LE SONGE DE VAUX

AVERTISSEMENT

Parmi les ouvrages dont ce recueil est composé, le lecteur verra trois fragments d’une description de Vaux, laquelle j’entrepris de faire il y a environ douze ans. J’y consumai près de trois années. Il est depuis arrivé des choses qui m’ont empêché de continuer1. Je reprendrais ce dessein si j’avais quelque espérance qu’il réussît, et qu’un tel ouvrage pût plaire aux gens d’aujourd’hui ; car la poésie lyrique ni l’héroïque2, qui doivent y régner, ne sont plus en vogue comme elles étaient alors. J’expose donc au public trois morceaux de cette description. Ce sont des échantillons de l’un et de l’autre style : que j’aie bien fait ou non de les employer tous deux dans un même poème, je m’en dois remettre au goût du lecteur plutôt qu’aux raisons que j’en pourrais dire. Selon le jugement qu’on fera de ces trois morceaux, je me résoudrai : si la chose plaît, j’ai dessein de continuer ; sinon, je n’y perdrai pas de temps davantage. Le temps est chose de peu de prix quand on ne s’en sert pas mieux que je fais ; mais, puisque j’ai résolu de m’en servir, je dois reconnaître qu’à mon égard la saison de le ménager est tantôt venue.

Passons à ce qu’il est nécessaire qu’on sache pour l’intelligence de ces fragments. Je ne la saurais donner au lecteur sans exposer à ses yeux presque tout le plan de l’ouvrage. C’est ce que je m’en vas faire, moins succinctement à la vérité que je ne voudrais, mais utilement pour moi ; car, par ce moyen, j’apprendrai le sentiment du public, aussi bien sur l’invention et sur la conduite de mon poème en gros, que sur l’exécution de chaque endroit en détail, et sur l’effet que le tout ensemble pourra produire.

Comme les jardins de Vaux étaient tout nouveau plantés, je ne les pouvais décrire en cet état, à moins que je n’en donnasse une idée peu agréable, et qui, au bout de vingt ans, aurait été sans doute peu ressemblante. Il fallait donc prévenir le temps. Cela ne se pouvait faire que par trois moyens : l’enchantement, la prophétie, et le songe. Les deux premiers ne me plaisaient pas ; car, pour les amener avec quelque grâce, je me serais engagé dans un dessein de trop d’étendue : l’accessoire aurait été plus considérable que le principal. D’ailleurs il ne faut avoir recours au miracle que quand la nature est impuissante pour nous servir. Ce n’est pas qu’un songe soit si suivi, ni même si long que le mien sera ; mais il est permis de passer le cours ordinaire dans ces rencontres ; et j’avais pour me défendre, outre le Roman de la Rose, le Songe de Poliphile, et celui même de Scipion3.

Je feins donc qu’en une nuit du printemps m’étant endormi, je m’imagine que je vas trouver le Sommeil, et le prie que par son moyen je puisse voir Vaux en songe : il commande aussitôt à ses ministres de me le montrer. Voilà le sujet du premier fragment.

À peine les Songes ont commencé de me représenter Vaux que tout ce qui s’offre à mes sens me semble réel ; j’oublie le dieu du sommeil, et les démons qui l’entourent ; j’oublie enfin que je songe. Les cours du château de Vaux me paraissent jonchées de fleurs. Je découvre de tous les côtés l’appareil d’une grande cérémonie. J’en demande la raison à deux guides qui me conduisent. L’un d’eux me dit qu’en creusant les fondements de cette maison on avait trouvé, sous des voûtes fort anciennes, une table de porphyre, et sur cette table un écrin plein de pierreries, qu’un certain sage, nommé Zirzimir, fils du soudan Zarzafiel, avait autrefois laissé à un druide de nos provinces. Au milieu de ces pierreries, un diamant d’une beauté extraordinaire, et taillé en cœur, se faisait d’abord remarquer ; et, sur les bords d’un compartiment qui le séparait d’avec les autres joyaux, se lisait en lettres d’or cette devise, que l’on n’avait pu entendre :

Je suis constant, quoique j’en aime deux.

On avait porté à Oronte4 l’écrin ouvert, et au même état qu’il s’était trouvé. Il l’avait laissé fermer en le maniant, sans que depuis il eût été possible de le rouvrir, tant la force de l’enchantement était grande. Sur le couvercle de cet écrin se voyait le portrait du Roi ; et autour était écrit : Soit donné à la plus savante des fées. Sous l’écrin cette prophétie était gravée :

Pour satisfaire à l’intention du mage, et pour l’accomplissement de la prophétie, mais plus encore pour attirer les maîtresses de tous les arts, et leur donner par ce moyen l’occasion d’embellir la maison de Vaux, Oronte avait fait publier que tout ce qu’il y avait de savantes fées dans le monde pouvaient venir contester le prix opposé ; et ce prix était le portrait du Roi, qui serait donné par des juges, sur les raisons que chacune apporterait pour prouver les charmes et l’excellence de son art. Plusieurs étaient accourues ; mais, la plupart ne pouvant contribuer aux beautés de Vaux, et, par conséquent, le prix n’étant pas pour elles apparemment, la plupart, dis-je, persuadées que la prophétie ne les regardait en aucune sorte, s’étaient retirées. Il n’en était demeuré que quatre, l’Architecture, la Peinture, l’Intendante du jardinage, et la Poésie : je les appelle Palatiane, Apellanire, Hortésie, et Calliopée6. Le lendemain ce grand différend se devait juger en la présence d’Oronte et de force demi-dieux7. Voilà ce que l’un de mes deux guides me dit, et le sujet du second fragment : il contient les harangues des quatre fées.

Et, pour égayer mon poème, et le rendre plus agréable, car une longue suite de descriptions historiques serait une chose fort ennuyeuse, je les voulais entremêler d’épisodes d’un caractère galant. Il y en a trois d’achevés : l’aventure d’un écureuil8, celle d’un cygne prêt à mourir, celle d’un saumon et d’un esturgeon qui avaient été présentés vifs à Oronte. Cette dernière aventure fait le sujet de mon troisième fragment.

Le reste de ce recueil contient des ouvrages que j’ai composés en divers temps sur divers sujets. S’ils ne plaisent par leur bonté, leur variété suppléera peut-être à ce qui leur manque d’ailleurs.

 

Des pièces suivantes, les trois premières sont des fragments de la description de Vaux, laquelle j’ai fait venir en un songe, à l’exemple d’autres sujets que l’on a ainsi traités. Ce n’est pas ici le lieu ni l’occasion de faire savoir les raisons que j’en ai eues. L’Avertissement les contient : il est nécessaire de le lire pour bien entendre ces trois morceaux, et pour pouvoir tirer de leur lecture quelque sorte de plaisir. Le premier est le commencement de l’ouvrage. Le lecteur, si bon lui semble, peut croire que l’Aminte dont j’y parle représente une personne particulière ; si bon lui semble, que c’est la beauté des femmes en général ; s’il lui plaît même, que c’est celle de toutes sortes d’objets. Ces trois explications sont libres. Ceux qui cherchent en tout du mystère, et qui veulent que cette sorte de poème ait un sens allégorique, ne manqueront pas de recourir aux deux dernières. Quant à moi je ne trouverai pas mauvais qu’on s’imagine que cette Aminte est telle ou telle personne : cela rend la chose plus passionnée, et ne la rend pas moins héroïque.

CHAPITRE PREMIER
ACANTE REND VISITE AU SOMMEIL

Acante1 s’étant endormi une nuit du printemps, songea qu’il était allé trouver le Sommeil, pour le prier que, par son moyen, il pût voir le palais de Vaux avec ses jardins : ce que le Sommeil lui accorda, commandant aux Songes de les lui montrer.

C’était aussi cette maison magnifique, avec ses accompagnements et ses jardins, lesquels Silvestre3 m’avait montrés, et que ma mémoire conservait avec un grand soin, comme étant les plus précieuses pièces de son trésor. Ce fut sur ce fondement que le Songe éleva son frêle édifice, et tâcha de me faire voir les choses en leur plus grande perfection. Il choisit pour cela tout ce qu’il y avait de plus beau dans ses magasins ; et, afin que mon plaisir durât davantage, il voulut que cette apparition fût mêlée d’aventures très remarquables. Je vis des plantes, je vis des marbres, je vis des cristaux liquides, je vis des animaux et des hommes.

Au commencement de mon songe il m’arriva une chose qui m’était arrivée plusieurs autres fois, et qui arrive souvent à chacun ; c’est qu’une partie des objets sur la pensée desquels je venais de m’endormir me repassa d’abord en l’esprit. Je m’imaginai que j’étais allé trouver le Sommeil, pour le prier de me montrer Vaux, dont on m’avait dit des choses presque incroyables. Le logis du dieu est au fond d’un bois où le silence et la solitude font leur séjour : c’est un antre que la Nature a taillé de ses propres mains, et dont elle a fortifié toutes les avenues contre la clarté et le bruit.

Sous les lambris moussus de ce sombre palais,

Écho ne répond point, et semble être assoupie :

La molle Oisiveté, sur le seuil accroupie,

N’en bouge nuit et jour, et fait qu’aux environs

Jamais le chant des coqs, ni le bruit des clairons,

Ne viennent au travail inviter la Nature ;

Un ruisseau coule auprès, et forme un doux murmure.

Les simples dédiés au dieu de ce séjour

Sont les seules moissons qu’on cultive à l’entour.

De leurs fleurs en tout temps sa demeure est semée.

Il a presque toujours la paupière fermée.

Je le trouvai dormant sur un lit de pavots ;

Les Songes l’entouraient sans troubler son repos.

