En janvier 1674, l’Alceste de Lulli et Quinault s’avère un échec. Mme de Thiange, qui n’aime pas Quinault, saisit l’occasion pour tenter d’obtenir que Lulli demande un livret à La Fontaine. Ce sera Daphné, que Lulli finira par refuser. Piqué, La Fontaine composera à l’automne 1674 Le Florentin, satire qui restera inédite jusqu’en 1691. Voici comment un contemporain retrace l’affaire :
Lulli avait engagé La Fontaine à faire un opéra et lui avait promis une récompense digne de son mérite. Sur la parole de l’Italien, le poète travaille et compose la pastorale de Daphné. Lulli n’en eut pas plus tôt fait la lecture qu’il dit tout net à La Fontaine qu’il n’était pas son homme et que son talent n’était pas de faire des opéras. La Fontaine, qui ne pouvait se persuader que ses vers fussent mauvais, croyant que Lulli voulait par cette excuse le priver de la récompense qu’il lui avait promis, lui dit que, s’il mettait son opéra au jour sans le satisfaire, il en aurait raison. Lulli lui répondit qu’il remettait son paiement à la première représentation de sa pièce. La Fontaine prit cette réponse pour de l’argent comptant ; mais il fut fort étonné lorsqu’il apprit, quelques jours après, que Lulli ne voulait pas mettre son opéra en musique, parce qu’il ne l’en trouvait pas digne. Le public, qui connaissait le mérite de La Fontaine, reçut cette nouvelle avec surprise. […]
La Fontaine, au désespoir d’être la risée du public, fit, pour s’en venger, La Florentinade sur Lulli et quelque temps après rendit compte à Mme de Thiange du mauvais succès de son opéra par une épître qu’il lui adressa. Cette épître n’ayant pas été imprimée, je me crois obligé d’en donner ce fragment :
Vous trouvez que ma satire, etc. (voir infra)
Mme de Thiange eut beau solliciter à la cour pour La Fontaine, son opéra parlait contre lui, et Lulli ne se fit pas une affaire de dire au roi que les vers en étaient détestables. Il n’en fallut pas davantage pour faire oublier la pastorale de Daphné, et La Fontaine eut le chagrin de voir représenter un opéra de Quinault à la place du sien. C’était la tragédie de Proserpine : elle parut à Saint-Germain le 3 février 1680 et fut exécutée par l’Académie et la musique du roi.
(Vie de Quinault, dans Quinault, Théâtre, 1715.)
Le Florentin
Montre à la fin
Ce qu’il sait faire :
Il ressemble à ces loups qu’on nourrit, et fait bien :
Car un loup doit toujours garder son caractère,
Comme un mouton garde le sien.
J’en étais averti ; l’on me dit : « Prenez garde ;
Quiconque s’associe avec lui se hasarde ;
Vous ne connaissez pas encor le Florentin ;
C’est un paillard, c’est un mâtin
Qui tout dévore,
Happe tout, serre tout : il a triple gosier.
Donnez-lui, fourrez-lui, le glout1 demande encore :
Le Roi même aurait peine à le rassasier. »
Malgré tous ces avis, il me fit travailler ;
Le paillard s’en vint réveiller
Un enfant des neuf Sœurs, enfant à barbe grise,
Qui ne devait en nulle guise
Être dupe ; il le fut, et le sera toujours :
Je me sens né pour être en butte aux méchants tours ;
Vienne encore un trompeur, je ne tarderai guère.
Celui-ci me dit : « Veux-tu faire,
Presto, presto, quelque opéra,
Mais bon ? ta Muse répondra
Du succès par-devant notaire.
Voici comment il nous faudra
Partager le gain de l’affaire :
Nous en ferons deux lots, l’argent et les chansons ;
L’argent pour moi, pour toi les sons ;
Tu t’entendras chanter, je prendrai les testons ;
Volontiers je paye en gambades :
J’ai huit ou dix trivelinades2
Que je sais sur mon doigt ; cela joint à l’honneur
De travailler pour moi, te voilà grand seigneur. »
Peut-être n’est-ce pas tout à fait sa harangue,
Mais, s’il n’eut ces mots sur la langue,
Il les eut dans le cœur. Il me persuada ;
À tort, à droit, me demanda
Du doux, du tendre, et semblables sornettes,
Petits mots, jargons d’amourettes
Confits au miel ; bref, il m’enquinauda.
Je n’épargnai ni soins ni peines
Pour venir à son but et pour le contenter :
Mes amis devaient m’assister ;
J’eusse, en cas de besoin, disposé de leurs veines.
