Les Psychoses Confusionnelles

Psychoses Confuso-Oniriques. Syndrome de Korsakov. Délire Aigu

Les psychoses confusionnelles (ou confusions mentales) sont caractérisées : a) par l’obnubilation de la conscience allant du simple engourdissement de la pensée jusqu’à un état de stupeur voisin du coma, b) par la désorientation temporo-spatiale à des degrés divers, c) par une modalité d’expérience psychique voisine de celle du rêve, le délire onirique.

Nous verrons que de nombreuses causes peuvent engendrer de tels états, mais on réserve depuis Régis une part prépondérante aux causes toxi-infectieuses. Il semble, en effet, que ce niveau profond de déstructuration de la conscience soit une réaction de prédilection aux agressions massives et aiguës du système nerveux par un agent « exogène » sans naturellement qu’on puisse négliger pour autant le seuil de réactivité ou la prédisposition du terrain. C’est en tout cas dans les états confusionnels que les facteurs exogènes paraissent les plus évidents et les plus actifs.

HISTORIQUE

La notion de confusion mentale a été péniblement isolée par les aliénistes français du xixe siècle de la masse des psychoses aiguës : états de manie et de mélancolie, bouffées délirantes, etc. L’intéressante histoire de la confusion mentale a été remarquablement résumée par Régis dans son Précis de Psychiatrie (6e édition, p. 343) ; on la trouvera également dans les Études psychiatriques (tome III, p. 326) de l’un de nous.

Rappelons seulement ici que Georget (1820) avait décrit ce syndrome sous le nom de stupidité, que Delasiauve (1851) en a fait une description magistrale et lui a donné le premier nom de confusion mentale.

En 1895, Chaslin érigea en entité la confusion mentale primitive, c’est-à-dire les états où la confusion se présente comme une psychose aiguë typique quelle qu’en soit l’étiologie. — Ultérieurement Régis et l’École de Bordeaux (1895-1911) ont achevé de préciser le contenu de cette nouvelle « entité » en précisant que le syndrome est presque toujours d’origine infectieuse ou toxique et en rapprochant de la confusion le délire onirique ou onirisme qu ils considèrent comme caractéristique de toutes les intoxications ou infections.

En général, on recourt moins à l’étranger que chez nous à ce diagnostic ; en Allemagne, notamment, la notion de confusion (Verwirrtheit) a connu moins de succès et on lui préfère, le plus souvent, celle de « réactions exogènes » de Bonhœffer (1907).

Dans le DSM III, les psychoses confusionnelles sont décrites sous le nom de « Delirium » (trad. franç., 1983, p. 114-118).

I — ÉTUDE CLINIQUE

Nous prendrons pour type de description la psychose confusionnelle onirique simple décrite par Chaslin sous le nom de confusion mentale primitive.

A — MODE DE DÉBUT

La confusion peut apparaître à tout âge et atteint indifféremment les deux sexes. Les facteurs exogènes que nous aurons l’occasion d’étudier plus loin, infections, intoxications, traumatismes, émotions sans être constants jouent, répétons-le encore, un rôle très important.

Le début est généralement assez progressif, en quelques jours ; il est marqué par de l’insomnie, de l’inappétence, une céphalée sur laquelle Régis a beaucoup insisté, ainsi que sur les modifications de l’humeur et du caractère.

Parfois cependant le début est brusque et marqué par un accès d’onirisme terrifiant, une brutale obnubilation de la conscience ou une profonde désorientation.

Progressivement ou non, le malade s’achemine vers un état confusionnel confirmé et passant parfois par des états de déstructuration intermédiaire de la conscience : états plus ou moins maniaco-dépressifs ou hallucinatoires (dépression, excitation psychique, idées de persécution, automatisme mental). Les modalités de cette dégradation, sa rapidité, sa profondeur, la durée de ses paliers successifs constituent les aspects cliniques de cette période d’invasion.

B — PÉRIODE D’ÉTAT

Le malade est alors plongé dans un trouble général et profond de sa conscience qui caractérise l’état confusionnel : altération de la synthèse mentale (obnubilation, désorientation, amnésie, etc.) et expérience onirique.

1° Présentation. — Le masque de la confusion est si caractéristique qu’il constitue un symptôme capital du tableau clinique : le confus donne une impression d’hébétude et d’égarement, notamment par son regard hagard, flou et lointain. On a l’impression qu’il est absent de la situation présente. Sa physionomie reste figée, ses traits sont brouillés et sa mimique est inadaptée.

Le comportement général psycho-moteur, gestuel et verbal exprime cette confusion. Tantôt les mouvements sont lents, maladroits, hésitants, incertains, la parole est chuchotée, mal articulée ; par périodes, il peut exister un mutisme total (mutisme stuporeux), le malade est sans initiative et il lui faut une assistance pour les actes élémentaires : manger, se lever, faire sa toilette, etc. — Tantôt il est bruyant, en proie à une agitation désordonnée et stérile ; ses impulsions, ses déambulations, ses tendances à la violence ou à la fuite exigent une surveillance étroite.

Malgré cette torpeur ou cette agitation stérile le malade semble faire, au moins par moments, un effort pour se rendre compte de ce qui se passe autour de lui. Il exprime sa perplexité par des questions comme celles-ci : « qu’est-ce qu’il y a ? je ne sais pas, expliquez-moi… »

2° La confusion. — Le symptôme essentiel consiste dans l’incapacité d’opérer une synthèse et une différenciation suffisantes des contenus psychiques qui se confondent et s’agglutinent. D’où le manque de lucidité et de clarté du champ de la conscience. L’activité perceptive est déficitaire : le malade identifie mal le monde extérieur, il ne reconnaît pas ses parents, ceux qui le soignent ; les objets qui l’entourent lui paraissent étranges, etc. Parfois c’est la perception du corps propre qui est atteinte et le patient éprouve un sentiment de dépersonnalisation, des troubles cénesthopathiques, etc.

La désorientation temporo-spatiale est un des symptômes les plus caractéristiques de l’état confusionnel. Elle est toujours évidente. Le malade commet des erreurs de date, ignore la saison, la durée de sa maladie. Il se localise mal dans l’espace, il se croit chez lui alors qu’il est à l’hôpital, il s’égare ou ne reconnaît plus les lieux ou l’entourage.

