10° Il est important d’observer que pendant plus de trente années que La Motte-Houdart, Saurin et Malafer ont survécu à ce procès, aucun d’eux n’a été soupçonné ni de la moindre mauvaise manœuvre, ni de la plus légère satire. La Motte-Houdart n’a jamais même répondu à ces invectives atroces, connues sous le nom de Calottes et sous d’autres titres, dont un ou deux hommes, qui étaient en horreur à tout le monde, l’accablèrent si longtemps. Il ne déshonora jamais son talent par la satire ; et même, lorsqu’en 1709, outragé continuellement par Rousseau, il fit cette belle ode :
On ne se choisit point son père ;
Par un reproche populaire
Le sage n’est point abattu.
Oui, quoi que le vulgaire pense,
Rousseau, la plus vile naissance
Donne du lustre à la vertu, etc.
quand, dis-je, il fit cet ouvrage, ce fut bien plutôt une leçon de morale et de philosophie qu’une satire. Il exhortait Rousseau, qui reniait son père, à ne point rougir de sa naissance. Il l’exhortait à dompter l’esprit d’envie et de satire. Rien ne ressemble moins à la rage qui respire dans les couplets dont on l’accuse.
Mais Rousseau, après une condamnation qui devait le rendre sage, soit qu’il fût innocent ou coupable, ne put dompter son penchant. Il outragea souvent, par des épigrammes, les mêmes personnes attaquées dans les couplets, La Faye, Danchet, La Motte-Houdart, etc. Il fit des vers contre ses anciens et ses nouveaux protecteurs. On en retrouve quelques-uns dans des lettres, peu dignes d’être connues, qu’on a imprimées ; et la plupart de ces vers sont du style de ces couplets pour lesquels le parlement l’avait condamné ; témoin ceux-ci contre l’illustre musicien Rameau :
Distillateurs d’accords baroques,
Dont tant d’idiots sont férus,
Chez les Thraces et les Iroques
Portez vos opéras bourrus, etc.
On en retrouve du même goût dans le recueil intitulé Portefeuille de Rousseau, contre l’abbé d’Olivet qui avait formé le projet de le faire revenir en France. Enfin lorsque sur la fin de sa vie il vint se cacher quelque temps à Paris, affichant la dévotion, il ne put s’empêcher de faire encore des épigrammes violentes. Il est vrai que l’âge avait gâté son style ; mais il ne réforma point son caractère, soit que, par un mélange bizarre, mais ordinaire chez les hommes, il joignit cette atrocité à la dévotion, soit que, par une méchanceté non moins ordinaire, cette dévotion fût hypocrisie.
11° Si Saurin, La Motte et Malafer avaient comploté le crime dont on les accuse, ces trois hommes ayant été depuis assez mal ensemble, il est bien difficile qu’il n’eût rien transpiré de leur crime. Cette réflexion n’est pas une preuve ; mais, jointe aux autres, elle est d’un grand poids.
12° Si un garçon aussi simple et aussi grossier que le nommé Guillaume Arnoult, condamné comme témoin suborné par Rousseau, n’avait point été en effet coupable, il l’aurait dit, il l’aurait crié toute sa vie à tout le monde. Je l’ai connu. Sa mère aidait dans la cuisine de mon père, ainsi qu’il est dit dans le Factum de Saurin ; et sa mère et lui ont dit plusieurs fois à toute ma famille, en ma présence, qu’il avait été justement condamné.
Pourquoi donc, au bout de quarante-deux ans, N. Boindin a-t-il voulu laisser, en mourant, cette accusation authentique contre trois hommes qui ne sont plus ? C’est que le Mémoire était composé il y a plus de vingt ans ; c’est que Boindin les haïssait tous trois ; c’est qu’il ne pouvait pardonner à La Motte de n’avoir pas sollicité pour lui une place à l’Académie française, et de lui avoir avoué que ses ennemis, qui l’accusaient d’athéisme, lui donneraient l’exclusion. Il s’était brouillé avec Saurin, qui était comme lui un esprit altier et inflexible. Il s’était brouillé avec Malafer, homme dur et impoli. Il était devenu l’ennemi de Lériget de La Faye, qui avait fait contre lui cette épigramme :
Oui, Vadius, on connaît votre esprit ;
Savoir s’y joint ; et quand le cas arrive
Qu’œuvre paraît par quelque coin fautive,
Plus aigrement qui jamais la reprit ?
Mais on ne voit qu’en vous aussi se montre
L’art de louer le beau qui s’y rencontre,
Dont cependant maints beaux esprits font cas.
De vos pareils que voulez-vous qu’on pense ?
Eh quoi ! qu’ils sont connaisseurs délicats ?
Pas n’en voudrais tirer la conséquence ;
Mais bien qu’ils sont gens à fuir de cent pas.
C’était là en effet le caractère de Boindin, et c’est lui qui est peint dans le Temple du goût sous le nom de Bardou. Il fut dans son Mémoire la dupe de sa haine, incapable de dire ce qu’il ne croyait pas, et incapable de changer d’avis sur ce que son humeur lui inspirait. Ses mœurs étaient irréprochables, il vécut toujours en philosophe rigide, il fit des actions de générosité ; mais cette humeur dure et insociable lui donnait des préventions dont il ne revenait jamais.
Toute cette funeste affaire, qui a eu de si longues suites, et dont il n’y a guère d’hommes plus instruits que moi, dut son origine au plaisir innocent que prenaient plusieurs personnes de mérite de s’assembler dans un café. On n’y respectait pas assez la première loi de la société, de se ménager les uns les autres. On se critiquait durement, et de simples impolitesses donnèrent lieu à des haines durables et à des crimes. C’est au lecteur à juger si, dans cette affaire, il y a eu trois criminels ou un seul.
On a dit qu’il se pourrait à toute force que Saurin eût été l’auteur des derniers couplets attribués à Rousseau. Il se pourrait que, Rousseau ayant été reconnu coupable des cinq premiers, qui étaient de la même atrocité, Saurin eût fait les derniers pour le perdre, quoiqu’il n’y eût aucune rivalité entre ces deux hommes, quoique Saurin fût alors plongé dans les calculs de l’algèbre, quoique lui-même fût cruellement outragé dans ces derniers couplets, quoique tous les offensés les imputassent unanimement à Rousseau, enfin quoiqu’un jugement solennel ait déclaré Saurin innocent. Mais si la chose est physiquement dans l’ordre des possibles, elle n’est nullement vraisemblable. Rousseau l’en accusa toute sa vie ; il le chargea de ce crime par son testament ; mais le professeur Rollin, auquel Rousseau montra ce testament quand il vint clandestinement à Paris, l’obligea de rayer cette accusation. Rousseau se contenta de protester de son innocence à l’article de la mort ; mais il n’osa jamais accuser La Motte, ni pendant le cours du procès, ni durant le reste de sa vie, ni à ses derniers moments. Il se contenta de faire toujours des vers contre lui. (Voyez l’article Joseph SAURIN.)
LANCELOT (Claude), né à Paris en 1616. Il eut part à des ouvrages très utiles que firent les solitaires de Port-Royal pour l’éducation de la jeunesse. Mort en 1695.
LAPLACETTE (Jean de), de Béarn, né en 1639, ministre protestant à Copenhague et en Hollande ; estimé pour ses divers ouvrages. Mort à Utrecht en 1718.
LA PORTE (Pierre de), premier valet de chambre de la reine mère, et quelque temps de Louis XIV ; mis en prison par le cardinal de Richelieu, et menacé de la mort pour le forcer à trahir les secrets de sa maîtresse, qu’il ne trahit point. Dans la foule des Mémoires qui développent l’histoire de cet âge, ceux de La Porte ne sont pas à mépriser ; ils sont d’un honnête homme, ennemi de l’intrigue et de la flatterie, sévère jusqu’au pédantisme. Il avoue qu’il avertissait la reine que sa familiarité avec le cardinal Mazarin diminuait le respect des grands et des peuples pour elle. Il y a dans ses Mémoires une anecdote sur l’enfance de Louis XIV qui rendrait la mémoire du cardinal Mazarin exécrable, s’il avait été coupable du crime honteux que La Porte semble lui imputer. Il paraît que La Porte fut trop scrupuleux et trop mauvais physicien ; il ne savait pas qu’il y a des tempéraments fort avancés. Il devait surtout se taire ; il se perdit pour avoir parlé, et pour avoir attribué à la débauche un accident fort naturel.
LA QUINTINIE (Jean), né près de Poitiers en 1626. Il a créé l’art de la culture des arbres, et celui de les transplanter. Ses préceptes ont été suivis de toute l’Europe, et ses talents récompensés magnifiquement par Louis XIV. Mort en 1700.
LA ROCHEFOUCAULD (François, duc de), né en 1613. Ses Mémoires sont lus, et on sait par cœur ses Pensées. Mort en 1680.
LARREY (Isaac de), né en Normandie en 1638. Son Histoire d’Angleterre fut estimée avant celle de Rapin de Thoyras, et son Histoire de Louis XIV ne le fut jamais. Mort à Berlin en 1719.
LA RUE (Charles de), né en 1643, jésuite, poète latin, poète français, et prédicateur. L’un de ceux qui travaillèrent à ces livres nommés Dauphins, pour l’éducation de Monseigneur. Virgile lui tomba en partage. Il a fait plusieurs tragédies et comédies ; sa tragédie de Sylla fut présentée aux comédiens, et refusée. Il a fait encore celle de Lysimachus. On croit qu’il a beaucoup travaillé à L’Andrienne. Il était très lié avec le comédien Baron, dont il apprit à déclamer. Il y avait deux sermons de lui qui étaient fort en vogue : l’un était Le Pécheur mourant, et l’autre Le Pécheur mort ; on les affichait quand il devait les prononcer. Mort en 1725.
LAUNAY (François de), né à Angers en 1612, jurisconsulte et homme de lettres. Il fut le premier qui enseigna le droit français à Paris. Mort en 1693.
LAUNOY (Jean de), né en Normandie en 1603, docteur en théologie, savant laborieux, et critique intrépide. Il détrompa de plusieurs erreurs, et surtout de l’existence de plusieurs saints. On sait qu’un curé de Saint-Eustache disait : « Je lui fais toujours de profondes révérences, de peur qu’il ne m’ôte mon Saint-Eustache10. » Mort en 1678.
LAURIÈRE (Eusèbe), né à Paris en 1659, avocat. Personne n’a plus approfondi la jurisprudence et l’origine des lois. C’est lui qui dressa le plan du Recueil des ordonnances, ouvrage immense qui signale le règne de Louis XIV ; c’est un monument de l’inconstance des choses humaines : un recueil d’ordonnances n’est que l’histoire des variations. Mort en 1728.
LEBŒUF (l’abbé), né en 1687, l’un des plus savants hommes dans les détails de l’histoire de France. Il aurait été employé par un Colbert, mais il vint trop tard. Mort en 1760.
LEBOSSU (René), né à Paris en 1631, chanoine régulier de Sainte-Geneviève. Il voulut concilier Aristote avec Descartes ; il ne savait pas qu’il fallait les abandonner l’un et l’autre. Son Traité sur le poème épique a beaucoup de réputation, mais il ne fera jamais de poètes. Mort en 1680.
LEBRUN (Pierre), né à Aix en 1661, de l’Oratoire. Son livre critique des Pratiques superstitieuses a été recherché ; mais c’est un médecin qui ne parle que de très peu de maladies, et qui est lui-même malade. Mort en 1729.
LE CLERC (Jean), né à Genève en 1657, mais originaire de Beauvais. Il n’était pas le seul savant de sa famille, mais il était le plus savant. Sa Bibliothèque universelle, dans laquelle il imita la République des lettres de Bayle, est son meilleur ouvrage. Son plus grand mérite est d’avoir alors approché de Bayle, qu’il a combattu souvent. Il a beaucoup plus écrit que ce grand homme ; mais il n’a pas connu comme lui l’art de plaire et d’instruire, qui est si au-dessus de la science. Mort à Amsterdam en 1736.
