La Guerre et la paix
1937-1960

Le 18 juillet 1936, le général Francisco Franco accompagné d’un groupe militaire mène un coup d’État nationaliste contre la Seconde République espagnole (1931-1939). La rébellion à demie victorieuse évolue en une guerre civile qui allait durer trois ans. Picasso, dont l’allégeance est avec le gouvernement légitime du front populaire républicain, réalise deux gravures ridiculisant les aspirations de Franco dans un format quasi similaire à celui d’une bande-dessinée. Il y joint un poème composé par lui-même, dont les revenus sont versés au gouvernement républicain. Cette représentation grotesque des aspirations du général fait écho au Père Ubu dans l’œuvre d’Alfred Jarry, Ubu Roi.

Songe et Mensonge de Franco I, 1937. Gravure au sucre et aquatinte sur papier, 31 x 42 cm. Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofía, Madrid

Guernica, 1937. Huile sur toile, 349,3 x 776,6 cm. Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofia, Madrid

L’événement historique sanglant qui émut Picasso et l’inspira pour ce chef-d’œuvre (commandé par le gouvernement espagnol républicain et réalisé en un mois), eut lieu peu de temps avant l’Exposition internationale à Paris en 1937, durant laquelle il fut présenté au public. Les images et les sentiments liés au bombardement de plus de trois heures et la destruction complète de la ville basque de Guernica par des avions nazis sont encore dans tous les esprits. La brutalité tranchante de l’œuvre monochrome est controversée par son message politique réactionnaire, mais aussi en tant qu’œuvre d’art. L’utilisation du noir et blanc doit provenir des photographies de guerre comme celles de Robert Capa. Malgré le symbolisme octroyé aux différents éléments depuis la réalisation de cette peinture, Picasso demeura toujours extrêmement secret concernant les sens cachés de Guernica.

Guernica, étape 1, 1937. Photographie de Dora Maar

Guernica, étape 3, 1937. Photographie de Dora Maar

Nous avons très rarement l’occasion d’observer les différentes étapes d’un chef-d’œuvre. Dora Maar (maîtresse de Picasso) nous documente sur l’activité frénétique de l’artiste durant le mois qu’il passe à la réalisation de l’œuvre qui allait devenir Guernica. Les photographies de ces deux étapes montrent que Picasso invente certaines parties de la toile au fur et à mesure. Notons dans la première étape, le poing tendu qui occupe l’espace et qui sera par la suite remplacé par la tête d’un cheval. Même lorsque Picasso commence à appliquer de la couleur sur la toile dans la troisième étape, on peut distinguer des éléments qui seront modifiés dans la version finale.

Tête de taureau (étude preparatoire pour Guernica), 1937. Graphite et gouache sur papier, 23 x 29 cm. Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofía, Madrid

Le taureau est une autre figure aisément reconnaissable dans Guernica, mais aussi dans l’Œuvre complète de Picasso. De nombreux écrivains l’appréhendent comme un symbole de l’Espagne, cependant, Picasso semble avoir précisé que le taureau, dans cette œuvre, représente la brutalité du fascisme.

Mère et enfant mort (IV) (étude préparatoire pour Guernica), 1937. Graphite, gouache et crayon de couleur sur toile à calquer, 23,2 x 29,3 cm. Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofía, Madrid

Alors que l’aspect le plus puissant et caractéristique de Guernica réside dans le traitement chromatique fortement réduit, Picasso parvient à atteindre un pathos équivalent dans ses études colorées. C’est le cas notamment avec cette Mère et enfant mort, où Picasso a même ajouté de vrais cheveux à la figure féminine. La composition serrée et les traits forts et nerveux traduisent l’urgence dramatique de la toile.