Les troubles de la mémoire sont également au centre du tableau clinique. Les perceptions étant floues, elles s’évanouissent aussitôt sans fixation suffisante dans la mémoire. Le malade ne peut dire s’il a pris ou non son repas, s’il a reçu ou non une visite le matin même. L’évocation des souvenirs est également laborieuse et si le malade peut comprendre une question simple, il répond le plus souvent : « je ne sais pas, je ne me rappelle pas ». A ces troubles de la mémoire se rattachent les fausses reconnaissances qui représentent effectivement une sorte de test clinique de la confusion : le malade prend une personne pour une autre, mélange les situations et les identités.

Ces troubles mnésiques persistent dans la période post-confusionnelle. L’insuffisance de fixation apparaît notamment dans le fait que le malade a pratiquement oublié tous les événements qui se sont déroulés au cours de sa maladie, c’est l’amnésie lacunaire de la confusion mentale. Parfois, au contraire, un système de souvenirs oniriques survit, quelque temps, plus ou moins vivace, donnant lieu à un délire d’évocation post-onirique.

Comme nous l’avons vu par sa mimique, le malade fait visiblement effort pour sortir de sa torpeur. Sa perplexité anxieuse, ses tentatives pour mettre de l’ordre dans la confusion de ses pensées constituent un symptôme important de l’état confusionnel. Il cherche à reconstituer sa synthèse mentale déficitaire. Il ne donne jamais de réponses immédiates et absurdes. Il interroge : « que se passe-t-il ? qui suis-je ? », ce qui traduit une conscience pénible de sa maladie.

Ces divers symptômes : troubles de la synthèse psychique et de la conscience, troubles de la perception, désorientation, amnésies et fausses reconnaissances, perplexité, sont les symptômes majeurs de la confusion mentale. Nous allons voir maintenant le mode de pensée spécial qui accompagne généralement cet « état confusionnel ».

3° Le délire onirique. — De même que l’obnubilation de la confusion peut être rapprochée du sommeil dans ses divers degrés de profondeur, le délire de la confusion rappelle le rêve : c’est le délire confuso-onirique ou simplement l’onirisme. Il constitue l’expérience délirante et hallucinatoire typique des états confusionnels.

Ayant déjà fait l’objet des descriptions célèbres de Lasègue (1869) et de Magnan (1874) dans l’intoxication alcoolique, le délire confuso-onirique a été désigné, soigneusement décrit et rattaché à la confusion mentale par Régis (1901).

L’onirisme est caractérisé par :

a) Une succession d’hallucinations visuelles constituant soit une série d’images discontinues soit le plus souvent un enchaînement scénique (visions à thèmes mystiques, érotiques, professionnels, etc.).

b) Cependant l’onirisme peut comporter aussi d’autres composantes sensorielles : auditives, kinesthésiques, sensibilité cutanée et intéroceptive (voix, menaces, sensation d’électricité, impression « cauchemardesque » de poursuite, action maléfique sur le corps).

c) Le malade reste capable dans une certaine mesure de percevoir la réalité extérieure, mais cette perception est très altérée surtout dans ses références temporo-spatiales (illusions, interprétations tendant à dramatiser l’ambiance).

d) Un des caractères les plus importants de l’onirisme est l’adhésion du confus à son délire. Le délire est vécu et le sujet s’y engage vivement. Hélant ses partenaires, luttant contre des ennemis, fuyant les dangers, il « agit » son rêve au lieu d’en être le spectateur immobile et passif comme le simple rêveur.

e) Les images de l’onirisme sont mobiles, kaléidoscopiques, parfois rapides et chaotiques comme celles d’un film incohérent.

f) Les thèmes fondamentaux du rêve onirique sont très divers. Le délire de préoccupation professionnelle y est fréquent. Le malade vit une scène de son milieu de travail où il est aux prises avec les plus grandes difficultés d’exécution (rappelons l’exemple classique du charretier qui essaye de dégager, au prix de mille efforts, son attelage embourbé). La scène peut être racontée ou simplement accompagnée de gestes ou réellement jouée dans la chambre. — Souvent aussi des scènes oniriques sont terrifiantes et constituées par des expériences hallucinatoires visuelles où se succèdent les péripéties d’épouvante, où apparaissent les visages sanglants, des monstres, des bêtes féroces ou répugnantes (zoopsies), des flammes, etc. Au cours de ces accès d’onirisme terrifiant, le malade peut présenter des réactions très dangereuses (agression ou fuite, défenestration, etc.). — Parfois le délire onirique au contraire a une tonalité affective agréable et exaltante (onirisme euphorique à thème mystique ou érotiqué).

Cliniquement l’onirisme s’observe comme symptôme dans le comportement du malade terrifié ou fasciné par ses visions. On le voit lui-même voir et attentif à voir le déroulement de scènes imaginaires (défilé de marionnettes ou d’ombres chinoises, processions d’insectes, sarabande de sorcières, féerie céleste, apparitions ou scénario érotiques, etc.). Mais ravi ou effrayé par cette expérience, le malade n’en livre pas toujours le film thématique ; le plus souvent cependant il parle et commente ce qu’il voit ; mais c’est parfois, seulement ensuite qu’il en fait un récit. Il est rare que l’expérience onirique soit continuelle, elle se présente plutôt par vagues et souvent aux approches de la nuit et du sommeil (remplacé fréquemment par des phases hypnagogiques anxieuses ou obsédantes).

4° Examen physique. — L’examen clinique révèle presque toujours dans la confusion mentale des signes de souffrance organique.

Les troubles de l’état général sont fréquents : adynamie, dénutrition, déshydratation, oligurie, fièvre, état saburral des voies digestives, anorexie, constipation. On doit toujours penser à rechercher une infection ou un processus organique devant un état confusionnel ou confuso-onirique. Les psychoses puerpérales en sont l’illustration.

Mais on peut observer des troubles neurologiques plus précis (troubles de la réflectivité, du tonus), grâce à un examen systématique et soigneux qui permettra souvent d’établir, avec l’aide des recherches paracliniques, l’atteinte cérébrale ou les altérations neuro-végétatives en cause. On pensera toujours à rechercher les perturbations biologiques les plus fréquentes : la déshydratation (hypertonie plasmatique, l’hyperprotidémie, l’hyperazotémie), l’acidocétose, les troubles hydro-électrolytiques (hypokaliémie, rétention sodée).

