Les Fables ne sont pas ce qu’elles semblent être.
Le plus simple Animal nous y tient lieu de Maître.
Une Morale nue apporte de l’ennui :
Le Conte fait passer le précepte avec lui.
5En ces sortes de Feinte[s] il faut instruire et plaire,
Et conter pour conter me semble peu d’affaire1.
C’est par cette raison qu’égayant leur esprit
Nombre de Gens fameux en ce genre ont écrit.
Tous ont fui l’ornement et le trop d’étendue.
10On ne voit point chez eux de parole perdue.
Phèdre était si succinct qu’aucuns l’en ont blâmé.
Ésope en moins de mots s’est encore exprimé.
Mais sur tous certain Grec1 renchérit et se pique
D’une élégance laconique.
15Il renferme toujours son conte en quatre Vers2 ;
Bien ou mal, je le laisse à juger aux experts.
Voyons-le avec Ésope en un sujet semblable.
L’un amène un Chasseur, l’autre un Pâtre en sa Fable.
J’ai suivi leur projet quant à l’événement,
20Y cousant en chemin quelque trait seulement.
Voici comme à peu près Ésope le raconte.
Un Pâtre à ses brebis trouvant quelque mécompte3,
Voulut à toute force attraper le Larron.
Il s’en va près d’un antre, et tend à l’environ
25Des lacs à prendre Loups, soupçonnant cette engeance.
Avant que partir de ces lieux :
« Si tu fais, disait-il, ô Monarque des Dieux,
Que le drôle à ces lacs se prenne en ma présence,
Et que je goûte ce plaisir,
30Parmi vingt Veaux je veux choisir
Le plus gras, et t’en faire offrande. »
À ces mots sort de l’antre un Lion grand et fort.
Le Pâtre se tapit, et dit à demi mort :
« Que l’homme ne sait guère, hélas, ce qu’il demande !
35Pour trouver le Larron qui détruit mon troupeau,
Et le voir en ces lacs pris avant que je parte,
Ô Monarque des Dieux, je t’ai promis un Veau ;
Je te promets un Bœuf si tu fais qu’il s’écarte. »
C’est ainsi que l’a dit le principal Auteur :
40Passons à son imitateur4.
Un Fanfaron amateur de la Chasse,
Venant de perdre un Chien de bonne race,
Qu’il soupçonnait dans le corps d’un Lion,
Vit un Berger : « Enseigne-moi de grâce,
45De mon Voleur, lui dit-il, la maison,
Que de ce pas je me fasse raison5. »
Le Berger dit : « C’est vers cette montagne.
En lui payant de tribut un Mouton
Par chaque mois, j’erre dans la Campagne
50Comme il me plaît, et je suis en repos. »
Dans le moment qu’ils tenaient ces propos,
Le Lion sort et vient d’un pas agile.
Le Fanfaron aussitôt d’esquiver.
« Ô Jupiter, montre-moi quelque Asile,
55S’écria-t-il, qui me puisse sauver. »
La vraie épreuve du courage
N’est que dans le danger que l’on touche du doigt.
Tel le cherchait, dit-il, qui changeant de langage
S’enfuit aussitôt qu’il le voit.
Un bouvier, qui paissait un troupeau de bœufs, perdit un veau. Il fit le tour du voisinage, sans le retrouver. Alors il promit à Zeus, s’il découvrait le voleur, de lui sacrifier un chevreau. Or, étant entré dans un bois, il vit un lion qui dévorait le veau ; épouvanté, il leva les mains au ciel en s’écriant : « Ô souverain Zeus, naguère j’ai fait vœu de t’immoler un chevreau, si je trouvais le voleur ; à présent je t’immolerai un taureau, si j’échappe aux griffes du voleur. »
On pourrait appliquer cette fable à ceux qui sont en butte à quelque disgrâce : dans leur embarras, ils souhaitent d’en trouver le remède, et, quand ils l’ont trouvé, ils cherchent à s’y soustraire.
Un chasseur cherchait la piste d’un lion. Il demanda à un bûcheron s’il avait vu des pas de lion et où gîtait la bête. « Je vais, répondit le bûcheron, te montrer le lion lui-même. » Le chasseur devint blême de peur, et, claquant des dents, il dit : « C’est la piste seulement que je cherche, et non le lion lui-même. »
Cette fable apprend à reconnaître les gens hardis et lâches, j’entends hardis en paroles et lâches en actions.
Un Bouvier menant son troupeau
Au travers d’une forêt sombre,
Et de ses animaux voulant savoir le nombre,
Trouva qu’il y manquait un Veau.
Ô Jupiter, dit-il, prends pitié de ma peine !
Si tu me fais trouver le voleur qui l’emmène,
Je te consacre un Chevreau.
Dans le plus creux de la vallée
Il n’eut pas fait cinquante pas,
Qu’il vit un grand Lion sous la sombre feuillée,
Qui du Veau faisait son repas.
Le Bouvier crut alors aller cesser de vivre,
Et s’écria : Roi des Dieux immortels,
J’offre un Bœuf tout entier à tes sacrés Autels,
Si d’un si grand péril ta bonté me délivre !
Souvent on cherche avec chaleur
Ce qu’on ne peut trouver que par un grand malheur.
Borée et le Soleil virent un Voyageur
Qui s’était muni par bonheur
Contre le mauvais temps. (On entrait dans l’Automne,
Quand la précaution aux voyageurs est bonne :
5Il pleut ; le Soleil luit ; et l’écharpe d’Iris2
Rend ceux qui sortent avertis
Qu’en ces mois le Manteau leur est fort nécessaire.
Les Latins les nommaient douteux pour cette affaire3).
Notre homme s’était donc à la pluie attendu.
10Bon manteau bien doublé ; bonne étoffe bien forte.
« Celui-ci, dit le Vent, prétend avoir pourvu
À tous les accidents ; mais il n’a pas prévu
Que je saurai souffler de sorte
Qu’il n’est bouton qui tienne : il faudra, si je veux,
15Que le Manteau s’en aille au diable.
L’ébattement4 pourrait nous en être agréable :
Vous plaît-il de l’avoir ? – Eh bien gageons nous deux,
(Dit Phébus) sans tant de paroles,
À qui plus tôt aura dégarni les épaules
20Du Cavalier que nous voyons.
Commencez : je vous laisse obscurcir mes rayons. »
Il n’en fallut pas plus. Notre Souffleur à gage5
Se gorge de vapeurs, s’enfle comme un ballon ;
Fait un vacarme de Démon ;
25Siffle, souffle, tempête, et brise en son passage
Maint toit qui n’en peut mais, fait périr maint bateau ;
Le tout au sujet d’un Manteau.
Le Cavalier eut soin d’empêcher que l’orage
Ne se pût engouffrer dedans.
30Cela le préserva ; le Vent perdit son temps ;
Plus il se tourmentait, plus l’autre tenait ferme ;
Il eut beau faire agir le collet et les plis.
Sitôt qu’il fut au bout du terme
Qu’à la gageure on avait mis,
35Le Soleil dissipe la nue,
Recrée, et puis pénètre enfin le Cavalier ;
Sous son balandras fait qu’il sue,
Le contraint de s’en dépouiller.
Encor n’usa-t-il pas de toute sa puissance.
40Plus fait Douceur que Violence.