La femme qui pleure (III), (étude préparatoire pour Guernica), 1937. Graphite, gouache et crayon de couleur sur toile à calquer, 23,2 x 29,3 cm. Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofía, Madrid

De toutes les images iconiques qui composent Guernica, la plus dramatique est peut-être celle de la femme pleurant et criant de détresse, tenant son enfant mort dans les bras. Picasso réalise de nombreux tableaux et dessins sur ce thème. Bien que l’étude ici présente de La Femme qui pleure ne ressemble pas à celle que l’on peut voir dans Guernica, elle nous donne un aperçu des différentes possibilités auxquelles Picasso a pensé juste avant d’achever définitivement son œuvre. Ces études témoignent aussi des intentions originales de l’artiste d’inclure de la couleur dans son tableau.

Femme en pleurs, 1937. Huile sur toile, 60,8 x 50 cm. Tate Modern, Londres

Les échos de Guernica se font encore entendre après son achèvement durant l’été 1937. Cette célèbre Femme en pleurs est peinte par l’artiste quatre mois après l’aboutissement de son chef-d’œuvre monumental. Il s’inspire ici de Dora Maar. Picasso donne un sentiment dramatique à ce portrait expressionniste avec l’utilisation de contours durs et pointus, de couleurs vives ainsi qu’avec la déformation des traits du visage. Il réalise plusieurs versions de ce même thème qui devient une sorte d’obsession avant, pendant et après la réalisation de Guernica.

Le Chandail jaune, 1939. Huile sur toile, 81 x 65 cm. Museum Berggruen, Staatliche Museen zu Berlin, Berlin

Cette peinture représente la nouvelle maîtresse de Picasso, Dora Maar, qu’il rencontre alors qu’il est toujours en couple avec Marie-Thérèse Walter. Ce portrait est typique de cette période, la distorsion du visage fait librement écho au cubisme tardif et sa sérénité contraste avec les récents événements : la Seconde Guerre mondiale qui a débuté un mois auparavant.

Portrait de Jaime Sabartés en grand d’Espagne, 1939. Huile sur toile, 46 x 38 cm. Museu Picasso, Barcelone

Jaime Sabartés est un ami proche de Picasso. Ils se rencontrent en 1899 et Picasso réalise de nombreux portraits de lui durant sa période bleue (vol. 1, p. 20 et 26). En 1939, Sabartés devient le secrétaire particulier de Picasso, poste qu’il occupe jusqu’à sa mort en 1968. Ce portrait de Sabartés, que Picasso réalise en 1939, n’a rien à voir avec les œuvres précédentes. Ici, Jaime ressemble à un homme du monde espagnol du XVIIe siècle, reconnaissable par son accoutrement. Il semblerait que Picasso réponde ici à une certaine tradition de l’art espagnol, une imagerie qui s’avère être encore fertile pour des artistes plus tardifs comme Antonio Saura (1930-1998).

Portrait de Nusch Éluard, 1938. Huile sur bois, 73 x 60 cm. Museum Sammlung Rosengart, Lucerne

Nusch Éluard est une figure cruciale de la scène expressionniste parisienne. Née Maria Benz à Mulhouse en 1906, elle arrive à Paris à la fin des années 1920 et travaille en tant qu’assistante auprès d’un hypnotiseur. En 1930, elle rencontre le poète Paul Éluard qu’elle épouse quatre ans plus tard, et qui lui permet d’intégrer le groupe des surréalistes. Bien qu’elle produise ses propres collages surréalistes, elle est davantage reconnue pour avoir inspiré des artistes tels que Man Ray, Magritte, Joan Miró et Picasso. Ce portrait délicat est l’un des nombreux hommages rendus par les artistes parisiens à l’une de leur plus grande muse.

Homme au chapeau de paille et au cornet de glace, 1938. Huile sur toile, 61 x 46 cm. Musée Picasso Paris, Paris

Ce thème en apparence banal montre un Picasso agressif. L’arrière-plan noir sert de prétexte et de scénario au portrait coloré et violent d’un homme léchant un cône de glace. Ses yeux injectés de sang, ses dents jaunes et sa langue en forme de serpent révèlent une image qui est tout sauf joyeuse. Cette toile s’inscrit dans la lignée de la Femme en pleurs par son expressivité et sa puissance. Peut-être est-elle un écho moins évident de Guernica.