LECOINTE (Charles), né à Troyes en 1611, de l’Oratoire. Ses Annales ecclésiastiques, imprimées au Louvre par ordre du roi, sont un monument utile. Mort en 1681.
LEFÈVRE (Tanneguy), né à Caen en 1615, calviniste, professeur à Saumur, méprisant ceux de sa secte, et demeurant, parmi eux, plus philosphe qu’huguenot, écrivant aussi bien en latin qu’on puisse écrire dans une langue morte, faisant des vers grecs qui doivent avoir eu peu de lecteurs. La plus grande obligation que lui aient les lettres est d’avoir produit Mme Dacier. Mort en 1678.
LEFÈVRE (Anne). Voyez Mme DACIER.
LEGENDRE (Louis), né à Rouen en 1659, a fait une Histoire de France. Pour bien faire cette histoire, il faudrait la plume et la liberté du président de Thou ; et il serait encore très difficile de rendre les premiers siècles intéressants. Mort en 1733.
LEGRAND (Joachim), né en Normandie en 1653, élève du P. Lecointe. Il a été l’un des hommes les plus profonds dans l’histoire. Mort en 1733.
LE LABOUREUR (Jean), né à Montmorency en 1623, gentilhomme servant de Louis XIV, et ensuite son aumônier. Sa relation du voyage de Pologne qu’il fit avec Mme la maréchale de Guébriant, la seule femme qui ait jamais eu le titre et fait les fonctions d’ambassadrice plénipotentiaire, est assez curieuse. Les commentaires historiques dont il a enrichi les Mémoires de Castelnau ont répandu beaucoup de jour sur l’histoire de France. Le mauvais poème de Charlemagne n’est pas de lui, mais de son frère. Mort en 1675.
LE LONG (Jacques), né à Paris en 1665, de l’Oratoire. Sa Bibliothèque historique de la France est d’une grande recherche et d’une grande utilité, à quelques fautes près. Mort en 1721.
LÉMERY (Nicolas), né à Rouen en 1645, fut le premier chimiste raisonnable, et le premier qui ait donné une Pharmacopée universelle. Mort en 1715.
LE MOINE (Pierre), jésuite, né en 1602. Sa Dévotion aisée le rendit ridicule ; mais il eût pu se faire un grand nom par sa Louisiade. Il avait une prodigieuse imagination. Pourquoi donc ne réussit-il pas ? C’est qu’il n’avait ni goût, ni connaissance du génie de sa langue, ni des amis sévères. Mort en 1671.
LENAIN DE TILLEMONT (Sébastien), fils de Jean Lenain, maître des requêtes, né à Paris en 1637, élève de Nicole, et l’un des plus savants écrivains de Port-Royal. Son Histoire des empereurs et ses seize volumes de l’Histoire ecclésiastique sont écrits avec autant de vérité que peuvent l’être des compilations d’anciens historiens : car l’histoire, avant l’invention de l’imprimerie, étant peu contredite, était peu exacte. Mort en 1698.
LENFANT (Jacques), né en Beauce en 1661, pasteur calviniste à Berlin. Il contribua plus que personne à répandre les grâces et la force de la langue française aux extrémités de l’Allemagne. Son Histoire du concile de Constance, bien faite et bien écrite, sera jusqu’à la dernière postérité un témoignage du bien et du mal qui peuvent résulter de ces grandes assemblées, et que du sein des passions, de l’intérêt, et de la cruauté même, il peut encore sortir de bonnes lois. Mort en 1728.
LE QUIEN (Michel), né en 1661, dominicain, homme très savant. Il a beaucoup travaillé sur les Églises d’Orient et sur celle d’Angleterre. Il a surtout écrit, contre Le Courayer, sur la validité des évêques anglicans ; mais les Anglais ne font pas plus de cas de ces disputes que les Turcs n’en font des dissertations sur l’Église grecque. Mort en 1733.
LESAGE, né en 1677. Son roman de Gil Blas est demeuré, parce qu’il y a du naturel ; il est entièrement pris du roman espagnol intitulé La Vida de la escudero dom Marcos de Obrego. Mort en 1747.
LE TOURNEUX, né en 1640. Son Année chrétienne est dans beaucoup de mains, quoique mise à Rome à l’index des livres prohibés, ou plutôt parce qu’elle y est mise. Mort en 1686.
LEVASSOR (Michel), de l’Oratoire, réfugié en Angleterre. Son Histoire de Louis XIII, diffuse, pesante, et satirique, a été recherchée pour beaucoup de faits singuliers qui s’y trouvent ; mais c’est un déclamateur odieux, qui dans l’Histoire de Louis XIII ne cherche qu’à décrier Louis XIV, qui attaque les morts et les vivants ; il ne se trompe que sur peu de faits, et passe pour s’être trompé dans tous ses jugements. Mort en 1718.
L’HOSPITAL (François, marquis de), né en 1661, le premier qui ait écrit en France sur le calcul inventé par Newton, qu’il appela les infiniment petits ; c’était alors un prodige. Mort en 1704.
LONGEPIERRE (Hilaire-Bernard de Requeleyne, baron de), né en Bourgogne en 1658. Il possédait toutes les beautés de la langue grecque, mérite très rare en ce temps-là : on a de lui des traductions en vers d’Anacréon, Sapho, Bion, et Moschus. Sa tragédie de Médée, quoique inégale et trop remplie de déclamations, est fort supérieure à celle de Pierre Corneille ; mais la Médée de Corneille n’était pas de son bon temps. Longepierre fit beaucoup d’autres tragédies d’après les poètes grecs, et il les imita en ne mêlant point l’amour à ces sujets sévères et terribles ; mais aussi il les imita dans la prolixité des lieux communs, et dans le vide d’action et d’intrigue, et ne les égala point dans la beauté de l’élocution, qui fait le grand mérite des poètes. Il n’a donné au théâtre que Médée et Électre. Mort en 1721.
LONGUERUE (Louis Dufour de), né à Charleville en 1652, abbé du Jard. Il savait, outre les langues savantes, toutes celles de l’Europe. Apprendre plusieurs langues médiocrement, c’est le fruit du travail de quelques années ; parler purement et éloquemment la sienne, le travail de toute la vie. Il savait l’histoire universelle, et on prétend qu’il composa de mémoire la description historique et géographique de la France ancienne et moderne. Mort vers l’an 1733.
LONGUEVAL (Jacques), né en 1680, jésuite. Il a fait huit volumes de l’Histoire de l’Église gallicane, continuée par le P. Fontenay. Mort en 1735.
MABILLON (Jean), né en Champagne en 1632, bénédictin. C’est lui qui, étant chargé de montrer le trésor de Saint-Denis, demanda à quitter cet emploi, parce qu’il n’aimait pas à mêler la fable avec la vérité. Il a fait de profondes recherches. Colbert l’employa à rechercher les anciens titres. Mort en 1707.
MAIGNAN (Emmanuel), né à Toulouse en 1601, minime. L’un de ceux qui ont appris les mathématiques sans maître ; professeur de mathématiques à Rome, où il y a toujours eu depuis un professeur minime français. Mort à Toulouse en 1676.
MAILLET (Benoît de), consul au Grand-Caire. On a de lui des lettres instructives sur l’Égypte, et des ouvrages manuscrits d’une philosophie hardie. L’ouvrage intitulé Telliamed est de lui, ou du moins a été fait d’après ses idées. On y trouve l’opinion que la terre a été toute couverte d’eau, opinion adoptée par M. de Buffon, qui l’a fortifiée de preuves nouvelles ; mais ce n’est et ce ne sera longtemps qu’une opinion. Il est même certain qu’il existe de grands espaces où l’on ne trouve aucun vestige du séjour des eaux ; d’autres, où l’on n’aperçoit que des dépôts laissés par les eaux terrestres. Mort en 1738.
MAIMBOURG (Louis), jésuite, né en 1610. Il y a encore quelques-unes de ses histoires qu’on ne lit pas sans plaisir. Il eut d’abord trop de vogue, et on l’a trop négligé ensuite. Ce qui est singulier, c’est qu’il fut obligé de quitter les jésuites pour avoir écrit en faveur du clergé de France. Mort à Saint-Victor en 1686.
MAINTENON (Françoise d’Aubigné Scarron, marquise de). Elle est auteur, comme Mme de Sévigné, parce qu’on a imprimé ses lettres après sa mort. Les unes et les autres sont écrites avec beaucoup d’esprit, mais avec un esprit différent. Le cœur et l’imagination ont dicté celles de Mme de Sévigné ; elles ont plus de gaieté, plus de liberté. Celles de Mme de Maintenon sont plus contraintes : il semble qu’elle ait toujours prévu qu’elles seraient un jour publiques ; Mme de Sévigné, en écrivant à sa fille, n’écrivait que pour sa fille. On trouve quelques anecdotes dans les unes et dans les autres. On voit par celles de Mme de Maintenon qu’elle avait épousé Louis XIV ; qu’elle influait sur les affaires d’État, mais qu’elle ne les gouvernait pas ; qu’elle ne pressa point la révocation de l’édit de Nantes et ses suites, mais qu’elle ne s’y opposa point ; qu’elle prit le parti des molinistes parce que Louis XIV l’avait pris, et qu’ensuite elle s’attacha à ce parti ; que Louis XIV, sur la fin de sa vie, portait des reliques ; et beaucoup d’autres particularités. Mais les connaissances qu’on peut puiser dans ce recueil sont trop achetées par la quantité de lettres inutiles qu’il renferme, défaut commun à tous ces recueils. Si l’on n’imprimait que l’utile, il y aurait cent fois moins de livres. Morte à Saint-Cyr en 1719.
Un nommé La Beaumelle, qui a été précepteur à Genève, a fait imprimer des Mémoires de Maintenon remplis de faussetés.
MALEBRANCHE (Nicolas), né à Paris en 1638, de l’Oratoire, l’un des plus profonds méditatifs qui aient jamais écrit. Animé de cette imagination forte qui fait plus de disciples que la vérité, il en eut : de son temps il y avait des malebranchistes. Il a montré admirablement les erreurs des sens et de l’imagination ; et quand il a voulu sonder la nature de l’âme, il s’est perdu dans cet abîme comme les autres. Il est, ainsi que Descartes, un grand homme avec lequel on apprend bien peu de choses, et il n’était pas un grand géomètre comme Descartes. Mort en 1715.
MALÉZIEU (Nicolas), né à Paris en 1659. Les Éléments de géométrie du duc de Bourgogne sont les leçons qu’il donna à ce prince. Il se fit une réputation par sa profonde littérature. Madame la duchesse du Maine fit sa fortune. Mort en 1727.
MALLEVILLE (Claude de), l’un des premiers académiciens. Le seul sonnet de La Belle Matineuse en fit un homme célèbre. On ne parlerait pas aujourd’hui d’un tel ouvrage ; mais le bon en tout genre était alors aussi rare qu’il est devenu commun depuis. Mort en 1647.
MARCA (Pierre de), né en 1594. Étant veuf et ayant plusieurs enfants, il entra dans l’Église, et fut nommé à l’archevêché de Paris. Son livre De la concorde de l’empire et du sacerdoce est estimé. Mort en 1662.
MAROLLES (Michel de), né en Touraine en 1600, fils du célèbre Claude de Marolles, capitaine des cent-suisses, connu par son combat singulier, à la tête de l’armée de Henri IV, contre Marivault. Michel, abbé de Villeloin, composa soixante-neuf ouvrages, dont plusieurs étaient des traductions très utiles dans leur temps. Mort en 1681.
MARSOLLIER (Jacques), né à Paris en 1647, chanoine régulier de Sainte-Geneviève, connu par plusieurs histoires bien écrites. Mort en 1724.
MARTIGNAC (Étienne), né en 1628, le premier qui donna une traduction supportable en prose de Virgile, d’Horace, etc. Je doute qu’on les traduise jamais heureusement en vers. Ce ne serait pas assez d’avoir leur génie : la différence des langues est un obstacle presque invincible. Mort en 1698.