De fantômes divers une cour mensongère,

Vains et frêles enfants d’une vapeur légère,

Troupe qui sait charmer le plus profond ennui,

Prête aux ordres du dieu, volait autour de lui.

Là, cent figures d’air en leurs moules gardées,

Là, des biens et des maux les légères idées,

Prévenant nos destins, trompant notre désir,

Formaient des magasins de peine ou de plaisir.

Je regardais sortir et rentrer ces merveilles :

Telles vont au butin les nombreuses abeilles,

Et tel, dans un État de fourmis composé,

Le peuple rentre et sort en cent parts divisé.

Confus, je m’écriai : « Toi que chacun réclame,

Sommeil, je ne viens pas t’implorer dans ma flamme ;

Conte à d’autres que moi ces mensonges charmants

Dont tu flattes les vœux des crédules amants ;

Les merveilles de Vaux me tiendront lieu d’Aminte :

Fais que par ces démons leur beauté me soit peinte.

Tu sais que j’ai toujours honoré tes autels ;

Je t’offre plus d’encens que pas un des mortels :

Doux Sommeil, rends-toi donc à ma juste prière. »

À ces mots, je lui vis entr’ouvrir la paupière ;

Et, refermant les yeux presque au même moment :

« Contentez ce mortel », dit-il languissamment.

Tout ce peuple obéit sans tarder davantage :

Des merveilles de Vaux ils m’offrirent l’image ;

Comme marbres taillés leur troupe s’entassa ;

En colonne aussitôt celui-ci se plaça ;

Celui-là chapiteau vint s’offrir à ma vue ;

L’un se fit pié d’estal, l’autre se fit statue :

Artisans qui peu chers, mais qui prompts et subtils,

N’ont besoin pour bâtir de marbre ni d’outils,

Font croître en un moment des fleurs et des ombrages,

Et, sans l’aide du temps, composent leurs ouvrages.

II

Les vers suivants ne sont pas de la description de Vaux : je les envoyai à une personne qui en voulait voir de moi, et lui envoyai en même temps le fragment qui suit. Comme ces vers y peuvent servir d’argument en quelque façon, j’ai cru qu’il ne serait pas hors de propos de les mettre en tête.

AUTRE FRAGMENT DU SONGE DE VAUX
LARCHITECTURE, LA PEINTURE, LE JARDINAGE,
ET LA
 POÉSIE HARANGUENT LES JUGES
ET CONTESTENT LE PRIX PROPOSÉ

Ariste, vous voulez voir des vers de ma main,

Vous qui du chantre grec ainsi que du romain

Pourriez nous étaler les beautés et les grâces,

Et qui nous invitez à marcher sur leurs traces.

Vous ne trouverez point chez moi cet heureux art

Qui cache ce qu’il est et ressemble au hasard :

Je n’ai point ce beau tour, ce charme inexprimable

Qui rend le dieu des vers sur tous autres aimable :

C’est ce qu’il faut avoir, si l’on veut être admis

Parmi ceux qu’Apollon compte entre ses amis.

Homère épand toujours ses dons avec largesse ;

Virgile à ses trésors sait joindre la sagesse :

Mes vers vous pourraient-ils donner quelque plaisir,

Lorsque l’antiquité vous en offre à choisir ?

Je ne l’espère pas ; et cependant ma Muse

N’aura jamais pour vous de secret ni d’excuse ;

Ce que vous souhaitez il faut vous l’accorder :

C’est à moi d’obéir, à vous de commander.

Je vous présente donc quelques traits de ma lyre :

Elle les a dans Vaux répétés au Zéphire.

J’y fais parler quatre arts fameux dans l’Univers,

Les palais, les tableaux, les jardins, et les vers.

Ces arts vantent ici tour à tour leurs merveilles.

Je soupire en songeant au sujet de mes veilles.

Vous m’entendez, Ariste, et d’un cœur généreux

Vous plaignez comme moi le sort d’un malheureux ;

Il déplut à son roi ; ses amis disparurent ;

Mille vœux contre lui dans l’abord concoururent.

Malgré tout ce torrent, je lui donnai des pleurs ;

J’accoutumai chacun à plaindre ses malheurs.

Jadis en sa faveur j’assemblai quatre fées.

Il voulut que ma main leur dressât des trophées :

Œuvre long, et qu’alors jeune encor j’entrepris.

Écoutez ces quatre arts, et décidez du prix.

Un riche balustre faisait la séparation de la chambre d’avec l’alcôve ; l’estrade en était au moins élevée d’un pied, ce qui donnait encore plus d’éclat à cette action. Là, sur des tapis de Perse, on avait placé les sièges des demi-dieux ; ceux des juges y étaient aussi, mais à part, et un peu éloignés de la compagnie. Hors de l’alcôve étaient assises l’une près de l’autre les quatre fées. Ariste, Gélaste, et moi, nous étions debout vis-à-vis d’elles. On tira au sort pour savoir en quel rang elles parleraient. Ce fut à Palatiane de haranguer la première : elle se leva donc, et, après s’être approchée du balustre, elle se retourna à demi devers ses rivales, et leur adressant sa voix, elle commença de cette sorte :

« Quoi ! par vous ces honneurs sont aussi contestés ?

Vous prétendez le prix qu’on doit à mes beautés ?

Ingrates, deviez-vous en avoir la pensée ? »

À ces mots d’ingrates toutes se levèrent et témoignèrent avoir quelque chose à dire ; mais les juges, pour éviter la confusion, ayant ordonné qu’elles ne s’interrompraient point, Palatiane continua en ces termes :

« Juges, pardonnez-moi cette plainte forcée :

Je sais qu’en suppliante il fallait commencer ;

C’est à vous que ma voix se devait adresser ;

Mais le dépit m’emporte, et, puisqu’il faut tout dire,

Enfin voilà le fruit, trop vaine Apellanire,

Dont vous reconnaissez mes bienfaits aujourd’hui.

Contre les aquilons mon art vous sert d’appui ;

N’en ayez point de honte ; en sauvant votre ouvrage,

J’oblige aussi les dieux dont vous tracez l’image.

Hé bien ! vous la tracez, mais imparfaitement ;

Et moi je leur bâtis un second firmament.

Ce que je dis pour vous, je le dis pour les autres ;

Tout ce qu’ont fait dans Vaux les le Bruns, les le Nostres1,

Jets, cascades, canaux, et plafonds si charmants,

Tout cela tient de moi ses plus beaux ornements.

Contempler les efforts de quelque main savante,

Juger d’une peinture, ou muette, ou parlante,

Admirer d’Apollon les pinceaux ou la voix,

Errer dans un jardin, s’égarer dans un bois,

Se coucher sur des fleurs, respirer leur haleine,

Écouter en rêvant le bruit d’une fontaine,

Ou celui d’un ruisseau roulant sur des cailloux,

Tout cela, je l’avoue, a des charmes bien doux ;

Mais enfin on s’en passe, et je suis nécessaire :

Ce fut le seul besoin qui d’abord me fit plaire.

Les antres se trouvaient des humains habités ;

Avec les animaux ils formaient des cités :

Je bâtis des maisons, je composai des villes.

On ne voulait alors que de simples asiles ;

Sur la nécessité se réglaient les souhaits ;

Aujourd’hui que l’on veut de superbes palais,

Je contente chacun en plus d’une manière :

Des cinq ordres divers la grâce singulière

Fait voir comme il me plaît l’éclat, la majesté,

Ou les charmes divins de la simplicité.

Je ne doute donc point qu’en présence d’Oronte

Je n’obtienne le prix, vous n’emportiez la honte :

Confuses, vous allez recevoir cette loi,

Si c’est honte pour vous d’être moindres que moi.

Tant d’œuvres, dont je rends les savants idolâtres,

Colosses, monuments, cirques, amphithéâtres,

Mille temples par moi bâtis en mille lieux,

Les demeures des rois, celles mêmes des dieux,

Rome, et tout l’Univers, pour mon art sollicite.

Juges, accordez-moi le prix que je mérite ;

Car on n’aurait pas droit d’y vouloir parvenir,

Si de la faveur seule il fallait l’obtenir. »

Peu de temps après qu’elle eut cessé de parler, elle retourna s’asseoir. Sa fierté et le caractère de sa harangue n’avaient pas déplu : je le remarquai au visage des assistants. Les seules fées témoignaient beaucoup d’indignation, et secouaient la tête à chacune de ses raisons ; je vis même l’heure qu’Apellanire l’interromprait. Pour moi, ce qui me toucha le plus de tout son discours, ce fut l’épilogue. Apellanire, qui devait parler la seconde, prit la place que l’autre venait de quitter, et puis elle commença ainsi sa harangue :

« Juges, si j’ai souffert des reproches frivoles,

Ce n’est point pour manquer de droit ni de paroles :

Le respect seulement a retenu ma voix.

Palatiane veut vous imposer des lois ;

Les honneurs ne sont faits que pour ses mains savantes ;

Ce serait trop pour nous que d’être ses suivantes.

Elle m’appelle ingrate, et pense m’ébranler ;

Mais qui l’est de nous deux, puisqu’il en faut parler ?

Sans tous ses ornements, serais-je pas la même ?

Et quant à sa beauté, qui lui semble suprême,

Bien souvent sans la mienne on n’y penserait pas ;

Seule je sais donner du lustre à ses appas.

Contre les aquilons elle m’est nécessaire :

Il n’est point de couvert qui n’en pût autant faire.

Où va-t-elle chercher les premiers des humains ?

Quels chefs-d’œuvres alors sont sortis de ses mains ?

Qu’importe qu’elle serve aux dieux même d’asile ?