« Des amis ! disait le glouton,
En a-t-on ?
Ces gens te tromperont, ôteront tout le bon,
Mettront du mauvais en la place. »
Tel est l’esprit du Florentin :
Soupçonneux, tremblant, incertain,
Jamais assez sûr de son gain,
Quoi que l’on dise ou que l’on fasse.
Je lui rendis en vain sa parole cent fois ;
Le b… avait juré de m’amuser six mois.
Il s’est trompé de deux : mes amis, de leur grâce,
Me les ont épargnés, l’envoyant où je croi
Qu’il va bien sans eux et sans moi3.
Voilà l’histoire en gros : le détail a des suites
Qui valent bien d’être déduites,
Mais j’en aurais pour tout un an ;
Et je ressemblerais à l’homme de Florence,
Homme long à conter, s’il en est un en France.
Chacun voudrait qu’il fût dans le sein d’Abraham ;
Son architecte, et son libraire,
Et son voisin, et son compère,
Et son beau-père4,
Sa femme, et ses enfants, et tout le genre humain,
Petits et grands, dans leurs prières,
Disent le soir et le matin :
« Seigneur, par vos bontés pour nous si singulières,
Délivrez-nous du Florentin. »
Vous trouvez que ma satire
Eût pu ne se point écrire,
Et que tout ressentiment,
Quel que soit son fondement,
La plupart du temps peut nuire,
Et ne sert que rarement.
J’eusse ainsi raisonné si le Ciel m’eût fait ange,
Ou Thiange ;
Mais il m’a fait auteur, je m’excuse par là :
Auteur, qui pour tout fruit moissonne
Un peu de gloire. On le lui ravira,
Et vous croyez qu’il s’en taira ?
Il n’est donc plus auteur : la conséquence est bonne.
S’il s’en rencontre un qui pardonne,
Je suis cet indulgent ; s’il ne s’en trouve point,
Blâmez la qualité1, mais non pas la personne.
Je pourrais alléguer encore un autre point :
Les conseils. « Et de qui ? » Du public : c’est la ville,
C’est la Cour, et ce sont toute sorte de gens,
Les amis, les indifférents,
Qui m’ont fait employer le peu que j’ai de bile :
Ils ne pouvaient souffrir cette atteinte à mon nom ;
La méritais-je ? On dit que non.
Mon opéra, tout simple, et n’étant, sans spectacle,
Qu’un ours qui vient de naître, et non encor léché,
Plaît déjà. Que m’a donc Saint-Germain2 reproché ?
Un peu de pastorale ? Enfin ce fut l’obstacle.
J’introduisais d’abord des bergers ; et le Roi
Ne se plaît à donner qu’aux héros de l’emploi :
Je l’en loue. Il fallait qu’on lui vantât la suite ;
Faute de quoi, ma Muse aux plaintes est réduite.
Que si le nourrisson de Florence eût voulu,
Chacun eût fait ce qu’il eût pu.
Celui qui nous a peint un des travaux d’Alcide
(Je ne veux dire Euripide,
Mais Quinault), Quinault donc pour sa part aurait eu
Saint-Germain, où sa Muse au grand jour eût paru ;
Et la mienne, moins parfaite,
Eût eu du moins Paris, partage de cadette :
Cadette que peut-être on eût cru quelque jour
Digne de partager en aînée à son tour ;
Quelque jour j’eusse pu divertir le monarque.
Heureux sont les auteurs connus à cette marque !
Les neuf Sœurs proprement n’ont qu’eux pour favoris :
Qu’est-ce qu’un auteur de Paris ?
Paris a bien des voix ; mais souvent, faute d’une,
Tout le bruit qu’il fait est fort vain.
Chacun attend sa gloire ainsi que sa fortune
Du suffrage de Saint-Germain.
Le maître y peut beaucoup ; il sert de règle aux autres :
Comme maître premièrement,
Puis comme ayant un sens meilleur que tous les nôtres.
Qui voudra l’éprouver obtienne seulement
Que le Roi lui parle un moment.
Ah ! si c’était ici le lieu de ses louanges !
Que ne puis-je en ces vers avec grâce parler
Des qualités qui font voler
Son nom jusqu’aux peuples étranges3 !
On verrait qu’entre tous les rois
Le nôtre est digne qu’on l’estime ;
Mais il faut pour une autre fois
Réserver le feu qui m’anime.