C — ÉVOLUTION

La guérison sans séquelle est l’évolution habituelle. On constate alors une amélioration concordante de l’état physique et de l’état mental (retour du calme, du sommeil et de l’appétit, disparition de l’instabilité thermique, vitesse de sédimentation et formule leucocytaire normales). L’amélioration est d’ordinaire progressive, mais l’asthénie psychique peut persister plus ou moins long-temps après le retour de la lucidité. Parfois la terminaison est brusque et le malade semble sortir en quelques heures de sa crise confuso-onirique comme d’un sommeil peuplé de cauchemars.

Dans les formes à onirisme intense on peut assister également à un réveil brusque, mais le plus souvent le malade reste plusieurs jours comme suspendu entre sa fiction délirante et la réalité. Ce n’est que progressivement et avec peine que par des interrogations, des efforts, des enquêtes et au travers d’hésitations, de retours à la conviction délirante puis de rectifications, que le malade reprend pied dans la réalité. C’est la phase de réveil du délire onirique de Régis (1911).

Parfois cependant après la disparition des troubles confusionnels et du grand délire confuso-onirique le malade peut rester longtemps encore sous l’influence de son expérience onirique et plus ou moins convaincu de la réalité de certaines scènes vécues au cours de sa confusion. Ces convictions ont été appelées par Régis les idées fixes post-oniriques. Elles disparaissent généralement au bout de quelques jours. Pourtant dans certaines conditions, elles ne guérissent pas et insensiblement peut s’installer un véritable syndrome délirant chronique (A. Delmas, P. Neveu, etc.) à base d’idées permanentes post-oniriques, sorte de délire d’évocation de l’expérience confuso-onirique.

Dans certains cas, on observe chez le malade guéri des rechutes provoquées par des facteurs étiologiques différents (état infectieux, émotions, accouchements, insolations, etc.). A propos de ces formes on a parlé de confusions cycliques « récidivantes » ou « intermittentes » et on a discuté leur appartenance aux groupes de psychoses périodiques maniaco-dépressives vis-à-vis desquelles elles posent en effet parfois des difficultés de diagnostic.

Régis avait aussi beaucoup insisté — peut-être un peu trop — sur l’évolution fâcheuse caractérisée par une confusion mentale chronique. On prévoit selon lui ce passage à la chronicité quand se produit une amélioration de l’état physique (reprise de l’état général, restauration des règles) sans amélioration mentale concomitante. Le malade s’installe insensiblement dans un état de confusion mentale chronique simple avec torpeur, hébétude, indifférence, troubles de l’activité synthétique. Régis voyait dans certaines de ces formes un type de démence précoce post-toxi-infectieuse qu’il opposait aux formes de démence précoce dégénérative.

L’évolution vers la mort est exceptionnelle dans les formes moyennes que nous décrivons ici. Elle ne se produit que lorsque la confusion et l’agitation deviennent intenses (Délire aigu) ou lorsque le syndrome confusionnel est symptomatique d’une affection générale grave.

II — FORMES CLINIQUES

Selon que prédominent les troubles proprement confusionnels ou le délire onirique, on décrit :

a) Une forme stuporeuse caractérisée par l’akinésie, l’obnubilation de la conscience, l’inertie, le mutisme. Elle s’accompagne aussi de troubles fonctionnels graves (refus d’aliments, sitiophobie, incontinence, etc.). Parfois cette forme akinétique prend l’allure d’un syndrome catatonique (Garant, 1931) avec conservation des attitudes (catalepsie, raideur musculaire, etc.).

b) Une forme hallucinatoire où le délire onirique et l’agitation concomitante sont au premier plan comme dans les psychoses alcooliques que nous étudierons plus loin. Exceptionnellement il s’agit d’onirisme à prédominance d’hallucinations acoustico-verbales et cénesthésiques (Halluzinose de Wernicke).

c) Une forme d’onirisme pur a été décrite par R. Charpentier et Achille-Delmas (1919). L’activité hallucinatoire y est très vive et l’état confusionnel à peine marqué (ce sont des états qui doivent se ranger plutôt dans le groupe des psychoses délirantes aiguës à forme oniroïde).

Mais les deux formes vraiment originales de confusion mentale qui méritent une description à part sont le syndrome de Korsakov et le Délire aigu auxquels nous allons consacrer des paragraphes spéciaux.

A — LE SYNDROME DE KORSAKOV

On désigne ainsi un syndrome confusionnel où prédominent Vamnésie de fixation, les fausses reconnaissances et la fabulation et auquel s’associe une polynévrite. Il s’agit d’un état mental si particulier qu’il est souvent considéré à l’étranger comme suffisant pour caractériser le syndrome même à l’exclusion de la polynévrite. Korsakov a décrit cette psychopolynévrite entre les années 1880 et 1890 sous le nom de « Cérébropathie psychique toxémique ».

1° Description clinique. — La phase de début ressemble à celle de tout état confusionnel : céphalées, insomnies, troubles de l’humeur. Il s’y adjoint des troubles de la marche, des algies et des paresthésies dans les membres inférieurs.

Dans la période d’état, le syndrome psychique est constitué par un état confusionnel généralement discret. La première manifestation du fléchissement de la synthèse psychique est un déficit de l’attention. Le malade est distrait, il suit difficilement l’interrogatoire, il oblige le médecin à répéter ses questions. Quelquefois cet état de dispersion mentale est à peine perceptible et ne devient évident que par la fatigue d’un interrogatoire un peu prolongé. Le malade prend alors conscience de ses troubles et donne des signes d’impatience ou de mauvaise humeur. L’activité perceptive paraît à peine troublée cliniquement. Le trouble de la perception se situe, en effet, au niveau où celle-ci s’intègre à la conscience du temps, c’est-à-dire où l’expérience actuelle s’incorpore dans le temps vécu pour devenir ultérieurement un souvenir.

C’est donc, la temporalisation de la perception qui est électivement altérée. Le malade dont le niveau de dissolution psychique est celui du syndrome de Korsakov ne peut plus fixer un souvenir et c’est l’amnésie de fixation qui est le maître symptôme du syndrome : le malade ne reconnaît pas le médecin qui le visite tous les jours, les infirmières qui reviennent à chaque équipe. C’est « l’oubli à mesure », parfois total. Par contre, la remémoration ou mémoire d’évocation des faits anciens, opération plus stable et automatique, peut persister intacte ou être seulement troublée par le mélange de fabulations et de faux souvenirs. La reconnaissance des souvenirs elle aussi peut être insuffisamment intégrée dans la série chronologique. Cette évocation incomplète portant seulement sur certains éléments affectifs confère aux perceptions actuelles et nouvelles un sentiment de familiarité. Ce sont les sentiments de déjà vu et les fausses reconnaissances. Parfois la dissolution de la mémoire est beaucoup plus complète : il s’agit alors d’amnésie rétro-antérograde plus ou moins complète.

