Il ne faut pas rire avec ces gens-là*11

Camarades,

Vous avez l’oubli trop facile

et votre colère tombe vite

 

Vous êtes vivants… vous aimez rire

Le bourgeois raconte qu’il aime rire

alors vous riez avec lui

Pourtant son rire n’est pas le même que le vôtre

Ce n’est pas un véritable rire

L’homme rit

Le bourgeois ricane

 

Écoutez.

En 1871, les communards sont tombés par milliers

Monsieur Thiers souriait

Les femmes du monde souriaient

Elles se payaient une pinte de bon sang.

 

Pendant la fameuse glorieuse dernière avant-dernière grande guerre

Le président Poincaré rigolait dans les cimetières

Oh ! pas aux éclats naturellement

Un petit rire discret

Un petit gloussement

Un rire d’homme du monde

Un joyeux rire d’outre-tombe

 

Depuis le mois de février

On a tué en France beaucoup d’ouvriers

et le président Doumergue n’a pas cessé de sourire.

C’est une habitude… un tic…

Deibler2 aussi quelquefois sourit…

Tardieu sourit…

Hitler aussi…

 

C’est le sourire du capital

le sourire de la bourgeoisie

c’est le rire de la « Vache qui rit »

Un rire aimable… un sourire impitoyable.

 

« Excusez-moi, je regrette, dans le fond, je vous aime bien

Et si je donne l’ordre de vous abattre comme des chiens

C’est parce que c’est la coutume, je suis là pour ça,

je n’y suis pour rien… »

 

C’est la coutume

il y a trop de travailleurs dans le monde

il faut les expédier dans l’autre

trop de travailleurs, trop de café, trop de sardines,

trop de betteraves, trop de fraises de bois,

trop d’instituteurs…

 

À la mer le café

Au vestiaire la canne à sucre

À l’égout le beurre

Aux chiottes les primeurs

En prison les travailleurs

 

En prison les travailleurs…

Quelle bonne plaisanterie

Le Schneider, le Krupp, le Daudet, le Léon Bailby3

le monsieur des filatures, celui du pétrole

et celui de l’agence Havas

se tapent joyeusement sur les cuisses

quelle bonne plaisanterie…

 

Mais il y a trop de travailleurs dans le monde

Il faut les expédier dans l’autre.

 

Et le sourire de la bourgeoisie s’est figé

la prochaine guerre va commencer

le jour de gloire est arrivé

on décore les abattoirs

on pavoise chez les vieillards

c’est la jeunesse qui va crever

mais avant qu’elle ne s’en aille

il faut la photographier.

 

L’ouvrier, le paysan, le vendeur des galeries

s’en vont mourir pour la Patrie

 

Souriez, jeunes gens

votre fosse est fraîchement creusée.

 

Souriez

 

On va vous tirer le portrait

 

Quelle bonne plaisanterie !

*1. Création : Paris, Salle Bullier, dix-septième anniversaire de la Révolution d’Octobre, 31 octobre 1934.

1. Var. ajout. : (titre pouvant être dit au début du texte du chœur parlé) (dactyl. coll. Serge Grand).

2. Voir note 18.

3. Sur les maîtres de forges Schneider et Krupp, voir note 20 et note 21 ; sur Daudet et Bailby, voir note 16 et note 2.