Car il ne s’agit pas d’être la plus utile ;

C’est assez de causer le plaisir seulement,

Pour satisfaire aux lois de cet enchantement ;

En termes assez clairs la chose est exprimée :

« Soit donné, dit le mage, à la plus grande fée. »

En est-il de plus grande, ayant tout bien pesé,

Que celle par qui l’œil est sans cesse abusé ?

À de simples couleurs mon art plein de magie

Sait donner du relief, de l’âme, et de la vie :

Ce n’est rien qu’une toile, on pense voir des corps.

J’évoque, quand je veux, les absents et les morts ;

Quand je veux, avec l’art je confonds la nature :

De deux peintres fameux qui ne sait l’imposture ?

Pour preuve du savoir dont se vantaient leurs mains,

L’un trompa les oiseaux, et l’autre les humains.

Je transporte les yeux aux confins de la terre :

Il n’est événement ni d’amour, ni de guerre,

Que mon art n’ait enfin appris à tous les yeux.

Les mystères profonds des enfers et des cieux

Sont par moi révélés, par moi l’œil les découvre ;

Que la porte du jour se ferme, ou qu’elle s’ouvre,

Que le soleil nous quitte, ou qu’il vienne nous voir,

Qu’il forme un beau matin, qu’il nous montre un beau soir,

J’en sais représenter les images brillantes.

Mon art s’étend sur tout ; c’est par mes mains savantes

Que les champs, les déserts, les bois, et les cités,

Vont en d’autres climats étaler leurs beautés.

Je fais qu’avec plaisir on peut voir des naufrages,

Et les malheurs de Troie ont plu dans mes ouvrages :

Tout y rit, tout y charme ; on y voit sans horreur

Le pâle Désespoir, la sanglante Fureur,

L’inhumaine Clothon2 qui marche sur leurs traces ;

Jugez avec quels traits je sais peindre les Grâces.

Dans les maux de l’absence on cherche mon secours :

Je console un amant privé de ses amours ;

Chacun par mon moyen possède sa cruelle.

Si vous avez jamais adoré quelque belle

(Et je n’en doute point, les sages ont aimé),

Vous savez ce que peut un portrait animé :

Dans les cœurs les plus froids il entretient des flammes.

Je pourrais vous prier par celui de vos dames ;

En faveur de ses traits, qui n’obtiendrait le prix ?

Mais c’est assez de Vaux pour toucher vos esprits :

Voyez, et puis jugez ; je ne veux autre grâce. »

Les raisons de cette seconde me semblèrent encore plus pressantes que celles de la première ; surtout ce qu’elle dit de l’intention du mage fit beaucoup d’effet. Il s’éleva là-dessus un secret murmure, qui lui donna quelque espérance de la victoire ; et le chagrin qu’en ce moment-là témoignèrent les autres fées fit une partie de sa joie, aussi bien que la satisfaction qui parut sur le visage des écoutants. Palatiane ne jugeant pas à propos de laisser plus longtemps dans les esprits une impression si favorable pour sa rivale, se leva encore une fois, et, de la place où elle était, elle représenta aux juges que, si l’art de la peinture trompait les yeux, celui de l’architecture leur faisait voir des merveilles bien plus étonnantes. Tel pouvait-on appeler le puissant effort des machines qu’elle inventait ; telle, la pesanteur des colosses élevés comme par enchantement ; tels, tous ces ouvrages hardis dont l’imagination se trouve effrayée ; tels, enfin, ces amas de pierres qui font croire que l’Égypte a été peuplée de géants, et qui ont épuisé les forces de plusieurs millions d’hommes, aussi bien que les trésors d’une longue suite de rois. Palatiane ayant ainsi répliqué, ces deux fées reprirent leur place ; et, incontinent après, Hortésie, dont le tour était venu, approcha des juges, mais avec un abord si doux qu’auparavant qu’elle ouvrît la bouche ils demeurèrent plus d’à demi persuadés, et ils eurent beaucoup de peine à ne pas se laisser corrompre aux charmes même de son silence. Voici les propres paroles de sa harangue :

« J’ignore l’art de bien parler,

Et n’emploirai pour tout langage

Que ces moments qu’on voit couler

Parmi des fleurs et de l’ombrage.

Là luit un soleil tout nouveau ;

L’air est plus pur, le jour plus beau ;

Les nuits sont douces et tranquilles ;

Et ces agréables séjours

Chassent le soin, hôte des villes,

Et la crainte, hôtesse des Cours.

Mes dons ont occupé les mains

D’un empereur1 sur tous habile,

Et le plus sage des humains

Vint chez moi chercher un asile4 ;

Charles2, d’un semblable dessein

Se venant jeter dans mon sein,

Fit voir qu’il était plus qu’un homme :

L’un d’eux pour mes ombrages verts

A quitté l’empire de Rome,

L’autre celui de l’Univers.

Ils étaient las des vains projets

De conquérir d’autres provinces

Que s’ils se firent mes sujets,

De mes sujets je fais des princes.

Tel, égalant le sort des rois,

Aristée errait autrefois

Dans les vallons de Thessalie,

Et tel, de mets non achetés,

Vivait sous les murs d’Œbalie3

Un amateur de mes beautés.

Libre de soins, exempt d’ennuis,

Il ne manquait d’aucunes choses ;

Il détachait les premiers fruits,

Il cueillait les premières roses ;

Et quand le ciel armé de vents

Arrêtait le cours des torrents

Et leur donnait un frein de glace,

Ses jardins remplis d’arbres verts

Conservaient encore leur grâce,

Malgré la rigueur des hivers.

Je promets un bonheur pareil

À qui voudra suivre mes charmes ;

Leur douceur lui garde un sommeil

Qui ne craindra point les alarmes.

Il bornera tous ses désirs

Dans le seul retour des Zéphyrs ;

Et, fuyant la foule importune,

Il verra du fond de ses bois

Les courtisans de la fortune

Devenus esclaves des rois.

Je donne au liquide cristal

Plus de cent formes différentes,

Et le mets tantôt en canal,

Tantôt en beautés jaillissantes ;

On le voit souvent par degrés

Tomber à flots précipités ;

Sur des glacis je fais qu’il roule,

Et qu’il bouillonne en d’autres lieux ;

Parfois il dort, parfois il coule,

Et toujours il charme les yeux.

Je ne finirais de longtemps

Si j’exprimais toutes ces choses :

On aurait plus tôt au printemps

Compté les œillets et les roses.

Sans m’écarter loin de ces bois,

Souvenez-vous combien de fois

Vous avez cherché leurs ombrages :

Pourriez-vous bien m’ôter le prix,

Après avoir par mes ouvrages

Si souvent charmé vos esprits ? »

Le discours d’Hortésie acheva de gagner tous les assistants : Oronte et les demi-dieux se regardèrent comme ravis ; les juges n’en firent pas moins. Hortésie considérait tous ces signes extérieurs avec la joie que l’on peut penser ; quand Apellanire, ayant parlé tout bas quelque peu de temps aux deux fées qui étaient près d’elle, déploya une toile que les plis de sa robe tenaient cachée, et, la montrant de la main aux juges, elle s’écria du lieu où elle était :

« Juges attendez un moment,

Et voyez quelle est cette fée

Qui de son visage charmant

Devant Oronte fait trophée :

En voilà les traits éclatants ;

Elle était telle avant que le printemps

Lui rendît ses cheveux avec ses autres charmes.

Lorsque les jours sont inconstants.

Elle n’est jamais sans alarmes. »

Après ces paroles, elle alla jusque dans l’alcôve présenter aux juges la toile qu’elle tenait déployée, et leur dit que c’était le portrait d’Hortésie, qu’elle avait fait depuis quelques mois. Ils en demeurèrent étonnés ; et, jetant la vue sur Hortésie, ils la tournèrent ensuite sur sa peinture. La meilleure partie de ses grâces y semblait éteinte, il n’y avait ni roses, ni lis sur son teint ; tout y était languissant et à demi mort ; on ne voyait que de la neige et des glaçons où on avait vu les plus florissantes marques de la jeunesse. Les juges auraient soupçonné la fidélité du portrait, s’ils ne se fussent souvenus d’avoir vu Hortésie en cet état-là. Chacun commença de douter qu’on voulût accorder le prix à une beauté si frêle et si journalière : elle-même abandonna sa propre défense et ne sut que répondre sur ce reproche. Si bien qu’Apellanire s’en retournait toute triomphante, lorsque Palatiane lui dit : « N’insultez point à une beauté qui craint tout, à ce que vous dites. Si elle languit tous les ans, elle reprend aussi tous les ans de nouvelles forces ; quant à vous, qu’est-il demeuré de ce qu’ont fait autrefois vos Apelles et vos Zeuxis, que le nom de leurs ouvrages et les choses incroyables que l’on en dit ? Les miens vivent plus de siècles que les vôtres ne sauraient vivre d’années. » Apellanire ne s’étonna point, et se douta bien que Palatiane elle-même se verrait bientôt confondue. Cela ne manqua pas d’arriver.

Bien que par les flots amers

On aille au-delà des mers

Voir encor vos pyramides,

J’ai laissé des monuments

Et plus beaux et plus solides

Que ces vastes bâtiments.

Sans moi tant d’œuvres fameux,

Ignorés de nos neveux,

Périraient sous la poussière.

Au Parnasse seulement

On emploie une matière

Qui dure éternellement.

Si l’on conserve les noms,

Ce doit être par mes sons,

Et non point par vos machines :

Un jour, un jour l’Univers

Cherchera sous vos ruines

Ceux qui vivront dans mes vers. »

Aussitôt elle s’approcha du balustre, et, laissant Palatiane toute confuse, elle adoucit quelque peu sa voix, et parla ainsi :

« Juges, vous le savez, et dans tout cet empire

Mon charme est plus connu que l’air qu’on y respire.