On note presque constamment une désorientation dans Vespace analogue à celle observée dans le temps. La perturbation ne porte souvent que sur l’espace géométrique abstrait, le malade ne peut dessiner un triangle, décrire un itinéraire, suivre un trajet sur un plan. Parfois cependant la désorganisation de la représentation spatiale est plus profonde et atteint sa forme concrète, le malade ne peut plus retrouver son lit, il se perd dans le service, etc.

Les troubles de la synthèse mentale (confusion et désorientation) que nous venons d’étudier favorisent un mode de pensée à tendance automatique et associative appelé fabulation. Ce mode de pensée confine au délire onirique qui tend à se constituer par l’aggravation de la confusion et de la désorientation. Si par exemple on demande à un malade déjà hospitalisé depuis plusieurs jours ce qu’il a fait la veille au soir au café, il se lance immédiatement, avec assurance, dans un récit circonstancié de la soirée, donne les détails les plus « précis » sur les gens qu’il a rencontrés, les conversations qu’il a tenues, etc. Le récit de la fabulation est fait de fragments assemblés tant bien que mal et de provenances diverses : événements personnels réels, souvenirs de lecture, reviviscences de scènes récentes ou au contraire très anciennes, de conversation, de films, etc. Cette fabulation est mobile (comme le délire onirique), facile à modifier, plausible (c’est un mode de pensée peu éloigné de la rêverie normale), elle paraît être compensatrice de l’amnésie. Ajoutons enfin que le plus souvent elle demande à être provoquée par des questions ou des suggestions qui engagent le sujet à fabuler.

L’état affectif correspond généralement à une sorte de puérilisme euphorique et de détachement insouciant.

L’état général est le plus souvent médiocre : amaigrissement, asthénie, insuffisance hépatique.

2° Psychométrie. — L’examen psychométrique est souvent impraticable en raison de la profondeur de la confusion et de la détérioration. La caractéristique essentielle est un déficit mnésique portant sur les faits récents mis en évidence par le subtest d’information du W. B. L’évocation des souvenirs est aussi atteinte. On a également signalé la présence de kinesthésies en quantité remarquable au test de Rorschach. Cette détérioration mentale organique peut, comme nous l’avons vu, régresser, sinon la détérioration s’étend et gagne le domaine général de l’expression de l’intelligence et devient démence.

3° Évolution. — Le syndrome de Korsakov peut être le premier stade d’une cachexie fatale. L’évolution peut être rapide en 2 ou 3 semaines. Parfois la confusion mentale aiguë, avec symptômes généraux graves et névraxite massive à marche ascendante, a une évolution mortelle.

Plus fréquemment, l’évolution est chronique, la polynévrite se fixe à des degrés variables mais il existe presque toujours une détérioration mentale plus ou moins importante. Enfin une amélioration progressive et la guérison s’observent assez souvent si les lésions névraxitiques ne sont pas trop graves et si le traitement est précoce et intense.

4° Étiologie. — La cause de beaucoup la plus fréquente du syndrome de Korsakov est une cause nutritionnelle, au cours de l’alcoolisme chronique, qui agit essentiellement par une carence en thiamine, surtout chez la femme. Ensuite viennent la tuberculose et les autres infections, la grossesse, les tumeurs cérébrales (surtout de la base et du tronc cérébral), les traumatismes crâniens (quelles que soient leurs localisations, les intoxications par l’oxyde de carbone notamment). Nous y reviendrons à propos de chacun de ces processus organiques.

5° Problème anatomique et pathogénique, — De nombreuses études ont été consacrées à l’anatomie pathologique du syndrome de Korsakov. L’accord n’est cependant pas encore réalisé sur la corrélation entre la topographie des lésions et les éléments du syndrome.

Pour les uns (Marchand et Courtois, 1934 ; Cardona, 1937 ; Stevenson, Allen et McGowan, 1939 ; Lereboullet, Pluvinage et Levillain, 1959) l’examen histologique décèle des altérations diffuses et étendues à tous les constituants du système nerveux : méninges, vaisseaux, névroglie, cellules ganglionnaires et myéline et à toutes les parties du névraxe : cortex, pourtour des ventricules, tronc cérébral et cervelet.

Pour d’autres auteurs, en général plus anciens (Ballet et Faure, 1898 ; Meyer, 1912 ; Marcus, 1937, etc.), les lésions responsables des troubles psychiques du syndrome seraient localisées au cortex et plus particulièrement au niveau du pôle frontal.

Pour un troisième groupe d’observateurs, les altérations des structures nerveuses seraient situées d’une manière prédominante autour des parois du IIIe ventricule et du IVe ventricule et plus électivement atteindraient les tubercules mamillaires. Parmi les tenants de cette opinion, Gamper (1928) présenta le premier travail important où il démontrait que les corps mamillaires sont atteints dans tous les cas quelle que soit l’extension du reste des lésions. De nombreux auteurs soutiennent une opinion analogue. Citons entre autres : Bender et Schiller (1933), Kant (1933), Benedek et Juba (1944), Delay, Brion et Élissalde (Presse méd 1958, 66, n° 83 et 88). Ces derniers auteurs notamment à la suite d’une étude minutieuse de 8 cas de syndromes de Korsakov d’origine alcoolique constatent l’atteinte massive et constante des corps mamillaires (lésions d’atrophie, prolifération vasculaire, hyperplasie gliale, neurones en pycnose) contrastant avec l’intégrité du cortex cérébral. Ce qui leur permet d’affirmer que les lésions du corps mamillaire sont bien responsables des troubles mnésiques constatés dans le syndrome.

