Chapitre 21 Les Causes Externes de la Maladie

Les causes externes des maladies proviennent des facteurs climatiques qui sont répertoriés dans le cadre 21.1.

Cadre 21.1 Les Six Facteurs Climatiques

On les appelle les « Six Qi » (Liu Qi) ; autrefois, lorsqu’ils devenaient une cause de la maladie, on les nommait « Les Six Climats toujours Victorieux ». On les connaît aujourd’hui sous le nom des « Six Excès » (Liu Yin). En tant que causes de la maladie, les facteurs pathogènes externes se nomment aussi les « Six Maux » (Liu Xie). Je les appellerai les « facteurs pathogènes externes ». Le chapitre 74 des « Questions simples » dit que les facteurs pathogènes externes sont la source de nombreuses pathologies différentes : « Les 100 maladies viennent du Vent, du Froid, de la Chaleur de l’Été, de l’Humidité, de la Sécheresse et du Feu ». 1

Les facteurs climatiques pathogènes sont étroitement liés au temps et aux saisons. Le chapitre 25 des « Questions simples » établit clairement l’étroite connexion entre l’être humain et les énergies des quatre saisons : « Un être humain vient à la vie grâce au Qi du Ciel et de la Terre et sa croissance est régie par les quatre saisons ». 2

LES FACTEURS CLIMATIQUES COMME CAUSES DE LA MALADIE

Normalement, les conditions climatiques n’ont pas d’effets pathologiques sur le corps car ce dernier peut se protéger efficacement des facteurs pathogènes externes. Les conditions climatiques ne deviennent une cause de maladie que si l’équilibre entre le corps et l’environnement est rompu, soit parce que les conditions climatiques sont particulièrement excessives pour la saison (par exemple, un temps trop froid en été ou trop chaud en hiver), soit parce que le corps est faible par rapport au facteur climatique (Fig. 21.1 à 21.3).

Lorsque le temps change très rapidement et ne laisse pas suffisamment de temps au corps pour s’adapter correctement, cela constitue une autre circonstance dans laquelle un facteur climatique peut devenir une cause de la maladie. En fait, le Dr. Shen avait coutume de dire que le concept chinois de « Vent » renvoyait en réalité aux changements de temps rapides.

De toute façon, on peut dire qu’un facteur climatique ne devient une cause de maladie que lorsque le corps est plus faible que lui. Il est important de bien préciser ici que le corps ne présente qu’une faiblesse relative, évaluée par rapport au facteur climatique, et qu’il n’est pas fondamentalement faible. Autrement dit, il n’est pas nécessaire qu’un individu soit très faible pour être envahi par un facteur pathogène externe. Une personne en relativement bonne santé peut aussi être attaquée par des facteurs pathogènes externes si ceux-ci sont plus forts que les énergies du corps, à un moment donné. C’est pourquoi le rapport de force entre les facteurs climatiques et le Qi protecteur est déterminant.

Les facteurs climatiques comprennent aussi ce que les Chinois appellent des « facteurs épidémiques pathogènes de type Chaleur » (Wen Yi). Ces derniers ne sont pas qualitativement différents des autres facteurs climatiques, mais ils sont de nature infectieuse et sont souvent plus virulents. Toujours associés à la Chaleur, ils sont une forme de « maladie de type Chaleur » (Wen Bing) et ils sont extrêmement contagieux. Dans ces caslà, le facteur pathogène externe est tellement fort que la majorité des membres d’une communauté tombe malade. Toutefois, même dans ces cas-là, c’est la force du Qi du corps par rapport à celle du facteur pathogène qui joue un rôle dans la résistance à la maladie, car certains membres de la communauté échappent à la maladie.

Chacun des six facteurs climatiques est associé à une saison bien précise au cours de laquelle il prédomine, comme on peut le voir dans le cadre 21.2

En fait, n’importe lequel de ces facteurs climatiques peut survenir en n’importe quelle saison ; il n’est pas du tout rare de rencontrer des attaques de Vent-Chaleur en hiver ou de Vent-Froid en été. Les conditions de vie déterminent aussi le type de facteur climatique qui va envahir le corps. Par exemple, le fait de vivre dans une maison humide favorise l’invasion de l’Humidité externe, quelle que soit la saison.