Borée et le Soleil contestaient de leur force. Ils décidèrent d’attribuer la palme à celui d’entre eux qui dépouillerait un voyageur de ses vêtements. Borée commença ; il souffla avec violence. Comme l’homme serrait sur lui son vêtement, il l’assaillit avec plus de force. Mais l’homme incommodé encore davantage par le froid, prit un vêtement de plus, si bien que, rebuté, Borée le livra au Soleil. Celui-ci tout d’abord luisit modérément ; puis, l’homme ayant ôté son vêtement supplémentaire, le Soleil darda des rayons plus ardents, jusqu’à ce que l’homme, ne pouvant plus résister à la chaleur, ôta ses habits et s’en alla prendre un bain dans la rivière voisine.
Cette fable montre que souvent la persuasion est plus efficace que la violence.
Jupiter eut jadis une Ferme à donner1.
Mercure2 en fit l’annonce ; et Gens se présentèrent,
Firent des offres, écoutèrent :
Ce ne fut pas sans bien tourner3.
5L’un alléguait que l’Héritage
Était frayant4 et rude, et l’autre un autre si5.
Pendant qu’ils marchandaient ainsi,
Un d’eux le plus hardi, mais non pas le plus sage,
Promit d’en rendre tant, pourvu que Jupiter
10Le laissât disposer de l’air,
Lui donnât saison à sa guise,
Qu’il eût du chaud, du froid, du beau temps, de la bise,
Enfin du sec et du mouillé,
Aussitôt qu’il aurait bâillé6.
15Jupiter y consent. Contrat passé ; notre homme
Tranche du Roi des airs7, pleut, vente et fait en somme
Un climat pour lui seul : ses plus proches voisins
Ne s’en sentaient non plus que des Américains.
Ce fut leur avantage ; ils eurent bonne année,
20Pleine moisson, pleine vinée8.
Monsieur le Receveur9 fut très mal partagé.
L’an suivant voilà tout changé.
Il ajuste d’une autre sorte
La température des Cieux.
25Son champ ne s’en trouve pas mieux ;
Celui de ses voisins fructifie et rapporte.
Que fait-il ? Il recourt au Monarque des Dieux :
Il confesse son imprudence.
Jupiter en usa comme un Maître fort doux.
30Concluons que la Providence
Sait ce qu’il nous faut, mieux que nous.
Entre les mains d’un Paysan
Jupiter autrefois remit un héritage,
Et lui dit que des fruits ils feraient le partage
Entre eux deux à la fin de l’an,
Avec ce pacte encore que le Maître du monde
Ferait neiger, pleuvoir, venter, geler, tonner,
Et luire du Soleil la lumière féconde,
Ainsi qu’au Paysan il plairait d’ordonner.
Il se mit donc à remuer la terre,
À la herser, à la semer.
Et sur tout à la bien fumer.
Tout crut, tout profita, car le Dieu du Tonnerre
Donnait le temps que l’homme demandait :
Mais quand la Moisson vint, cet homme malhabile,
Au lieu des grains qu’il attendait,
Ne recueillit qu’une paille stérile.
Jupiter en sourit, et ce triste malheur,
Affligea peu le Roi du monde,
Qui Maître souverain de la Terre et de l’Onde,
Et des biens et des maux juste dispensateur,
Voulut montrer combien sa Providence
L’emporte sur notre prudence.
Tu vois, dit-il au Laboureur,
Ce qu’il t’en prend d’avoir réglé l’année,
Et fait du temps la destinée ;
Laisse-moi donc en ordonner,
Et ne prends soin que de la Terre :
Contente-toi de la bien façonner,
Et de faire aux Mulots une cruelle guerre,
Et moi j’aurais le soin de neiger, de pleuvoir
Et de donner le temps tel qu’il le faut avoir.
La chose ainsi sagement digérée,
Du Paysan fut agréée
Si grande fut de l’an d’après
La fertilité des guérets,
Que les greniers qui de grains se remplirent,
Pour les contenir tous à grand-peine suffirent.
Depuis l’homme ignorant et superficiel
N’a plus voulu régler le Ciel.
Un Souriceau tout jeune, et qui n’avait rien vu,
Fut presque pris au dépourvu.
Voici comme il conta l’aventure à sa Mère.
« J’avais franchi les Monts qui bornent cet État,
5Et trottais comme un jeune Rat
Qui cherche à se donner carrière,
Lorsque deux animaux m’ont arrêté les yeux ;
L’un doux, bénin et gracieux ;
Et l’autre turbulent, et plein d’inquiétude.
10Il a la voix perçante et rude ;
Sur la tête un morceau de chair ;
Une sorte de bras dont il s’élève en l’air,
Comme pour prendre sa volée ;
La queue en panache étalée. »
15Or c’était un Cochet dont notre Souriceau
Fit à sa mère le tableau,
Comme d’un animal venu de l’Amérique.
« Il se battait, dit-il, les flancs avec ses bras,
Faisant tel bruit et tel fracas,
20Que moi, qui grâce aux Dieux de courage me pique,
En ai pris la fuite de peur,
Le maudissant de très bon cœur.
Sans lui j’aurais fait connaissance
Avec cet Animal qui m’a semblé si doux.
25Il est velouté comme nous,
Marqueté, longue queue, une humble contenance ;
Un modeste regard, et pourtant l’œil luisant :
Je le crois fort sympathisant
Avec Messieurs les Rats ; car il a des oreilles
30En figure aux nôtres pareilles.
Je l’allais aborder ; quand d’un son plein d’éclat
L’autre m’a fait prendre la fuite.
— Mon fils, dit la Souris, ce doucet est un Chat,
Qui sous son minois hypocrite
35Contre toute ta parenté
D’un malin vouloir2 est porté.
L’autre animal tout au contraire
Bien éloigné de nous mal faire,
Servira quelque jour peut-être à nos repas.
40Quant au Chat, c’est sur nous qu’il fonde sa cuisine.
