. Mais une toux sèche, qui lui serrait la gorge. Je l’ai veillée en priant Dieu de faire vite venir le jour, et, n’ayant plus aucun espoir parce que l’épuisement des forces est devenu plus marqué, je vous prie de ne pas attendre pour notifier ses dernières volontés, de crainte qu’un délai d’un seul jour puisse nous être fatal ».407

Lamporecchi ne tarde guère. Il réunit près du lit de Maria un notaire et des témoins, les informant des dernières dispositions de la Signora Cresci. Vite il dicte un pli pour Agrippine, dans lequel il ne cache pas la gravité de la maladie. Espère-t-il encore la venue à Florence des Budé ? Arrive une lettre d’Agrippine, écrite à Genève :

« Monsieur le Chevalier

Je ne puis vous exprimer l’état de tristesse et d’abattement où me plonge votre lettre que je reçois à l’instant. En effet malgré toutes les inquiétudes que j’avais au sujet de la maladie de ma mère, je conservais encore quelque espérance et je vois aujourd’hui qu’il faut y renoncer. Ce qui ajoute encore à mon affliction c’est la douloureuse pensée que ma mère ignorant notre malheur doit trouver notre silence indigne.

Je vous avoue mon cher et ancien tuteur que malgré toute la gravité de son état (qui d’après ce que vous me dites n’offre plus de chance de guérison) je ne comprends pas qu’on ne lui ait pas communiqué mes lettres car elle n’aurait pas souffert davantage de savoir son fils malade que de croire plutôt à une semblable indifférence ! ! Si Dieu veut la retirer auprès de lui, il lui sera moins amer de quitter ce monde avec la pensée qu’elle va rejoindre son fils que de le savoir absent et ignorant sa grave maladie. Enfin, si je me permets de vous communiquer mes sentiments à ce sujet c’est parce que je suis certaine que vous les comprendrez et que vous pouvez peut-être s’il est temps encore, persuader le médecin et Monsieur Cresci de lui laisser lire mes lettres ; en attendant je me conforme à vos conseils et viens d’écrire à ma pauvre mère ce que vous me suggérez. Jugez cependant Monsieur le Chevalier, comme toutes les raisons paraissent singulières auprès d’un esprit et d’un cœur comme celui de ma mère qui, jusqu’à son dernier moment sentira plus douloureusement notre éloignement ! !

Tout en déplorant la nouvelle que vous m’annoncez je vous en remercie car je comprends ce qu’il vous en coûte de remplir cette triste mission. La vie n’est remplie que de tristesse et de mécomptes et ce n’est qu’en Dieu que nous trouvons force et courage pour les supporter.

Adieu Monsieur le Chevalier recevez je vous prie l’expression de mon respect et de ma reconnaissance.

Agrippine de Budé » 408

Les époux de Budé ne se rendront pas à Florence. D’ailleurs la Signora Cresci a perdu la maîtrise de ses facultés physiques et mentales. Elle se croît à Frascati sur la piazza, devant la basilique San Pietro d’où elle se dirige vers la maison Rabotti à côté du « granaro ». D’une fenêtre, sa grand-mère Anna Maria lui fait signe de la main puis tend vers elle ses bras. Le soleil nimbe ses cheveux gris d’une lumière argentée tandis que sur son visage amaigri flotte un sourire tendre et doux. Toute à sa vision, Maria a les yeux clos. Ce matin même, le 24 novembre 1850, elle a reçu les réconforts extrêmes de la religion. Et à 17h45 elle s’éteint, « sans affres, sans douleurs, comme une lampe à laquelle manque de l’huile » 409. Son corps, transporté le jour suivant dans la petite église de San Martino in Montughi, non loin de la villa Cresci, est déplacé le soir même dans l’église de la Santissima Annunziata à Florence où, selon le vœu de la Signora Cresci, il reposera. Cependant Antonio, assisté du chevalier Lamporecchi, se verra refuser l’entrée dans le cloître pour la dépouille de Maria. Seuls quelques membres des familles patriciennes ont encore ce droit, pour autant qu’une large somme soit versée à l’église de la SS. Annunziata. En attendant de trouver un autre lieu pour sa femme, Antonio la fait reposer dans l’entrée du cloître de San Pierino410, à quelques dizaines de mètres de l’église, là où l’on déposait les défunts à qui on refusait la sépulture dans le cloître de la SS. Annunziata. Une demande pour exhumer Maria et la faire transporter dans la petite église de Montughi est adressée par le Signor Cresci au préfet de Florence. Entre-temps, ayant obtenu du supérieur du couvent un endroit dans le cloître des morts de l’église Santa Maria Novella, Antonio y fait transporter les restes de son épouse six semaines après son décès. De nuit, comme cela avait été exigé par le préfet, et sous la surveillance d’un médecin membre du service sanitaire411.