Chaque facteur climatique est également lié à un organe interne. Le chapitre 38 des « Questions simples » dit : « Chacun des cinq organes Yin tombe malade à un moment précis … [une invasion externe] en Automne va envahir le Poumon ; au Printemps, elle va envahir le Foie ; en Été, elle va envahir le Cœur ; à la fin de l’Été, elle va envahir la Rate ; et en Hiver, elle va envahir le Rein ». 3 Le chapitre 74 du même ouvrage dit : « Le Vent qui engendre des secousses musculaires et des sensations vertigineuses se rattache au Foie ; le Froid qui engendre des contractures et des tiraillements se rattache au Rein ; la stagnation de Qi se rattache au Poumon ; l’Humidité qui engendre une sensation de plénitude et de lourdeur se rattache à la Rate ; la Chaleur qui engendre de la confusion mentale et des tics se rattache au Feu ». 4

Le cadre 21.3 résume les caractéristiques des facteurs climatiques comme causes de la maladie.

LES BACTÉRIES ET LES VIRUS EN RELATION AVEC LE « VENT »

En médecine occidentale, les troubles respiratoires aigus sont dus à une invasion du corps par des bactéries ou des virus. La médecine chinoise ancienne n’avait pas connaissance de l’existence des bactéries et des virus, et elle considérait les troubles respiratoires aigus comme une invasion par le Vent ou par d’autres facteurs climatiques pathogènes. L’idée que les facteurs climatiques puissent être une cause directe de la maladie est bien évidemment une idée typiquement chinoise, totalement étrangère à la médecine occidentale moderne. 5 Comme nous l’avons dit précédemment, la médecine chinoise considère qu’un facteur pathogène externe envahit le corps lorsqu’il existe un déséquilibre temporaire entre le facteur climatique et le Qi du corps à ce moment précis.

Ainsi, alors que la médecine occidentale met l’accent sur l’aspect externe de la maladie, c’est-à-dire l’invasion par les bactéries et les virus, la médecine chinoise met l’accent sur le déséquilibre temporaire entre les causes externes de la maladie et le Qi du corps. C’est pourquoi, en médecine chinoise, la notion d’infection n’est apparue qu’au début de la dynastie des Qing (1644-1911). Comme elle prend en compte la force du Qi du corps, cette conception de la pathologie des maladies externes aiguës est plus globale que celle de la médecine occidentale et, par-dessus tout, elle permet une action préventive, à savoir fortifier le Qi du corps.

Toutefois, par la suite, comme nous l’avons dit plus haut, « L’école des Maladies de type Chaleur » (Wen Bing) a bel et bien compris le phénomène infectieux. En fait, l’idéogramme du « Vent » inclut celui de « l’insecte » ; on peut en déduire qu’il s’agit-là d’une conception très ancienne et primitive de l’infection qui voit dans la maladie une situation causée par de petits organismes (les « insectes », c’est-à-dire les bactéries et les virus) transportés par le Vent.

Le cadre 20.4 présente la relation entre le Vent et les bactéries et les virus comme causes de la maladie.

CONTEXTE HISTORIQUE

En médecine chinoise, l’étude de la pathologie et du traitement des maladies engendrées par des facteurs pathogènes externes est dominée par deux écoles majeures. Le premier médecin à décrire de façon systématique la pathologie des maladies engendrées par des facteurs pathogènes externes est Zhang Zhong Jing (150-219), qui est l’auteur du célèbre « Traité sur les maladies dues au Froid » (Shang Han Lun, environ 220)6. Les pathologies décrites dans cet ouvrage sont essentiellement des pathologies dues à l’invasion de Vent-Froid ainsi que leurs conséquences (dont certaines impliquent la Chaleur). C’est Zhang Zhong Jing qui a élaboré la théorie des Six Niveaux, dans laquelle il classe les manifestations cliniques des invasions de Vent-Froid selon six méridiens : le Tai Yang, le Yang Ming, le Shao Yang, le Tai Yin, le Shao Yin et le Jue Yin (Cadre 21.5). Pendant 15 siècles, le « Traité sur les maladies dues au Froid » de Zhang Zhong Jing a dominé la médecine chinoise, et en particulier le traitement des maladies dues aux facteurs pathogènes externes. Cette école a fini par être connue sous le nom de l’école Shang Han.