Femme à l’oiseau (Dora Maar), 1939. Huile sur toile, 92 x 73 cm. Collection privée

Ce nouveau portrait de Dora Maar, réalisé à la fin des années 1930, est joyeux, malgré des lignes agressives. Picasso joue avec une combinaison de couleurs plus harmonieuses, mais qui ne sont pas aussi surprenantes que dans l’Homme au chapeau de paille et au cornet de glace. Nul doute que la violence de cette période subsiste. Dans cette toile on peut parfaitement distinguer un reflet de la Femme en pleurs.

Chat saisissant un oiseau, 1939. Huile sur toile, 96,5 x 128,9 cm. Ganz Collection, New York

Cette peinture peut être perçue comme une réflexion sur la violence, implicite et concrète, ressentie à la fin des années 1930, la guerre dans le pays natal de Picasso servant de prélude aux horreurs qui allaient envahir l’Europe durant les années à suivre. Les quelques détails : l’oiseau attaqué, la chair saignante, les griffes acérées du chat et l’absence de scénario, en font une représentation très déstabilisante.

Femme assise, 1945. Huile sur toile, 131,5 x 81 cm. Musée Picasso Paris, Paris

Après les périodes rose et bleue de 1900 à 1907, il est étrange de voir un tableau de Picasso être dominé par un seul ton chromatique. Cette Femme assise, renvoie à la mélancolie de la période bleue. Même si la forme de la femme fait écho aux figures allongées des premières années, peut-être fait-elle aussi référence aux derniers mois de la Seconde Guerre mondiale durant lesquels cette œuvre est réalisée.

L’Homme au mouton, 1943. Bronze, 222,5 x 78 x 78 cm. Musée Picasso Paris, Paris

Sous l’Occupation, Picasso est surveillé par les autorités allemandes, mais il est autorisé à travailler dans son atelier parisien. Durant cette période il réalise des statuettes en bronze comme L’Homme au mouton. Ici, Picasso revient à la sculpture figurative. Il sculpte cette figure d’homme serrant un mouton après de nombreuses études sur papier, dont la première représente un bouquet de fleurs et non pas un animal. La sculpture, qui rappelle le thème chrétien du Bon Berger, est une tentative de la part de l’artiste d’exprimer le sacrifice et la souffrance qui ont une réelle signification dans le contexte dans lequel celle-ci est réalisée.

Nature morte avec tête de taureau, 1939. Huile sur toile, 65 x 92 cm. The Cleveland Museum of Art, Cleveland

Picasso réalise de nombreuses natures mortes durant cette période. Elles peuvent être interprétées comme des vanitas des temps modernes, un thème classique dans la tradition classique occidentale qui rappelle à l’homme sa nature éphémère à travers des crânes et des fruits qui pourrissent de la même façon que le corps humain. Cette toile en particulier, a été peinte par Picasso peu de temps après deux événements importants : la mort de la mère de l’artiste et l’Occupation de Barcelone par les nationalistes, événement qui symboliquement (si ce n’est définitivement), signale la défaite de la Seconde République. L’arbre à l’arrière-plan peut être interprété comme un faible signe d’espoir pendant cette sombre période.

La Casserole émaillée, 1945. Huile sur toile, 82 x 106,5 cm. Musée national d’Art moderne, Centre Georges-Pompidou, Paris

Picasso continue à peindre des natures mortes tout au long de la Seconde Guerre mondiale. Elles se composent de moins d’éléments et de couleurs que précédemment. La Casserole émaillée est une peinture plus sobre et peut-être également plus puissante que toutes les natures mortes réalisées durant cette période. Dans cette composition, la bougie rappelle à l’homme qu’il va mourir. Les formes et les couleurs des éléments restants sur la table sont magnifiquement assemblés. À travers cette scène intense et silencieuse, Picasso fait référence aux magnifiques natures mortes de Zurbarán et de Sanchez Cotán réalisées au XVIIe siècle.