Il semble que l’on puisse faire le point actuel de cette discussion pathogénique, comme le proposent Hécaen et de Ajuriaguerra (Rev. Neurol., 1956, 94, n° 5), non point en cherchant une localisation trop stricte mais en la situant dans un système fonctionnel plus vaste, mis en évidence par les études anatomiques et électrophysiologiques, composé du circuit suivant : corne d’Ammon, fornix, hypothalamus, corps mamillaire, faisceau mamillo-thalamique et peut-être thalamo-cortical. Les lésions responsables du syndrome de Korsakov peuvent siéger en un point quelconque de ce circuit mais leur « centre de gravité » se placerait au niveau du corps mamillaire ou de l’hypothalamus voisin. Cependant cette discussion reste toujours ouverte (cf. rapport d’Angelergue au Congrès de Psychiatrie et de Neurologie de Langue Française de Strasbourg, 1958), notamment à propos de la pathogénie des troubles de la conscience et de la mémoire (J. Delay et S. Brion, 1969).

B — LE DELIRE AIGU

C’est le syndrome confusionnel malin de symptomatologie et d’évolution suraiguë, généralement mortelle ; il est caractérisé : a) au point de vue psychique par une confusion profonde ou un délire onirique intense avec agitation très violente ; b) au point de vue somatique par une grave atteinte de l’état général, avec hyperthermie, déshydratation et hyperazotémie.

Ce sont les travaux des cliniciens français du xixe siècle et, en tout premier lieu, ceux de Calmeil (1859) qui ont progressivement dégagé le tableau clinique particulier du « délire aigu idiopathique » de la masse de ce que l’on appelait pêle-mêle les états de stupidité des manies agitées, des paralysies générales aiguës et des délires toxi-infectieux.

Les limites du syndrome sont, malgré tout, restées longtemps assez floues jusqu’aux recherches à la fois anatomiques, biologiques et cliniques de Marchand, Courtois et Toulouse sur l’ encéphalite psychosique aiguë azotémique (1929). L’originalité de la conception de Marchand est de considérer le délire aigu (l’encéphalite psychosique aiguë azotémique) comme un mode de réaction univoque du système nerveux (particulièrement vulnérable chez certains sujets) à l’action d’agents étiologiques variés. Ce serait donc moins l’agent agresseur (infection ou intoxication) qui ferait le délire aigu que le terrain sur lequel il apparaît.

Les observations plus récentes attirent surtout l’attention sur les perturbations métaboliques et hydro-électriques (Delay et Deniker, 1954 ; Giudicelli et Knebelmann, 1961 ; Michon et coll., 1961 ; Cossa, 1964). Si ces observations ont un intérêt thérapeutique évident, elles ne semblent pas apporter encore de grands éclaircissements sur Fétio-pathogénie toujours obscure du délire aigu.

1° Étude clinique. — Nous prendrons pour type de description l’encéphalite psychosique aiguë primitive azotémique ou délire aigu idiopathique de Calmeil (delirium acutum).

C’est une affection relativement rare qui survient brutalement sans causes décelables, ordinairement chez les adultes (trois fois plus fréquente chez la femme) entre 20 et 50 ans, paraissant en bonne santé, mais dont le système nerveux s’est révélé fragile (troubles mentaux antérieurs, troubles névropathiques, etc.) et qui ont une hérédité psychopathique.

Les prodromes qui peuvent ne durer que quelques heures sont ceux d’un état confusionnel ordinaire (troubles de l’humeur, modification du caractère, insomnies, cauchemars, céphalées).

Rapidement apparaît un syndrome de confusion mentale (désorientation, onirisme hallucinatoire) avec réactions anxieuses et vive excitation psychomotrice ; la température s’élève.

A la période d’état, l’agitation motrice est intense et désordonnée. Le visage a des expressions d’effroi et de terreur. Le malade se défend violemment contre toux ceux qui l’approchent. Si on le maintient, il s’épuise en luttant contre les moyens de contention.

L’état général est atteint gravement, le malade refuse absolument toute alimentation (sitiophobie). La déshydratation est intense, la langue est rôtie, indurée, couverte, ainsi que les lèvres et les gencives, de fuliginosités noirâtres. Les troubles neuro-végétatifs sont sévères (tachycardie passant brusquement de 100 à 140 pulsations, tension artérielle basse mais avec de brusques oscillations, tachypnée, sudation généralisée).

La température qui s’est élevée depuis le début de l’affection atteint 40° et parfois 41°. Il s’agit d’une fièvre par atteinte directe des centres de la régulation thermique. Pourtant il est parfois difficile d’établir cliniquement si cette fièvre n’est pas due à une infection primaire ou surajoutée.

L’oligurie est toujours importante, parfois antérieure au refus de boire. Il semble qu’il s’agisse également d’un trouble du métabolisme hydrique par dérégulation hypothalamo-hypophysaire.

L’examen neurologique ne montre que des signes discrets (exagération des réflexes ostéo-tendineux, hypertonie, troubles sphinctériens). Il existe parfois des secousses myocloniques ou des crises épileptiformes. Guiraud a décrit une trémulation non visible mais perceptible à la palpation et à l’auscultation des masses musculaires scapulaires.

Le laboratoire met en évidence un signe capital : une hyperazotémie supérieure à un gramme. C’est un symptôme constant et précoce ; en l’absence de traitement, l’urémie augmente progressivement jusqu’à la mort. L’hyperazotémie du délire aigu semble résulter, comme nous le verrons plus loin, de facteurs multiples (déshydratation, atteinte directe hypothalamique, atteinte rénale d’origine nerveuse, trouble du métabolisme cellulaire). La déshydratation toujours intense est à la fois intra- et extra, cellulaire (abaissement du image cryoscopique des liquides plasmatiques, élévation de l’hématocrite). Le potassium plasmatique est abaissé (Cossa, 1964) en deçà de 3,5 mEq/1. L’hémoculture est négative. La formule sanguine montre une hyperleucocytose à prédominance de neutrophiles. Le liquide céphalo-rachidien est en général hypotendu avec une légère élévation du glucose.

2° Évolution. — En l’absence de traitement, le délire aigu évolue inéluctablement vers la mort dans un tableau d’hyperthermie et de coma hyperazotémique après une fausse rémission qui survient en général vers le cinquième jour. Mais avec la mise en œuvre des thérapeutiques actuelles dont nous parlerons plus loin, la guérison du délire aigu peut s’observer.

3° Étiologie. — Comme nous l’avons dit, le délire aigu est un syndrome ou mieux une modalité réactionnelle à des facteurs étiologiques divers.