Vers la fin de la dynastie des Ming (1368-1644) et au début de la dynastie des Qing (1644-1911), une nouvelle école de pensée relative aux facteurs pathogènes externes a émergé. Les trois principaux représentants de cette école sont Wu You Ke (1592-1672), Ye Tian Shi (1667-1746) et Wu Ju Tong (1758-1836). Cette école s’est concentrée sur la pathologie et le traitement des maladies fébriles engendrées par le Vent-Chaleur, ce qui lui a valu d’être connue comme l’école Wen Bing (c’est-à-dire l’école des Maladies de type Chaleur). À leur stade initial, les maladies de type Chaleur sont provoquées par le Vent-Chaleur externe mais elles comportent des caractéristiques particulières, et le fait de reconnaître celles-ci a constitué une grande innovation en médecine chinoise.

Les caractéristiques de Maladies de type Chaleur sont :

Ye Tian Shi a énoncé l’ingénieuse théorie des Quatre Couches, qui décrit les changements pathologiques qui résultent de l’invasion de Vent-Chaleur dans le cadre d’une Maladie de type Chaleur. Ces Quatre Couches sont la couche du Qi Protecteur (Wei), la couche du Qi (Qi), la couche du Qi Nourricier (Ying) et la couche du Sang (Xue) (Fig. 21.4 et Cadre 21.6).

La première couche décrit les changements pathologiques qui surviennent lorsque le facteur pathogène (le Vent-Chaleur) est à l’Extérieur. Les trois autres couches correspondent toutes à la Chaleur interne, lorsque le Vent-Chaleur a pénétré à l’intérieur et s’est transformé en Chaleur. Toutefois, ces trois couches du Qi, du Qi Nourricier et du Sang reflètent des niveaux de profondeur différents quant à la pénétration de la Chaleur (la couche du Sang étant la plus profonde). Les manifestations cliniques des Quatre Couches sont décrites au chapitre 45.

Wu Ju Tong a énoncé la théorie des Trois Réchauffeurs pour décrire les changements pathologiques qui résultent d’une invasion de Vent Chaleur dans le cadre d’une Maladie de type Chaleur. Les manifestations cliniques des Trois Réchauffeurs sont décrites au chapitre 46.

Bien que les « Maladies de type Chaleur » se caractérisent, par définition, par un tableau de Vent-Chaleur, tous les tableaux d’invasion par le Vent-Chaleur ne sont pas des Maladies de type Chaleur. On peut citer en exemple la grippe, la mononucléose, la rougeole, la rubéole, la varicelle, la méningite, la poliomyélite, l’encéphalite et le SRAS (syndrome respiratoire aigu sévère).

Le cadre 21.7 résume le contexte historique.

LES FACTEURS CLIMATIQUES COMME TABLEAUX DE DÉSÉQUILIBRE

Les facteurs climatiques diffèrent quelque peu des autres causes de la maladie dans la mesure où ils évoquent à la fois les causes et les tableaux pathologiques. Lorsqu’on dit qu’une certaine pathologie est due à une invasion externe de Vent-Chaleur, on dit en fait deux choses : on dit tout d’abord que le Vent-Chaleur externe l’a provoquée, et ensuite qu’elle se manifeste par un Vent-Chaleur. En pratique clinique, ces descriptions sont plus importantes comme expressions de situations pathologiques que comme expressions de facteurs étiologiques. Par exemple, si une personne présente un mal de gorge, des éternuements, une crainte du froid, de la fièvre, des transpirations légères, une amygdalite, de la soif et un pouls Flottant et Rapide, on peut diagnostiquer avec certitude une invasion externe de Vent-Chaleur. Le diagnostic est établi non pas sur la base de l’interrogatoire, mais sur l’analyse de signes et de symptômes. Autrement dit, si quelqu’un présente les signes et symptômes ci-dessus, ceux-ci sont le Vent-Chaleur. Il n’est point nécessaire de demander au malade s’il a été exposé à un vent chaud dans les heures qui ont précédé l’apparition des symptômes. C’est pourquoi, de ce point de vue, le « Vent-Chaleur » indique un tableau clinique, plutôt qu’un facteur étiologique.