Femme au corsage bleu (Dora Maar), 1941. Huile sur toile, 92 x 60 cm. Collection privée

Ce nouveau portrait de Dora Maar est plus contenu que ceux réalisés par Picasso les années précédentes. Il semble représenter une trêve parmi des œuvres plus violentes et agressives. L’arrière-plan vert et le corsage bleu clair donnent un ton subtil à la toile. De plus, le motif de la jupe de Maar rappelle les peintures-collages des années 1920, alors que le traitement du visage montre un intérêt renouvelé, voire éphémère, d’une représentation plus naturaliste des traits humains.

Femme en gris, 1942. Huile sur panneau, 99,7 x 81 cm. Brooklyn Museum, New York

Femme en gris est l’un des portraits féminins monumentaux réalisés par Picasso et qui présente une gamme de couleurs extrêmement réduite. Cette variation, autour du gris essentiellement, rappelle son utilisation symbolique dans Guernica. Ce portrait peut être perçu comme un reflet de l’Occupation oppressive et morne des Allemands en France.

Femme dans un fauteuil (Françoise Gilot), 1947. Huile sur toile, 130 x 97 cm. Collection privée

Picasso rencontre Françoise Gilot en 1943 alors que l’Espagnol, de quarante ans son ainé, est encore engagé dans une relation amoureuse avec Dora Maar. Ils commencent à vivre ensemble à partir de 1946 et ont deux enfants ; Claude (né en 1947) et Paloma (née en 1949). Leur relation dure dix années jusqu’à ce que Françoise y mette un terme en 1953. La jeune amante qui a inspiré ce tableau, est réduite à une série de formes abstraites colorées, organisées de façon aléatoire et joviale, signe évident de l’approche définitivement plus optimiste de Picasso durant cette seconde moitié des années 1940.

La Joie de vivre, 1946. Huile sur bois, 120 x 250 cm. Musée Picasso, Antibes

Durant l’été 1946, Picasso et sa nouvelle maîtresse Françoise Gilot se rendent à Antibes, sur la Côte d’Azur. Picasso passe deux mois à travailler dans un atelier au château Grimaldi, lieu qui deviendra le musée Picasso d’Antibes en 1949. Il y peint La Joie de vivre, une représentation bucolique de la Méditerranée. L’intérêt de Picasso pour l’Antiquité est présent tout au long de sa carrière comme on peut le constater dans les thèmes étudiés dans les années 1920 (p. *) et dans la Suite Vollard (p. **, ***). Ici, la lumière particulière de la Méditerranée entoure une scène mythologique au centre de laquelle se trouve un hommage à la jeune Gilot.

Le Charnier, 1944-1945. Huile et fusain sur toile, 199,8 x 250,1 cm. The Museum of Modern Art, New York

Le Charnier est l‘œuvre la plus politique de Picasso depuis Guernica ainsi que son évocation la plus explicite. Picasso est inspiré par un documentaire portant sur une famille qui avait été assassinée durant la guerre civile espagnole. L’utilisation de la grisaille évoque Guernica, phénomène accentué également par la composition pyramidale et son caractère monumental. Il semblerait que cette œuvre représente les nombreux cadavres découverts dans les camps de concentration nazis à la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Nu debout, 1946. Crayon de couleur sur papier, 51 x 32,5 cm. Musée Picasso Paris, Paris

Une feuille de papier et des crayons sont peut-être le meilleur support pour se rendre compte de l’espièglerie de Picasso. Avec, il peut expérimenter les formes et les couleurs librement. Le personnage représenté ici est simplement composé de lignes reliant les différentes couleurs et où tout détail est superflu.