C’est le seul entretien que l’on prise aujourd’hui.

Pour comble de bonheur, Alcandre7 en est l’appui.

Je n’en dirai pas plus, de peur que sa puissance

N’oblige vos esprits à quelque déférence.

Vous jugez bien pourtant quelle est une beauté

Qui possède son cœur, et qui l’a mérité ;

Mais, sans vous prévenir par les traits du bien dire,

Je répondrai par ordre et cela doit suffire.

On dirait que ces arts méritent tous le prix.

Chaque fée a sans doute ébranlé les esprits ;

Toutes semblent d’abord terminer la querelle.

La première a fait voir le besoin qu’on a d’elle ;

Si j’ai de son discours marqué les plus beaux traits,

Elle loge les dieux, et moi je les ai faits.

Ce mot est un peu vain, et pourtant véritable :

Ceux qui se font servir le nectar à leur table,

Sous le nom de héros ont mérité mes vers ;

Je les ai déclarés maîtres de l’univers.

Ô vous qui m’écoutez, troupe noble et choisie,

Ainsi qu’eux quelque jour vous vivrez d’ambrosie ;

Mais Alcandre lui-même aurait beau l’espérer,

S’il n’implorait mon art pour la lui préparer.

Ce point tout seul devrait me donner gain de cause :

Rendre un homme immortel sans doute est quelque chose ;

Apellanire peut par ses savantes mains

L’exposer pour un temps aux regards des humains :

Pour moi, je lui bâtis un temple en leur mémoire ;

Mais un temple plus beau, sans marbre et sans ivoire,

Que ceux où d’autres arts, avec tous leurs efforts,

De l’Univers entier épuisent les trésors.

Par le second discours on voit que la Peinture

Se vante de tenir école d’imposture,

Comme si de cet art les prestiges puissants

Pouvaient seuls rappeler les morts et les absents !

Ce sont pour moi des jeux : on ne lit point Homère,

Sans que tantôt Achille à l’âme si colère,

Tantôt Agamemnon au front majestueux,

Le bien-disant Ulysse, Ajax l’impétueux,

Et maint autre héros offre aux yeux son image.

Je les fais tous parler, c’est encor davantage.

La Peinture après tout n’a droit que sur les corps ;

Il n’appartient qu’à moi de montrer les ressorts

Qui font mouvoir une âme, et la rendent visible ;

Seule j’expose aux sens ce qui n’est pas sensible,

Et, des mêmes couleurs qu’on peint la vérité,

Je leur expose encor ce qui n’a point été.

Si pour faire un portrait Apellanire excelle,

On m’y trouve du moins aussi savante qu’elle ;

Mais je fais plus encor, et j’enseigne aux amants

À fléchir leurs amours en peignant leurs tourments.

Les charmes qu’Hortésie épand sous ses ombrages

Sont plus beaux dans mes vers qu’en ses propres ouvrages ;

Elle embellit les fleurs de traits moins éclatants :

C’est chez moi qu’il faut voir les trésors du printemps.

Enfin, j’imite tout par mon savoir suprême ;

Je peins, quand il me plaît, la Peinture elle-même.

Oui, beaux-arts, quand je veux, j’étale vos attraits :

Pouvez-vous exprimer le moindre de mes traits ?

Si donc j’ai mis les dieux au-dessus de l’envie,

Si je donne aux mortels une seconde vie,

Si maint œuvre de moi, solide autant que beau,

Peut tirer un héros de la nuit du tombeau,

Si, mort en ses neveux, dans mes vers il respire,

Si je le rends présent bien mieux qu’Apellanire,

Si de Palatiane, au prix de mes efforts,

Les monuments ne sont ni durables, ni forts,

Si souvent Hortésie est peinte en mes ouvrages,

Et si je fais parler ses fleurs et ses ombrages,

Juges, qu’attendez-vous ? et pourquoi consulter ?

Quel art peut mieux que moi cet écrin mériter ?

Ce n’est point sa valeur où j’ai voulu prétendre :

Je n’ai considéré que le portrait d’Alcandre.

On sait que les trésors me touchent rarement :

Mes veilles n’ont pour but que l’honneur seulement ;

Gardez ce diamant dont le prix est extrême ;

Je serai riche assez pourvu qu’Alcandre m’aime. »

La harangue de Calliopée produisit un merveilleux changement dans les esprits. Les autres fées l’avaient bien prévu ; car, auparavant que l’on s’assemblât, elles demandèrent qu’il fût défendu de se servir des traits de la rhétorique : que cela n’était pas sans exemple ; qu’une pareille défense s’était observée longtemps dans Athènes, parce que les orateurs faisaient prendre de telles résolutions que bon leur semblait ; et qu’enfin le métier de leur rivale étant de séduire, il n’était pas juste qu’elle eût cet avantage sur elles. Mais, comme il était question de charmes, ces juges leur représentèrent qu’ils ne voyaient pas pourquoi ceux de l’éloquence dussent être exclus, et que leur propre requête leur faisait tort, parce qu’il semblait qu’elles donnassent déjà gain de cause à leur concurrente. Ainsi chacune employa tous les artifices dont elle se put aviser.

Après que l’applaudissement qu’on donna à la harangue de Calliopée fut un peu cessé, Apellanire, comme la seule qui pouvait avoir quelque chose de commun avec elle, et comme celle aussi qui jusque-là croyait avoir la meilleure part à l’écrin, prit la parole, et avoua que les charmes de sa rivale étaient à la vérité fort puissants ; mais en quoi cela pouvait-il regarder la maison de Vaux ? au lieu que tout y brillait des enrichissements qu’elle avait trouvés. Combien de plafonds qui surpassaient non seulement tout ce qu’on avait jamais fait en ce genre, mais aussi l’imagination même des regardants ! Combien d’ornements judicieux, agréables, et bien inventés ! Était-il possible qu’en la présence de ces merveilles on adjugeât le prix à quelque autre qu’elle ? Quand elle eut fini, Calliopée tomba d’accord de ce dernier point, et rendit un pareil témoignage à la vérité. « Mais se peut-il faire que vous ignoriez, ajouta-t-elle en s’adressant à Apellanire, ce que mon art a de commun avec Vaux ? La dernière main n’y sera que quand mes louanges l’y auront mise ; et vous-mêmes, ne devriez-vous pas consentir que j’eusse l’écrin, comme le plus digne prix de la gloire que mes ouvrages vous ont donnée ? » Je demandai tout bas à Gélaste ce que cela voulait dire. Il me répondit que plusieurs personnes avaient déjà fait la description de quelques endroits de ce beau séjour, surtout qu’il m’en voulait montrer une du salon, laquelle on ne pouvait assez estimer. Cette contestation des deux fées, et le souvenir de ce que les autres avaient dit, embarrassèrent les juges de telle sorte qu’ils se parlèrent près d’un quart d’heure sans rien résoudre. Cependant le reste de la compagnie s’entretenait aussi de cette action, au moins il me le sembla ; car les uns et les autres parlaient trop bas, et nous étions trop éloignés pour en rien entendre. Enfin, les juges ordonnèrent pour tout résultat que, puisque les choses étaient tellement égales, ces quatre fées feraient paraître sur-le-champ quelque échantillon de leur art, afin qu’on sût laquelle de toutes était la plus savante dans la magie. Cela fut prononcé par l’un des trois juges : chacun témoigna en être content. Aussi était-ce une nouvelle occasion de plaisir. Oronte lui-même sembla l’approuver par un léger mouvement de tête. Il se fit ensuite un fort grand silence, les esprits étant demeurés comme suspendus dans l’attente d’autres merveilles.

AVENTURE D’UN SAUMON ET D’UN ESTURGEON

Me promenant vers un carré d’eau qui est au-dessus d’une cascade, j’aperçus un saumon et un esturgeon s’approchant du bord, comme s’ils eussent voulu me parler. Cela me surprit tout à fait ; car je ne croyais pas que la rivière d’Anqueuil2 entretînt commerce avec l’Océan. Je demandai donc à ces animaux pour quel sujet et par quel motif ils avaient quitté leur patrie. L’esturgeon me répondit par un truchement :

« Cela vous semble nouveau

Que des poissons, qui nagent en grand’eau,

S’en aillent si loin se faire

Une prison volontaire,

Et renoncent pour elle à leur pays natal,

Quand la prison serait un palais de cristal.

En effet, il n’est personne

Qui d’abord ne s’en étonne ;

Car ce n’est pas la faim qui nous a fait sortir

Du lieu de notre naissance ;

Sans nous vanter, et sans mentir,

Nous y trouvions en abondance

De quoi soûler nos appétits :

Si les gros nous mangeaient, nous mangions les petits.

Ainsi que l’on fait en France ;

Et pour ne pas tenir votre esprit en balance,

Je vais vous dire la raison

Qui nous a fait choisir cette aimable prison

Qu’avec moi ce saumon habite.

Un jour, nous promenant sur le dos d’Amphitrite3,

Nous aperçûmes deux marchands

À qui le fier Borée4, auteur de maint orage,

Avait fait faire au milieu de nos champs

Un cruel et piteux naufrage.

Tout en nageant, ils imploraient le dieu

De l’humide et vaste lieu,

Le priant d’être sensible

Au sort qu’ils allaient courir,

Et faisaient tout leur possible

Afin de ne pas mourir.

Le dieu les poussa sur l’heure

Vers un rocher dont il fait sa demeure ;

Et là d’abord il leur dit :

« Pauvres humains qui vous fiez à l’onde,

Que cherchez-vous en notre monde ? »

Un des marchands répondit :

« Monarque de l’eau salée,

Dans une région de ces flots reculée

Est un lieu nommé Vaux, gloire de l’Univers.