En cas de causes internes de la maladie, la situation est différente car les causes sont bien distinctes des tableaux de déséquilibre qui en résultent. Par exemple, si on diagnostique un tableau de vide de Yin du Rein chez un patient, on ne peut pas en déduire automatiquement la cause de la maladie, et le diagnostic ne pourra se faire que grâce à l’interrogatoire du patient. Dans cet exemple, les deux causes les plus probables du vide de Yin du Rein sont le surmenage et une activité sexuelle excessive, mais nous ne pouvons pas savoir laquelle des deux est la bonne sans interroger le patient sur son mode de vie. Inversement, si un patient présente un tableau de déséquilibre qui présente tous les symptômes d’une invasion de Vent-Froid, alors le facteur étiologique est le Vent-Froid, et il n’est nul besoin de demander au patient s’il a été exposé au vent et au froid (Fig. 21.4).

Les facteurs climatiques eux-mêmes exercent donc, malgré tout, une influence directe sur le corps humain et peuvent engendrer les manifestations cliniques que les médecins chinois ont observées depuis des siècles.

Par exemple, si une personne est exposée au vent, au froid et à la pluie, elle va probablement souffrir d’une invasion de « Vent » ; si elle est exposée à un temps humide, elle va souffrir d’une invasion « d’Humidité » ; si elle est exposée à une chaleur intense pendant l’été, elle va souffrir d’une invasion de « Chaleur de l’Été ».

L’état général de l’individu détermine aussi le type de tableau externe qui apparaît. Quelqu’un qui présente une tendance à la Chaleur montrera plus volontiers des symptômes de Vent-Chaleur en cas d’atteinte par le Vent. Par contre, une personne qui a tendance à souffrir d’un vide de Yang présentera des symptômes de Vent-Froid en cas d’attaque par le Vent. C’est ce qui explique qu’on puisse présenter des symptômes de Vent-Chaleur au beau milieu de l’hiver le plus rigoureux, ou des symptômes de Vent-Froid au beau milieu de l’été le plus torride.

Le cadre 21.8 résume les caractéristiques des facteurs climatiques en tant que tableaux de déséquilibre.

PATHOLOGIE ET MANIFESTATIONS CLINIQUES DES FACTEURS PATHOGÈNES EXTERNES

Les facteurs pathogènes externes pénètrent dans le corps par la peau, le nez ou la bouche (Fig. 21.5). Généralement, le Vent-Froid pénètre par la peau et le Vent-Chaleur par le nez et la bouche. Le cha pitre 63 des « Questions simples » décrit clairement la voie de pénétration des facteurs pathogènes externes :« Lorsque les maux externes envahissent le corps, ils commencent par envahir la peau et les cheveux ; s’ils ne sont pas expulsés, ils envahissent alors les méridiens Minuscules de Communication [les méridiens Luo qui sont dans l’espace compris entre la peau et les muscles] ; s’ils ne sont pas expulsés, ils envahissent alors les méridiens Principaux, puis les cinq organes Yin … Voilà comment les maux externes vont de la peau et des cheveux aux cinq organes Yin ». 7 Cette citation montre aussi clairement comment les facteurs pathogènes externes peuvent pénétrer dans les cinq organes Yin (Fig. 21.6).