Garde-toi, tant que tu vivras,
De juger des gens sur la mine. »
Un souriceau sortit de son trou où sa mère l’avait laissé depuis sa naissance ; par hasard il rencontra un cocher et un chat. Celui-ci, aussitôt qu’il vit le souriceau s’aplatit, calme, au milieu du sentier. Il guetta, pour l’enlever et s’en amuser, la petite bête qui tout doucement, par jeu, s’approchait. Mais le cocher qui l’avait également vu, courut vers lui en battant des ailes pour jouer. Le souriceau effrayé par les mouvements inattendus du cocher s’enfuit et retourna aussitôt auprès de sa mère qui pleine d’appréhension lui demanda la raison de sa fuite. Il lui répondit en tremblant : « J’ai vu, mère, pendant que j’allais me promener, deux animaux. L’un, dont le poil est pareil au tien, mais avec des taches différentes, de couleurs plus foncées ; ses beaux yeux semblaient d’or luisant et pleins de bienveillance. Il a quatre pattes et une longue queue de teintes variées. Ce qui me plaît le plus en lui, c’est qu’il paraît si paisible, si aimable et qu’il ne bougea pas à ma vue. Au contraire, lorsqu’il me vit, il s’arrêta en un geste humble et bienveillant. La hardiesse me vint d’aller auprès de lui car j’avais grand désir d’aller admirer de plus près son bel aspect. Quant à l’autre, plus petit, son dos est vêtu de plumes noires, il n’a que deux pieds, une crête rouge comme le sang sur la tête et de farouches yeux de feu. Il me parut si menaçant et si hautain que, aussitôt qu’il m’aperçut de loin, avec une arrogance que je ne puis t’exprimer, ouvrant ses deux ailes, et poussant un cri aigu, il vint à ma rencontre. Il semblait si cruel et orgueilleux que tout mon être fut saisi de frayeur. Je pris la fuite de crainte qu’il ne me dévorât. Il continua à me poursuivre avec des cris de rage, mais finalement, je pus revenir à toi sain et sauf. Voilà la raison de ma terreur, de ma fuite et de mon effroi. »
Alors la mère, qui avait très bien compris qui étaient ces animaux qu’il décrivait, lui répondit : « Ah ! mon fils, comme ta naïveté te trompe ; tu ne reconnais pas encore le bien du mal, car tu sors à peine de mon ventre et que tu es dénué de toute expérience. Sache que l’animal qui te parut si humble et plein de bonté, est le plus méchant de la terre : perfide, inique, hautain, redoutable, il est le pire ennemi de ton espèce. Il ne se montrait humain à tes yeux que pour s’assurer que tu t’approcherais innocemment de lui et qu’il pourrait assouvir sa faim gourmande. Crains-le toujours, ne mets pas ta confiance dans sa fausse apparence doucereuse, tiens-toi bien loin de ses griffes si tu ne veux pas risquer une mort cruelle. Quant à l’autre animal qui te parut hautain, désobligeant, et menaçant, il est simple comme toi, indulgent, prêt à jouer. Jamais il ne se nourrit ni ne se repaît du sang d’autrui ; il ne courait à ta rencontre que par jeu, en criant pour plaisanter avec toi, et puis il t’aurait laissé t’en aller en paix sans te faire de mal. Ne crains donc pas sa vaine impétuosité qui t’a semblé redoutable. Mais crains plutôt celui qui de loin apparut si gentil à ton être ingénu. »
Ainsi doit-on redouter l’homme sans scrupules et faux qui prend une apparence de sainteté mais dont le cœur est celui d’un loup rapace. Il a l’habitude de se taire ou bien il cache, sous de pieux discours, ce que convoite son esprit perfide. On ne doit pas avoir peur de celui qui dans ses discours se montre parfois hautain, ou qui, à tort, paraît orgueilleux dans ses paroles, mais que tu trouveras indulgent et pieux dans ses actions.
Ainsi, parfois un homme peut présenter, un visage de saint, mais si tu le regardes à l’œuvre c’est un diable. Maintes fois un homme qui paraît méchant cache la bonté de son cœur sous des apparences trompeuses.
Ne juge pas sur la mine, le bon ou le méchant.
Les Animaux, au décès d’un Lion,
En son vivant Prince de la contrée,
Pour faire un Roi s’assemblèrent, dit-on.
De son étui la couronne est tirée.
5Dans une chartre1 un Dragon la gardait.
Il se trouva que sur tous essayée
À un pas d’eux elle ne convenait.
Plusieurs avaient la tête trop menue,
Aucuns trop grosse, aucuns même cornue.
10Le Singe aussi fit l’épreuve en riant,
Et par plaisir la Tiare essayant,
Il fit autour force grimaceries,
Tours de souplesse, et mille singeries,
Passa dedans ainsi qu’en un cerceau.
15Aux Animaux cela sembla si beau
Qu’il fut élu : chacun lui fit hommage ;
Le Renard seul regretta son suffrage,
Sans toutefois montrer son sentiment.
Quand il eut fait son petit compliment,
20Il dit au Roi : « Je sais, Sire, une cache,
Et ne crois pas qu’autre que moi la sache.
Or tout trésor par droit de Royauté
Appartient, Sire, à votre Majesté. »
Le nouveau Roi bâille2 après la Finance :
25Lui-même y court pour n’être pas trompé.
C’était un piège : il y fut attrapé.
Le Renard dit au nom de l’Assistance :
« Prétendrais-tu nous gouverner encor,
Ne sachant pas te conduire toi-même ? »
30Il fut démis : et l’on tomba d’accord
Qu’à peu de gens convient le Diadème.
Le singe, ayant dansé dans une assemblée des bêtes et gagné leur faveur, fut élu roi par elles. Le renard en fut jaloux et, ayant vu un morceau de viande dans un lacs, il y mena le singe en lui disant qu’il avait trouvé un trésor, mais qu’au lieu d’en user lui-même, il le lui avait gardé, comme étant un apanage de la royauté, et il l’engagea à le prendre. Le singe s’en approcha étourdiment et fut pris au lacs. Comme il accusait le renard de lui avoir tendu un piège, celui-ci répliqua : « Ô singe, sot comme tu es, tu veux régner sur les bêtes ! »
C’est ainsi que ceux qui se lancent inconsidérément dans une entreprise, non seulement échouent, mais encore prêtent à rire.
Le Mulet d’un Prélat se piquait de noblesse,
Et ne parlait incessamment
Que de sa Mère la Jument,
Dont il contait mainte prouesse.
5Elle avait fait ceci, puis avait été là.
Son Fils prétendait pour cela
Qu’on le dût mettre dans l’Histoire.
Il eût cru s’abaisser servant un Médecin.
Étant devenu vieux on le mit au moulin.
10Son père l’Âne alors lui revint en mémoire.
Quand le Malheur ne serait bon
Qu’à mettre un Sot à la raison,
Toujours serait-ce à juste cause
Qu’on le dit bon à quelque chose.
Une mule engraissée d’orge se mit à gambader, se disant à elle-même : « J’ai pour père un cheval rapide à la course, et moi je lui ressemble de tout point. » Mais un jour l’occasion vint où la mule se vit forcée de courir. La course terminée, elle se renfrogna et se souvint soudain de son père l’âne.
Cette fable montre que, même si les circonstances mettent un homme en vue, il ne doit pas oublier son origine ; car cette vie n’est qu’incertitude.
Un Mulet trop nourri de foin, d’orge et d’avoine,
Oublia qu’il était Mulet,
Et plein d’une arrogance vaine,
Se vantait qu’aux Chevaux de la plus longue haleine,
Il pourrait prêter le collet.
Ma mère, disait-il, généreuse Cavalle,
D’un Prince, d’un Héros vit son dos honoré
Et blanchissant d’écume un riche frein doré,
En vitesse, en vigueur n’eut jamais son égale.
Ainsi parlait ce fat, lorsqu’inopinément
Le cas vint où de courre il était nécessaire ;
Il galopa si lourdement,
Qu’indigne fils d’une Jument,
Il reconnut enfin qu’un Âne était son père.
Le bonheur continu nous rend audacieux ;
Le malheur nous ouvre les yeux.
Un Vieillard sur son Âne aperçut en passant
Un pré plein d’herbe et fleurissant.
Il y lâche sa Bête, et le Grison se rue
Au travers de l’herbe menue,
5Se vautrant, grattant, et frottant,
Gambadant, chantant, et broutant,
Et faisant mainte place nette.
L’ennemi vient sur l’entrefaite.
« Fuyons, dit alors le Vieillard.
10— Pourquoi ? répondit le Paillard1.
Me fera-t-on porter double bât, double charge ?