MASCARON (Jules), de Marseille, né en 1634, évêque de Tulle, et puis d’Agen. Ses oraisons funèbres balancèrent d’abord celles de Bossuet ; mais aujourd’hui elles ne servent qu’à faire voir combien Bossuet était un grand homme. Mort en 1703.
MASSILLON, né en Provence, en 1663 ; de l’Oratoire, évêque de Clermont. Le prédicateur qui a le mieux connu le monde ; plus fleuri que Bourdaloue, plus agréable, et dont l’éloquence sent l’homme de cour, l’académicien, et l’homme d’esprit ; de plus, philosophe modéré et tolérant. Mort en 1742.
MAUCROIX (François), né à Noyon en 1619, historien, poète, et littérateur. On a retenu quelques-uns de ses vers, tels que ceux-ci, qu’il fit à l’âge de plus de quatre-vingts ans :
Chaque jour est un bien que du ciel je reçoi ;
Jouissons aujourd’hui de celui qu’il nous donne.
Il n’appartient pas plus aux jeunes gens qu’à moi,
Et celui de demain n’appartient à personne.
Mort en 1708.
MAYNARD (François), président d’Aurillac, né à Toulouse vers 1582. On peut le compter parmi ceux qui ont annoncé le siècle de Louis XIV. Il reste de lui un assez grand nombre de vers heureux, purement écrits. C’était un des auteurs qui s’est plaint le plus de la mauvaise fortune attachée aux talents. Il ignorait que le succès d’un bon ouvrage est la seule récompense digne d’un artiste ; que si les princes et les ministres veulent se faire honneur en récompensant cette espèce de mérite, il y a plus d’honneur encore d’attendre ces faveurs sans les demander ; et que si un bon écrivain ambitionne la fortune, il doit la faire soi-même.
Rien n’est plus connu que son beau sonnet pour le cardinal de Richelieu, et cette réponse dure du ministre, ce mot cruel : Rien. Le président Maynard, retiré enfin à Aurillac, fit ces vers, qui méritent autant d’être connus que son sonnet :
Par votre humeur le monde est gouverné ;
Vos volontés font le calme et l’orage ;
Vous vous riez de me voir confiné
Loin de la cour, dans mon petit ménage.
Mais n’est-ce rien que d’être tout à soi,
De n’avoir point le fardeau d’un emploi,
D’avoir dompté la crainte et l’espérance ?
Ah ! si le ciel, qui me traite si bien,
Avait pitié de vous et de la France,
Votre bonheur serait égal au mien !
Depuis la mort du cardinal, il dit dans d’autres vers que le tyran est mort, et qu’il n’en est pas plus heureux. Si le cardinal lui avait fait du bien, ce ministre eût été un dieu pour lui : il n’est un tyran que parce qu’il ne lui donna rien. C’est trop ressembler à ces mendiants qui appellent les passants monseigneur, et qui les maudissent s’ils n’en reçoivent point d’aumône. Les vers de Maynard étaient fort beaux. Il eût été plus beau de passer sa vie sans demander et sans murmurer. L’épitaphe qu’il fit pour lui-même est dans la bouche de tout le monde :
Las d’espérer et de me plaindre
Des muses, des grands, et du sort,
C’est ici que j’attends la mort,
Sans la désirer ni la craindre.
Les deux derniers vers sont la traduction de cet ancien vers latin :
Summum nec metuas diem, nec optes.
La plupart des beaux vers de morale sont des traductions. Il est bien commun de ne pas désirer la mort, il est bien rare de ne pas la craindre, et il eût été grand de ne pas seulement songer s’il y a des grands au monde. Mort en 1646.
MÉNAGE (Gilles), d’Angers, né en 1613. Il a prouvé qu’il est plus aisé de faire des vers en italien qu’en français. Ses vers italiens sont estimés même en Italie, et notre langue doit beaucoup à ses recherches. Il était savant en plus d’un genre. Sa Requête des dictionnaires l’empêcha d’entrer à l’Académie. Il adressa au cardinal Mazarin, sur son retour en France, une pièce latine où l’on trouve ce vers :
Et puto tam viles despicis ipse togas11.
Le parlement, qui, après avoir mis à prix la tête du cardinal, l’avait complimenté, se crut désigné par ce vers et voulait sévir contre l’auteur ; mais Ménage prouva au parlement que toga signifiait un habit de cour. Mort en 1692. La Monnoye a augmenté et rectifié le Menagiana.
MÉNESTRIER (Claude-François), né en 1631, a beaucoup servi à la science du blason, des emblèmes et des devises. Mort en 1705.
MÉRY (Jean), né en Berry en 1645, l’un de ceux qui ont le plus illustré la chirurgie. Il a laissé des observations utiles. Mort en 1722.
MÉZERAI (François), né à Argentan en Normandie, en 1610. Son Histoire de France est très connue ; ses autres écrits le sont moins. Il perdit ses pensions pour avoir dit ce qu’il croyait la vérité. D’ailleurs plus hardi qu’exact, et inégal dans son style. Son nom de famille était Eudes ; il était frère du P. Eudes, fondateur de la congrégation, très répandue et très peu connue, des eudistes. Mort en 1683.
MIMEURE (le marquis de), menin de Monseigneur, fils de Louis XIV. On a de lui quelques morceaux de poésies qui ne sont pas inférieures à celles de Racan et de Maynard ; mais comme ils parurent dans un temps où le bon était très rare, et le marquis de Mimeure dans un temps où l’art était perfectionné, ils eurent beaucoup de réputation, et à peine fut-il connu. Son Ode à Vénus, imitée d’Horace, n’est pas indigne de l’original.
MOLIÈRE (Jean-Baptiste Poquelin), né à Paris en 1620, le meilleur des poètes comiques de toutes les nations. Cet article a engagé à relire les poètes comiques de l’antiquité. Il faut avouer que si l’on compare l’art et la régularité de notre théâtre avec ces scènes décousues des anciens, ces intrigues faibles, cet usage grossier de faire annoncer par des acteurs, dans des monologues froids et sans vraisemblance, ce qu’ils ont fait et ce qu’ils veulent faire ; il faut avouer, dis-je, que Molière a tiré la comédie du chaos, ainsi que Corneille en a tiré la tragédie, et que les Français ont été supérieurs en ce point à tous les peuples de la terre. Molière avait d’ailleurs une autre sorte de mérite, que ni Corneille, ni Racine, ni Boileau, ni La Fontaine n’avaient pas : il était philosophe, et il l’était dans la théorie et dans la pratique. C’est à ce philosophe que l’archevêque de Paris, Harlai, si décrié pour ses mœurs, refusa les vains honneurs de la sépulture : il fallut que le roi engageât ce prélat à souffrir que Molière fût enterré secrètement dans le cimetière de la petite chapelle de Saint-Joseph, faubourg Montmartre. Mort en 1673.
On s’est piqué à l’envi, dans quelques dictionnaires nouveaux, de décrier les vers de Molière en faveur de sa prose, sur la parole de l’archevêque de Cambrai, Fénelon, qui semble en effet donner la préférence à la prose de ce grand comique, et qui avait ses raisons pour n’aimer que la prose poétique ; mais Boileau ne pensait pas ainsi. Il faut convenir qu’à quelques négligences près, négligences que la comédie tolère, Molière est plein de ces vers admirables qui s’impriment facilement dans la mémoire. Le Misanthrope, Les Femmes savantes, le Tartuffe, sont écrits comme les satires de Boileau. L’Amphitryon est un recueil d’épigrammes et de madrigaux faits avec un art qu’on n’a joint imité depuis. La bonne poésie est à la bonne prose ce que la danse est à une simple démarche noble, ce que la musique est au récit ordinaire, ce que les couleurs d’un tableau sont à des dessins au crayon. De là vient que les Grecs et les Romains n’ont jamais eu de comédie en prose.
MONGAULT (l’abbé). La meilleure traduction qu’on ait faite des lettres de Cicéron est de lui. Elle est enrichie de notes judicieuses et utiles. Il avait été précepteur du fils du duc d’Orléans, régent du royaume, et mourut, dit-on, de chagrin, de n’avoir pu faire auprès de son élève la même fortune que l’abbé Dubois. Il ignorait apparemment que c’est par le caractère, et non par l’esprit, que l’on fait fortune.
MONTESQUIEU (Charles de Secondat), président au parlement de Bordeaux, né en 1689, donna à l’âge de trente-deux ans les Lettres persanes, ouvrage de plaisanterie, plein de traits qui annoncent un esprit plus solide que son livre. C’est une imitation du Siamois de Dufresny et de L’Espion turc, mais imitation qui fait voir comment ces originaux devaient être écrits. Ces ouvrages, d’ordinaire, ne réussissent qu’à la faveur de l’air étranger ; on met avec succès dans la bouche d’un Asiatique la satire de notre pays, qui serait moins bien accueillie dans la bouche d’un compatriote : ce qui est commun par soi-même devient alors singulier. Le génie qui règne dans les Lettres persanes ouvrit au président de Montesquieu les portes de l’Académie française, quoique l’Académie fût maltraitée dans son livre ; mais, en même temps la liberté avec laquelle il parle du gouvernement, et des abus de la religion, lui attira une exclusion de la part du cardinal Fleury. Il prit un tour très adroit pour mettre le ministre dans ses intérêts ; il fit faire en peu de jours une nouvelle édition de son livre, dans laquelle on retrancha ou on adoucit tout ce qui pouvait être condamné par un cardinal et par un ministre. M. de Montesquieu porta lui-même l’ouvrage au cardinal, qui ne lisait guère, et qui en lut une partie. Cet air de confiance, soutenu par l’empressement de quelques personnes de crédit, ramena le cardinal, et Montesquieu entra dans l’Académie.
Il donna ensuite le traité sur la Grandeur et la Décadence des Romains, matière usée qu’il rendit neuve par des réflexions très fines et des peintures très fortes : c’est une histoire politique de l’empire romain. Enfin on vit son Esprit des lois. On a trouvé dans ce livre beaucoup plus de génie que dans Grotius et dans Puffendorf. On se fait quelques violences pour lire ces auteurs ; on lit L’Esprit des lois autant pour son plaisir que pour son instruction. Ce livre est écrit avec autant de liberté que les Lettres persanes, et cette liberté n’a pas peu servi au succès ; elle lui attira des ennemis, qui augmentèrent sa réputation par la haine qu’ils inspiraient contre eux : ce sont ces hommes, nourris dans les factions obscures des querelles ecclésiastiques, qui regardent leurs opinions comme sacrées, et ceux qui les méprisent comme sacrilèges. Ils écrivirent violemment contre le président de Montesquieu ; ils engagèrent la Sorbonne à examiner son livre ; mais le mépris dont ils furent couverts arrêta la Sorbonne. Le principal mérite de L’Esprit des lois est l’amour des lois qui règne dans cet ouvrage ; et cet amour des lois est fondé sur l’amour du genre humain. Ce qu’il y a de plus singulier, c’est que l’éloge qu’il fait du gouvernement anglais est ce qui a plu davantage en France. La vive et piquante ironie qu’on y trouve contre l’Inquisition a charmé tout le monde, hors les inquisiteurs. Ses réflexions, presque toujours profondes, sont appuyées d’exemples tirés de l’histoire de toutes les nations. Il est vrai qu’on lui a reproché de prendre trop souvent des exemples dans de petites nations sauvages et presque inconnues, sur les relations trop suspectes des voyageurs. Il ne cite pas toujours avec beaucoup d’exactitude ; il fait dire, par exemple, à l’auteur du Testament politique attribué au cardinal de Richelieu, que s’il se trouve dans le peuple quelque malheureux honnête homme, il ne faut pas s’en servir. Le Testament politique dit seulement, à l’endroit cité, qu’il vaut mieux se servir des hommes riches et bien élevés parce qu’ils sont moins corruptibles. Montesquieu s’est trompé dans d’autres citations, jusqu’à dire que François Ier (qui n’était pas né lorsque Christophe Colomb découvrit l’Amérique) avait refusé les offres de Christophe Colomb. Le défaut continuel de méthode dans cet ouvrage, la singulière affectation de ne mettre souvent que trois ou quatre lignes dans un chapitre, et encore de ne faire de ces quatre lignes qu’une plaisanterie, ont indisposé beaucoup de lecteurs : on s’est plaint de trouver trop souvent des saillies où l’on attendait des raisonnements ; on a reproché à l’auteur d’avoir trop donné d’idées douteuses pour des idées certaines. Mais, s’il n’instruit pas toujours son lecteur, il le fait toujours penser, et c’est là un très grand mérite. Ses expressions vives et ingénieuses, dans lesquelles on trouve l’imagination de Montaigne, son compatriote, ont contribué surtout à la grande réputation de L’Esprit des lois ; les mêmes choses dites par un homme savant, et même plus savant que lui, n’auraient pas été lues. Enfin, il n’y a guère d’ouvrages où il y ait plus d’esprit, plus d’idées profondes, plus de choses hardies, et où l’on trouve plus à s’instruire, soit en approuvant ses opinions, soit en les combattant. On doit le mettre au rang des livres originaux qui ont illustré le siècle de Louis XIV, et qui n’ont aucun modèle dans l’antiquité.