Je ne puis seulement qu’étaler aujourd’hui
Son esprit et son goût à juger d’un ouvrage,
L’honneur et le plaisir de travailler pour lui.
Ceux dont je me suis plaint m’ôtent cet avantage :
Puis-je jamais vouloir du bien
À leur cabale trop heureuse ?
D’en dire aussi du mal la chose est dangereuse ;
Je crois que je n’en dirai rien.
Si pourtant notre homme se pique
D’un sentiment d’honneur, et me fait à son tour
Pour le Roi travailler un jour,
Je lui garde un panégyrique.
Il est homme de Cour, je suis homme de vers :
Jouons-nous tous deux des paroles ;
Ayons deux langages divers,
Et laissons les hontes frivoles.
Retourner à Daphné vaut mieux que se venger ;
Je vous laisse d’ailleurs ma gloire à ménager :
Deux mots de votre bouche et belle et bien disante
Feront des merveilles pour moi ;
Vous êtes bonne et bienfaisante,
Servez ma Muse auprès du Roi.
On voit par les derniers vers que La Fontaine espérait encore faire accepter Daphné à Lulli. Mais cet espoir fut déçu et son opéra ne fut pas joué. Il en publiera le texte en 1682. Entre-temps, il s’était réconcilié avec Lulli.
À la même époque, une autre épigramme fut lancée contre Lulli et attribuée à tort à La Fontaine.
BALLADE CONTRE LULLI
Dieu te préserve de langueur,
De fièvre tierce, de quartraine,
De procès qui tire en longueur,
De malencontre, de migraine,
De la dent d’un traître mâtin !
Mais surtout, ami La Fontaine,
Dieu te garde du Florentin !
Les qualités de ce trompeur,
Dont la dernière pièce est pleine,
Se lisaient en maison d’honneur
Chez certaine vieille brehaigne.
Alors la duègne incertaine
Crut que l’on parlait d’un lutin,
Se signa, puis dit à Clymène :
« Dieu te garde du Florentin ! »
Tous les voisins en ont horreur :
Ils ne le souffrent qu’avec peine ;
Si fort ces pauvres gens ont peur
Que leurs enfants il ne surprenne !
Un d’eux disait l’autre semaine
À son fils qui sortait matin :
« Mon cher enfant, Dieu te ramène !
Dieu te garde du Florentin ! »
ENVOI
Je te souhaite un heur sans fin
Qui soit exempt de toute peine ;
Mais surtout, ami La Fontaine,
Dieu te garde du Florentin !
Cette épître à M. de Niert, musicien, valet de chambre de Louis XIII, puis de Louis XIV, attaché à Mmes de Montespan et de Thiange, n’a pas été publiée par La Fontaine.
Évoquant des figures et des événements du monde musical, cette pièce dévoile un La Fontaine particulièrement attentif à l’évolution de l’opéra par rapport aux autres arts du spectacle.
Son engouement pour le théâtre lyrique s’est considérablement refroidi et il dénonce ce qu’il considère comme les défauts inhérents au genre : les machines spectaculaires qui parfois se grippent, et de toute façon n’émeuvent pas l’âme ; et le mélange simultané des genres qui ne permet pas la jouissance des sens, trop sollicités à la fois.
Niert, qui, pour charmer le plus juste des rois2,
Inventa le bel art de conduire la voix,
Et dont le goût sublime à la grande justesse
Ajouta l’agrément et la délicatesse ;
Toi qui sais mieux qu’aucun le succès que jadis
Les pièces de musique eurent dedans Paris,
Que dis-tu de l’ardeur dont la Cour échauffée
Frondait en ce temps-là les grands concerts d’Orphée3
Les longs passages d’Atto et de Léonora,
Et du déchaînement qu’on a pour l’opéra ?
Des machines d’abord le surprenant spectacle
Éblouit le bourgeois, et fit crier miracle ;
Mais la seconde fois il ne s’y pressa plus ;
Il aima mieux le Cid, Horace, Héraclius.
Aussi de ces objets l’âme n’est point émue,
Et même rarement ils contentent la vue.
Quand j’entends le sifflet, je ne trouve jamais
Le changement si prompt que je me le promets :
Souvent au plus beau char le contre-poids résiste ;
Un dieu pend à la corde, et crie au machiniste ;
Un reste de forêt demeure dans la mer,
Ou la moitié du ciel au milieu de l’enfer.