— Non pas, dit le Vieillard, qui prit d’abord le large.
— Et que m’importe donc, dit l’Âne, à qui je sois ?
Sauvez-vous, et me laissez paître :
15Notre Ennemi c’est notre Maître :
Je vous le dis en bon françois. »
Dans un changement de gouvernement, il n’y a souvent que le maître qui change pour les citoyens pauvres. C’est une vérité que prouve la petite fable suivante.
Un vieillard craintif faisait paître son âne dans une prairie ; épouvanté par les cris soudains des ennemis, il engageait l’âne à fuir pour empêcher qu’on ne les prît. Mais l’âne, sans s’émouvoir : « Crois-tu, je te prie, que le vainqueur me fasse porter double bât ? — Non, répondit le vieillard. — Eh bien alors, que m’importe qui je servirai, du moment que je continuerai à porter un bât unique ? »
Dans le cristal d’une Fontaine
Un Cerf se mirant autrefois,
Louait la beauté de son bois,
Et ne pouvait qu’avecque peine
5Souffrir ses jambes de fuseaux,
Dont il voyait l’objet se perdre dans les eaux.
« Quelle proportion de mes pieds à ma tête !
Disait-il en voyant leur ombre avec douleur :
Des taillis les plus hauts mon front atteint le faîte ;
10Mes pieds ne me font point d’honneur. »
Tout en parlant de la sorte,
Un Limier le fait partir ;
Il tâche à se garantir ;
Dans les Forêts il s’emporte.
15Son bois, dommageable ornement,
L’arrêtant à chaque moment,
Nuit à l’office1 que lui rendent
Ses pieds, de qui ses jours dépendent.
Il se dédit alors, et maudit les présents
20Que le Ciel lui fait tous les ans.
Nous faisons cas du Beau, nous méprisons l’Utile ;
Et le Beau souvent nous détruit.
Ce Cerf blâme ses pieds qui le rendent agile :
Il estime un bois qui lui nuit.
On trouve souvent ce qu’on a vanté moins utile que ce qu’on a méprisé, témoin cette histoire.
Le cerf, après avoir bu à la source, s’y arrêta, et dans la surface liquide vit son image ; là, tandis qu’en admiration il vante la ramure de son bois et critique la trop grande finesse de ses jambes, effrayé soudain par les cris des chasseurs, il se met à fuir à travers champs, et sa course légère met les chiens en défaut. Le fourré le reçoit ensuite au sortir de la plaine ; mais, là, arrêté par son bois qui s’embarrasse dans les branches, il est déchiré par la morsure cruelle des chiens. On dit qu’en expirant il prononça cette parole : « Malheureux que je suis ! maintenant seulement je comprends toute l’utilité du bien que j’avais méprisé, comme pour les avantages dont j’étais fier, tout ce qu’ils avaient de funeste. »
N. B. : Ésope avait déjà traité ce thème dans sa fable, Le Cerf à la source et le Lion, mais c’est la version de Phèdre qui inspira La Fontaine.
Rien ne sert de courir ; il faut partir à point.
Le Lièvre et la Tortue en sont un témoignage.
« Gageons, dit celle-ci, que vous n’atteindrez point
Si tôt que moi ce but. — Si tôt ? êtes-vous sage1 ?
5Repartit l’Animal léger.
Ma Commère, il vous faut purger
Avec quatre gains d’ellébore2.
— Sage ou non, je parie encore. »
Ainsi fut fait : et de tous deux
10On mit près du but les enjeux.
Savoir quoi, ce n’est pas l’affaire ;
Ni de quel juge l’on convint.
Notre Lièvre n’avait que quatre pas à faire ;
J’entends de ceux qu’il fait lorsque prêt d’être atteint
15Il s’éloigne des Chiens, les renvoie aux Calendes,
Et leur fait arpenter les landes.
Ayant, dis-je, du temps de reste pour brouter,
Pour dormir, et pour écouter
D’où vient le vent, il laisse la Tortue
20Aller son train de Sénateur.
Elle part, elle s’évertue ;
Elle se hâte avec lenteur.
Lui cependant méprise une telle victoire ;
Tient la gageure à peu de gloire ;
25Croit qu’il y va de son honneur
De partir tard. Il broute, il se repose,
Il s’amuse à toute autre chose
Qu’à la gageure. À la fin quand il vit
Que l’autre touchait presque au bout de la carrière,
30Il partit comme un trait ; mais les élans qu’il fit
Furent vains ; la Tortue arriva la première.
« Hé bien, lui cria-t-elle, avais-je pas raison ?
De quoi vous sert votre vitesse ?
Moi l’emporter ! et que serait-ce
35Si vous portiez une maison ? »
La tortue et le lièvre disputaient qui était le plus vite. En conséquence ils fixèrent un jour et un endroit et se séparèrent. Or le lièvre, confiant dans sa vitesse naturelle, ne se pressa pas de partir ; il se coucha au bord de la route et s’endormit ; mais la tortue, qui avait conscience de sa lenteur, ne cessa de courir, et, prenant ainsi l’avance sur le lièvre endormi, elle arriva au but et gagna le prix.
L’Âne d’un Jardinier se plaignait au Destin
De ce qu’on le faisait lever devant l’Aurore.
« Les Coqs, lui disait-il, ont beau chanter matin ;
Je suis plus matineux encore.
5Et pourquoi ? Pour porter des herbes au Marché.
Belle nécessité d’interrompre mon somme ! »
Le Sort de sa plainte touché
Lui donne un autre Maître ; et l’Animal de somme
Passe du Jardinier aux mains d’un Corroyeur.
10La pesanteur des peaux, et leur mauvaise odeur
Eurent bientôt choqué l’impertinente Bête.
« J’ai regret, disait-il, à son premier Seigneur.
Encor quand il tournait la tête,
J’attrapais, s’il m’en souvient bien,
15Quelque morceau de chou qui ne me coûtait rien.
Mais ici, point d’aubaine1 ; ou si j’en ai quelqu’une,
C’est de coups. » Il obtint changement de fortune,
Et sur l’état d’un Charbonnier
Il fut couché tout le dernier.
20Autre plainte. « Quoi donc, dit le Sort en colère,
Ce Baudet-ci m’occupe autant
Que cent Monarques pourraient faire.
Croit-il être le seul qui ne soit pas content ?
N’ai-je en l’esprit que son affaire ? »
25Le Sort avait raison ; tous gens sont ainsi faits :
Notre condition jamais ne nous contente :
La pire est toujours la présente.
Nous fatiguons le Ciel à force de placets2.
Qu’à chacun Jupiter accorde sa requête,
30Nous lui romprons encor la tête.
Un âne était au service d’un jardinier. Comme il mangeait peu, tout en travaillant beaucoup, il pria Jupiter de le délivrer du jardinier et de le faire vendre à un autre maître. Zeus l’exauça et le fit vendre à un potier. Mais il fut de nouveau mécontent, parce qu’on le chargeait davantage et qu’on lui faisait porter l’argile et la poterie. Aussi demanda-t-il encore une fois à changer de maître, et il fut vendu à un corroyeur. Il tomba ainsi sur un maître pire que les autres. En voyant quel métier faisait ce maître, il dit en soupirant : « Hélas ! malheureux que je suis ! j’aurais mieux fait de rester chez mes premiers maîtres ; car celui-ci, à ce que je vois, tannera aussi ma peau. »
Cette fable montre que les serviteurs ne regrettent jamais tant leurs premiers maîtres que quand ils ont fait l’épreuve des suivants.