La Cuisine, 1948. Huile sur toile, 175,3 x 250 cm. The Museum of Modern Art, New York

Cette toile est peinte après une demande de la veuve de Guillaume Apollinaire à Picasso de réaliser un second monument à son ami, mort exactement vingt ans auparavant. Le premier hommage de Picasso au poète (p. *) avait été rejeté par le comité Apollinaire, considéré comme trop abstrait. Ce nouvel essai, une peinture monumentale, évoque le caractère linéaire de la première sculpture. Curieusement, l’inspiration lui vint de sa propre cuisine, dont l’espace, les meubles et les objets ont été simplifiés au point de présenter une composition abstraite, entièrement constituée de traits noirs et de points sur un arrière-plan gris-blanc.

La Chèvre, 1950. Plâtre original, 120,5 x 72 x 144 cm. Musée Picasso Paris, Paris

À partir de 1948, Picasso travaille dans un atelier situé à Vallauris. L’atelier en question se trouve à côté d‘une cour où des potiers jettent leurs débris. Picasso fouille dans ces rejets afin de trouver des pièces qui vont lui permettre de réaliser une sculpture de chèvre qu’il a dessinée au préalable. Ainsi, un panier en osier fait office de cage thoracique, des pots en céramique pour les pis, des pieds de vigne pour les cornes et enfin une feuille de palmier pour la colonne vertébrale. Il se sert de ces éléments comme squelette qu’il remplit ensuite de plâtre. La sculpture est plus tard coulée dans le bronze.

Grue, 1952. Bronze et plastique, H : 74 cm. Museum Berggruen, Staatliche Museen zu Berlin, Berlin

Comme pour La Chèvre, Picasso réalise cette sculpture à partir de matériaux récupérés. Composée de vannerie et de longues fourches, la Grue de Picasso est particulièrement expressive. Ce type d’œuvre montre l’immense talent de l’artiste. Alors qu’il est principalement reconnu comme peintre, on oublie parfois que la contribution de Picasso à la sculpture moderne est aussi, voire plus cruciale que sa peinture ne l’était. L’idée selon laquelle une sculpture peut être fabriquée à partir de n’importe quel matériau, noble ou pas, nous vient de Picasso et d’une poignée d’autres pionniers.

Colombe de la paix, vers 1950. Lithographie, 70 x 54,5 cm. Musée d’Art moderne de la Ville de Paris, Paris

Le motif de la colombe apparait dans les œuvres de Picasso dès 1901 (p. *). Dans les années 1950, l’artiste l’utilise à des fins symboliques. À cette période, Picasso devient un porte-parole des appels internationaux pour la paix suite aux horreurs de la Seconde Guerre mondiale. Au même titre que Guernica, la colombe blanche devient rapidement une icône du XXe siècle.

Massacre en Corée, 1951. Huile sur contreplaqué, 110 x 210 cm. Musée Picasso Paris, Paris

En 1944, Picasso rejoint le PCF, le parti communiste français. En tant que personnage politiquement engagé à l’international, il se rend à plusieurs conférences sur la paix et reçoit le prix Lénine de la paix en 1950. Pendant la guerre de Corée (1950-1953), il se positionne contre l’intervention internationale. Cette œuvre dénonce ouvertement la guerre. Les figures en gris font écho à Guernica, alors que la composition semble être un hommage à L’Exécution de Maximilien de Manet et au 3 mai 1808 de Goya.

La Guerre, 1952. Huile sur panneau dur, 47 x 102 cm. Musée national Pablo Picasso, La Guerre et La Paix, Vallauris

La Paix, 1952. Huile sur panneau dur, 47 x 102 cm. Musée national Pablo Picasso, La Guerre et La Paix, Vallauris