« Quand le théâtre4 seul ne réussirait guère,
La comédie5 au moins, me diras-tu, doit plaire :
Les ballets, les concerts, se peut-il rien de mieux
Pour contenter l’esprit et réveiller les yeux ? »
Ces beautés6, néanmoins, toutes trois séparées,
Si tu veux l’avouer, seraient mieux savourées.
De genres si divers le magnifique appas
Aux règles de chaque art ne s’accommode pas.
Il ne faut point, suivant les préceptes d’Horace,
Qu’un grand nombre d’acteurs le théâtre embarrasse ;
Qu’en sa machine un dieu vienne tout ajuster.
Le bon comédien ne doit jamais chanter :
Le ballet fut toujours une action muette.
La voix veut le téorbe, et non pas la trompette ;
Et la viole, propre aux plus tendres amours7,
N’a jamais jusqu’ici pu se joindre aux tambours.
Mais en cas de vertus, Louis, qui, par pratique,
Sait que, pour en avoir une seule héroïque,
Il faut en avoir mille, et toutes à la fois,
Veut voir si, comme il est le plus puissant des rois,
En joignant, comme il fait, mille plaisirs de même,
Il en peut avoir un dans le degré suprême.
Comme il porte au dehors la terreur et l’amour,
Humain dans son armée autant que dans sa Cour,
Il veut sur le théâtre, ainsi qu’à la campagne8,
La foule qui le suit, l’éclat qui l’accompagne :
Grand en tout, il veut mettre en tout de la grandeur.
La guerre fait sa joie et sa plus forte ardeur ;
Ses divertissements ressentent tous la guerre :
Ses concerts d’instruments ont le bruit du tonnerre,
Et ses concerts de voix ressemblent aux éclats
Qu’en un jour de combat font les cris des soldats.
Les danseurs, par leur nombre, éblouissent la vue,
Et le ballet paraît exercice, revue,
Jeu de gladiateurs, et tel qu’au champ de Mars
En leurs jours de triomphe en donnaient les Césars.
Glorieux, tous les ans, de nouvelles conquêtes,
À son peuple il fait part de ses nouvelles fêtes ;
Et son peuple, qui l’aime et suit tous ses désirs,
Se conforme à son goût, ne veut que ses plaisirs.
Ce n’est plus la saison de Raymond ni d’Hilaire9 :
Il faut vingt clavecins, cent violons, pour plaire,
On ne va plus chercher au fond de quelque bois
Des amoureux bergers la flûte et le hautbois.
Le téorbe charmant, qu’on ne voulait entendre
Que dans une ruelle, avec une voix tendre.
Pour suivre et soutenir par des accords touchants
De quelques airs choisis les mélodieux chants,
Boisset, Gaultier, Hémon, Chambonnière, la Barre,
Tout cela seul déplaît, et n’a plus rien de rare ;
On laisse là du But, et Lambert, et Camus10 ;
On ne veut plus qu’Alceste, ou Thésée, ou Cadmus11.
Que l’on n’y trouve point de machines nouvelles,
Que les vers soient mauvais, que les voix soient cruelles
(De Baptiste épuisé les compositions
Ne sont, si vous voulez, que répétition) :
Le Français, pour lui seul contraignant sa nature,
N’a que pour l’opéra de passion qui dure.
Les jours de l’opéra, de l’un à l’autre bout,
Saint-Honoré12, rempli de carrosses partout,
Voit, malgré la misère à tous états commune,
Que l’opéra tout seul fait leur bonne fortune.
Il a l’or de l’abbé, du brave13, du commis ;
La coquette s’y fait mener par ses amis ;
L’officier, le marchand, tout son rôti retranche
Pour y pouvoir porter tout son gain le dimanche ;
On ne va plus au bal, on ne va plus au Cours14 :
Hiver, été, printemps, bref, opéra toujours ;
Et quiconque n’en chante, ou bien plutôt n’en gronde
Quelque récitatif, n’a pas l’air du beau monde.
Mais que l’heureux Lulli ne s’imagine pas
Que son mérite seul fasse tout ce fracas :
Si Louis l’abandonne à ce rare mérite,
Il verra si la ville et la cour ne le quitte.
Ce grand prince a voulu tout écouter, tout voir ;
Mais il sait de nos sens jusqu’où va le pouvoir,
Et que, si notre esprit a trop peu de portée,
Leur puissance est encor beaucoup plus limitée ;
Que lorsqu’à quelque objet l’un d’eux est attaché,
Aucun autre de rien ne peut être touché :
Si les yeux sont charmés, l’oreille n’entend guères ;
Et tel, quoiqu’en effet il ouvre les paupières,
Suit attentivement un discours sérieux,
Qui ne discerne pas ce qui frappe ses yeux.