Il est mort en 1755, en philosophe, comme il avait vécu.
MONTFAUCON (Bernard de), né en 1655, bénédictin, l’un des plus savants antiquaires de l’Europe. Mort en 1741.
MONTPENSIER (Anne-Marie-Louise d’Orléans), connue sous le nom de Mademoiselle, fille de Gaston d’Orléans, née à Paris en 1627. Ses Mémoires sont plus d’une femme occupée d’elle que d’une princesse témoin de grands événements ; mais il s’y trouve des choses très curieuses. On a aussi quelques petits romans d’elle, qu’on ne lit guère. Les princes, dans leurs écrits, sont au rang des autres hommes. Si Alexandre et Sémiramis avaient fait des ouvrages ennuyeux, ils seraient négligés. On trouve plus aisément des courtisans que des lecteurs. Morte en 1693.
MONTREUIL (Matthieu de), né à Paris en 1621, l’un de ces écrivains agréables et faciles dont le siècle de Louis XIV a produit un grand nombre, et qui n’ont pas laissé de réussir dans le genre médiocre. Il y a peu de vrais génies ; mais l’esprit du temps et l’imitation ont fait beaucoup d’auteurs agréables. Mort à Aix en 1692.
MORÉRI (Louis), né en Provence en 1643. On ne s’attendait pas que l’auteur du Pays d’amour, et le traducteur de Rodriguez, entreprît dans sa jeunesse le premier dictionnaire de faits qu’on eût encore vu. Ce grand travail lui coûta la vie. L’ouvrage, réformé et très augmenté, porte encore son nom, et n’est plus de lui. C’est une ville nouvelle bâtie sur le plan ancien. Trop de généalogies suspectes ont fait tort surtout à cet ouvrage si utile. Mort en 1680. On a fait des suppléments remplis d’erreurs.
MORIN (Michel-Jean-Baptiste), né en Beaujolais en 1583, médecin, mathématicien, et, par les préjugés du temps, astrologue. Il tira l’horoscope de Louis XIV. Malgré cette charlatanerie, il était savant. Il proposa d’employer les observations de la lune à la détermination des longitudes en mer ; mais cette méthode exigeait, dans les tables des mouvements de cette planète, ce degré d’exactitude que les travaux réunis des premiers géomètres de ce siècle ont pu à peine leur donner. Voyez l’article CASSINI. Mort en 1659.
MORIN (Jean), né à Blois en 1591, très savant dans les langues orientales et dans la critique. Mort à l’Oratoire en 1659.
MORIN (Simon), né en Normandie en 1623. On ne parle ici de lui que pour déplorer sa fatale folie et celle de Desmarets de Saint-Sorlin, son accusateur. Saint-Sorlin fut un fanatique qui en dénonça un autre. Morin, qui ne méritait que les Petites-Maisons, fut brûlé vif en 1663, avant que la philosophie eût fait assez de progrès pour empêcher les savants de dogmatiser, et les juges d’être si cruels.
MOTTEVILLE (Françoise Bertaut de), née en 1615 en Normandie. Cette dame a écrit des Mémoires qui regardent particulièrement la reine Anne, mère de Louis XIV. On y trouve beaucoup de petits faits, avec un grand air de sincérité. Morte en 1689.
NAUDÉ (Gabriel), né à Paris en 1600, médecin, et plus philosophe que médecin. Attaché d’abord au cardinal Barberin à Rome, puis au cardinal de Richelieu, au cardinal Mazarin, et ensuite à la reine Christine, dont il alla quelque temps grossir la cour savante ; retiré enfin à Abbeville, où il mourut dès qu’il fut libre. De tous ses livres, son Apologie des grands hommes accusés de magie est presque le seul qui soit demeuré. On ferait un plus gros livre des grands hommes accusés d’impiété depuis Socrate.
…… Populus nam solos credit habendos
Esse deos quos ipse colit12.
Mort en 1653.
NEMOURS (Marie de Longueville, duchesse de), née en 1625. On a d’elle des Mémoires où l’on trouve quelques particularités des temps malheureux de la Fronde. Morte en 1707.
NEVERS (Philippe, duc de). On a de lui des pièces de poésie d’un goût très singulier. Il ne faut pas s’en rapporter au sonnet parodié par Racine et Despréaux :
Dans un palais doré, Nevers jaloux et blême
Fait des vers où jamais personne n’entend rien.
Il en faisait qu’on entendait très aisément et avec grand plaisir, comme ceux-ci contre Rancé, le fameux réformateur de la Trappe, qui avait écrit contre l’archevêque Fénelon :
Cet abbé qu’on croyait pétri de sainteté,
Vieilli dans la retraite et dans l’humilité,
Orgueilleux de ses croix, bouffi de sa souffrance,
Rompt ses sacrés statuts en rompant le silence,
Et, contre un saint prélat s’animant aujourd’hui,
Du fond de ses déserts déclame contre lui ;
Et moins humble de cœur que fier de sa doctrine,
Il ose décider ce que Rome examine.
Son esprit et ses talents se sont perfectionnés dans son petit-fils. Mort en 1707.
NICÉRON (Jean-Pierre), barnabite, né à Paris en 1685, auteur des Mémoires sur les hommes illustres dans les lettres. Tous ne sont pas illustres, mais il parle de chacun convenablement ; il n’appelle point un orfèvre grand homme. Il mérite d’avoir place parmi les savants utiles. Mort en 1738.
NICOLE (Pierre), né à Chartres en 1625, un des meilleurs écrivains de Port-Royal. Ce qu’il a écrit contre les jésuites n’est guère lu aujourd’hui ; et ses Essais de morale, qui sont utiles au genre humain, ne périront pas. Le chapitre, surtout, des moyens de conserver la paix dans la société est un chef-d’œuvre auquel on ne trouve rien d’égal en ce genre dans l’antiquité ; mais cette paix est peut-être aussi difficile à établir que celle de l’abbé de Saint-Pierre. Mort en 1695.
NIVELLE DE LA CHAUSSÉE. Il a fait quelques comédies dans un genre nouveau et attendrissant, qui ont eu du succès. Il est vrai que pour faire des comédies il lui manquait le génie comique. Beaucoup de personnes de goût ne peuvent souffrir des comédies où l’on ne trouve pas un trait de bonne plaisanterie ; mais il y a du mérite à savoir toucher, à bien traiter la morale, à faire des vers bien tournés et purement écrits : c’est le mérite de cet auteur. Il était né sous Louis XIV. On lui a reproché que ce qui approche du tragique dans ses pièces n’est pas toujours assez intéressant, et que ce qui est du ton de la comédie n’est pas plaisant. L’alliage de ces deux métaux est difficile à trouver. On croit que La Chaussée est un des premiers après ceux qui ont eu du génie. Il est mort vers l’année 1750.
NODOT n’est connu que par ses Fragments de Pétrone, qu’il dit avoir trouvés à Belgrade en 1688. Les lacunes qu’il a en effet remplies ne me paraissent pas d’un aussi mauvais latin que ses adversaires le disent. Il y a des expressions, à la vérité, dont ni Cicéron, ni Virgile, ni Horace ne se servent ; mais le vrai Pétrone est plein d’expressions pareilles, que de nouvelles mœurs et de nouveaux usages avaient mises à la mode. Au reste, je ne fais cet article touchant Nodot que pour faire voir que la satire de Pétrone n’est point du tout celle que le consul Pétrone envoya, dit-on, à Néron, avant de se faire ouvrir les veines : Flagitia principis sub nominibus exoletorum feminarumque, et novitate cujusque, stupri prœscripta atque obsignata misit Neroni13.
On a prétendu que le professeur Agamemnon est Sénèque ; mais le style de Sénèque est précisément le contraire de celui d’Agamemnon, turgida oratio14 ; Agamemnon est un plat déclamateur de collège.
On ose dire que Trimalcion est Néron. Comment un jeune empereur, qui après tout avait de l’esprit et des talents, peut-il être représenté par un vieux financier ridicule, qui donne à dîner à des parasites plus ridicules encore, et qui parle avec autant d’ignorance et de sottise que le Bourgeois gentilhomme de Molière ?
Comment la crasseuse et idiote Fortunata, qui est fort au-dessous de Mme Jourdain, pourrait-elle être la femme ou la maîtresse de Néron ? Quel rapport des polissons de collège, qui vivent de petits larcins dans des lieux de débauche obscurs, peuvent-ils avoir avec la cour magnifique et voluptueuse d’un empereur ? Quel homme sensé, en lisant cet ouvrage licencieux, ne jugera pas qu’il est d’un homme effréné, qui a de l’esprit, mais dont le goût n’est pas encore formé ; qui fait tantôt des vers très agréables, tantôt de très mauvais ; qui mêle les plus basses plaisanteries aux plus délicates ; et qui est lui-même un exemple de la décadence du goût dont il se plaint ?
La clef qu’on a donnée de Pétrone ressemble à celle des Caractères de La Bruyère : elle est faite au hasard.
OZANAM (Jacques), Juif d’origine, né près de Dombes en 1640. Il apprit la géométrie sans maître dès l’âge de quinze ans. Il est le premier qui ait fait un dictionnaire de mathématiques. Ses Récréations mathématiques et physiques ont toujours un grand débit, mais ce n’est plus l’ouvrage d’Ozanam, comme les dernières éditions de Moréri ne sont plus son ouvrage. Mort en 1717.
PAGI (Antoine), Provençal, né en 1624, franciscain. Il a corrigé Baronius, et a eu pension du clergé pour cet ouvrage. Mort en 1699.
PAPIN (Isaac), né à Blois en 1657, calviniste. Ayant quitté sa religion, il écrivit contre elle. Mort en 1709.
PARDIES (Ignace-Gaston), jésuite, né à Pau en 1636, connu par ses Éléments de géométrie, et par son livre sur l’âme des bêtes. Prétendre avec Descartes que les animaux sont de pures machines privées du sentiment dont ils ont les organes, c’est démentir l’expérience et insulter la nature. Avancer qu’un esprit pur les anime, c’est dire ce qu’on ne peut prouver. Reconnaître que les animaux sont doués de sensations et de mémoire, sans savoir comment cela s’opère, ce serait parler en sage qui sait que l’ignorance vaut mieux que l’erreur : car quel est l’ouvrage de la nature dont on connaisse les premiers principes ? Mort en 1673.
PARENT (Antoine), né à Paris en 1666, bon mathématicien. Il est encore un de ceux qui apprirent la géométrie sans maître. Ce qu’il y a de plus singulier de lui, c’est qu’il vécut longtemps à Paris, libre et heureux avec moins de deux cents livres de rente. Mort en 1716.
