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Imperial Library
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Le lendemain matin, pendant qu’elle poussait son chariot dans les couloirs de l’hôtel, guettant le départ des clients, Eleni réfléchit. Elle ne pouvait pas continuer toute seule avec l’échiquier électronique comme interlocuteur. Elle avait depuis longtemps renoncé à tout espoir de jouer avec Panis, qui ne manifestait pas le moindre intérêt pour ce jeu. Jouer aux échecs avec sa femme lui était d’emblée apparu comme une idée totalement incongrue, une lubie passagère, indigne de s’y attarder. Désormais, chaque semaine, Eleni avait donc réellement un rendez-vous clandestin, comme certains l’avaient soupçonné. Les tête-à-tête entre elle et le professeur furent d’ailleurs tout aussi difficiles à dissimuler que s’il s’était agi d’escapades amoureuses. Il lui fallait trouver un prétexte lui permettant de s’absenter tout l’après-midi du mercredi, jour convenu de la bataille hebdomadaire. Au début, elle se prit les pieds dans son tissu de mensonges, mais l’habitude aidant, elle développa un sens aigu de l’improvisation. Elle en fut la première surprise. La plupart du temps, elle feignait d’aller voir ses vieux parents. Panis ne voyait aucune objection à ce regain d’amour filial qu’il trouvait un peu exagéré, mais naturel. Le parfum eut un effet tout à fait surprenant. La lourdeur marécageuse de la matinée fut balayée d’un coup. Eleni se hâta de terminer son travail, enleva sa blouse vert pistache avec impatience et dévala la pente aussi vite que ses jambes le lui permirent. Elle rentra chez elle, prépara à manger pour Dimitra, puis s’enferma dans la cuisine avec son manuel. Elle se mit à apprendre les ouvertures par cœur. C’était une tâche ardue, sans échiquier, elle ne progressait que très lentement. Certes, les premiers coups se ressemblaient dans la plupart des parties. Le choix n’était pas si important. Mais très vite la chose se compliquait pour arriver à une variété quasi infinie de possibilités. Elle pesta intérieurement contre Kouros, qui lui infligeait ce traitement. Au bout d’un mois et demi, elle maîtrisait la plupart des grandes ouvertures et elle s’attaqua aux milieux de partie qui demandaient plus de souplesse et d’initiative. Elle développa soudain un défaut qu’elle n’avait jamais eu auparavant, un attachement déraisonnable à ses pièces majeures, qu’elle rechignait à sacrifier. Si par malheur il lui arrivait de perdre sa dame, elle s’affolait et considérait la partie perdue. Ce défaitisme l’amenait alors à commettre erreur sur erreur. Sa farouche volonté de vaincre avait disparu. Cette évolution consternait Kouros qui avait connu Eleni en assaillante intrépide. Il attribua cette nouvelle attitude aune prise de conscience du danger. Maintenant qu’elle commençait à connaître toutes les ruses dont pouvait disposer l’adversaire, elle était devenue chancelante quant à la manière de mener sa barque. Ses pièces majeures lui parurent des bouées de sauvetage dans les sables mouvants de la perfidie. Eleni rentra deux heures après le départ de Costa. Elle avait été éliminée le matin même, au troisième tour, par le champion de Koukaki, un monsieur aux allures joviales qui portait une barbichette. Ce résultat était loin d’être déshonorant. Il était même meilleur que tout ce qu’elle avait pu espérer en pénétrant le premier jour dans la grande salle, éclairée par de luxueux lustres en verre, dans laquelle quatre tables, chacune équipée d’un damier, attendaient les participants.
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Chief Librarian: Las Zenow <zenow@riseup.net>
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