Aux stades initiaux d’une invasion par les facteurs pathogènes externes, le facteur pathogène est dans l’espace compris entre la peau et les muscles (l’espace Cou Li) et dans les méridiens, et non dans les Organes Internes ; c’est ce qu’on appelle aussi « l’Extérieur » du corps, et son invasion engendre un tableau « externe ». La définition du mot « externe » est due à la localisation du facteur pathogène et non à l’étiologie. Autrement dit, un tableau n’est pas dit « externe » parce qu’il est engendré par un facteur pathogène externe, mais parce que le facteur pathogène se trouve dans l’espace compris entre la peau et les muscles et dans les méridiens (c’est-à-dire « l’Extérieur » du corps) (Fig. 21.7). Si un facteur pathogène pénètre plus profondément et affecte les Organes Internes (c’est-à-dire l’Intérieur), le tableau des manifestations cliniques qui en résulte se définit comme un « tableau interne », même si, dans ce cas précis, il a été provoqué à l’origine par un facteur pathogène externe (Fig. 21.8).

Une fois dans le corps, les facteurs pathogènes externes, s’ils ne sont pas expulsés, peuvent alors complètement changer de nature et devenir internes.

Par exemple, le Vent-Froid peut se transformer en Chaleur, l’Humidité peut facilement engendrer de la Chaleur, le Feu et la Chaleur peuvent entraîner de la Sécheresse, alors que la Chaleur extrême peut engendrer le Vent.

Chaque facteur climatique engendre certaines manifestations cliniques qui lui sont spécifiques. Un praticien de médecine chinoise expérimenté est capable de déduire les causes de la maladie à partir de ses manifestations. Par exemple, le Vent externe provoque des signes et des symptômes qui apparaissent et se modifient brusquement. Le Froid contracte et engendre des douleurs et des écoulements aqueux. L’Humidité envahit le corps petit à petit et entraîne des écoulements turbides et collants. La Sécheresse assèche évidemment les Liquides Organiques. La Chaleur et le Feu provoquent des sensations de chaleur, de la soif et de l’agitation mentale.

Bien que les causes climatiques des maladies soient importantes, en pratique, les facteurs pathogènes externes comme le Vent-Chaleur ou le Vent-Froid sont cliniquement plus significatifs en tant que tableaux de déséquilibre qu’en tant que causes de la maladie. Autrement dit, bien que l’origine d’un tableau de VentChaleur puisse, dans certains cas, provenir effectivement des facteurs climatiques Vent et Chaleur, c’est le tableau Vent-Chaleur qui, au niveau clinique, est en fait significatif et doit être traité. C’est pour cela que les manifestations cliniques de ces facteurs pathogènes externes sont traitées dans le chapitre consacré à l’Identification des tableaux pathologiques selon les Facteurs Pathogènes (ch. 43).

Les deux principaux symptômes d’invasion par les facteurs pathogènes externes sont la « crainte du froid » et la « fièvre » lorsqu’ils surviennent simultanément. Il est donc judicieux de détailler ces deux symptômes.

Le cadre 21.10 résume la pathologie et les manifestations cliniques.

CRAINTE DU FROID ET FIÈVRE

La « crainte du froid » et la « fièvre » sont les deux facteurs principaux de l’invasion de la plupart des facteurs pathogènes externes, et il convient de commencer par leur étude détaillée. Il est important de noter qu’il s’agit de la présence simultanée de la crainte du froid et de la fièvre qui traduit une invasion par un facteur pathogène externe, c’est-à-dire que le patient a une sensation subjectivede froid alors que son corps est objectivement chaud au toucher. Lorsque le symptôme de crainte du froid survient en même temps que le signe objectif de chaleur du corps (ou qu’une fièvre effective), c’est le signe d’une invasion aiguë de Vent externe et le facteur pathogène est encore à l’Extérieur. Plus précisément, c’est le symptôme de crainte du froid qui montre que le facteur pathogène est encore à l’Extérieur ; dès l’instant ou le patient n’a plus froid mais chaud, on peut dire que le facteur pathogène est à l’Intérieur et qu’il s’est transformé en Chaleur.

La crainte du froid

Dans le contexte d’une invasion par les facteurs pathogènes externes, la « crainte du froid » (wu han) évoque le froid caractéristique qui survient à la suite d’une invasion soudaine par le Vent externe. C’est la sensation de froid, de frissons, qu’une personne ressent lorsqu’elle attrape un rhume ou la grippe ; les symptômes apparaissent soudainement et la personne cherche à se couvrir plus chaudement. Si elle se met au lit, elle rajoute des couvertures ; toutefois, une des caractéristiques de la « crainte du froid » due à une invasion externe de Vent est que celle-ci ne passe pas lorsqu’on se couvre plus. La « crainte du froid » est une sensation subjective ressentie par le patient.