Son nom vole déjà dans cent climats divers :

Oronte y fait bâtir un palais magnifique,

Où règne l’ordre ionique

Avec beaucoup d’agrément.

On a placé justement

Vis-à-vis du bâtiment

Deux grottes, dont la structure

Est de telle architecture

Qu’elle plaît sans ornement.

Nous cherchions toutefois sur l’humide élément

Les conques les plus exquises,

Et du corail de toutes guises :

Mais les vents, ennemis du plaisir de nos yeux,

Par des complots odieux

Ont traversé nos voyages :

Dites-leur qu’ils soient plus sages,

Et respectent désormais

Oronte et tous ses palais. »

Téthys5 de ce récit sembla toute ravie ;

Et, la harangue finie,

Nous fûmes envoyés par le maître des vents

Pour offrir de sa part, en termes obligeants,

Au possesseur de Vaux, Oronte son intime,

Ce que dans ses pays on voit de raretés,

Ambre, nacre, corail, marbre, diversités,

Enfin tous les trésors de la cour maritime.

Après cent périls évités,

Nageant de mer en fleuve, et de fleuve en rivière,

Non loin d’ici, d’une adroite manière,

Par des pêcheurs nous fûmes arrêtés,

Et par bonheur chez Oronte portés.

Là je lui fis ma petite harangue,

Petite certainement,

Car c’était en notre langue

Laconique extrêmement.

On l’apprend fort aisément :

Venez nous voir seulement

Au fond du moite élément,

Vous saurez, comme nous, parler en un moment.

Pour achever notre histoire,

Monsieur Courtois6, si j’ai bonne mémoire,

Avec mon compagnon m’a logé dans ces lieux ;

Quant à moi, j’ai bonne envie

De n’en bouger de ma vie :

On y voit souvent les yeux

De l’adorable Sylvie7. »

IV
COMME SYLVIE HONORA DE SA PRÉSENCE
LES DERNIÈRES CHANSONS D’UN CYGNE QUI SE MOURAIT,
ET DES AVENTURES DU CYGNE

J’eusse continué mes plaintes, si le son d’un luth ne les eût interrompues. Comme j’aime extrêmement l’harmonie, je quittai le lieu où j’étais pour aller du côté que le son se faisait entendre. Lycidas me suivit ; et, lui ayant demandé ce que ce pouvait être, il me dit que Sylvie1, ayant appris qu’un cygne de Vaux s’en allait mourir, avait envoyé quérir Lambert2 en diligence, afin de faire comparaison de son chant avec celui de ce pauvre cygne. « Ce n’est pas, ajouta Lycidas, que tous les cygnes chantent en mourant. Bien que cette tradition soit fort ancienne parmi les poètes, on en peut douter sans impiété, aussi bien que de plusieurs autres articles de leur croyance. Afin de t’expliquer ceci, tu as lu sans doute que Jupiter emprunta autrefois le corps d’un cygne pour approcher plus facilement de Lède3 ; et parce que, lui ayant chanté son amour sous cette figure, elle en fut touchée, et que Jupiter reprit incontinent la forme de dieu, il ordonna, en mémoire de cette aventure, qu’autant de fois que l’âme du cygne où il avait logé passerait d’un animal de la même espèce en quelque autre corps, cet animal chanterait si mélodieusement que chacun en serait charmé. Or, je m’imagine que, quelque ancien poète en ayant entendu chanter un, cela a donné lieu à l’opinion qui est répandue dans leurs livres pour tous les autres. » Tandis que Lycidas m’entretenait de la sorte, nous vîmes arriver Sylvie, accompagnée des Grâces et d’un très grand nombre d’Amours de toutes les manières. Elle s’assit dans un fauteuil, sur les bords du canal où était le cygne ; et aussitôt Lambert, ayant accordé son téorbe, chanta un air de sa façon qui était admirablement beau ; et le chanta si bien, qu’il mérita d’être loué de Sylvie, et fut ensuite abandonné aux louanges de tous ceux qui étaient présents. L’un s’appelait Orphée ; l’autre, Amphion : il y en eut même qui s’étonnèrent de ce qu’Oronte, voulant faire bâtir un palais, n’avait pas fait marché avec lui, disant que les pierres se seraient venues ranger d’elles-mêmes au son de sa voix, sans qu’il eût été besoin de tant de bras et de machines. Enfin on crut que le cygne n’oserait chanter après lui. Il chanta toutefois, et chanta véritablement assez bien ; mais, outre que c’était en une langue qu’on n’entendait point, il fut jugé de beaucoup inférieur à Lambert ; et Sylvie, ne jugeant pas à propos de le voir mourir, se fut promener d’un autre côté. Chacun la suivit, hormis Lycidas et moi. Si bien qu’étant demeurés seuls, je le remis sur le discours qu’il avait quitté, et lui demandai s’il était possible que le cygne eût été autre chose qu’il n’était, et s’il serait encore autre chose dorénavant. « Pour te faire entendre tout ce mystère, me répondit-il, il faut que je le prenne d’un peu plus haut. » Et, après avoir toussé trois ou quatre fois, il commença de cette sorte :

« Ce que tu vois d’animaux et d’humains

Troque sans cesse, et devient autre chose ;

Toute âme passe en différentes mains :

Telle est la loi de la métempsycose,

Que le Sort tient en ses livres enclose.

Car ici-bas il aime à tout changer,

Selon qu’il veut nos esprits héberger.

L’âme, d’habit bien ou mal assortie,

D’un roi se vêt en sortant d’un berger,

Puis d’un berger, étant du roi sortie.

*

Je le sais d’Apollon, vrai trésor de doctrine,

Berger, devin, architecte, et chanteur,

Et docteur

En médecine ;

Tantôt portant le jour en différents quartiers,

Tantôt faisant des vers en l’honneur de Sylvie.

Je ne m’étonne pas, ayant trop de métiers,

S’il a peine à gagner sa vie.

*

*

« Sans user de fiction,

Ce cygne était Amphion

Qui bâtit Thèbe au doux son de sa lyre.

On ne m’a pas voulu dire

Ce qu’il était avant ce jour ;

C’est un trop grand secret : il te doit donc suffire

Que son âme a depuis animé tour à tour

Des corps mâles et femelles,

Des plus beaux et des plus belles ;

Des animaux fort jolis,

Mignons, bien faits, et polis ;

De fort aimables personnes,

Bien faites, douces, mignonnes ;

Point de nains, point d’avortons ;

Peu de loups, force moutons ;

Certain oiseau qui caquette,

Un héros, une coquette ;

Un amant qui de tristesse

La tête en quatre se fendit ;

Un autre qui se pendit

À la porte de sa maîtresse ;

Des philosophes, des badins ;

Deux ou trois jeunes blondins ;

Cinq ou six beautés insignes

Ayant de beaux cheveux blonds,

Et les cols non pas si longs

Que des cygnes,

Mais aussi blancs, sans mentir.

Enfin cette âme, au partir

Du corps d’une beauté qui chantait comme un ange,

En entrant dans ce cygne eut une peur étrange,

Croyant avoir pour maison

Un oison ;

Sans se souvenir à l’heure5

D’une semblable demeure

Où jadis le roi des dieux,

Pour loger avec elle ayant quitté les cieux,

Se fit blanc comme un cygne, et donna dans la vue

De Lède aux yeux si charmants.

Comment s’en fût souvenue

L’âme au bout de deux mille ans ?

Et comment de chaque aventure

Se pourra-t-elle souvenir,

Ne devant pas sitôt finir,

À ce qu’Apollon assure ?

Elle doit, ce dit-il, entrer auparavant

Au corps du premier enfant

Que fera certaine belle,

Que Philis pour le présent

On appelle.

Mais quand le cygne mourra,

L’enfant, pourra-t-on dire, encor fait ne sera :

En ce cas, l’âme au plus vite,

En attendant que ce gîte

Se rencontre en son chemin,

Peut loger dans des corps qui, dès le lendemain,

Dans six mois, dans une année,

Verront leur fin terminée. »

Voilà ce qu’il m’en a dit :

Qu’on en fasse son profit.

— Cela me suffit, dis-je à Lycidas ; mais le dieu que vous me donnez pour caution de votre métempsycose, aurait-il bien pris la peine de visiter un cygne malade ? — Comment ! repartit Lycidas moitié en colère, y a-t-il quelque chose dans Vaux dont Apollon ne doive avoir soin ? Sais-tu qu’il a fait résolution de demander à Oronte le même emploi qu’il eut autrefois chez Admète ? Car, pour t’en parler franchement,

Enfin Apollon a juré de ne plus faire de vers que quand Oronte et Sylvie le souhaiteront. Il gouvernera leurs troupeaux ; il sera contrôleur de leurs bâtiments ; il conduira la main de nos peintres, de nos statuaires, de nos sculpteurs ; il t’inspirera toi-même, si tu écris pour plaire au héros ou à l’héroïne, et non autrement. » Je souris là-dessus, et je priai Lycidas de me mener en des lieux où je pusse voir encore d’autres merveilles.