Le 14 décembre, dix-huit jours après la mort de la Signora Cresci, une messe sera célébrée par le prêtre Io Biagioni dans l’église de San Martino in Montughi, pour le repos de l’âme de « sorella Maria Cresci », membre de la Vénérable Confrérie des soeurs laïques de Montughi.

A Genève, la jeune Madame de Budé et le comte ont reçu la triste nouvelle de la mort de Maria. Agrippine exige de l’avocat le récit intégral de sa fin. Lamporecchi est réticent :

« Très chère Agrippine

Vous m’avez chargé d’une bien triste tâche en m’invitant à vous raconter en détail les tourments, les souffrances, les pensées, les désirs et les frémissements qui ont accompagné votre pauvre Mère au tombeau. J’essayerai d’adoucir, en la racontant, l’histoire amère que vous souhaitez connaître […]

Son seul réconfort a été de ne pas savoir le mal qui la détruisait et [de garder] l’espoir de guérir, qui jamais ne l’abandonna.

Quand sa maladie s’est aggravée, elle m’a dit, qu’ayant fait son testament en 1843 déjà, elle voulait y ajouter un codicille. Vous pouvez vous imaginer [combien] cette tâche a été douloureuse pour moi. J’ai amené près de son lit le Notaire, les Témoins [suivent leurs noms] que j’ai informés de ses dernières dispositions…

Pendant toute sa maladie elle a été assistée par son mari, ses enfants, les Médecins, et par nous ses amis. Rien, à vrai dire, n’a été épargné, ni en soins ni en argent pour la soustraire à la mort, mais son destin fatal était désormais inexorablement inscrit dans le Ciel.

Je ne veux pas vous cacher que parfois elle a exprimé le désir de Vous revoir ainsi que le pauvre Nicola, dont nous lui avons caché la mort, pour ne pas ajouter de la tristesse à l’Affligée. Ce désir, aussi longtemps qu’elle avait l’espoir de guérir, fut entretenu par nous, avançant chaque fois un différent prétexte. Quand, dans les derniers jours de sa vie, son état a grandement empiré, elle a complètement perdu les affects, les sentiments et la mémoire.

Après sa mort, nous avons ouvert le testament et le codicille et avons vu qu’elle avait souhaité les funérailles dans l’Eglise de Santa Croce et la sépulture dans les Cloîtres de la Santissima Nunziata. Tout a été exécuté selon sa volonté412. Les principales dispositions dictées par elle dans le Testament et le codicille sont les suivantes :

1° Héritier universel son fils Gustavo Cresci.

2° Pour chacune de ses filles Giulia et Luisa Cresci elle a laissé 6 000 Ecus comme dot et 500 pour le trousseau ainsi que d’autres petits objets d’habillement.

3° Au mari elle a laissé 300 Ecus par an sa vie durant.

4° A vous, à la pauvre Caterina (qui était encore vivante au moment où elle fit le testament) et au pauvre Nicola, qui, lui aussi était encore vivant, un bracelet, une bague, et d’autres petits objets personnels.

5° Elle a décidé que tant qu’il n’aura pas atteint l’âge de 30 ans, Gustavo ne pourra ni vendre ni aliéner d’autre façon les biens hérités, sans le consentement de son père et de l’Exécuteur testamentaire, lesquels devront administrer le patrimoine jusqu’à cette époque.

6° Mon fils Vincenzo a été désigné comme Exécuteur testamentaire ».413

Et dans cette même lettre, Lamporecchi informe Agrippine du montant de ses avoirs à la Banque royale de Dépôts. Au capital de 35 375 lires s’ajoute la moitié de celui de Nicolas, à savoir 45 450 lires. Les de Budé ont souhaité retirer l’ensemble de la somme pour la faire envoyer à Genève, même si l’avocat ne voit pas d’un bon œil cette décision.


393 Les participants et participantes se nomment frères et sœurs. Ils ont l’obligation de payer une participation à la compagnie et de prodiguer assistance aux malades et aux mourants.

394 Peintre florentin et professeur aux beaux-arts.

395 Un ancien ami et médecin du comte à Pise.

396 En 1837, 1840, 1842, 1843.

397 Le 6 mars 1849.

398 Il le sera le 15 février 1849.

399 De la Banque royale de Dépôts.

400 Lettre du 22 mars 1849.

401 Lettre du 3 septembre 1850.

402 Probablement la femme de Léonid Galitzine.

403 Qui soignera Gérard de Nerval.

404 Agrippine écrit en français à l’avocat alors que ce dernier s’adresse en italien à son ancienne pupille.

405 Lettre du 23 octobre 1850. En italien.

406 Champs cultivés.

407 Billet du 9 novembre 1850.

408 Non datée.

409 Lettre du chevalier à Agrippine, le 3 décembre 1850.

410 Actuellement siège de la Société Dante Alighieri.

411 La tombe de Maria se trouve toujours dans le Cloître des Morts de Santa Maria Novella.

412 Pas tout à fait, puisque la sépulture à la SS. Annunziata a été refusée.

413 Lettre du 3 décembre 1850.