La « crainte du froid » aiguë due à une invasion externe de Vent est, bien évidemment, tout à fait différente de la sensation générale de froid que certaines personnes ressentent en cas de vide de Yang. La « crainte du froid » aiguë due à une invasion externe a deux caractéristiques : elle survient de façon soudaine et elle n’est pas soulagée par l’ajout de vêtements chauds (la sensation générale de froid due au vide de Yang est chronique et est soulagée par l’ajout de vêtements chauds).

Le symptôme de crainte du froid provient d’une obstruction de l’espace compris entre la peau et les muscles par le Vent externe. Le Qi Protecteur circule dans l’espace compris entre la peau et les muscles, et il réchauffe les muscles ; s’il est bloqué par le Vent externe, il ne peut plus circuler correctement et il n’arrive plus à réchauffer les muscles, d’où la « crainte du froid ». L’intensité de la crainte du froid est directement proportionnelle à la force du facteur pathogène ; plus le facteur pathogène est fort, plus la crainte du froid est intense.

La médecine chinoise distingue en fait quatre degrés dans la « crainte du froid », à savoir, par ordre croissant de gravité :

La crainte du vent : le patient a la chair de poule, il n’aime pas sortir lorsqu’il y a du vent et il préfère rester à l’intérieur.

La peur du vent : le patient a très froid, il veut rester à l’intérieur, près d’une source de chaleur et il cherche à bien se couvrir.

La crainte du froid : le patient a froid, il veut rester à l’intérieur, couché sous les couvertures, ce qui ne sou lage toutefois pas sa sensation de froid.

Les frissons : le patient a très froid, il grelotte et se met au lit sous plusieurs couches de couvertures, ce qui ne soulage toutefois pas sa sensation de froid.

Le cadre 21.11 résume la « crainte du froid ».

La « fièvre »

La « fièvre » ne renvoie pas forcément à une fièvre effective, mesurée par un thermomètre. Le terme que nous traduisons par « fièvre » est en fait « fa re », qui signifie « émission de chaleur ». Ainsi, une « émission de chaleur » renvoie à une sensation objective de chaleur émanant du corps du patient et que le praticien peut sentir à la palpation. Le corps du patient est chaud au toucher, et même brûlant dans les cas les plus graves ; les zones concernées sont généralement le front et surtout le dos de la main (par opposition à la paume, qui a plutôt tendance à refléter la Chaleur-Vide).

En fait, c’est une caractéristique de fa re (la soi-disant « fièvre »), au stade externe des invasions de Vent, que d’avoir un dos de la main plus chaud que la paume et le haut du dos plus chaud que la poitrine. 8 Cette sensation objective de chaleur du corps du patient peut être ou non accompagnée d’une fièvre effective. Ainsi, la « crainte du froid » est subjective alors que la « fièvre » est objective (c’est-à-dire que le corps du patient est chaud à la palpation).

La fièvre est le résultat d’un combat entre le facteur pathogène externe et le Qi du corps. Ainsi, la force de la fièvre (ou de la sensation de chaleur du corps) reflète l’intensité de ce combat ; elle dépend de la force relative du facteur pathogène externe et de la force du Qi Correct. Plus le facteur pathogène externe est fort, plus la fièvre (ou la sensation de chaleur du corps) est élevée ; de la même façon, plus le Qi Correct est fort, plus la fièvre (ou la sensation de chaleur du corps) est élevée. Ainsi, la fièvre est à son maximum lorsqu’à la fois le facteur pathogène externe et le Qi Correct sont forts.

Toutefois, la force relative du facteur pathogène externe et du Qi Correct ne représente qu’un facteur déterminant l’intensité de la fièvre (ou de la sensation de chaleur du corps). La constitution de la personne est tout naturellement un autre facteur ; une personne qui a une constitution Yang (c’est-à-dire qui présente une prédominance de Yang) sera plus facilement sujette à une forte fièvre (ou à une sensation de chaleur du corps).