V
ACANTE, AU SORTIR DE L’APOTHÉOSE D’HERCULE,
EST MENÉ DANS UNE CHAMBRE OÙ LES
 MUSES LUI APPARAISSENT
1

Mes conducteurs se lassant de me répondre sur tout, et voyant qu’ils n’étaient pas sortis d’une question que je les faisais rentrer dans une autre, me tirèrent de ce lieu-là malgré que j’en eusse, et me firent passer dans une chambre voisine, dont les peintures et les divers ornements me parurent encore plus riches que ceux qui venaient de nous arrêter. Il y avait un alcôve à l’opposite des fenêtres : le haut de la chambre était à l’italienne, et formait une espèce de voûte ouverte par le milieu, où l’on voyait un tableau qui représentait plusieurs figures s’élevant au ciel. Aux quatre coins de la voûte étaient comme quatre chœurs de musique, composés chacun de deux Muses si bien peintes que je crus voir ces déesses en propre personne. J’y fus moi-même trompé, moi qui ne bouge de l’Hélicon. Ce lieu où je les trouvais, bien différent de leur séjour ordinaire, fit que je ne me pus empêcher de leur dire :

« Quoi ? je vous trouve ici, mes divines maîtresses !

De vos monts écartés vous cessez d’être hôtesses !

Quel charme ont eu pour vous les lambris que je vois ?

Vous aimiez, disait-on, le silence des bois ;

Qui vous a fait quitter cette humeur solitaire ?

D’où vient que les palais commencent à vous plaire ?

J’avais beau vous chercher sur les bords d’un ruisseau.

Mais quelle fête cause un luxe si nouveau ?

Pourquoi vous vêtez-vous de robes éclatantes ?

Muses, qu’avez-vous fait de ces jupes volantes

Avec quoi dans les bois, sans jamais vous lasser,

Parmi la cour de Faune on vous voyait danser ?

Un si grand changement a de quoi me confondre. »

Pas une des neuf Sœurs ne daigna me répondre.

« Oronte, dit Ariste, occupe leurs esprits :

Tantôt dans les forêts, tantôt sous les lambris,

Elles font résonner sa gloire et son mérite.

Voyez comme pour lui Melpomène médite ;

Thalie en est jalouse, et ses paisibles sons

Valent bien quelquefois les tragiques chansons.

Toutes deux au héros ont consacré leurs veilles :

Elles n’ont ni beautés, ni grâces, ni merveilles,

Que pour le divertir leur art ne mette au jour ;

Et chacune a pour but de lui plaire à son tour.

Melpomène pour lui peint les vertus romaines ;

L’autre imite toujours les actions humaines ;

Ces couronnes, ce masque expriment leurs emplois,

Présentent à ses yeux ou le peuple ou les rois.

La scène, lui montrant les héros ses semblables,

Évoque leurs esprits enterrés sous les fables,

Des climats de l’histoire en fait souvent venir,

Et se va chez les morts de spectacles fournir. »

(Il y a ici une lacune de quatre pages dans le manuscrit de l’auteur.)

 

Pendant cela je considérais toute la chambre ; et, entre les deux objets, celui des Muses me remplissait l’âme d’une douceur que je ne saurais exprimer. Elle était telle que celle que j’ai quelques fois ressentie, me voyant au milieu de ces déesses, sous le plus bel ombrage de l’Hélicon, favorisé comme à l’envi de toute la troupe. J’étais ravi de les voir si fort en honneur, et tellement considérées chez Oronte qu’on les avait logées dans l’une des plus belles chambres de son palais. Ce n’est pas qu’il y eût rien en cela qui me surprît, et qu’elles ne m’eussent entretenu dès auparavant de l’estime que ce héros avait pour elles ; mais elles ne m’avaient point encore dit qu’il leur en eût donné cette marque : je témoignai la joie que j’en avais à mes conducteurs. Ariste, qui croyait être obligé de faire les honneurs de la maison, me dit qu’elles méritaient bien cet appartement. « Nous ne savons pas, ajouta-t-il, si nous n’aurons point quelque jour besoin d’elles. Après tout, elles sont filles de Jupiter : nous ne voudrions, pour quoi que ce fût, qu’elles s’allassent plaindre de nous en plein consistoire des dieux. Vous n’avez jamais vu qu’on se soit repenti de l’accueil avec lequel on les a reçues. N’ont-elles pas fait de leur part tout ce qu’elles ont pu pour plaire à Oronte ?

Leur troupe, en sa faveur pleine d’un doux ennui,

Quand tout dort ici-bas, travaille encor pour lui :

Il semble que le peintre ait eu cette pensée.

Voyez l’autre plafond où la Nuit est tracée.

Cette divinité, digne de vos autels,

Et qui même en dormant fait du bien aux mortels,

Par de calmes vapeurs mollement soutenue,

La tête sur son bras, et son bras sur la nue,

Laisse tomber des fleurs, et ne les répand pas :

Fleurs que les seuls Zéphyrs font voler sur leurs pas.

Ces pavots qu’ici-bas pour leur suc on renomme,

Tout fraîchement cueillis dans les jardins du Somme,

Sont moitié dans les airs, et moitié dans sa main ;

Moisson plus que toute autre utile au genre humain.

Qu’elle est belle à mes yeux, cette Nuit endormie !

Sans doute de l’Amour son âme est ennemie ;

Et ce frais embonpoint sur son teint sans pareil

Marque un fard appliqué par les mains du Sommeil.

Avec tous ses appas, l’aimable enchanteresse

Laisse souvent veiller les peuples du Permesse ;

Cent doctes nourrissons surmontent son effort.

— Hélas ! dis-je, pour moi je n’ai rien fait encor ;

Je ne suis qu’écoutant parmi tant de merveilles :

Me sera-t-il permis d’y joindre aussi mes veilles ?

Quand aurai-je ma part d’un si doux entretien ?

Veillez, Muses, veillez : le sujet le vaut bien. »

VI
DANSE DE L’AMOUR

Je dormais d’un profond sommeil, et, en dormant, il me sembla que je me promenais à Mainsy1, qui n’est pas loin de Vaux ; et que, dans un pré tout bordé de saules, j’apercevais Cythérée, l’Amour et les Grâces, avec les plus belles Nymphes des environs, dansant au clair de la lune. L’assemblée me parut fort belle, et le bal fort bien éclairé : un million d’étoiles servaient de lustres. Pour les violons, je n’y en entendis pas un : c’était aux chansons que l’on dansait. J’arrivai sur le point que l’Amour commença ces paroles :

« L’autre jour deux belles

Tout haut se vantaient

Que, malgré mes ailes,

Elles me prendraient.

Gageant que non, je perdis,

Car l’une m’eut bientôt pris.

Aminte et Sylvie,

Ce sont leurs beaux noms :

Le Ciel porte envie

À mille beaux dons,

À mille rares trésors

Qu’ont leur esprit et leur corps.

Tout mortel de l’une

Craint les blonds cheveux ;

De sa tresse brune

L’autre fait des nœuds

Par qui les dieux attachés

Se trouvent fort empêchés.

Sylvie a la gloire

De m’avoir dompté,

Et cette victoire

A fort peu coûté :

La belle n’eut seulement

Qu’à se montrer un moment.

Autour de ses charmes

Me voyant voler,

Vénus toute en larmes

Eut beau m’appeler :

Celui qui brûle les dieux

Se brûle à de si beaux yeux.

Leur éclat extrême

A su m’enflammer.

Le Sort veut que j’aime,

Moi qui fais aimer ;

On m’entend plaindre à mon tour

Et l’Amour a de l’amour. »

Ainsi dans la danse

Cupidon pleurait,

Et tout en cadence

Parfois soupirait,

Priant tout bas les Zéphyrs

D’aller porter ses soupirs.

VII
ACANTE SE PROMÈNE À LA CASCADE,
ET LES SINGULIÈRES FAVEURS QU’IL Y REÇUT DU SOMMEIL

Après que les Grâces se furent retirées, je me trouvai en état de continuer mes promenades, et d’achever de voir les raretés de ce beau séjour : il me fut pourtant impossible de quitter si tôt un endroit où il m’était arrivé des choses si étonnantes. J’y passai donc tout le reste de la nuit, repensant tantôt à la chanson de l’Amour, tantôt aux beautés de Vénus et à celles des Nymphes, et rappelant en ma mémoire leurs paroles, leurs actions, toutes les circonstances de l’aventure. Enfin je dis adieu à ces prés, et sortis du parc de Mainsy, non point par le chemin qui m’y avait amené : j’en pris un autre, que je crus me devoir conduire en des lieux où je trouverais des beautés nouvelles. Cependant la Nuit avait reployé partie de ses voiles, et s’en allait les étendre chez d’autres peuples. Quelques rayons s’apercevaient déjà vers l’orient.

Les premiers traits du jour sortant du sein de l’onde

Commençaient d’émailler les bords de notre monde ;

Sur le sommet des monts l’ombre s’éclaircissait ;

Aux portes du matin la clarté paraissait ;

De sa robe d’hymen l’Aurore était vêtue :

Jamais telle à Céphale elle n’est apparue.

Je voyais sur son char éclater les rubis,

Sur son teint le cinabre, et l’or sur ses habits :

D’un vase de vermeil elle épanchait des roses.

Qui n’eût jugé qu’elle s’était fardée tout exprès dans le dessein de me débaucher du service que j’ai voué au dieu du sommeil ? Les hôtes des bois, qui avaient chanté toute la nuit pour me plaire, n’étant pas encore éveillés, je crus qu’il était de mon devoir de saluer en leur place ce beau séjour ; ce que je fis par cette chanson :

Fontaines, jaillissez ;

Herbe tendre, croissez

Le long de ces rivages ;

Venez, petits oiseaux,

Accorder vos ramages

Au doux bruit de leurs eaux.

Vous vous levez trop tard ;

L’Aurore est sur son char,

Et s’en vient voir ma belle :

Oiseaux, chantez pour moi ;

Le dieu d’amour m’appelle,

Je ne sais pas pourquoi.