On distingue en général trois modalités étiologiques principales :

Cependant la majorité de ces délires aigus ne paraissent pas de nature infectieuse. Il faut admettre, comme nous l’avons déjà dit, une réaction nerveuse démesurée, peut-être de nature allergique. Aussi est-on d’accord pour insister sur le terrain (alcoolisme, antécédents psychopathiques) sur lequel éclatent ces délires aigus méta-infectieux. Delteil et coll. (1970) font remarquer qu’en plus d’une certaine qualité du terrain biologique, il faut particulièrement tenir compte du mode de structuration du Moi et de la qualité des mécanismes de défense de ce dernier. Pour ces auteurs le délire aigu est « le type même d’affection mentale qui montre avec évidence combien sont étroitement intrigués les processus biologiques et le vécu psychologique ».

4° Diagnostic. — Les deux critères fondamentaux sur lesquels s’appuie le diagnostic de délire aigu sont : l’hyperthermie et l’hyperazotémie.

Ces deux signes permettent de séparer facilement le délire aigu des grands syndromes délirants avec agitation tels que l’accès de manie aiguë, l’épilepsie excito-motrice. Par contre, le diagnostic peut être plus difficile avec certaines formes graves de confusion mentale ; en fait, ce n’est là qu’une question de degré et de gravité.

5° Anatomie pathologique. — Le délire aigu a comme substratum anatomique (v. fig. 17, p. 652) une encéphalite caractérisée par des lésions diffuses aiguës (Marchand, 1940), les unes d’ordre dégénératif intéressant les cellules nerveuses (neurolyses), les autres d’ordre inflammatoire de deux types : a) Lésions de neurophagie. Certaines cellules, surtout les cellules de la dernière couche corticale, avec prédominance marquée dans les régions frontales et temporales, sont entourées d’éléments de phagocytose (satellitose). b) Les nodules inflammatoires périvasculaires. On observe des réactions lymphocytaires périvasculaires intéressant surtout les vaisseaux de la substance blanche sous-corticale, de la couche optique et du bulbe.

6° Pathogénie. — Deux conceptions pathogéniques du délire aigu peuvent être opposées. Celle que nous avons rappelée en définissant le syndrome qui en fait une réaction catastrophique de l’organisme malade et celle qui en fait une toxi-infection à forme cérébrale et d’évolution suraiguë. Selon cette dernière conception, Guiraud (1938) notamment a pensé qu’une toxine ou un virus filtrant agissant électivement sur les centres végétatifs de l’hypothalamus pourrait expliquer bon nombre de symptômes du délire aigu.

Mais ce sont les conceptions qui voient dans le délire aigu une modalité de réaction somato-encéphalique à une agression qui semblent actuellement susciter le plus d’intérêt. Marchand (1940), nous l’avons vu, a rejeté l’origine toxi-infectieuse du délire aigu et considère qu’il s’agit d’une forme de réaction d’« intolérance nerveuse » individuelle à une cause dans laquelle aucune toxiinfection ne peut être sinon décelée, tout au moins rendue entièrement responsable du syndrome. L’accent est ainsi placé sur la prédisposition individuelle et le mode réactionnel de type univoque de l’organisme aux divers agents « stressants ». C’est ainsi aussi que divers auteurs (Aubin, Loo, Lingjaerde, Chiaramonti, etc.) ont suggéré de rapprocher le délire aigu de symptômes tels que le delirium tremens et les neurotoxicoses du nourrisson qui peuvent s’éclairer par la physiopathogénie du syndrome d’irritation (Reilly), du syndrome malin (Reilly, Marquézy, Ladet) ou du syndrome d’adaptation (H. Selye).

La pathogénie de l’azotémie a soulevé de nombreuses discussions. Elle a été aussi expliquée par la protéolyse tissulaire (Bouvet, 1939), par le mécanisme d’une azotémie extra-rénale d’origine nerveuse (Richet et Dublineau, 1931 ; Courtois, 1933), par un mécanisme rénal (Lemière, Delay et Tardieu, 1941), par une sidération rénale (Deniker et Fourment, 1933), telle qu’on la rencontre dans les processus de déshydratation extra-cellulaire. Il est vraisemblable, comme ces auteurs le reconnaissent eux-mêmes, que la pathogénie de cette azotémie soit complexe et encore à définir.

III — DIAGNOSTIC DIFFÉRENTIEL ET ÉTIOLOGIQUE DES ÉTATS CONFUSIONNELS

1° Diagnostic positif. — Le diagnostic positif d’une psychose confuso-onirique est généralement facile. Les hésitations du diagnostic différentiel proviennent de l’intrication fréquente de toutes les psychoses aiguës que nous exposons ici. En effet, entre les états maniaco-dépressifs plus ou moins confusionnels et stuporeux, les psychoses délirantes aiguës plus ou moins oniriques et le syndrome confuso-onirique proprement dit, le diagnostic reste quelquefois flottant. Cependant la profondeur des troubles de la conscience et l’expérience onirique avec ses scènes de rêve et ses cauchemars intensément et activement vécus sont des symptômes assez nets pour être facilement reconnus.

2° Le diagnostic différentiel. — Il est d’un grand intérêt pratique pour ce qui est de distinguer les formes confusionnelles stuporeuses et plus ou moins catatoniformes des poussées aiguës et des crises de catatonie des psychoses schizophréniques. En faveur de la stupeur confusionnelle, on notera l’importance des facteurs toxi-infectieux, l’état de confusion avec désorientation très marquée, l’absence d’antécédents schizoïdes ou préschizophréniques, l’absence de négativisme et d’autisme. Mais il est souvent malaisé de se prononcer sans une grande expérience clinique et une analyse soigneuse des symptômes. Aussi dans le doute conviendra-t-il de ne pas porter trop facilement le diagnostic et le pronostic de psychose schizophrénique.

3° Diagnostic étiologique. — Il est ici capital. Devant un tableau de confusion mentale, il faut tout mettre en œuvre pour découvrir sa cause toxique ou infectieuse. Nous allons nous contenter d’énumérer ici les causes les plus fréquentes, puisque nous aurons l’occasion de reprendre ces étiologies plus en détail dans le chapitre consacré aux processus organiques des maladies mentales.

— Causes infectieuses. — Elles sont peut-être les plus fréquentes dans la pratique quotidienne. L’état confusionnel peut survenir, en effet, soit à la phase prodromique, soit à la phase d’hyperthermie, soit à la période de défervescence, soit même à la convalescence d’une maladie infectieuse aiguë (délires fébriles de la fièvre typhoïde, de la pneumonie, etc.). Mais parfois il peut s’agir d’une infection torpide ou latente (colibacillose, infection urinaire chronique, tuberculose, etc.).