L’Âne d’un Jardinier se plaignant chaque jour
D’avoir trop de fatigue et trop peu de quoi paître,
Pria le Souverain de la céleste Cour,
De lui donner un autre Maître.
Jupiter consentit qu’il servit un Potier.
Il n’en eut pas plus de quartier ;
Car sans cesse il portait argile, tuile et brique.
Il fit à Jupiter encore une supplique
Pour avoir un autre Seigneur.
Jupiter ordonna qu’il eût un Corroyeur.
Ce fut bien pis. Chargé de peaux pesantes,
Sales, vilaines et puantes,
De ses frères, de ses parents,
Il crevait sous le faix. Ah ! se mit-il à braire,
Que le sort m’est dur et contraire ;
Mes Maîtres d’autrefois n’étaient pas si tyrans.
Ce maudit Corroyeur, que Jupiter confonde,
Et qui me va mettre au tombeau,
Quand je ne serai plus au monde,
Ira se mettre encore à tourmenter ma peau.
À faire son profit ce n’est pas se connaître,
Que de changer souvent de Maître.
Aux noces d’un Tyran tout le Peuple en liesse
Noyait son souci dans les pots1.
Ésope seul trouvait que les gens étaient sots
De témoigner tant d’allégresse.
5« Le Soleil, disait-il, eut dessein autrefois
De songer à l’Hyménée.
Aussitôt on ouït d’une commune voix
Se plaindre de leur Destinée
Les Citoyennes des Étangs.
10Que ferons-nous, s’il lui vient des enfants ?
Dirent-elles au Sort, un seul Soleil à peine
Se peut souffrir : une demi-douzaine
Mettra la Mer à sec, et tous ses habitants.
Adieu joncs et marais ; notre race est détruite.
15Bientôt on la verra réduite
À l’eau du Styx. Pour un pauvre Animal,
Grenouilles à mon sens ne raisonnaient pas mal. »
C’était l’été, et l’on célébrait les noces du Soleil. Tous les animaux se réjouissaient de l’événement, et il n’était pas jusqu’aux grenouilles qui ne fussent en liesse. Mais l’une d’elles, s’écria : « Insensées, à quel propos vous réjouissez-vous ? À lui seul, le Soleil dessèche tous les marécages ; s’il prend femme et fait un enfant semblable à lui, que n’aurons-nous pas à souffrir ? »
Beaucoup de gens à tête légère se réjouissent de choses qui n’ont rien de réjouissant.
Ésope, voyant les noces d’un voleur attirer le concours du voisinage, se mit aussitôt à dire ce conte :
Un jour que le soleil voulait prendre femme, les grenouilles poussèrent des cris jusqu’aux astres. Tout ému de ce vacarme, Jupiter demande la cause de leurs plaintes. Alors une habitante des étangs lui répond : « Présentement, un seul soleil brûle, tarit tous les bassins et nous fait misérablement périr dans nos demeures desséchées ; que sera-ce donc, s’il a des enfants ? »
Ésope conte qu’un Manant
Charitable autant que peu sage
Un jour d’Hiver se promenant
À l’entour de son héritage1,
5Aperçut un Serpent sur la neige étendu,
Transi, gelé, perclus, immobile rendu,
N’ayant pas à vivre un quart d’heure.
Le Villageois le prend, l’emporte en sa demeure ;
Et sans considérer quel sera le loyer2
10D’une action de ce mérite,
Il l’étend le long du foyer,
Le réchauffe, le ressuscite.
L’Animal engourdi sent à peine le chaud,
Que l’âme lui revient avecque la colère.
15Il lève un peu la tête, et puis siffle aussitôt,
Puis fait un long repli, puis tâche à faire un saut
Contre son Bienfaiteur, son Sauveur et son Père.
« Ingrat, dit le Manant, voilà donc mon salaire !
Tu mourras. » À ces mots, plein d’un juste courroux
20Il vous prend sa cognée, il vous tranche la Bête,
Il fait trois Serpents de deux coups,
Un tronçon, la queue, et la tête.
L’Insecte sautillant cherche à se réunir,
Mais il ne put y parvenir.
25Il est bon d’être charitable :
Mais envers qui, c’est là le point.
Quant aux ingrats, il n’en est point
Qui ne meure enfin misérable.
Un laboureur trouva dans la saison d’hiver un serpent raidi par le froid. Il en eut pitié, le ramassa et le mit dans son sein. Réchauffé, le serpent reprit son naturel, frappa et tua son bienfaiteur, qui, se sentant mourir, s’écria : « Je l’ai bien mérité, ayant eu pitié d’un méchant. »
Cette fable montre que la perversité ne change pas, quelque bonté qu’on lui témoigne.
Celui qui porte secours aux méchants le regrette quand il est trop tard.
Comme un serpent était raide de froid, un homme le ramassa et le réchauffa dans son sein ; c’était une compassion contraire à son propre intérêt, car une fois ranimé, l’animal tua l’homme à l’instant même. Un autre serpent lui demandant le motif de ce crime, il répondit : « C’est afin que l’on apprenne à ne pas rendre service aux méchants. »
De par le Roi des Animaux,
Qui dans son Antre était malade,
Fut fait savoir à ses Vassaux
Que chaque espèce en Ambassade
5Envoyât Gens le visiter :
Sous promesse de bien traiter
Les Députés, eux et leur suite ;
Foi de Lion très bien écrite
Bon passeport contre la dent ;
10Contre la griffe tout autant.
L’Édit du Prince s’exécute.
De chaque espèce on lui députe.
Les Renards gardant la maison,
Un d’eux en dit cette raison :
15« Les pas empreints sur la poussière
Par ceux qui s’en vont faire au Malade leur cour,
Tous, sans exception, regardent sa tanière ;
Pas un ne marque de retour.
Cela nous met en méfiance.
20Que Sa Majesté nous dispense.
Grand merci de son passeport.
Je le crois bon ; mais dans cet Antre
Je vois fort bien comme l’on entre,
Et ne vois pas comme on en sort. »
Un lion devenu vieux, et dès lors incapable de se procurer de la nourriture par la force, jugea qu’il fallait le faire par adresse. Il se rendit donc dans une caverne et s’y coucha, contrefaisant le malade ; et ainsi, quand les animaux vinrent le visiter, il les saisit et les dévora. Or beaucoup avaient déjà péri, quand le renard, ayant deviné son artifice, se présenta, et s’arrêtant à distance de la caverne, s’informa comment il allait. « Mal », dit le lion, qui lui demanda pourquoi il n’entrait pas. « Moi, dit le renard, je serais entré, si je ne voyais beaucoup de traces d’animaux qui entrent, mais d’animal qui sorte, aucune. »
Ainsi les hommes judicieux prévoient à certains indices les dangers, et les évitent.
Un Lion cassé de vieillesse,
Ne pouvant chasser désormais,
Ni par là se pourvoir de bons et friands mets,
Comme il faisait en sa verte jeunesse,
Crut que par ruse et par adresse
Il en aurait plus que jamais.
Il feint d’être malade, et couché dans son Antre,
Pousse un plaintif gémissement.