PASCAL (Blaise), fils du premier intendant qu’il y eut à Rouen, né en 1623, génie prématuré. Il voulut se servir de la supériorité de ce génie comme les rois de leur puissance ; il crut tout soumettre et tout abaisser par la force. Ce qui a le plus révolté certains lecteurs dans ses Pensées, c’est l’air despotique et méprisant dont il débute. Il ne fallait commencer que par avoir raison. Au reste, la langue et l’éloquence lui doivent beaucoup. Les ennemis de Pascal et d’Arnauld firent supprimer leurs éloges dans le livre des Hommes illustres de Perrault. Sur quoi on cita ce passage de Tacite : Prœfulgebant Cassius atque Brutus eo ipso quod effigies eorum non visebantur15. Mort en 1662.
PATIN (Guy), né à Houdan en 1601, médecin plus fameux par ses lettres médisantes que par sa médecine. Son recueil de lettres a été lu avec avidité, parce qu’elles contiennent des nouvelles et des anecdotes que tout le monde aime, et des satires qu’on aime davantage. Il sert à faire voir combien les auteurs contemporains qui écrivent précipitamment les nouvelles du jour sont des guides infidèles pour l’histoire. Ces nouvelles se trouvent souvent fausses, ou défigurées par la malignité ; d’ailleurs cette multitude de petits faits n’est guère précieuse qu’aux petits esprits. Mort en 1672.
PATIN (Charles), né à Paris en 1633, fils de Guy Patin. Ses ouvrages sont lus des savants, et les lettres de son père le sont des gens oisifs. Charles Patin, très savant antiquaire, quitta la France, et mourut professeur en médecine à Padoue en 1693.
PATRU (Olivier), né à Paris en 1604, le premier qui ait introduit la pureté de la langue dans le barreau. Il reçut dans sa dernière maladie une gratification de Louis XIV, à qui l’on dit qu’il n’était pas riche. Mort en 1681.
PAVILLON (Étienne), né à Paris en 1632, avocat général au parlement de Metz, connu par quelques poésies écrites naturellement. Mort en 1705.
PELLISSON-FONTANIER (Paul), né calviniste à Béziers en 1624 ; poète médiocre à la vérité, mais homme très savant et très éloquent ; premier commis et confident du surintendant Fouquet ; mis à la Bastille en 1661. Il y resta quatre ans et demi, pour avoir été fidèle à son maître. Il passa le reste de sa vie à prodiguer des éloges au roi, qui lui avait ôté sa liberté : c’est une chose qu’on ne voit que dans les monarchies. Beaucoup plus courtisan que philosophe, il changea de religion, et fit sa fortune. Maître des comptes, maître des requêtes, et abbé, il fut chargé d’employer le revenu du tiers des économats à faire quitter aux huguenots leur religion, qu’il avait quittée lui-même. Son Histoire de l’Académie fut très applaudie. On a de lui beaucoup d’ouvrages, des Prières pendant la messe, un Recueil de pièces galantes, un Traité sur l’Eucharistie, beaucoup de vers amoureux à Olympe. Cette Olympe était Mlle Desvieux, qu’on prétend avoir épousé Bossuet avant qu’il entrât dans l’Église ; mais ce qui fait le plus d’honneur à Pellisson, ce sont ses excellents discours pour M. Fouquet et son Histoire de la campagne de la Franche-Comté. Les protestants ont prétendu qu’il était mort avec indifférence ; les catholiques ont soutenu le contraire ; et tous sont convenus qu’il mourut sans sacrements. Mort en 1693.
PERRAULT (Claude), né à Paris en 1613. Il fut médecin ; mais il n’exerça la médecine que pour ses amis. Il devint, sans aucun maître, habile dans tous les arts qui ont du rapport au dessin, et dans les mécaniques. Bon physicien, grand architecte, il encouragea les arts sous la protection de Colbert, et eut de la réputation malgré Boileau. Il a publié plusieurs mémoires sur l’anatomie comparée, dans les recueils de l’Académie des sciences, et une magnifique édition de Vitruve : la traduction et les dessins qui l’embellissent sont également ses ouvrages. Mort en 1688.
PERRAULT (Charles), né en 1633, frère de Claude ; contrôleur général des bâtiments sous Colbert, donna la forme aux Académies de peinture, de sculpture, et d’architecture ; utile aux gens de lettres, qui le recherchèrent pendant la vie de son protecteur, et qui l’abandonnèrent ensuite. On lui a reproché d’avoir trouvé trop de défauts dans les anciens ; mais sa grande faute est de les avoir critiqués maladroitement, et de s’être fait des ennemis de ceux mêmes qu’il pouvait opposer aux anciens. Cette dispute a été et sera longtemps une affaire de parti, comme elle l’était du temps d’Horace. Que de gens encore en Italie, qui, ne pouvant lire Homère qu’avec dégoût, et lisant tous les jours l’Arioste et le Tasse avec transport, appellent encore Homère incomparable ! Mort en 1703.
N. B. Il est dit dans les Anecdotes littéraires, tome II, page 27, qu’Addison ayant fait présent de ses ouvrages à Despréaux, celui-ci lui répondit qu’il n’aurait jamais écrit contre Perrault s’il eût vu de si excellentes pièces d’un moderne. Comment peut-on imprimer un tel mensonge ? Boileau ne savait pas un mot d’anglais ; aucun Français n’étudiait alors cette langue ; ce n’est que vers l’an 1730 qu’on commença à se familiariser avec elle. Et d’ailleurs, quand même Addison, qui s’est moqué de Boileau, aurait été connu de lui, pourquoi Boileau n’aurait-il pas écrit contre Perrault en faveur des anciens, dont Addison fait l’éloge dans tous ses ouvrages ? Encore une fois, défions-nous de tous ces ana, de toutes ces petites anecdotes. Un sûr moyen de dire des sottises est de répéter au hasard ce qu’on a entendu dire.
PETAU (Denis), né à Orléans en 1583, jésuite. Il a réformé la chronologie. On a de lui soixante et dix ouvrages. Mort en 1652.
PETIS DE LA CROIX (François), l’un de ceux dont le grand ministre Colbert encouragea et récompensa le mérite. Louis XIV l’envoya en Turquie et en Perse, à l’âge de seize ans, pour apprendre les langues orientales. Qui croirait qu’il a composé une partie de la vie de Louis XIV en arabe, et que ce livre est estimé dans l’Orient ? On a de lui l’Histoire de Gengis-Kan et de Tamerlan, tirée des anciens auteurs arabes, et plusieurs livres utiles ; mais sa traduction des Mille et un jours est ce qu’on le lit plus :
L’homme est de glace aux vérités,
Il est de feu pour le mensonge.
Mort en 1713.
PETIT (Pierre), né à Paris en 1617, philosophe et savant. Il n’a écrit qu’en latin. Mort en 1687.
PEZRON (Paul), de l’ordre de Cîteaux, né en Bretagne en 1639 ; grand antiquaire, qui a travaillé sur l’origine de la langue des Celtes. Mort en 1706.
POLIGNAC (Melchior de), cardinal, né au Puy-en-Velay en 1662 ; aussi bon poète latin qu’on peut l’être dans une langue morte ; très éloquent dans la sienne ; l’un de ceux qui ont prouvé qu’il est plus aisé de faire des vers latins que des vers français. Malheureusement pour lui, en combattant Lucrèce il combat Newton. Mort en 1741.
PONTIS (Louis de). Ses Mémoires ont été tellement en vogue qu’il est nécessaire de dire que cet homme, qui a fait tant de belles choses pour le service du roi, est le seul qui en ait jamais parlé. Aussi ses Mémoires ne sont pas de lui, ils sont de Dufossé, écrivain de Port-Royal. Il feint que son héros portait le nom de sa terre en Dauphiné. Il n’y a point en Dauphiné de seigneurie de Pontis. Il est même fort douteux que Pontis ait existé. Le Dictionnaire historique portatif en quatre volumes assure que ses Mémoires sont vrais. Ils sont cependant remplis de fables, comme l’a démontré le P. d’Avrigny, dans la préface de ses Mémoires historiques.
PORÉE (Charles), né en Normandie en 1675, jésuite, du petit nombre de professeurs qui ont eu de la célébrité chez les gens du monde, éloquent dans le goût de Sénèque, poète, et très bel esprit. Son plus grand mérite fut de faire aimer les lettres et la vertu à ses disciples. Mort en 1741.
PUYSÉGUR (maréchal de). Il nous a laissé l’Art de la guerre, comme Boileau a donné l’Art poétique.
QUESNEL (Pasquier), né en 1634, de l’Oratoire. Il a été malheureux, en ce qu’il s’est vu le sujet d’une grande division parmi ses compatriotes. D’ailleurs il a vécu pauvre, et dans l’exil. Ses mœurs étaient sévères, comme celles de tous ceux qui ne sont occupés que de disputes. Trente pages changées et adoucies dans son livre auraient épargné des querelles à sa patrie ; mais il eût été moins célèbre. Mort en 1719.
QUINAULT (Philippe), né à Paris en 1635, auditeur des comptes, célèbre par ses belles poésies lyriques, et par la douceur qu’il opposa aux satires très injustes de Boileau. Quinault était, dans son genre, très supérieur à Lulli : on le lira toujours ; et Lulli, à son récitatif près, ne peut plus être chanté. Cependant on croyait, du temps de Quinault, qu’il devait à Lulli sa réputation. Le temps apprécie tout. Il eut part, comme les autres grands hommes, aux récompenses que donna Louis XIV, mais une part médiocre ; les grandes grâces furent pour Lulli. Mort en 1688.
N. B. Il est rapporté dans les Anecdotes littéraires que Boileau, étant à la salle de l’Opéra de Versailles, dit à l’officier qui plaçait : « Monsieur, mettez-moi dans un endroit où je n’entende point les paroles. J’estime fort la musique de Lulli, mais je méprise souverainement les vers de Quinault. »
Il n’y a nulle apparence que Boileau ait dit cette grossièreté. S’il s’était borné à dire : « Mettez-moi dans un endroit où je n’entende que la musique », cela n’eût été que plaisant, mais n’eût pas été moins injuste. On a surpassé prodigieusement Lulli dans tout ce qui n’est pas récitatif ; mais personne n’a jamais égalé Quinault.
QUINCY (le marquis de), lieutenant-général d’artillerie, auteur de l’Histoire militaire de Louis XIV. Il entre dans de grands détails, utiles pour ceux qui veulent suivre, dans leur lecture, les opérations d’une campagne. Ces détails pourraient fournir des exemples, s’il y avait des cas pareils ; mais il ne s’en trouve jamais, ni dans les affaires, ni dans la guerre. Les ressemblances sont toujours imparfaites, les différences toujours grandes. La conduite de la guerre est comme les jeux d’adresse, qu’on n’apprend que par l’usage ; et les jours d’action sont quelquefois des jeux de hasard.
RACINE (Jean), né à La Ferté-Milon en 1639, élevé à Port-Royal. Il portait encore l’habit ecclésiastique quand il fit la tragédie de Théagène, qu’il présenta à Molière, et celle des Frères ennemis, dont Molière lui donna le sujet. Il est intitulé prieur de l’Épinai dans le privilège de l’Andromaque. Louis XIV fut sensible à son extrême mérite. Il lui donna une charge de gentilhomme ordinaire, le nomma quelquefois des voyages de Marly, le fit coucher dans sa chambre dans une de ses maladies, et le combla de gratifications. Cependant Racine mourut de chagrin ou de crainte de lui avoir déplu. Il n’était pas aussi philosophe que grand poète. On lui a rendu justice fort tard. « Nous avons été touchés, dit Saint-Évremond, de Mariamne, de Sophonisbe, d’Alcyonée, d’Andromaque, et de Britannicus. » C’est ainsi qu’on mettait non seulement la mauvaise Sophonisbe de Corneille, mais encore les impertinentes pièces d’Alcyonée et de Mariamne, à côté de ces chefs-d’œuvre immortels. L’or est confondu avec la boue pendant la vie des artistes, et la mort les sépare.
Il est à remarquer que Racine ayant consulté Corneille sur sa tragédie d’Alexandre, Corneille lui conseilla de ne plus faire de tragédies, et lui dit qu’il n’avait nul talent pour ce genre d’écrire. N’oublions pas qu’il écrivit contre les jansénistes, et qu’il se fit ensuite janséniste. Mort en 1699.