II — Causes toxiques. — Parmi les causes toxiques, la plus fréquente et de beaucoup est l’alcool. On rencontre le syndrome confuso-onirique aussi dans les intoxications au cours des toxicomanies (par le chanvre indien : hachisch ou marijuana, les hallucinogènes : le L. S. D. 25, la mescaline, la psilocybine ; Toxicomanies. l’opium et ses dérivés notamment l’héroïne, la cocaïne, l’éther, etc., les intoxications alimentaires (champignons notamment dans le syndrome muscarinien).

    Les intoxications médicamenteuses sont très nombreuses et les nouvelles molécules les multiplient. Aux produits classiques il a fallu ajouter les sels de bismuth et les sels iatrogènes de lithium, mais aussi les neuroleptiques, les tranquillisants et les amphétamines. Rappelons le rôle possible des barbituriques, des alcaloïdes des solanées, des antipaludéens, des sels d’or, de la streptomycine, des cortisoniques, du chloramphénicol, de la cyclosérine, etc.

Le mécanisme des actions toxiques des médicaments n’est pas toujours clair et Vencéphalopathie médicamenteuse à laquelle ils aboutissent relève souvent d’atteintes parenchymateuses complexes. 11 peut s’agir de la sommation ou de la potentialisation des effets dans une association de médicaments (par exemple, la réserpine et la chlorpromomazine renforcent l’une l’autre leur effet hypotenseur) ; ou bien il peut apparaître une combinaison chimique de toxicité propre (par exemple, lorsque le sous-nitrate de bismuth est absorbé avec de l’eau javellisée) ; ou encore un médicament peut inhiber le métabolisme d’un autre (par exemple, l’association de coumadine et de miconazole aggrave l’action anticoagulante de la première) ; il peut encore arriver des interférences dans les métabolismes (la phénylbutazone diminue l’activité des sulfamides, le phénobarbital augmente la métabolisation du méprobamate).

    Parmi les intoxications professionnelles ou accidentelles : l’oxyde de carbone (fréquence des séquelles post-confusionnelles amnésiques et démentielles), le plomb et le mercure et leurs composés, l’arsenic, le benzol, le chlorure de méthyle, le bromure de méthyle (extincteurs d’incendie), le tétrachlorure de carbone, le tétrachloréthane, le sulfure de carbone (industrie de la soie artificielle, du caoutchouc, des résines), les insecticides organo-phosphoriques.

III — Puerpéralité. — Les psychoses du post-partum, les plus fréquentes, s’expriment le plus généralement par une confusion mentale qui éclate du 2e au 15e jour après l’accouchement (v. p. 730).

IV — Les affections endocriniennes et métaboliques. — Pour les premières citons l’hyperthyroïdie, l’hyperou l’hypoparathyroïdie, l’insuffisance surrénalienne, et pour les secondes les grandes azotémies, lestroubles diabétiques et acidocétosiques, les troubles hydro-électriques qu’il faut rechercher devant toute confusion en pratiquant d’urgence : glycémie, ionogramme (natrémie’ par hémodilution, kaliémie), urée sanguine, calcémie, phosphorémie (J. Heim et P. Poulain, C. M., 1981, 51, 103-105). Il faut encore citer une redou table affection métabolique, la porphyrie aiguë, dont les poussées peuvent être déclenchées par les sulfamides, le pyramidon et surtout les barbituriques.

— Affections cérébrales. — La confusion mentale peut être secondaire à une atteinte cérébro-méningée : il faut d’abord penser à une hypertension intracrânienne par tumeur cérébrale, puis viennent les méningo-encéphalites, les traumatismes crâniens, les lésions vasculaires.

VI — Émotions. — Enfin les émotions généralement associées à des facteurs d’épuisement nerveux peuvent créer des états confusionnels dont les plus typiques sont les « confusions de guerre » de bombardements ou de grandes catastrophes (p. 146, 151).

VII — La notion de terrain. — Enfin à toutes les causes que nous venons de passer en revue, il ne faut pas négliger d’ajouter des facteurs personnels prédisposants divers, constitutionnels.

IV — APERÇU DES PROBLÈMES PSYCHOPATHOLOGIQUES

Le délire onirique du confus constitue le degré le plus profond de la déstructuration de la conscience. Cette « conscience onirique » nous renvoie à une expérience que nous vivons tous, celle du rêve. Mais la déstructuration de l’état confuso-onirique pour si analogue qu’elle soit au rêve est tout à la fois moins profonde et plus désordonnée que celle du rêveur. Dans le sommeil normal le rêve déroule ses péripéties tandis que le dormeur ne bouge guère étant comme hypnotisé par l’imaginaire de son rêve (J.-P. Sartre).

Le Délire onirique est /’aspect positif dont la confusion est l’aspect négatif La dégradation de la conscience engendre à son niveau le plus profond les images qui figurent les fantasmes de l’Inconscient. C’est sur ce thème phénoménologique et psychanalytique que l’expérience onirique a été décrite, notamment par Henri Ey (Étude n° 24. La Conscience, 2e éd., p. 80 sq. Rapport au Congrès de Madrid, in Evolut. Psychiat., 1970, 1-37 et Traité des Hallucinations, pp. 142 sq., 422 sq., 726 sq., 1255 sq.).

La psychose confuso-onirique est un rêve pathologique analogue dans sa structure, mais non identique au sommeil : il dépend d’une désorganisation du champ de la conscience. Mais celui-ci ne saurait être partagé en trois états absolument distincts (veille — sommeil lent — sommeil rapide avec ses P. M. O.), ainsi que le suggéraient depuis quelques années les travaux de Dement, Fisher, Jouvet, Bourguignon, etc. De récents travaux permettent de considérer le bouleversement confuso-onirique comme une désorganisation des rapports qui lient et subordonnent veille et sommeil, sommeil lent et sommeil rapide, blocage du tonus et réactions aux stimuli, et surtout le travail imaginaire de l’Inconscient et la pensée adaptée à la réalité (processus primaire et secondaire de Freud).