Tandis que je faisais résonner ainsi les échos, le soleil s’approchait très sensiblement de notre hémisphère, et me découvrait, les unes après les autres, toutes les beautés du canton où mes pas s’étaient adressés.

Dans la plus large de ces allées, j’aperçois de loin une Nymphe (ce me semblait) couchée sous un arbre, en la posture d’une personne qui dort. J’étais tellement accoutumé à la vue des divinités, que, sans m’effrayer en aucune sorte de la rencontre de celle-ci, je résolus de m’approcher d’elle : mais, à la première démarche, un battement de cœur me présagea quelque chose d’extraordinaire. Je ne sais quelle émotion, dont je ne pouvais deviner la cause, me courut par toutes les veines. Et quand je fus assez près de ce rare objet pour le reconnaître, je trouvai que c’était Aminte, sur qui le Sommeil avait répandu le plus doux charme de ses pavots. Certes, mon étonnement ne fut pas petit, mais ma joie fut encore plus grande. Cette belle Nymphe était couchée sur des plantes de violettes, sa tête à demi penchée sur un de ses bras, et l’autre étendu le long de sa jupe. Ses manches, qui s’étaient un peu retroussées par la situation que le sommeil lui avait fait prendre, me découvraient à moitié ces bras si polis. Je ne sus à laquelle de leurs beautés donner l’avantage, à leur forme ou à leur blancheur, bien que cette dernière fît honte à l’albâtre. Ce ne fut pas le seul trésor que je découvris en cette merveilleuse personne. Les Zéphyrs avaient détourné de dessus son sein une partie du linomple1 qui le couvrait, et s’y jouaient quelquefois parmi les ondes de ses cheveux. Quelquefois aussi, comme s’ils eussent voulu m’obliger, ils les repoussaient. Je laisse à penser si mes yeux surent profiter de leur insolence : c’était même une faveur singulière de pouvoir goûter ces plaisirs sans manquer au respect. Je n’entreprendrai de décrire ni la blancheur ni les autres merveilles de ce beau sein, ni l’admirable proportion de la gorge, qu’il était aisé de remarquer malgré le linomple, et qu’une respiration douce contraignait parfois de s’enfler. Encore moins ferai-je la description du visage ; car que pourrais-je dire qui approchât de la délicatesse des traits, de la fraîcheur du teint, et de son éclat ? En vain j’emploierais tout ce qu’il y a de lis et de roses ; en vain je chercherais des comparaisons jusque dans les astres : tout cela est faible, et ne peut représenter qu’imparfaitement les charmes de cette beauté divine. Je les considérai longtemps avec des transports qui ne peuvent s’imaginer que par ceux qui aiment. Encore est-ce peu de dire transport[s] ; car, si ce n’était véritablement enchantement, c’était au moins quelque chose qui en avait l’apparence : il semblait que mon âme fût accourue toute entière dans mes yeux. Je ne songeai plus ni à cascades ni à fontaines ; et comme, au commencement de mon songe, j’avais oublié Aminte pour Vaux, il m’arriva en échange d’oublier Vaux pour Aminte, dans ce moment. Tandis que mes yeux étaient occupés à un exercice si agréable, je ne sais quel démon (le dois-je appeler bon ou mauvais ?), je ne sais, dis-je, quel démon me mit en l’esprit qu’il n’était pas juste que tout le plaisir fût pour eux ; que ma bouche méritait bien d’en avoir sa part ; enfin, qu’un baiser cueilli sur celle d’Aminte devait être une chose infiniment douce, et aussi douce que pas une de ces délices dont l’Amour récompense ceux qui le servent fidèlement. D’un autre côté, la raison me représentait que c’était se mettre au hasard de fâcher Aminte, et que, l’éveillant, je détruirais mon plaisir moi-même. Ces dernières considérations furent les plus fortes : le respect et la crainte ne m’abandonnèrent point dans cette occasion périlleuse. Enfin un rossignol éveilla la belle, qui, s’étant levée avec précipitation, me regarda d’un œil de colère, et voulut s’enfuir sans daigner me dire aucune chose. Je crois que l’étonnement et la honte lui fermaient la bouche, car elle s’aperçut incontinent du désordre que les Zéphyrs avaient fait autour de son sein. Je la retins par la jupe ; et, après avoir fléchi un genou : « Je ne sais pas, dis-je, en quoi mes yeux peuvent vous avoir offensée ; il n’y a que vous au monde qui vouliez défendre jusqu’aux regards. Les dieux, qui savent le plaisir que j’ai à vous contempler, m’en ont donné des commodités que je n’avais point encore eues : aurais-je négligé cette faveur ? Encore n’en ai-je pas tiré tout l’avantage que je pouvais ; il m’était aisé de cueillir un baiser sur vos yeux et sur votre bouche.

Ces lèvres où les Cieux ont mis tant de merveilles

Auraient pu m’excuser ;

Et tout autre que moi, les voyant si vermeilles,

Eût voulu les baiser.

Pour voir de ce bel œil briller toutes les armes,

On l’aurait éveillé ;

Je n’ai point cru l’Amour, le Sommeil, et vos charmes,

Qui me l’ont conseillé.

Pourquoi donc voulez-vous m’ôter votre présence ?

Attendez un moment ;

Car enfin je prétends mériter récompense,

Et non pas châtiment.

Que je sache du moins quelle heureuse aventure

Vous amène en ces lieux :

L’art y brille partout ; cependant la nature

Est plus belle en vos yeux.

Flore, au prix des appas de vos lèvres écloses,

N’a rien que de commun :

Telle n’est la beauté ni la fraîcheur des roses,

Ni même leur parfum.

Le soleil peint les fleurs, en la saison nouvelle,

De traits moins éclatants,

Et votre bouche, Aminte, efface la plus belle

Des filles du Printemps.

Mais n’avez-vous point vu dans Vaux une merveille,

Qui fait, ainsi que vous, admirer son pouvoir ?

Si vous ne l’avez vue, Acante vous conseille

De ne point partir sans la voir.

— Vous voulez, dit Aminte, parler de Sylvie. — C’est elle-même que j’entends », répondis-je. Aminte rasséréna aussitôt son visage. « Rendez grâces, me dit-elle, au souvenir de cette incomparable personne, et relevez-vous ; car, non seulement je vous pardonne en sa considération, mais je veux bien aussi vous apprendre le sujet de mon voyage. On vous aura dit infailliblement ce qu’Oronte a fait publier touchant un écrin qui se doit donner aujourd’hui en sa présence : c’est à la plus grande fée de l’univers qu’on l’adjuge. J’ai cru que le charme dont je me sers était assez puissant pour mériter une telle gloire ; et, dans cet espoir, je suis accourue des climats où il est particulièrement reconnu. D’abord je n’ai pas voulu me déclarer, ni me mettre sur les rangs, comme ont fait les autres : mon dessein a été d’attendre que la cérémonie fût commencée, et de surprendre les juges et toute l’assistance par ma beauté. Mais, après avoir examiné les paroles d’une prophétie qui doit être la règle du différend, j’ai jugé qu’elles regardaient seulement les merveilles que l’art produit : or vous savez que je ne mets point d’art en usage. Il y en a bien un pour se faire aimer ; il y en a un aussi pour paraître belle ; mais ces sortes d’arts ne sont pratiqués que par des beautés médiocres : jamais la mienne n’en eut besoin. Si bien que de me présenter inutilement, vous ne me le conseilleriez pas, outre que le charme qui est en Sylvie m’en empêche. Je ne l’avais point encore vue qu’hier ; et, comme elle se promenait dans ces jardins, je l’aperçus d’un endroit où j’étais cachée. J’en devins d’abord amoureuse, et dis en moi-même : “Ou il ne s’agit pas ici de ce charme qui est particulièrement fait pour les cœurs, ou, s’il en est question, c’est à Sylvie que le prix est dû. De façon ou d’autre, il est inutile à moi de le disputer.” J’avais donc fait résolution de m’en retourner dès aujourd’hui ; et, si vous aviez attendu encore quelques moments, je crois que vous ne m’auriez pas rencontrée. » Je combattis longtemps les raisons d’Aminte, sans pouvoir lui persuader qu’elle demeurât, et que, si elle ne voulait demander le prix, tout au moins elle fit dans Vaux quelque épreuve de ses appas, puisque l’occasion en était si belle, et qu’il y avait tant de gloire à acquérir. « Ce n’est pas, ajoutai-je, que rien m’empêche de vous suivre dès à présent, ni le désir de voir toutes les merveilles de ce séjour, ni celui d’assister à un jugement si célèbre. Que si je veux vous accompagner, c’est moins pour ma satisfaction que parce que vous êtes en des lieux éloignés de votre demeure. — Je ne suis pas venue seule, repartit-elle ; ma compagnie doit être dans ces jardins, et assez près du lieu où nous sommes : ainsi je me passerai de vous aisément. Néanmoins, comme je ne serai pas fâchée de savoir à laquelle des quatre fées le prix sera adjugé, soyez présent à cette action, et me la venez tantôt raconter : je vous attendrai dans Mainsy. » Je trouvai une bonté si extraordinaire dans le procédé d’Aminte, que je crus pouvoir cette fois l’entretenir sérieusement de ma passion. Je lui demandai donc si elle serait toujours insensible. « Hé quoi ! me répondit-elle, osez-vous renouveler un propos que je vous ai défendu sur toutes choses de me tenir ? Je n’avais pas voulu jusque-là vous dire franchement ma pensée ; mais, puisque vous m’en donnez sujet, sachez que l’Amour est un hôte trop dangereux pour me résoudre à le recevoir.

Acante, voulez-vous que je verse des larmes

Et soupire à mon tour,

Et, lasse d’être belle, abandonne mes charmes

Aux tourments de l’Amour ?