En avril 1952, Picasso accepte une commande pour la décoration d’une chapelle inutilisée à Vallauris. Il commence ainsi à travailler sur deux immenses fresques pour ce qui devait être un « temple de la paix ». Il s’agit aussi pour l’artiste d’une opportunité de répondre à la Chapelle de Vence décorée somptueusement par Matisse l’année précédente. Pour la chapelle de Vallauris, Picasso réalise deux immenses peintures appelées La Guerre et La Paix. Le thème répond aux nombreux appels internationaux pour la paix après la Seconde Guerre mondiale, et il devient incontournable dans son Œuvre. La Guerre représente une figure démoniaque conduisant un corbillard brandissant un sabre ensanglanté et portant sur son dos un panier rempli de crânes. Il s’avance vers un paisible guerrier de la paix. Dans le pendant de cette toile (La Paix), une atmosphère idyllique s’empare de la scène. Sur la droite, une mère est placée auprès d’allégories de la culture (qui étaient piétinées dans La Guerre). Au centre et sur la gauche, des personnages dansent et chantent.

Les Demoiselles des bords de Seine, d’après Courbet, 1950. Huile sur contreplaqué, 100,4 x 208 cm. Kunstmuseum Basel, Bâle

Durant les dernières années de sa vie, Picasso commence à peindre une série de variation d’œuvres de grands maîtres. Cette version de la peinture Les Demoiselles des bords de Seine de Courbet est un exemple de cette tendance. Exposée au Salon de 1857, la version originale avait provoqué un scandale en raison de son non-respect des codes de représentation traditionnels des femmes dans un paysage naturel, mais aussi par des connotations érotiques explicites. Picasso revisite l’œuvre de Courbet à l’aide de son ancien style, c’est à dire en divisant les corps des deux femmes à travers des perspectives multiples aux contours solides appuyés par des traits de couleurs épais.

Femme et chien jouant, fond bleu, 1953. Huile sur toile, 81 x 100 cm. Collection privée

Pendant les années 1950, Picasso peint de nombreuses scènes liées à la vie domestique (p. *, **). Ces scènes distillent un sentiment de plaisir. Ici, une femme (certainement Françoise Gilot) joue avec un chien dans une composition qui ressemble à un collage. Cette peinture colorée joue avec les déformations créatives des formes humaines dans la recherche d’une plus grande expressivité. Un autre détail peut être observé dans cette toile : la tête du chien qui ressemble aux motifs médiévaux, particulièrement aux peintures murales romanes de Catalogne que Picasso affectionnait.

Portrait de Sylvette David dans un fauteuil vert, 1954. Huile sur toile, 81 x 65 cm. Collection privée

Lorsque Picasso rencontre Sylvette David en 1954, il est immédiatement fasciné par son apparence physique. Cela devient une obsession pour l’artiste, et une fois qu’elle accepte de poser pour lui, il réalise quarante portraits de la jeune femme en l’espace de trois mois. Contrairement aux autres femmes dont il a fait le portrait tout au long de sa carrière, Picasso semble n’explorer que les aspects formels des traits de Sylvette sans présenter d’attaches émotionnelles. Il la représente sous toutes les formes et tous les styles, d’une manière plus réaliste puis plus abstraite. Cette peinture en particulier est l’une des plus représentatives de la jeune femme que l’on reconnait grâce à son immense queue de cheval, vue de profil. Les portraits de Sylvette par Picasso s’avèrent être des sources d’inspiration importantes y compris dans le monde de la mode. En effet, l’actrice Brigitte Bardot, se teint les cheveux en blond et adopte la queue de cheval de Sylvette. Cette coiffure est reprise par les femmes à cette époque.

Femmes d’Alger, d’après Delacroix, 1955. Huile sur toile, 114 x 146 cm. Collection privée, New York

Cette œuvre est l’une des nombreuses réponses de Picasso à Eugène Delacroix. Entre 1954 et 1955, il réalise quinze peintures et deux lithographies des Femmes d’Alger de Delacroix. La lumière et la couleur d’Alger avaient été une source d’inspiration importante pour le peintre romantique, et Picasso, à travers ses multiples hommages, explore différentes solutions chromatiques. Cet exemple, peint en 1955, est une approche très colorée de ce thème. La lumière de l’Afrique du Nord devient une myriade de couleurs pures qui servent de mise en scène pour ces figures de femmes extrêmement érotiques.