En somme, il semble qu’il existe une corrélation entre le sommeil paradoxal et le comportement onirique. On admet aussi que le système ponto-grenouillé-occipital qui active diverses parties des aires corticales est « le générateur des rêves » (J.-L. Bassano, 1981) quand il n’est pas inhibé par le système d’éveil, c’est-à-dire chez le dormeur et, par analogie, chez le confus obnubilé. Ey et ses collaborateurs concluent : « Tout se passe comme si le processus auquel correspondent les psychoses aiguës se manifestait au point de vue électrophysiologique par un bouleversement de l’organisation interne du sommeil rapide, non pas isolé, mais s’inscrivant dans un bouleversement global de l’organisation du sommeil dans son ensemble » (Psychophysiologie du sommeil et psychiatrie, par H. Ey, G. C. Lairy, M. de Barros-Ferreira et L. Goldsteinas, Paris, Masson édit., 1975).

V — TRAITEMENT

Le traitement des états confusionnels présente une grande importance pratique car ils sont souvent modifiés par une thérapeutique précoce, énergique et bien adaptée.

A — LE TRAITEMENT SYMPTOMATIQUE

Un confus doit toujours être hospitalisé d’urgence dans un service spécialisé.

1° Soins généraux. — Ces soins revêtent une importance capitale dans tous les états de confusion et pourront à eux seuls faire choisir l’établissement où ils seront susceptibles d’être le mieux assurés. Le malade doit être alité et il doit être soumis à une surveillance étroite, de jour et de nuit, de la part d’un personnel infirmier vigilant et qualifié. On doit éviter, autant que possible, la contention. Les soins de « nursing » doivent être dispensés avec la plus grande attention : lavages pluriquotidiens de la bouche, soins oculaires, soins de la peau, soins du siège (prévention des escarres), change en cas d’incontinence, soutien psychothérapique. Il faut éviter les changements de chambre ou de lit, de médecin ou d’infirmière qui peuvent accroître la désorientation et l’anxiété. Il faut autoriser la visite des parents ou amis qui peuvent avoir une action rassurante et écarter ceux qui ont une action perturbatrice, car il convient de réaliser autour du malade une atmosphère de calme. Le personnel infirmier devra rassurer, beaucoup plus par la qualité de son contact que par des mots, ces malades anxieux et désordonnés, plus spécialement la nuit où l’obscurité favorise les projections oniriques. La chambre sera maintenue dans un éclairement suffisant.

2° Réhydratation. — Il faut lutter avant tout contre la déshydratation (faire boire : eau, tisanes, bouillon de légumes, jus de fruits, etc.) en se rappelant que l’hydratation par la bouche, si elle exige quelquefois beaucoup de patience et de savoir-faire de la part du personnel infirmier, est la méthode la plus physiologique de l’introduction de l’eau dans l’organisme. Lorsque cette voie n’est pas possible, on a recours aux perfusions veineuses. La réhydratation par voie intraveineuse peut être massive (un à deux litres par jour). La pratique d’un ionogramme est indispensable pour corriger le déséquilibre ionique et hydrique. L’examen cryoscopique du sérum permet de différencier la déshydratation intra-cellulaire de la déshydratation intra-vasculaire. Dans le premier cas, il sera indiqué d’injecter des solutions hypotoniques et, dans le second cas, du sérum physiologique ou du sérum salé hypertonique.

En cas de carence potassique, l’équilibre hydro-électrique sera rétabli par 2 à 4 g de chlorure de potassium en perfusion I. V.

3° Traitement par les neuroleptiques. — Le syndrome confusionnel, l’agitation et les perturbations neuro-végétatives qui les accompagnent sont en général rapidement réduits par les neuroleptiques. On pourra commencer par la classique chlorpromazine (Largactil * ), 50 à 150 mg selon l’agitation en injections intra-musculaires ou en perfusion ; ce médicament sera poursuivi per os, dès que ce mode d’administration sera rendu possible, jusqu’aux doses de 300 à 400 mg. Mais des substitutions ou des associations de neuroleptiques sont souvent nécessaires par l’insuffisance ou la lenteur des résultats obtenus. C’est ainsi que le traitement d’attaque assez généralement employé actuellement utilise le méprobamate injectable (Équanil injectable *) 2 à 10 ampoules de 400 mg en I. M. ou l’Haldol * qui est un des plus efficaces neuroleptiques actuels contre les éléments confusionnels et surtout contre l’activité hallucinatoire onirique, aux doses de 5 à 10 mg. On l’associe souvent à la lévomépromazine (Nozinan *), 200 à 300 mg ou plus pour son action sédative. L’agitation peut être aussi traitée par d’autres butyrophénones, le benpéridol (Frénactil*) 2 à 3 ampoules de 1 mg ou encore la fluanisone (Sédalande *) 2 ampoules I. M. de 20 mg, 3 à 4 fois par jour. La thiopropérazine (Majeptil *) peut aussi réduire rapidement les états confusionnels aux doses progressives de 10 à 120 mg.

Bien d’autres neuroleptiques que nous citons au chapitre de la chimiothérapie peuvent à leur tour être associés ou substitués aux précédents selon l’évolution symptomatique de la crise confusionnelle.

4° Vitaminothérapie. — Pour régulariser les autres métabolismes, on recourra à la vitaminothérapie forte : vitamine B, (100 mg à 200 mg) souscutanée ou intra-musculaire, vitamine C à forte dose (1 g à 2 g) intra-veineuse au besoin, vitamine B12 (injection intra-musculaire quotidienne de 1 000 γ), vitamine P qui paraît agir sur le processus de capillarité cérébrale.

5° Le traitement de Vétat to xi-infectieux. — Sera spécialement indiqué dans les états confusionnels ou les encéphalites psychosiques secondaires à une infection.

La thérapeutique anti-infectieuse générale est essentiellement réalisée par les antibiotiques dont le choix est guidé par les constatations d’examen.

6° Les hormones corticotropes (A. C. T. H.) et surrénaliennes (cortisone) ont donné des résultats intéressants dans le traitement des psychoses confusionnelles, qu’elles soient méta-infectieuses ou d’apparence primitive.

7° Contre Vadynamie, on emploiera les extraits cortico-surrénaux, les toni-cardiaques : caféine, sparto-camphre, digitale ; la strychnine est particulièrement indiquée dans les états confusionnels éthyliques.

8° Contre Vagitation l’électrochoc peut être utilisé, soit comme thérapeutique d’urgence (Delay) contemporaine des thérapeutiques qui s’adressent aux perturbations neuro-végétatives et métaboliques, soit plus fréquemment un peu plus tard, après rétablissement de l’état somatique pour nettoyer les troubles mentaux résiduels.