Les Bêtes le vont voir, et dès que chacune entre,
Il l’agrippe, il la croque et la met dans son ventre.
Nulle ne sort de son appartement.
Le Renard pour en être quitte,
Voulut aussi lui rendre une visite,
Et s’approcha tout doucement.
Le Lion l’entendit du fond de sa Tanière,
Et lui cria d’une douce manière :
Entrez, entrez, vous me ferez honneur.
Le Renard répondit : excusez-moi Seigneur,
Les pas des Animaux marqués sur la poussière,
Vont tous de concert en avant,
Et pas un seul ne retourne en arrière.
Salut, et je m’enfuis plus vite que le vent.
Sur un signe léger souvent un homme sage
Se tire d’un mauvais passage.
Les injustices des Pervers
Servent souvent d’excuse aux nôtres.
Telle est la loi de l’Univers ;
Si tu veux qu’on t’épargne, épargne aussi les autres.
5Un Manant au miroir prenait des Oisillons.
Le fantôme brillant attire une Alouette.
Aussitôt un Autour planant sur les sillons
Descend des airs, fond, et se jette
Sur celle qui chantait, quoique près du tombeau.
10Elle avait évité la perfide machine,
Lorsque se rencontrant sous la main de l’Oiseau
Elle sent son ongle maline1.
Pendant qu’à la plumer l’Autour est occupé,
Lui-même sous les rets demeure enveloppé.
15« Oiseleur, laisse-moi, dit-il en son langage ;
Je ne t’ai jamais fait de mal. »
L’Oiseleur repartit : « Ce petit Animal
T’en avait-il fait davantage ? »
Au moment où un autour dans un vol rapide poursuivait une colombe, il fut capturé par un paysan dans la propriété duquel il était entré. Aimablement, il demanda au paysan de le laisser partir. « Je ne t’ai jamais fait de mal », disait l’oiseau. « Elle non plus, elle ne t’avait jamais fait de mal », lui répondit le paysan.
Moralité de l’histoire : on a raison de punir ceux qui se disposent à faire du mal à des innocents.
En ce monde il se faut l’un l’autre secourir.
Si ton Voisin vient à mourir,
C’est sur toi que le fardeau tombe.
Un Âne accompagnait un Cheval peu courtois,
5Celui-ci ne portant que son simple harnois,
Et le pauvre Baudet si chargé qu’il succombe.
Il pria le Cheval de l’aider quelque peu :
Autrement il mourrait devant qu’être à la ville.
« La prière, dit-il, n’en est pas incivile :
10Moitié de ce fardeau ne vous sera que jeu. »
Le Cheval refusa, fit une pétarade1 ;
Tant qu’il vit sous le faix mourir son Camarade,
Et reconnut qu’il avait tort.
Du Baudet, en cette aventure,
15On lui fit porter la voiture2,
Et la peau par-dessus encor.
Un homme avait un cheval et un âne. Un jour qu’ils étaient en route, l’âne, pendant le trajet, dit au cheval : « Prends une partie de ma charge, si tu tiens à ma vie. » Le cheval fit la sourde oreille, et l’âne tomba, épuisé de fatigue, et mourut. Alors le maître chargea tout sur le cheval, même la peau de l’âne. Et le cheval dit en soupirant : « Ah ! je n’ai pas de chance ; que m’est-il arrivé là, hélas ! Pour n’avoir pas voulu me charger d’un léger fardeau, voilà que je porte tout, avec la peau en plus. »
Cette fable montre que, si les grands font cause commune avec les petits, les uns et les autres assureront ainsi leur vie.
D’un même Maître l’Âne et le Cheval,
Tous deux chargés faisaient voyage.
L’Âne accablé sous le faix du bagage,
Allait priant l’autre animal
D’en vouloir prendre une partie :
Le Cheval ne l’écouta pas,
Et l’Âne au bout de quatre pas,
Sous le fardeau laissa la vie.
Le fier Cheval se vit alors,
Malgré son arrogance extrême,
Contraint de porter sur son corps
Le faix de l’Âne et sa peau même.
Ciel ! cria-t-il, quel est mon sort ?
Pour avoir refusé, par une humeur trop fière,
D’aider mon compagnon qui vient de tomber mort,
Seul je porte aujourd’hui la charge toute entière.
Si l’homme accommodé n’aide le malheureux,
Ils s’en trouveront mal tous deux.
Chacun se trompe ici-bas.
On voit courir après l’ombre
Tant de Fous, qu’on n’en sait pas
La plupart du temps le nombre.
5Au Chien dont parle Ésope il faut les renvoyer.
Ce Chien, voyant sa proie en l’eau représentée,
La quitta pour l’image, et pensa se noyer ;
La Rivière devint tout d’un coup agitée.
À toute peine il regagna les bords,
10Et n’eut ni l’ombre ni le corps.
Un chien tenant un morceau de viande traversait une rivière. Ayant aperçu son ombre dans l’eau, il crut que c’était un autre chien qui tenait un morceau de viande plus gros. Aussi, lâchant le sien, il s’élança pour enlever celui de son compère. Mais le résultat fut qu’il n’eut ni l’un ni l’autre, l’un se trouvant hors de ses prises, puisqu’il n’existait même pas, et l’autre ayant été entraîné par le courant.
Cette fable s’applique aux convoiteux.
N. B. : Phèdre a repris ce thème dans sa fable : Le Chien qui lâche sa proie pour l’ombre (IV, IV).
Un Chien traversant un Ruisseau,
Dans sa gueule en nageant emportait de la viande.
Comme elle se mirait dans l’eau,
Il crut en voir un bien plus gros morceau,
Et d’une chair plus belle et plus friande :
Lâchant donc ce qu’il emportait,
Il lance sa mâchoire avide
Sur ce que l’eau représentait,
Et sa dent ne porta qu’à vide.
Juste Ciel, dit-il, à quel point
Manqué-je aujourd’hui de cervelle !
Pour une chose qui n’est point,
Je quitte une chose réelle.
Qui laisse l’assuré pour prendre l’Incertain,
N’a pas le jugement bien fin.
Le Phaéton1 d’une voiture à foin
Vit son char embourbé. Le pauvre homme était loin
De tout humain secours. C’était à la campagne,
Près d’un certain canton de la basse Bretagne
5Appelé Quimpercorentin.
On sait assez que le Destin
Adresse là les gens quand il veut qu’on enrage2.
Dieu nous préserve du voyage !
Pour venir au Chartier embourbé en ces lieux,
10Le voilà qui déteste3 et jure de son mieux,
Pestant en sa fureur extrême
Tantôt contre les trous, puis contre ses chevaux,
Contre son char, contre lui-même.
Il invoque à la fin le Dieu dont les travaux
15Sont si célèbres dans le monde.
« Hercule, lui dit-il, aide-moi ; si ton dos
A porté la Machine ronde.
Ton bras peut me tirer d’ici. »
Sa prière étant faite, il entend dans la nue
20Une Voix qui lui parle ainsi :
« Hercule veut qu’on se remue,
Puis il aide les Gens. Regarde d’où provient
L’achoppement qui te retient.
Ôte d’autour de chaque roue
25Ce malheureux mortier, cette maudite boue,
Qui jusqu’à l’essieu les enduit.