Les Ménines, d’après Velázquez, 1957. Huile sur toile, 194 x 260 cm. Museu Picasso, Barcelone

Dans sa confrontation avec les plus grands génies de la peinture, l’entreprise la plus ambitieuse de Picasso reste sa réinterprétation du chef-d’œuvre de Velázquez Les Ménines, réalisé en 1656. Picasso peint plus de quarante versions de cette peinture. Celle présentée ici est la première et la plus fidèle à la version originale, malgré des différences évidentes telles que le format et la couleur. Un élément permet cependant de reconnaître Les Ménines : les figures sont identiques dans les deux tableaux et occupent les mêmes positions. Même si la signification de ce chef-d’œuvre demeure un mystère par bien des aspects, Les Ménines est considéré comme l’une des meilleures expressions en faveur de de la peinture. Dans son hommage au grand peintre espagnol, Picasso insiste sur ce point en doublant la taille de l’autoportrait de Velázquez et en lui faisant tenir deux palettes.

L’Ombre, 1953. Huile et fusain sur toile, 129,5 x 96,5 cm. Musée Picasso Paris, Paris

Cette grande toile montre de quelle manière une image simplifiée peut, dans de nombreux cas, susciter des sentiments plus intenses qu’une représentation naturaliste de la réalité. L’utilisation de la couleur chez Picasso s’avère déterminante. Le contraste entre l’ombre et la lumière est construit sur une juxtaposition exagérée des tons, qui néanmoins, ressemble parfaitement à l’effet d’une lumière crue pénétrant dans une pièce sombre. De nouveau, avec ce thème, Picasso place le spectateur dans une position de voyeur à travers cette sensation de menace obsédante.

Paloma devant le jardin, 1953. Huile sur toile, 130,8 x 97,5 cm. Collection privée

Paloma devant le jardin est un chef-d’œuvre décoratif. Ici, l’artiste démontre combien il est difficile de peindre, comme il dit souvent « de la même manière qu’un enfant ». Cette scène combine inventivité formelle et chromatique avec un effet de plénitude provoqué par l’enfant situé à l’arrière-plan. Les différents éléments qui constituent cette œuvre semblent avoir été collés sur la surface de la toile comme des morceaux de papier. Cette approche de la peinture dérive du cubisme synthétique et ressemble aux meilleurs papiers collés de l’artiste, dans son apparent manque d’effort, et par le fait que l’œuvre semble avoir été réalisée dans un état de plaisir créatif pur.

Enfants dessinant, 1954. Huile sur toile, 91,8 x 73 cm. Collection privée

L’influence du cubisme synthétique est clairement identifiable dans des œuvres comme celle-ci. L’audace de cette invention, cependant, est devenue plus sage avec le temps. Ici, la couleur est utilisée afin d’attirer le regard du spectateur vers les figures au centre de la toile. Picasso met en avant les enfants avec des couleurs qui ressortent de l’arrière-plan. Il ne le fait pas de façon violente, mais avec la même sérénité qui domine toute la scène.

Le Buffet de Vauvenargues, 1959-1960. Huile sur toile, 195 x 280 cm. Musée Picasso Paris, Paris

En 1958, Picasso achète le château de Vauvenargues et y emménage avec Jacqueline Roque qu’il épouse en 1961. Le château est situé à une demi-heure d’Aix-en-Provence, dans l’ombre de la montagne Sainte-Victoire (véritable sujet de prédilection de Cézanne). Même s’il y vit pendant une courte période, celle-ci s’avère être particulièrement productive pour l’artiste. Dans Le Buffet de Vauvenargues, un enfant et un chien sont présents parmi les meubles du château. Curieusement, les représentations d’enfants sont l’un des thèmes favoris de Picasso pendant ce bref séjour. Il n’en a jamais eu avec Jacqueline.