RACINE (Louis), fils de l’immortel Jean Racine, a marché sur les traces de son père, mais dans un sentier plus étroit et moins fait pour les Muses. Il entendait la mécanique des vers aussi bien que son père, mais il n’en avait ni l’âme ni les grâces. Il manquait d’ailleurs d’invention et d’imagination. Janséniste comme son père, il ne fit des vers que pour le jansénisme. On en trouve de très beaux dans le poème de La Grâce, et dans celui de La Religion, ouvrage trop didactique et trop monotone, copié des Pensées de Pascal, mais rempli de beaux détails, tels que ces vers du chant second, dans lequel il traduit Lucrèce pour le réfuter :
Cet esprit, ô mortels, qui vous rend si jaloux,
N’est qu’un feu qui s’allume et s’éteint avec vous.
Quand par d’affreux sillons l’implacable vieillesse
A sur un front hideux imprimé la tristesse ;
Que, dans un corps courbé sous un amas de jours,
Le sang, comme à regret, semble achever son cours ;
Lorsqu’en des yeux couverts d’un lugubre nuage
Il n’entre des objets qu’une infidèle image ;
Qu’en débris chaque jour le corps tombe et périt :
En ruines aussi je vois tomber l’esprit.
L’âme mourante alors, flambeau sans nourriture,
Jette par intervalle une lueur obscure.
Triste destin de l’homme ! il arrive au tombeau
Plus faible, plus enfant, qu’il ne l’est au berceau.
La mort du coup fatal sape enfin l’édifice ;
Dans un dernier soupir achevant son supplice,
Lorsque, vide de sang, le cœur reste glacé,
Son âme s’évapore, et tout l’homme est passé.
Il s’élève quelquefois, dans ce poème, contre le tout est bien des lords Shaftesbury et Bolingbroke, si bien mis en vers par Pope :
Sans doute qu’à ces mots, des bords de la Tamise,
Quelque abstrait raisonneur, qui ne se plaint de rien,
Dans son flegme anglican répondra : Tout est bien.
Racine, en qualité de janséniste, croyait que presque tout est mal depuis longtemps ; il accuse Pope d’irréligion. Pope était fils d’un papiste : c’est ainsi qu’on appelle en Angleterre les catholiques romains. Pope, élevé dans cette religion qu’il tourne quelquefois en ridicule dans ses épîtres, ne voulut cependant pas la quitter, quoiqu’il fût philosophe, ou plutôt parce qu’il était assez philosophe pour croire que ce n’était pas la peine de changer. Il fut très piqué des accusations de Louis Racine. Ramsay entreprit de les concilier. C’était un Écossais du clan des Ramsay, et qui en avait pris le nom, suivant l’usage de ce pays. Il était venu en France après avoir essayé du presbytérianisme, de l’Église anglicane et du quakérisme, et s’était attaché à l’illustre Fénelon, dont il a depuis écrit la vie. C’est lui qui est l’auteur des Voyages de Cyrus, très faible imitation du Télémaque. Il imagina d’écrire à Louis Racine une lettre sous le nom de Pope, dans laquelle celui-ci semble se justifier.
J’avais vécu une année entière avec Pope ; je savais qu’il était incapable d’écrire en français, qu’il ne parlait point du tout notre langue, et qu’à peine il pouvait lire nos auteurs ; c’était une chose publique en Angleterre. J’avertis Louis Racine que cette lettre était de Ramsay et non de Pope. Je voulus lui faire sentir le ridicule de cette supercherie ; j’en instruisis même le public dans un chapitre sur Pope qui a été imprimé plusieurs fois du vivant de Pope même. Cependant, après sa mort, l’abbé Ladvocat a imprimé cette lettre forgée par Ramsay, et l’a imputée à Pope dans son Dictionnaire historique portatif, où il copie plusieurs articles des premières éditions de cette liste des écrivains du siècle de Louis XIV, mais où il insère des anecdotes entièrement fausses. Il est juste de faire connaître au public la vérité.
RANCÉ (Jean Le Bouthillier de), né en 1626, commença par traduire Anacréon, et institua la réforme effrayante de la Trappe en 1664. Il se dispensa, comme législateur, de la loi qui force ceux qui vivent dans ce tombeau à ignorer ce qui se passe sur la terre. Il écrivit avec éloquence. Quelle inconstance dans l’homme ! Après avoir fondé et gouverné son institut, il se démit de sa place, et voulut la reprendre. Mort en 1700.
RAPIN (René), né à Tours en 1621, jésuite, connu par le poème des Jardins en latin, et par beaucoup d’ouvrages de littérature. Mort en 1687.
RAPIN DE THOYRAS (Paul), né à Castres en 1661, réfugié en Angleterre, et longtemps officier. L’Angleterre lui fut longtemps redevable de la seule bonne histoire complète qu’on eût faite de ce royaume, et de la seule impartiale qu’on eût d’un pays où l’on n’écrivait que par esprit de parti ; c’était même la seule histoire qu’on pût citer en Europe comme approchante de la perfection qu’on exige de ces ouvrages, jusqu’à ce qu’enfin on ait vu paraître celle du célèbre Hume, qui a su écrire l’histoire en philosophe. Mort à Vésel en 1725.
RÉGIS (Sylvain), né en Agénois en 1632. Ses livres de philosophie n’ont plus de cours depuis les grandes découvertes qu’on a faites. Mort en 1707.
REGNARD (François), né à Paris en 1656. Il eût été célèbre par ses seuls voyages. C’est le premier Français qui alla jusqu’en Laponie. Il grava sur un rocher ce vers :
Sistimus hic tandem, nobis ubi defuit orbis16.
Pris sur la mer de Provence par des corsaires, esclave à Alger, racheté, établi en France dans les charges de trésorier de France et de lieutenant des eaux et forêts, il vécut en voluptueux et en philosophe. Né avec un génie vif, gai, et vraiment comique, sa comédie du Joueur est mise à côté de celles de Molière. Il faut se connaître peu au talent et au génie des auteurs pour penser qu’il ait dérobé cette pièce à Dufresny. Il dédia la comédie des Ménechmes à Despréaux ; et ensuite il écrivit contre lui, parce que Boileau ne lui rendit pas assez de justice. Cet homme si gai mourut de chagrin à cinquante-deux ans. On prétend même qu’il avança ses jours. Mort en 1710.
REGNIER DESMARETS (Séraphin), né à Paris en 1632. Il a rendu de grands services à la langue, et est auteur de quelques poésies françaises et italiennes. Il fit passer une de ses pièces italiennes pour être de Pétrarque. Il n’eût pas fait passer ses vers français sous le nom d’un grand poète. Mort en 1713.
RENAUDOT (Théophraste), médecin, très savant en plus d’un genre, le premier auteur des gazettes en France. Mort en 1653.
RENAUDOT (Eusèbe), né en 1646, très savant dans l’histoire et dans les langues de l’Orient. On peut lui reprocher d’avoir empêché que le Dictionnaire de Bayle ne fût imprimé en France. Mort en 1720.
RETZ. Voyez GONDI.
REYNAU (Charles-René), de l’Oratoire, de l’Académie des sciences, né en 1656, auteur de l’Analyse démontrée, publiée en 1708. On l’appela l’Euclide de la haute géométrie. Mort en 1728.
RICHELET (César-Pierre), né en 1631, le premier qui ait donné un dictionnaire presque tout satirique, exemple plus dangereux qu’utile. Il est aussi le premier auteur des dictionnaires de rimes, tristes ouvrages qui font voir combien il est peu de rimes nobles et riches dans notre poésie, et qui prouvent l’extrême difficulté de faire de bons vers dans notre langue. Mort en 1698.
RICHELIEU (le cardinal de), né à Paris en 1585. Puisque Louis XIV naquit pendant son ministère, on doit mettre parmi les écrivains de ce siècle illustre le fondateur de l’Académie française, auteur lui-même de plusieurs ouvrages. Il fit la Méthode des controverses dans son exil à Avignon, après l’assassinat du maréchal d’Ancre et de la Galigaï, ses protecteurs. Les Principaux points de la religion catholique défendus, l’Instruction du chrétien, et la Perfection du chrétien, sont à peu près de ce temps-là. Il est bien sûr qu’il ne composait pas la Perfection du chrétien du temps qu’il faisait condamner à mort le maréchal de Marillac dans sa propre maison de Ruel, et qu’il était avec Marion Delorme dans un appartement lorsque les commissaires prononcèrent l’arrêt de mort dicté par lui. On sait aussi qu’il y a beaucoup de vers de sa façon dans la tragi-comédie allégorique intitulée Europe, et dans la tragédie de Mirame. On sait qu’il donnait à cinq auteurs les sujets des pièces représentées au Palais-Cardinal, et qu’il eût mieux fait de s’en tenir au seul Corneille, sans même lui fournir de sujet. Le plus beau de ses ouvrages est la digue de La Rochelle.
L’abbé Ladvocat, bibliothécaire de Sorbonne, prétend dans son Dictionnaire historique que le cardinal de Richelieu est l’auteur de ce Testament qui a fait tant de bruit, et qui est supposé. Il croit devoir ce respect à la mémoire du bienfaiteur de la Sorbonne ; mais c’est rendre un mauvais service à sa mémoire que de l’accuser d’avoir fait un livre où il n’y a que des erreurs et des fautes de toute espèce. Si, malheureusement, un ministre d’État avait pu composer un si mauvais ouvrage, tout ce qu’on en devrait conclure c’est qu’on pourrait être un grand ministre, ou plutôt un ministre heureux, avec une grande ignorance des faits les plus communs, des erreurs grossières, et des projets ridicules. C’est donc venger la mémoire du cardinal de Richelieu que de démontrer, comme on l’a fait, qu’il ne peut être l’auteur de ce Testament, qui, sans son nom, aurait été ignoré à jamais.
L’abbé Ladvocat, tout bibliothécaire qu’il était de la Sorbonne, s’est trompé en disant qu’on avait retrouvé dans cette bibliothèque un manuscrit de cet ouvrage, apostillé de la main du cardinal. Le seul manuscrit apostillé ainsi est au dépôt des affaires étrangères ; il n’y fut porté qu’en 1705. Ce n’est point le Testament qui est apostillé, c’est une narration succincte composée par l’abbé de Bourzeis, à laquelle on avait, longtemps après, ajouté ce Testament prétendu ; et les notes marginales même, écrites de la main du cardinal, prouvent que cette narration succincte n’était pas de lui : elles indiquent les omissions de l’abbé de Bourzeis, et ce qu’il devait refondre. Voyez la Réponse à M. de Foncemagne.
On attribue encore au cardinal de Richelieu une Histoire de la mère et du fils ; c’est un récit assez infidèle des malheureux démêlés de Louis XIII avec sa mère. Cette histoire faible et tronquée est probablement de Mézerai ; mais, dans la multitude des livres dont nous sommes accablés aujourd’hui, qu’importe de quelle main soit un ouvrage médiocre ? Mort en 1642.
ROHAULT (Jacques), né à Amiens en 1620. Il abrégea et il exposa avec clarté et méthode la philosophie de Descartes ; mais aujourd’hui cette philosophie, erronée presque en tout, n’a d’autre mérite que celui d’avoir été opposée aux erreurs anciennes. Mort en 1674.
ROLLIN (Charles), né à Paris en 1661, recteur de l’Université, le premier de ce corps qui ait écrit en français avec pureté et noblesse. Quoique les derniers tomes de son Histoire ancienne, faits trop à la hâte, ne répondent pas aux premiers, c’est encore la meilleure compilation qu’on ait en aucune langue, parce que les compilateurs sont rarement éloquents et que Rollin l’était. Son livre vaudrait beaucoup mieux si l’auteur avait été philosophe. Il y a beaucoup d’histoires anciennes ; il n’y en a aucune dans laquelle on aperçoive cet esprit philosophique qui distingue le faux du vrai, l’incroyable du vraisemblable, et qui sacrifie l’inutile. Mort en 1741.