Prends ton pic, et me romps ce caillou qui te nuit.
Comble-moi cette ornière. As-tu fait ? — Oui, dit l’homme.
— Or bien je vas t’aider, dit la Voix : prends ton fouet.
30— Je l’ai pris. Qu’est ceci ? mon char marche à souhait.
Hercule en soit loué. » Lors la voix : « Tu vois comme
Tes chevaux aisément se sont tirés de là.
Aide-toi, le Ciel t’aidera. »
Un bouvier menait un chariot vers un village. Le chariot étant tombé dans un ravin profond, au lieu d’aider à l’en sortir, le bouvier restait là sans rien faire, invoquant parmi tous les dieux le seul Héraclès, qu’il honorait particulièrement. Héraclès lui apparut et lui dit : « Mets la main aux roues, aiguillonne tes bœufs et n’invoque les dieux qu’en faisant toi-même un effort ; autrement tu les invoqueras en vain. »
Un Chariot dans une grasse argile
Malgré six bœufs demeurait immobile,
Et de ce Chariot un Bouvier conducteur
Avec de longs soupirs lamentait sa misère ;
Et se tenant là sans rien faire,
D’Hercule implorait la faveur.
Alors sur une claire nue
Hercule s’offrit à sa vue,
Et lui tint ce sage discours :
Courage enfant, que ton cœur s’évertue,
Toi-même ici prête-toi du secours,
Pique tes bœufs, pousse à la roue
Mets-toi, s’il le faut, dans la boue,
Agis et ne cesse un moment
De te donner du mouvement ;
Fais pour dompter tout obstacle contraire,
Sans jamais dire c’est assez,
Ce qu’humainement on peut faire ;
Et tes vœux seront exaucés.
Veiller, prévoir, agir avec constance,
Sur nous du Ciel attire l’assistance.
Le monde n’a jamais manqué de Charlatans.
Cette science de tout temps
Fut en Professeurs1 très fertile.
5Tantôt l’un en Théâtre affronte l’Achéron2,
Et l’autre affiche3 par la ville
Qu’il est un Passe-Cicéron4.
Un des derniers se vantait d’être
En Éloquence si grand Maître,
Qu’il rendrait disert un Badaud5,
10Un Manant, un Rustre, un Lourdaud ;
« Oui, Messieurs, un Lourdaud ; un Animal, un Âne :
Que l’on m’amène un Âne, un Âne renforcé ;
Je le rendrai Maître passé ;
Et veux qu’il porte la Soutane6. »
15Le Prince sut la chose ; il manda le Rhéteur.
« J’ai, dit-il, en mon Écurie
Un fort beau Roussin d’Arcadie :
J’en voudrais faire un Orateur.
— Sire, vous pouvez tout », reprit d’abord7 notre homme.
20On lui donna certaine somme.
Il devait au bout de dix ans
Mettre son Âne sur les bancs8 ;
Sinon il consentait d’être en place publique
Guindé la hart au col9, étranglé court et net,
25Ayant au dos sa Rhétorique,
Et les oreilles d’un Baudet.
Quelqu’un des Courtisans lui dit qu’à la potence
Il voulait l’aller voir, et que pour un Pendu,
Il aurait bonne grâce et beaucoup de prestance :
30Surtout qu’il se souvînt de faire à l’Assistance :
Un discours où son art fût au long étendu ;
Un discours pathétique, et dont le formulaire
Servît à certains Cicérons
Vulgairement nommés Larrons.
35L’autre reprit : « Avant l’affaire,
Le Roi, l’Âne, ou moi, nous mourrons. »
Il avait raison. C’est folie
De compter sur dix ans de vie.
Soyons bien buvants, bien mangeants,
40Nous devons à la mort de trois l’un en dix ans10.
Un certain grammairien se glorifiait de son art et se trouvait si excellent qu’il se vantait d’être capable, s’il était payé d’un bon prix pour le faire, d’instruire non seulement des enfants, mais même un âne.
Un puissant entendant la témérité de notre homme lui demanda s’il se sentait capable, contre cinquante pièces d’or, d’instruire un âne dans un laps de temps de dix ans.
L’effronté répondit qu’il acceptait que le prince le fasse mettre à mort si dans le délai imparti l’âne n’était pas capable de lire et d’écrire.
À ces mots, ses amis furent pris d’étonnement et gourmandèrent cet homme qui promettait de faire une chose non seulement rude et difficile, mais certainement impossible, et ils redoutaient que si le vantard dépasse les délais impartis, le prince le fasse mettre à mort.
Ce à quoi notre homme répondit : « Avant que ce temps soit écoulé, soit l’âne, soit le prince, soit moi, nous mourrons. »
Moralité de cette histoire : en cas de danger, un moratoire au rendez-vous prévu est souvent bien utile.
La Déesse Discorde ayant brouillé les Dieux,
Et fait un grand procès là-haut pour une Pomme1,
On la fit déloger des Cieux.
Chez l’Animal qu’on appelle Homme
5On la reçut à bras ouverts,
Elle, et Que-si-que-non son frère,
Avecque Tien-et-mien son père.
Elle nous fit l’honneur en ce bas Univers
De préférer notre Hémisphère
10À celui des mortels qui nous sont opposés2,
Gens grossiers, peu civilisés,
Et qui se mariant sans Prêtre et sans Notaire
De la Discorde n’ont que faire3.
Pour la faire trouver aux lieux où le besoin
15Demandait qu’elle fût présente,
La Renommée avait le soin
De l’avertir ; et l’autre diligente
Courait vite aux débats et prévenait la paix,
Faisait d’une étincelle un feu long à s’éteindre.
20La Renommée enfin commença de se plaindre
Que l’on ne lui trouvait jamais
De demeure fixe et certaine.
Bien souvent l’on perdait à la chercher sa peine.
Il fallait donc qu’elle eût un séjour affecté,
25Un séjour d’où l’on pût en toutes les Familles
L’envoyer à jour arrêté.
Comme il n’était alors aucun Couvent de Filles,
On y trouva difficulté.
L’Auberge enfin de l’Hyménée
30Lui fut pour maison assignée.
N. B. : Dieu envoie saint Michel sur terre :
LXXVI. Cherche d’abord le Silence, ordonne-lui de ma part de te seconder dans cette entreprise ; il saura pourvoir avec dextérité à tout ce qui sera nécessaire pour l’accomplissement de ma volonté. Cet ordre étant rempli, tu voleras aux lieux où la Discorde préside ; ordonne-lui de prendre son amorce et son fusil, et de porter le feu dans le camp des Maures.
LXXVII. Et d’exciter surtout tant de haines, tant de disputes entre ceux qui passent pour les vaillants guerriers, qu’elle leur fasse tourner leurs armes les uns contre les autres ; que les uns périssent, que les autres soient blessés ou faits prisonniers ; que d’autres indignés abandonnent leur camp, de manière que leur Roi ne puisse plus tirer d’utilité de leur secours. L’Ange ne réplique rien à cet ordre, mais à l’instant il se précipite du Ciel.
LXXVIII. Partout où Michel dirige son vol, les nuages disparaissent, la sérénité reparaît dans le Ciel ; un cercle doré de lumière, aussi brillante que l’éclair pendant une nuit obscure, entoure l’Archange : sur la route le courrier céleste songe en lui-même, de quel côté il dirigera sa course, pour ne pas manquer cet ennemi de la parole, à qui il doit d’abord communiquer le premier ordre qu’il a reçu.