On dénombre ainsi trois degrés d’intensité possibles pour la fièvre (ou la sensation de chaleur du corps) :

Le cadre 21.12 résume les caractéristiques de la fièvre.

LES SIGNES ET SYMPTÔMES DES TABLEAUX DE FACTEURS PATHOGÈNES EXTERNES

Les manifestations cliniques qui proviennent de l’invasion de facteurs pathogènes externes sont présentées en détail dans le chapitre consacré à l’Identification des tableaux pathologiques selon les Facteurs Pathogènes (ch. 43), et ceci pour deux raisons : la première parce que, comme nous l’avons expliqué plus haut, les facteurs pathogènes externes sont plus pertinents en tant que tableaux de déséquilibre qu’en tant que causes de la maladie, et deuxièmement parce qu’il est plus logique de présenter les manifestations cliniques de chaque facteur pathogène à la fois dans ses manifestations externes et dans ses manifestations internes. Par exemple, il existe des similarités entre les manifestations cliniques du Vent externe et celles du Vent interne, même si ces deux facteurs pathogènes représentent des tableaux pathologiques complètement différents.

On trouvera ci-dessous une brève description, forcément générale, des manifestations cliniques dues à l’invasion de chacun des facteurs pathogènes.

LES CONSÉQUENCES D’UNE INVASION PAR LES FACTEURS PATHOGÈNES EXTERNES

Un grand nombre de problèmes divers peuvent dériver d’une invasion par les facteurs pathogènes externes. En gros, on distingue trois types de conséquences des invasions par les facteurs pathogènes externes, à savoir :

Les manifestations en sont les suivantes : Vent : douleur qui passe d’une articulation à l’autre et qui affecte surtout le haut du corps Froid : douleur intense dans une articulation Humidité : douleur, gonflement et sensation de lourdeur dans les articulations, surtout dans la partie inférieure du corps

Toutefois, le Syndrome d’Obstruction Douloureuse peut aussi débuter par un tableau externe (avec crainte du froid et fièvre), mais c’est une situation qui l’on ne se rencontre pas souvent en pratique clinique.

Le cadre 21.13 résume les conséquences d’une invasion par les facteurs pathogènes externes.

1. 1979 Classique de médecine interne de l’Empereur Jaune – Questions simples (Huang Di Nei Su Wenimage), People’s Health Publishing House, première publication environ 100 AEC, p. 537.

2. Ibid., p. 158.

3. Ibid., p. 215.

4. Ibid., p. 538.

5. Il n’en n’a pas toujours été ainsi car, avant l’avènement de la médecine biochimique moderne, la médecine occidentale reconnaissait effectivement l’influence des facteurs climatiques comme cause directe de la maladie. Par exemple, dans son ouvrage « Les airs, les eaux et les lieux », Hippocrate a étudié avec force détails la relation entre le climat et l’organisme en bonne ou en mauvaise santé. Galien a compris la relation entre l’air et la maladie. Il considère que les airs nocifs sont des causes de la maladie et donne, comme exemples d’airs nocifs, ceux qui viennent des marais, des marécages, des égouts, des animaux en décomposition et du fumier. Il considère aussi les changements de temps comme une cause de déséquilibre de l’organisme. Le célèbre médecin anglais T. Sydenham a continué la grande tradition d’Hippocrate et a compris la relation qui existe entre les conditions climatiques et la maladie. Il considère aussi les conditions climatiques comme des causes directes de déséquilibre.

6. Collège de médecine traditionnelle chinoise de Nanjing 1978 Étude sur les maladies de type Chaleur (Wen Bing Xueimage), Shanghai Science Publishing House, Shanghai, première publication aux environs de 220.

7. Questions simples, p. 344.

8. Deng Tie Tao 1988 Le diagnostic dans la pratique de la médecine chinoise (Shi Yong Zong Yi Zhen Duan Xueimage), Shanghai Science Publishing House, Shanghai, p. 90.