ROTROU (Jean), né en 1609, le fondateur du théâtre. La première scène et une partie du quatrième acte de Venceslas sont des chefs-d’œuvre. Corneille l’appelait son père. On sait combien le père fut surpassé par le fils. Venceslas ne fut composé qu’après Le Cid ; il est tiré entièrement, comme Le Cid, d’une tragédie espagnole. Mort en 1650.
ROUSSEAU (Jean-Baptiste), né à Paris en 1669. De beaux vers, de grandes fautes, et de longs malheurs, le rendirent très fameux. Il faut ou lui imputer les couplets qui le firent bannir, couplets semblables à plusieurs qu’il avait avoués, ou flétrir deux tribunaux qui prononcèrent contre lui. Ce n’est pas que deux tribunaux, et même des corps plus nombreux, ne puissent commettre unanimement de très violentes injustices, quand l’esprit de parti domine. Il y avait un parti furieux et acharné contre Rousseau. Peu d’hommes ont autant excité et senti la haine. Tout le public fut élevé contre lui jusqu’à son bannissement, et même encore quelques années après. Mais enfin les succès de La Motte, son rival, l’accueil qu’on lui faisait, sa réputation qu’on croyait usurpée, l’art qu’il avait eu de s’établir une espèce d’empire dans la littérature, révoltèrent contre lui tous les gens de lettres, et les ramenèrent à Rousseau, qu’ils ne craignaient plus. Ils lui rendirent presque tout le public. La Motte leur parut trop heureux parce qu’il était riche et accueilli. Ils oubliaient que cet homme était aveugle et accablé de maladies. Ils voyaient dans Rousseau un banni infortuné, sans songer qu’il est plus triste d’être aveugle et malade que de vivre à Vienne et à Bruxelles. Tous deux étaient en effet très malheureux : l’un par la nature, l’autre par l’aventure funeste qui le fit condamner. Tous deux servent à faire voir combien les hommes sont injustes, combien ils varient dans leurs jugements, et qu’il y a de la folie à se tourmenter pour arracher leurs suffrages. Mort à Bruxelles en 1740.
Rousseau eut rarement dans ses ouvrages de l’aménité, des grâces, du sentiment, de l’invention ; il savait très bien tourner une épigramme licencieuse et une stance. Ses épîtres sont écrites avec une plume de fer trempée dans le fiel le plus dégoûtant. Il appelle Mlles Louvancourt, qui étaient trois sœurs très aimables, trio de louves acharnées ; il appelle le conseiller d’État Rouillé tabarin mordant, caustique et rustre, après lui avoir prodigué des louanges dans une ode assez médiocre. Les mots de maroufles, de belîtres, salissent ses épîtres. Il faut, sans doute, opposer une noble fierté à ses ennemis ; mais ces basses injures sans gaieté, sans agrément, sont le contraire d’une âme noble.
Quant aux couplets qui le firent bannir, voyez les article LA MOTTE et SAURIN.
On se contentera de remarquer ici que Rousseau ayant avoué qu’il avait fait cinq de ces malheureux couplets, il était coupable de tous les autres au tribunal de tous les juges et de tous les honnêtes gens. Sa conduite après sa condamnation n’est nullement une preuve en sa faveur ; on a entre les mains des lettres du sieur Médine, de Bruxelles, du 7 mai 1737, conçues en ces termes : « Rousseau n’avait d’autre table que la mienne, d’autre asile que chez moi ; il m’avait baisé et embrassé cent fois le jour qu’il força mes créanciers à me faire arrêter. »
Qu’on joigne à cela un pèlerinage fait par Rousseau à Notre-Dame de Hall, et qu’on juge s’il doit en être cru sur sa parole dans l’affaire des couplets.
RUINART (Thierry), bénédictin, né en 1657, laborieux critique. Il a soutenu contre Dodwell l’opinion que l’Église eut dans les premiers temps une foule prodigieuse de martyrs. Peut-être n’a-t-il pas assez distingué les martyrs et les morts ordinaires, les persécutions pour cause de religion et les persécutions politiques ? Quoi qu’il en soit, il est au nombre des savants hommes du temps. C’est principalement dans ce siècle que les bénédictins ont fait les plus profondes recherches, comme Martène sur les anciens rites de l’Église. Thuillier et tant d’autres ont achevé de tirer de dessous terre les décombres du moyen âge. C’est encore un genre nouveau qui n’appartient qu’au siècle de Louis XIV, et ce n’est qu’en France que les bénédictins y ont excellé. Mort en 1709.
SABLIÈRE (Antoine de Rambouillet de LA). Ses madrigaux sont écrits avec une finesse qui n’exclut pas le naturel. Mort en 1680.
SACY (Louis-Isaac Le Maistre de), né en 1613, l’un des bons écrivains de Port-Royal. C’est de lui qu’est la Bible de Royaumont, et une traduction des comédies de Térence. Mort en 1684. Son frère, Antoine Le Maistre, se retira comme lui à Port-Royal. Il avait été avocat ; on le croyait un homme très éloquent, mais on ne le crut plus dès qu’il eut cédé à la vanité de faire imprimer ses plaidoyers. Un autre Sacy, avocat, et de l’Académie française, mais d’une autre famille, a donné une traduction estimée des Lettres de Pline, en 1701.
SAINT-AULAIRE (François-Joseph de Beaupoil, marquis de). C’est une chose très singulière que les plus jolis vers qu’on ait de lui aient été faits lorsqu’il était plus que nonagénaire. Il ne cultiva guère le talent de la poésie qu’à l’âge de plus de soixante ans, comme le marquis de La Fare. Dans les premiers vers qu’on connut de lui, on trouve ceux-ci, qu’on attribua à La Fare :
Qui, sur le coteau d’Hélicon,
Vîntes offrir au vieil Anacréon
Cet art charmant, cet art utile,
Qui sait rendre douce et tranquille
La plus incommode saison ;
Vous qui de tant de fleurs, sur le Parnasse écloses,
Orniez à ses côtés les Grâces et les Ris,
Et qui cachiez ses cheveux gris
Sous tant de couronnes de roses, etc.
Ce fut sur cette pièce qu’il fut reçu à l’Académie, et Boileau alléguait cette même pièce pour lui refuser son suffrage. Il est mort en 1742, à près de cent ans, d’autres disent à cent deux. Un jour, à l’âge de plus de quatre-vingt-quinze ans, il soupait avec Madame la duchesse du Maine ; elle l’appelait Apollon et lui demandait je ne sais quel secret ; il lui répondit :
La divinité qui s’amuse
À me demander mon secret,
Si j’étais Apollon, ne serait point ma muse :
Elle serait Thétis, et le jour finirait.
Anacréon moins vieux fit de bien moins jolies choses. Si les Grecs avaient eu des écrivains tels que nos bons auteurs, ils auraient été encore plus vains ; nous leur applaudirions aujourd’hui avec encore plus de raison.
SAINTE-MARTHE (Gaucher de). Cette famille a été pendant plus de cent années féconde en savants. Le premier Gaucher de Sainte-Marthe fut Charles, qui fut éloquent pour son temps. Mort en 1555.
Scévole, neveu de Charles, se distingua dans les lettres et dans les affaires. Ce fut lui qui réduisit Poitiers sous l’obéissance de Henri IV. Il mourut à Loudun en 1623, et le fameux Urbain Grandier prononça son oraison funèbre.
Abel de Sainte-Marthe, son fils, cultiva les lettres comme son père, et mourut en 1652. Son fils, nommé Abel comme lui, marcha sur ses traces ; mort en 1706.
Scévole et Louis de Sainte-Marthe, frères jumeaux, fils du premier Scévole, enterrés tous deux à Paris dans le même tombeau, à Saint-Séverin, furent illustres par leur savoir. Ils composèrent ensemble la Gallia christiana. Scévole, mort en 1650 ; Louis, mort en 1656.
Denis de Sainte-Marthe, leur cousin, acheva cet ouvrage. Mort à Paris en 1725.
Pierre-Scévole de Sainte-Marthe, frère aîné du dernier Scévole, fut historiographe de France. Mort en 1690.
SAINT-ÉVREMOND (Charles de), né en Normandie en 1613. Une morale voluptueuse ; des lettres écrites à des gens de cour, dans un temps où ce mot de cour était prononcé avec emphase par tout le monde ; des vers médiocres qu’on appelle des vers de société, faits dans des sociétés illustres ; tout cela, avec beaucoup d’esprit, contribua à la réputation de ses ouvrages. Un nommé des Maizeaux les a fait imprimer avec une vie de l’auteur, qui contient seule un gros volume ; et dans ce gros volume il n’y a pas quatre pages intéressantes. Il n’est grossi que des mêmes choses qu’on trouve dans les Œuvres de Saint-Évremond : c’est un artifice de libraire, un abus du métier d’éditeur. C’est par de tels artifices qu’on a trouvé le secret de multiplier les livres à l’infini, sans multiplier les connaissances. On connaît son exil, sa philosophie, et ses ouvrages. Quand on lui demanda, à sa mort, s’il voulait se réconcilier, il répondit : « Je voudrais me réconcilier avec l’appétit. » Il est enterré à Westminster avec les rois et les hommes illustres d’Angleterre. Mort en 1703.
SAINT-PAVIN (Denis Sanguin de). Il était au nombre des hommes de mérite que Despréaux confondit dans ses satires avec les mauvais écrivains. Le peu qu’on a de lui passe pour être d’un goût délicat. On peut connaître son mérite personnel par cette épitaphe que fit pour lui Fieubet, le maître des requêtes, l’un des esprits les plus polis de ce siècle :
Sous ce tombeau gît Saint-Pavin :
Donne des larmes à sa fin.
Tu fus de ses amis peut-être ?
Pleure sur ton sort et le sien !
Tu n’en fus pas ? pleure le tien,
Passant, d’avoir manqué d’en être.
Mort en 1670.
SAINT-PIERRE (Castel, abbé de), né en 1658, gentilhomme de Normandie, n’ayant qu’une fortune médiocre la partagea quelque temps avec les célèbres Varignon et Fontenelle. Il écrivit beaucoup sur la politique. La meilleure définition qu’on ait fait en général de ses ouvrages est ce qu’en disait le cardinal Dubois, que c’étaient les rêves d’un bon citoyen. Il avait la simplicité de rebattre dans ses livres les vérités les plus triviales de la morale ; et, par une autre simplicité, il proposait presque toujours des choses impossibles comme praticables. Il ne cessa d’insister sur le projet d’une paix perpétuelle, et d’une espèce de parlement de l’Europe, qu’il appelle la diète europaine. On avait imputé une partie de ce projet chimérique au roi Henri IV ; et l’abbé de Saint-Pierre, pour appuyer ses idées, prétendait que cette diète europaine avait été approuvée et rédigée par le dauphin, duc de Bourgogne, et qu’on en avait trouvé le plan dans les papiers de ce prince. Il se permettait cette fiction pour mieux faire goûter son projet. Il rapporte avec bonne foi la lettre par laquelle le cardinal de Fleury répondit à ses propositions : « Vous avez oublié, Monsieur, pour article préliminaire, de commencer par envoyer une troupe de missionnaires pour disposer le cœur et l’esprit des princes. » Cependant l’abbé de Saint-Pierre ne laissa pas enfin d’être très utile. Il travailla beaucoup pour délivrer la France de la tyrannie de la taille arbitraire ; il écrivit et il agit en homme d’État sur cette seule matière. Il fut unanimement exclu de l’Académie française pour avoir, sous la régence du duc d’Orléans, préféré un peu durement, dans sa Polysydonie, l’établissement des conseils à la manière de gouverner de Louis XIV, protecteur de l’Académie. Ce fut le cardinal de Polignac qui fit une brigue pour l’exclure, et qui en vint à bout. Ce qu’il y a d’étrange, c’est que, dans ce temps-là même, le cardinal de Polignac conspirait contre le régent, et que ce prince, qui donnait un logement au Palais-Royal à Saint-Pierre, et qui avait toute sa famille à son service, souffrit cette exclusion. L’abbé de Saint-Pierre ne se plaignit point. Il continua de vivre en philosophe avec ceux mêmes qui l’avaient exclu. Boyer, ancien évêque de Mirepoix, son confrère, empêcha qu’à sa mort on ne prononçât son éloge à l’Académie, selon la coutume. Ces vaines fleurs qu’on jette sur le tombeau d’un académicien n’ajoutent rien ni à sa réputation ni à son mérite ; mais le refus fut un outrage, et les services que l’abbé de Saint-Pierre avait rendus, sa probité, et sa douceur, méritaient un autre traitement. Il mourut en 1743, âgé de quatre-vingt-six ans. Je lui demandai, quelques jours avant sa mort, comment il regardait ce passage. Il me répondit : « Comme un voyage à la campagne. »
Le traité le plus singulier qu’on trouve dans ses ouvrages est l’anéantissement futur du mahométisme. Il assure qu’un temps viendra où la raison l’emportera chez les hommes sur la superstition. Les hommes comprendront, dit-il, qu’il suffit de la patience, de la politesse, et de la bienfaisance, pour plaire à Dieu. Il est impossible, dit-il encore, qu’un livre où l’on trouve des propositions fausses données comme vraies, des choses absurdes opposées au sens commun, des louanges données à des actions injustes, ait été révélé par un être parfait. Il prétend que dans cinq cents ans tous les esprits, jusqu’aux plus grossiers, seront éclairés sur ce livre ; que le grand mufti même et les cadis verront qu’il est de leur intérêt de détromper la multitude, et de se rendre plus nécessaires et plus respectés en rendant la religion plus simple. Ce traité est curieux. Dans ses Annales de Louis XIV, il dit que l’État devrait bâtir des loges aux Petites-Maisons pour les théologiens intolérants, et qu’il serait à propos de jouer ces espèces de fous sur le théâtre.