Il détruit l’embonpoint, et rend la couleur blême ;

Il donne du souci.

J’aime trop mes appas, je m’aime trop moi-même

Pour vous aimer aussi.

— Hélas ! repris-je, que ne vous êtes-vous contentée de le penser, sans me le dire si ouvertement ? Au moins me devriez-vous laisser la liberté de me plaindre ; car enfin, puisque vous êtes tellement confirmée dans la résolution de ne point aimer, qu’appréhendez-vous de tous mes propos ? — J’y suis véritablement confirmée, répondit Aminte ; mais je ne ferai que bien de me défier de moi-même. Je vous ai dit que l’Amour était un dangereux hôte ; mais je ne vous ai pas dit que ce ne fût un hôte agréable, malgré toutes les peines qu’il peut causer. J’ai encore une meilleure raison pour ne le pas loger en mon cœur, que toutes celles que je vous ai dites. — Quelle serait-elle, cette raison ? dis-je en soupirant ; y en peut-il avoir d’assez bonnes ? — C’est, reprit Aminte, qu’il n’est pas toujours bienséant à notre sexe d’avoir de l’amour. Voilà le plus grand obstacle que vous ayez, et peut-être que j’aie aussi. — Ah ! lui dis-je, ne faites point passer une erreur pour une raison. — C’est une erreur, je vous l’avoue, repartit Aminte ; mais elle a pris racine dans les esprits, et je n’entreprendrai pas la première de la réformer. C’est pourquoi contentez-vous, si vous le pouvez, de mon amitié, et de mon estime par conséquent ; car jamais l’une ne va sans l’autre. Je vous ai dit cent fois les moyens de les acquérir, et ne vous ai point dit, si j’en ai mémoire, qu’il fût besoin pour cela de me regarder si attentivement quand je dormirai. Mais je demeure avec vous plus longtemps que je n’avais résolu ; il faut que j’aille chercher les personnes que j’ai quittées : ne me suivez point, et que je ne vous voie d’aujourd’hui qu’après la cérémonie. » À ces mots, elle s’en alla ; et je la suivis seulement des yeux, ne croyant pas que cela fût compris encore dans la défense. J’étais même fort satisfait des dernières choses qu’elle avait dites : soit qu’elles vinssent de son mouvement, soit que quelque dieu les lui eût fait dire. En m’entretenant de cette pensée, je descendis vers la tête du canal, où je trouvai Ariste et Gélaste qui me cherchaient. Ils s’étonnèrent de ce que j’avais voulu passer la nuit au serein : je leur dis que de ma vie je n’en avais eu une meilleure. Là-dessus, je commençai de leur raconter ce qui m’était arrivé depuis que je les avais quittés ; et, bien que j’abrégeasse mon récit, il nous fournit d’entretien jusqu’au château.

VIII
NEPTUNE À SES TRITONS

« Vous savez tous l’alliance qui est entre Oronte et votre monarque : aussi ne suis-je point fâché que d’autres divinités contribuent au plaisir d’un héros si chéri du Ciel. Je considère sans jalousie toutes les statues que Minerve lui a données. Apollon, qui s’est fait architecte, aussi bien que moi, pour un roi avaricieux et ingrat1, n’a pas eu mauvaise raison de se faire peintre pour un héros très reconnaissant et très libéral. Je ne lui envie pas sa fortune ; et c’est la seule émulation qui est cause que je vous assemble. Il ne faut pas que vous souffriez que le palais où nous sommes donne moins de plaisir aux yeux que cet autre qui le regarde. On peut dire, à la vérité, que les avenues de celui-ci sont si belles qu’il serait bien malaisé d’y rien ajouter ; on peut dire aussi que sa face a je ne sais quoi de grand et de noble : mais les niches qu’on y a faites n’étant encore remplies que par des rochers tout secs, je crois que s’il en sortait de l’eau, cela serait un grand ornement. Que quelqu’un de vous y travaille ; et, s’il réussit, je lui donnerai pour récompense la plus belle des Néréides.

— Grand roi, dit un Triton, qui par droit d’héritage

Avez de l’Océan les plaines en partage,

Et qui voulez dans Vaux un empire fonder,

C’est à nous d’obéir, à vous de commander ;

Rien ne semble impossible alors qu’on veut vous plaire :

Pour moi je vous dirai ce que l’art me suggère.

À garder vos trésors des monstres destinés,

Et par les mains du Sort sous ce mont enchaînés,

Veillent sur le cristal en des grottes profondes :

Lâchons ces animaux venus de divers mondes ;

Je les dompterai tous, et de nuire empêchés

Par des liens de bronze ils seront attachés ;

Mon art en ornera ces rochers et ces niches

Pour qui vous réservez vos trésors les plus riches. »

Le conseil plut au dieu du liquide Univers.

D’un seul coup de trident cent cachots sont ouverts :

On voit sortir en foule un amas de reptiles,

Dragons, monstres marins, lézards et crocodiles,

Hydres à sept gosiers, escadrons de serpents,

La gent aux ailes d’or, et les peuples rampants,

Limas aux dos armés, écrevisses cornues,

Des formes d’animaux aux mortels inconnues.

À peine ils sont sortis de leurs antres obscurs

Qu’ils font bruire le mont, se lancent à ses murs,

Et remettraient partout le chaos en peu d’heures,

Sans la fatale main qui règle leurs demeures ;

Sous un roc, par son ordre, un limas s’établit,

Et de son vaste corps tout un antre remplit.

Quand le sage Triton les vit tous en leur place,

Avec jus de corail, quintessence de glace,

Et gorgone dissoute en cristal du Mainsi,

Il arrosa ce peuple aussitôt endurci.

Chacun d’eux toutefois conserve sa figure ;

Chacun, sans s’émouvoir, siffle, gronde, murmure,

Fait que de son fracas tout le mont retentit,

Et pense avoir encor le gosier trop petit.

On dirait que parfois l’escadron se mutine,

Enivré du nectar d’une source divine ;

Il pousse l’onde au ciel, il la darde aux passants,

Semble garder ces lieux en charmes si puissants,

Et défendre l’accès des beautés qu’il nous montre :

L’eau se croise, se joint, s’écarte, se rencontre,

Se rompt, se précipite au travers des rochers,

Et fait comme alambics distiller leurs planchers.

IX
LES AMOURS DE MARS ET DE VÉNUS
1

FRAGMENT

Gélaste montre à Acante une tapisserie, où sont représentées les amours de Mars et de Vénus, et lui parle ainsi :

Dans les formes pourtant il entreprit l’affaire ;

Par tous moyens tâcha de plaire :

10De son ajustement prit d’abord un grand soin.

Considérez-le en ce coin,

Qui quitte sa mine fière.

Il se fait attacher son plus riche harnois.

Quand ce serait pour des jours de tournois,

15On ne le verrait pas vêtu d’autre manière.

L’éclat de ses habits fait honte à l’œil du jour.

Sans cela, fit-on mordre aux géants la poussière,

Il est bien malaisé de rien faire en amour.

En peu de temps Mars emporta la dame.

20Il la gagna peut-être en lui contant sa flamme,

Peut-être conta-t-il ses sièges, ses combats ;

Parla de contrescarpe, et cent autres merveilles,

Que les femmes n’entendent pas,

Et dont pourtant les mots sont doux à leurs oreilles.

25Voyez combien Vénus en ces lieux écartés

Aux yeux de ce guerrier étale de beautés :

Quels longs baisers ! La gloire a bien des charmes ;

Mais Mars en la servant ignore ces douceurs.

Son harnois est sur l’herbe : Amour pour toutes armes

30Veut des soupirs et des larmes :

C’est ce qui triomphe des cœurs.

50La peine de Vulcan se voit représentée :

Et l’on ne dirait pas que les traits en sont feints.

Il demeure immobile, et son âme agitée

Roule mille pensers qu’en ses yeux on voit peints.

Son marteau lui tombe des mains.

55Il a martel en tête, et ne sait que résoudre,

Frappé comme d’un coup de foudre.

Le voici dans cet autre endroit

Qui querelle et qui bat sa femme.

Voyez-vous ce galant qui les montre du doigt ?

60Au palais de Vénus il s’en allait tout droit,

Espérant y trouver le sujet qui l’enflamme.

La dame d’un logis, quand elle fait l’amour,

Met le tapis chez elle à toutes les coquettes.

Dieu sait si les galants lui font aussi la cour.

65Ce ne sont que jeux et fleurettes,

Plaisants devis et chansonnettes :

Mille bons mots, sans compter les bons tours,

Font que sans s’ennuyer chacun passe les jours.

Celle que vous voyez apportait une lyre,

70Ne songeant qu’à se réjouir.

Mais Vénus pour le coup ne la saurait ouïr :

Elle est trop empêchée, et chacun se retire.

Le vacarme que fait Vulcan

A mis l’alarme au camp.

Cet ouvrage est demeuré imparfait pour de secrètes raisons : et par malheur ce qui y manque est l’endroit le plus important ; je veux dire les réflexions que firent les dieux, même les déesses, sur une si plaisante aventure. Quand j’aurai repris l’idée et le caractère de cette pièce, je l’achèverai. Cependant comme le dessein de ce recueil a été fait à plusieurs reprises, je me suis souvenu d’une ballade10 qui pourra encore trouver sa place parmi ces contes, puisqu’elle en contient un en quelque façon. Je l’abandonne donc ainsi que le reste au jugement du public. Si l’on trouve qu’elle soit hors de son lieu, et qu’il y ait du manquement en cela, je prie le lecteur de l’excuser avec les autres fautes que j’aurai faites.