AU ROI
POUR LULLI, QUI DÉDIE À SA MAJESTÉ L’OPÉRA D’AMADIS (1684)
La Fontaine et Lulli se sont réconciliés (voir La Fontaine et l’opéra). À l’occasion de la représentation de son Amadis en janvier 1684 (sur un livret de Quinault), Lulli, « sans avoir égard à la satire du Florentin, se laissa persuader par le comte de Fiesque, par qui il fit prier La Fontaine de faire les vers qui suivent et qu’il mit au-devant de l’opéra d’Amadis » (Tallemant, cité par Roche, puis Clarac).
Du premier Amadis je vous offre l’image ;
Il fut doux, gracieux, vaillant, de haut corsage.
J’y trouverais votre air, à tout considérer,
Si quelque chose à vous se pouvait comparer.
La Victoire pour lui sut étendre ses ailes,
Mars le fit triompher de tous ses concurrents ;
Passa-t-il à l’amour ? il eut le cœur des belles :
Vous vous reconnaissez à ces traits différents.
Nul n’a porté si haut cette double conquête :
Les deux moitiés du monde ont su vous couronner ;
Et les myrtes qu’Amour vous a fait moissonner
Sont tels que Jupiter en aurait ceint sa tête.
En vous tout est enchantement.
Plus d’un illustre événement
Rendra chez nos neveux votre histoire incroyable ;
Vos beaux faits ont partout tellement éclaté
Que vous nous réduisez à chercher dans la Fable
L’exemple de la vérité.
Voilà, Sire, sur vous quelles sont mes pensées.
Pour vous plaire Uranie en vers les a tracées.
Quant à moi, dont les chants vous attiraient jadis,
Je dois à votre choix ce sujet d’Amadis ;
Je vous dois son succès, car j’aurais peine à dire
Entre vous et Phébus lequel des deux m’inspire.
Je ne puis, pour m’en ressentir,
Qu’employer à vous divertir
Mes soins, mon art, et mon génie,
Et tous les moments de ma vie.
Veuillent dans ce projet m’assister les neuf Sœurs1 !
Je le trouve assez beau pour donner de l’envie
Aux chantres dont l’Olympe admire les douceurs.
BALLADE
ON AIME ENCOR COMME ON AIMAIT JADIS
(1684)
Au lendemain de la première d’Amadis, Madame Deshoulières, qui approchait de la cinquantaine, adressa au vieux duc de Montausier une ballade dont le refrain était :
On n’aime plus comme on aimait jadis.
On lui répliqua de divers côtés : ce fut un concert de ballades (PC), et La Fontaine ne fut pas le dernier à répondre.
Qu’à caution tous amants soient sujets,
C’est une erreur qui les bons décrédite.
On voit au monde assez d’amants discrets :
La race encor n’est pas toute détruite ;
Quoi qu’en ait dit femme un peu trop dépite,
Rien n’est changé du siècle d’Amadis,
Hors que pour être amitié maintenue
Plus n’est besoin d’Urgande déconnue1 ;
On aime encor comme on aimait jadis.
Il est bien vrai qu’on choisit les objets :
Plus n’est le temps de dame sans mérite ;
Quand beauté luit sous simples bavolets,
Plus prisés sont que reine décrépite ;
Sous quelque toit que Bonne-Grâce habite
Chacun y court, jusqu’aux plus refroidis :
Depuis Adam cela se continue ;
Et, quand Grâce est de Bonté soutenue,
On aime encor comme on aimait jadis.
Dans le vieux temps il fut des cœurs coquets ;
Plus qu’à présent, Amour fut hypocrite :
Pas n’est besoin que je prouve ces faits,
C’est vérité dans mainte histoire écrite.
Amants savaient faire la chattemite ;
Ce n’est que d’eux que nous l’avons appris ;
D’eux jusqu’à nous la chose est parvenue :
Puisque par eux elle nous est connue,
On aime encor comme on aimait jadis.
Quand Céladon au pays de Forêts
Était prôné comme un amant d’élite,
On vit Hylas2, patron des indiscrets,
En plein marché tenir autre conduite.
Bref, en tout temps Amour eut à sa suite
Sujets loyaux et sujets étourdis ;
Or n’en est pas la coutume perdue :
Comme autrefois la mode en est venue,
On aime encor comme on aimait jadis.
ENVOI
Toi qui te plains d’Amour et de ses traits,
Dame chagrine, apaise tes regrets ;
Si quelque ingrat rend ton humeur bourrue,
Ne t’en prends point à l’enfant de Cypris3 ;
Cause il n’est pas de ta déconvenue :
Quand la dame est d’attraits assez pourvue,
On aime encor comme on aimait jadis.