LXXIX. Il parcourt dans sa pensée tous les lieux qu’il croit habités, fréquentés par le Silence ; et enfin, après bien des réflexions, il conclut qu’il doit le rencontrer dans les églises, dans les monastères des moines et des religieux, où les paroles sont tellement défendues, que chez eux le mot de Silence se trouve écrit à l’entrée de leur chœur, dans leurs dortoirs, dans leurs réfectoires, et enfin dans toutes leurs cellules.
LXXX. Croyant le rencontrer dans ces lieux, il agite plus vivement ses ailes dorées : il compte aussi y trouver la paix, le doux repos et la charité ; mais qu’il se trouva trompé dans son attente, dès qu’il eut mis le pied dans un cloître ! Le Silence n’habite plus ici, lui dit-on, il n’y est plus qu’en écrit, il n’en existe plus que le nom.
LXXXI. On ne trouve plus ici ni la piété, ni la tranquillité, ni l’humilité, ni l’amour du prochain, ni la paix ; ces vertus y régnaient autrefois ; mais dans les temps anciens. La gourmandise, l’avarice, la colère, l’orgueil, l’envie, la paresse, la cruauté les en ont bannies. L’Ange s’étonne de tant de changement : il jette un œil d’indignation sur cette vile troupe, et il aperçoit la Discorde qui habite aussi parmi eux.
LXXXII. La Discorde, celle même que le Père Éternel lui avait ordonné de chercher, dès qu’il aurait trouvé le Silence. Michel s’attendait à faire le chemin des enfers, croyant ne pouvoir la rencontrer que parmi des réprouvés : mais qui le croirait ? elle parut à ses yeux dans ce nouvel enfer, parmi les prières et de saints sacrifices. Cette rencontre parut fort étrange à Michel, qui croyait avoir à faire un bien plus long chemin pour la trouver.
LXXXIII. Il la reconnaît à ses habits de cent couleurs différentes, et composés d’un nombre infini de bandes inégales, qui tantôt la couvrent, et tantôt la montrent nue, car à chaque pas qu’elle faisait, le vent agitait ces bandes décousues. De ses cheveux, les uns étaient dorés, les autres argentés ; les uns noirs, les autres gris, et toujours prêts à se mêler ensemble : ceux-ci étaient en tresse, ceux-là relevés sous sa coiffure, un grand nombre descendaient sur ses épaules, d’autres étaient épars sur sa poitrine.
LXXXIV. Son sein, ses mains étaient pleins d’ajournements, d’exploits, d’informations, de procédures de toutes espèces, et de grandes liasses de gloses, de consultations, et de papiers de chicane au moyen desquels les possessions du pauvre ne sont jamais en sûreté dans les villes : elle avait devant, derrière et à ses côtés des notaires, des procureurs et des avocats.
N. B. : L’allégorie de la Discorde prend sa source chez Homère (L’Iliade, IV et V) et passe ensuite chez Hésiode (Théogonie et Les Travaux et les Jours) puis chez Virgile (L’Énéide).
La perte d’un Époux ne va point sans soupirs.
On fait beaucoup de bruit, et puis on se console.
Sur les ailes du Temps la Tristesse s’envole ;
Le Temps ramène les plaisirs.
5Entre la Veuve d’une année
Et la Veuve d’une journée
La différence est grande : on ne croirait jamais
Que ce fût la même personne.
L’une fait fuir les Gens, et l’autre a mille attraits.
10Aux soupirs vrais ou faux celle-là s’abandonne ;
C’est toujours même note, et pareil entretien :
On dit qu’on est inconsolable ;
On le dit, mais il n’en est rien ;
Comme on verra par cette Fable,
15Ou plutôt par la vérité.
L’Époux d’une jeune Beauté
Partait pour l’autre monde. À ses côtés sa Femme
Lui criait : « Attends-moi, je te suis ; et mon âme
Aussi bien que la tienne, est prête à s’envoler. »
20Le Mari fit seul le voyage.
La Belle avait un Père, homme prudent et sage :
Il laissa le torrent1 couler.
À la fin, pour la consoler,
« Ma fille, lui dit-il, c’est trop verser de larmes :
25Qu’a besoin le Défunt que vous noyiez vos charmes ?
Puisqu’il est des Vivants, ne songez plus aux Morts.
Je ne dis pas que tout à l’heure
Une condition meilleure
Change en des noces ces transports ;
30Mais après certain temps souffrez qu’on vous propose
Un Époux beau, bien fait, jeune, et tout autre chose
Que le Défunt. — Ah ! dit-elle aussitôt,
Un Cloître est l’Époux qu’il me faut. »
Le Père lui laissa digérer sa disgrâce2.
35Un mois de la sorte se passe.
L’autre mois, on l’emploie à changer tous les jours
Quelque chose à l’habit, au linge, à la coiffure.
Le deuil enfin sert de parure,
En attendant d’autres atours.
40Toute la bande des Amours
Revient au Colombier : les Jeux, les Ris, la Danse,
Ont aussi leur tour à la fin.
On se plonge soir et matin
Dans la Fontaine de Jouvence.
45Le Père ne craint plus ce Défunt tant chéri ;
Mais comme il ne parlait de rien à notre Belle :
« Où donc est le jeune Mari
Que vous m’avez promis ? » dit-elle.
Une femme encore jeune, dont le mari rendait le dernier soupir, était consolée par son père. « Ne t’afflige pas outre mesure, disait-il, ma fille. Je t’ai trouvé un autre époux beaucoup plus beau que celui-ci et qui adoucira aisément le regret du premier. » Mais la jeune femme, incapable de supporter la douleur, tant elle entourait son mari d’un ardent amour, non seulement n’admettait pas les paroles de son père, mais blâmait cette allusion déplacée à un autre mari. Cependant, dès qu’elle vit mort son époux, elle demanda à son père, au milieu de ses larmes et de son deuil, s’il était là, le jeune homme qu’il avait annoncé l’intention de lui donner en mariage. La fable montre combien l’amour d’un mari défunt s’efface vite de l’âme d’une femme.
Bornons ici cette carrière.
Les longs Ouvrages me font peur.
Loin d’épuiser une matière,
On n’en doit prendre que la fleur.
5Il s’en va temps1 que je reprenne
Un peu de forces et d’haleine
Pour fournir2 à d’autres projets3.
Amour, ce tyran de ma vie,
Veut que je change de sujets :
10Il faut contenter son envie.
Retournons à Psyché : Damon, vous m’exhortez
À peindre ses malheurs et ses félicités.
J’y consens : peut-être ma veine
En sa faveur s’échauffera.
15Heureux si ce travail est la dernière peine
Que son Époux me causera.
Il me reste encore beaucoup de choses que je pourrais dire, des sujets de fables d’une riche et abondante variété ; mais ce sont les badinages modérés qui sont agréables ; excessifs ils déplaisent. Aussi, homme d’une vertu éminente, Particulon, toi dont le nom vivra dans mes écrits tant que les lettres latines seront en honneur, que sinon mon talent, du moins ma brièveté reçoive ton approbation ; elle est un titre de recommandation d’autant plus juste que les poètes importunent plus vivement les gens.