Mais ne vaut-il pas mieux, dis-moi ce qu’il t’en semble,
Qu’on ne puisse sentir tous les plaisirs ensemble,
Et que, pour en goûter les douceurs purement,
Il faille les avoir chacun séparément ?
La musique en sera d’autant mieux concertée ;
La grave tragédie, à son point remontée,
Aura les beaux sujets, les nobles sentiments,
Les vers majestueux, les heureux dénoûments ;
Les ballets reprendront leurs pas et leurs machines,
Et le bal éclatant de cent nymphes divines,
Qui de tout temps des cours a fait la majesté,
Reprendra de nos jours sa première beauté.
Ne crois donc pas que j’aie une douleur extrême
De ne pas voir Isis15 pendant tout ce carême.
Si nous ne pouvons pas de l’auguste Louis
Savoir encor sitôt les projets inouïs,
Le jour de son départ, sa marche, et quelles places
Foudroyent ses canons, embrasent ses carcasses,
Avec mille autres biens le jubilé fera
Que nous serons un temps sans parler d’opéra ;
Mais aussi, de retour de mainte et mainte église,
Nous irons, pour causer de tout avec franchise,
Et donner du relâche à la dévotion,
Chez l’illustre Certain16 faire une station :
Certain, par mille endroits également charmante,
Et dans mille beaux arts également savante,
Dont le rare génie et les brillantes mains
Surpassent Chambonnière, Hardel, les Couperains.
De cette aimable enfant le clavecin unique
Me touche plus qu’Isis et toute sa musique.
Je ne veux rien de plus, je ne veux rien de mieux
Pour contenter l’esprit, et l’oreille, et les yeux ;
Et si je puis la voir une fois la semaine,
À voir jamais Isis je renonce sans peine.
Mlle de Champmeslé (1642-1698), qui était l’interprète préférée de Racine (et devint sa maîtresse en 1670), traînait bien des cœurs après elle. La Fontaine était lui aussi sensible à ses charmes. Au moment où il lui adresse cette lettre, elle triomphe dans Iphigénie.
Je suis à Chaûry1, Mademoiselle ; jugez si je dois penser à vous, moi qui ne vous oublierais point au milieu de la plus brillante cour. M. Racine avait promis de m’écrire ; pourquoi ne l’a-t-il pas fait ? Il aurait sans doute parlé de vous, n’aimant rien tant que votre charmante personne : ç’aurait été le plus grand soulagement à la peine que j’éprouve à ne plus vous voir. S’il savait que j’ai suivi en partie les conseils qu’il m’a donnés, sans cesser pourtant d’être fidèle à la paresse et au sommeil, il aurait peut-être par reconnaissance mandé de vos nouvelles et des siennes ; mais véritablement je l’excuse, aussi bien les agréments de votre société remplissent tellement les cœurs que toutes les autres impressions s’affaiblissent.
Que vous aviez raison, Mademoiselle, de dire qu’ennui galoperait avec moi devant que j’aie perdu de vue les clochers du grand village ! C’est chose si vraie que je suis présentement d’une mélancolie qui ne pourra, je le sens, se dissiper qu’à mon retour à Paris.
À guérir un atrabilaire,
Oui, Champmeslé saura mieux faire
Que de Fagon2 tout le talent ;
Pour moi, j’ose affirmer d’avance
Qu’un seul instant de sa présence
Peut me guérir incontinent.
Bois, champs, ruisseaux, et Nymphes des prés, me touchent plus guère, depuis qu’avez enchaîné le bonheur près de vous ; aussi compté-je partir bientôt. Toutefois je m’occupe si peu de mes affaires que je ne sais quand elles finiront. C’est chose de dégoût que compte, vente, arrérages ; parler votre langage est mieux mon fait ; mais n’allez pas imaginer que je prétende parler si bien que vous : c’est chose impossible, et que ne tenterai de ma vie.
Voudrez-vous engager M. Racine à m’écrire ; vous ferez œuvre pie, j’en réponds. J’espère qu’il me parlera de vos triomphes ; en quoi je suis d’autant persuadé que la matière ne lui manquera pas. Je me flatte qu’il m’écrira aussi que vous pensez à moi, assurant que ce me sera la nouvelle la plus agréable à apprendre, et que jamais ne trouverez de serviteur plus fidèle ni plus dévoué que
DE LA FONTAINE.