C’est ici l’occasion d’observer que l’auteur du Siècle de Louis XIV n’a donné cette liste des écrivains et des artistes qui ont fleuri sous Louis XIV qu’après avoir vu leurs ouvrages, et souvent connu leurs personnes, recherchant tous les moyens de s’instruire sur ce siècle célèbre, depuis qu’il fut nommé historiographe de France. Il ne pouvait, dans cette liste, parler des Annales politiques de l’abbé de Saint-Pierre sur Louis XIV, puisque Le Siècle fut imprimé en 1752 pour la première fois, et que les Annales de l’abbé de Saint-Pierre ne parurent qu’en 1758, ayant été imprimées en 1757. Ces Annales, il le faut avouer, sont une satire continuelle du gouvernement de ce monarque, qui méritait plus d’estime ; et cette satire n’est pas assez bien écrite pour faire pardonner son injustice. La famille de l’abbé, sentant quel dangereux effet cet ouvrage pouvait produire, engagea son auteur à le dérober au public : il ne fut imprimé qu’après sa mort. Comment donc l’abbé Sabatier, natif de Castres, qui a donné depuis la liste des écrivains de Trois siècles, a-t-il pu dire que « l’auteur du Siècle de Louis XIV en a puisé l’idée, mal remplie, dans ces Annales politiques qui offrent un tableau frappant des progrès de l’esprit chez notre nation » ?
Premièrement, il est impossible que l’auteur du Siècle ait pu rien prendre des Annales de l’abbé de Saint-Pierre, qu’il ne pouvait connaître, et desquelles il a vengé la mémoire de Louis XIV dès qu’il les a connues. Secondement, il est très faux que l’abbé de Saint-Pierre se soit étendu dans son livre sur les progrès de l’esprit humain chez notre nation. À peine en dit-il quelques mots ; et quand il parle des beaux-arts, c’est pour les avilir.
Voici comme il s’explique, page 155 : « La peinture, la sculpture, la musique, la poésie, la comédie, l’architecture, prouvent le nombre des fainéants, leur goût pour la fainéantise, qui suffit à nourrir et à entretenir d’autres espèces de fainéants, gens qui se piquent d’esprit agréable, mais non pas d’esprit utile, etc. »
Il est rare, sans doute, d’entendre un académicien dire que des arts qui exigent le travail le plus assidu sont des occupations de fainéants.
Quant à la personne de Louis XIV, il veut l’avilir aussi bien que les arts dont ce roi fut le protecteur. On ne peut rapporter qu’avec indignation ce qu’il en dit, page 265 : « Louis se gouvernait à l’égard de ses voisins et de ses sujets comme s’il eût adopté la maxime d’un célèbre tyran : Qu’ils me haïssent, pourvu qu’ils me craignent. Il sacrifiait tout au plaisir de se venger, et de montrer au public qu’il était redoutable ; c’est le goût des âmes médiocres, de tous les enfants, et de tous les hommes du commun. »
Il traite enfin Louis XIV, en vingt endroits, de grand enfant. Et lui, qui était sans contredit un vieil enfant, finit son livre par cette formule : Paradis aux bienfaisants ; mais il n’ose pas dire : Paradis aux médisants.
À l’égard de l’abbé Sabatier, natif de Castres, qui est venu à Paris faire le métier de calomniateur pour quelque argent, il est difficile d’espérer pour lui le paradis. C’est même un grand effort que de le lui souhaiter.
SAINT-RÉAL (César Vichard de), né à Chambéry, mais élevé en France. Son Histoire de la conjuration de Venise est un chef-d’œuvre. Sa Vie de Jésus-Christ est bien différente. Mort en 1692.
SALLO (Denis de), né en 1626, conseiller au parlement de Paris, inventeur des journaux. Bayle perfectionna ce genre, déshonoré ensuite par quelques journaux que publièrent à l’envi des libraires avides, et que des écrivains obscurs emplirent d’extraits infidèles, d’inepties, et de mensonges. Enfin on est parvenu jusqu’à faire un trafic public d’éloges et de censures, surtout dans des feuilles périodiques ; et la littérature a éprouvé le plus grand avilissement par ces infâmes manèges. Mort en 1669.
SANDRAS. Voyez COURTILZ.
SANLECQUE (Louis), né à Paris en 1650, chanoine régulier, poète qui a fait quelques jolis vers. C’est un des effets du siècle de Louis XIV que le nombre prodigieux des poètes médiocres dans lesquels on trouve des vers heureux. La plupart de ces vers appartiennent au temps, et non au génie. Mort en 1714.
SANSON (Nicolas), né à Abbeville en 1600, le père de la géographie avant Guillaume Delisle. Mort en 1667. Ses deux fils héritèrent de son mérite.
SANTEUIL (Jean-Baptiste), né à Paris en 1630. Il passe pour excellent poète latin, si on peut l’être, et ne pouvait faire des vers français. Ses hymnes sont chantées dans l’Église. Comme je n’ai point vécu chez Mécène entre Horace et Virgile, j’ignore si ces hymnes sont aussi bonnes qu’on le dit ; si, par exemple, Orbis redemptor nunc redemptus17 n’est pas un jeu de mots puéril. Je me défie beaucoup des vers modernes latins. Mort en 1697.
SARASIN (Jean-François), né près de Caen, en 1603, a écrit agréablement en prose et en vers. Mort en 1654.
SAUMAISE (Claude de), né en Bourgogne en 1588, retiré à Leyde pour être libre, homme d’une érudition immense. On prétend que le cardinal de Richelieu lui offrit une pension de douze mille francs pour revenir en France, à condition qu’il écrirait à la gloire de ce ministre, et même qu’il écrirait sa vie ; mais Saumaise aimait trop la liberté, et haïssait trop celui qu’il regardait comme le plus grand ennemi de cette même liberté, pour accepter ses offres. Le roi d’Angleterre, Charles II, l’engagea à composer le Cri du sang royal contre les parricides de Charles Ier. Le livre ne répondit pas à la réputation de l’auteur. Milton, auteur d’un poème barbare, quelquefois sublime, sur la pomme d’Adam, et le modèle de tous les poèmes barbares tirés de l’Ancien Testament, réfuta Saumaise, mais le réfuta comme une bête féroce combat un sauvage. Ces deux ouvrages, d’un pédantisme dégoûtant, sont tombés dans l’oubli. Les noms des auteurs n’ont pas péri. Mort en 1653.
SAURIN (Jacques), né à Nîmes en 1677. Il passa pour le meilleur prédicateur des églises réformées. Cependant on lui reproche, comme à tous ses confrères, ce qu’on appelle le style réfugié. « Il est difficile, dit-il, que ceux qui ont sacrifié leur patrie à leur religion parlent leur langue avec pureté, etc. » De son temps, cependant, le français ne s’était pas corrompu en Hollande comme il l’est aujourd’hui. Bayle n’avait point le style réfugié ; il ne péchait que par une familiarité qui approche quelquefois de la bassesse. Les défauts du langage des pasteurs calvinistes venaient de ce qu’ils copiaient les phrases incorrectes des premiers réformateurs ; de plus, presque tous ayant été élevés à Saumur, en Poitou, en Dauphiné, ou en Languedoc, ils conservaient les manières de parler vicieuses de la province. On créa pour Saurin une place de ministre de la noblesse à La Haye. Il était savant, et homme de plaisir. Mort en 1730.
SAURIN (Joseph), né près d’Orange en 1659, de l’Académie des sciences. C’était un génie propre à tout ; mais on n’a de lui que des extraits du Journal des savants, quelques mémoires de mathématiques, et son fameux Factum contre Rousseau. Ce procès, si malheureusement célèbre, fit rechercher toute sa vie, et servit à susciter contre lui les plus infâmes accusations. Rousseau, réfugié en Suisse, et sachant que son ennemi avait été pasteur de l’Église réformée à Bercher, dans le bailliage d’Yverdun, remua tout pour avoir des témoignages contre lui. Il faut savoir que Joseph Saurin, dégoûté de son ministère, livré à la philosophie et aux mathématiques, avait préféré la France sa patrie, la ville de Paris, et l’Académie des sciences, au village de Bercher. Pour remplir ce dessein, il avait fallu rentrer dans le sein de l’Église romaine, et il y rentra dès l’année 1690. L’évêque de Meaux, Bossuet, crut avoir converti un ministre, et il ne fit que servir à la petite fortune d’un philosophe. Saurin retourna en Suisse plusieurs années après, pour y recueillir quelques biens de sa femme, qu’il avait persuadée de quitter aussi la religion réformée. Les magistrats le décrétèrent de prise de corps, comme un pasteur apostat qui avait fait apostasier sa femme. Cela se passait en 1712, après le fameux procès de Rousseau, et Rousseau était à Soleure précisément dans ce temps-là. Ce fut alors que les accusations les plus flétrissantes éclatèrent contre Saurin. On lui imputa d’anciens délits qui auraient mérité la corde ; on produisit ensuite contre lui une ancienne lettre, dans laquelle il avait fait lui-même, disait-on, la confession de ses crimes à un pasteur de ses amis ; enfin, pour comble d’indignité, on eut la cruelle bassesse d’imprimer ces accusations et cette lettre dans plusieurs journaux, dans le supplément de Bayle, dans celui de Moréri : nouveau moyen malheureusement inventé pour flétrir un homme dans l’Europe. C’est étrangement avilir la littérature que de faire d’un dictionnaire un greffe criminel, et de souiller d’opprobres scandaleux des ouvrages qui ne doivent être que le dépôt des sciences ; ce n’était pas, sans doute, l’intention des premiers auteurs de ces archives de la littérature, qu’on a depuis infectées de tant d’additions aussi erronées qu’odieuses. L’art d’écrire est devenu souvent un vil métier, dans lequel des libraires, qui ne savent pas lire, payent des mensonges et des futilités, à tant la feuille, à des écrivains mercenaires qui ont fait de la littérature la plus lâche des professions. Il n’est pas permis au moins de consigner dans un dictionnaire des accusations criminelles, et de s’ériger en délateur, sans avoir des preuves juridiques. J’ai été à portée d’examiner ces accusations contre Joseph Saurin ; j’ai parlé au seigneur de la terre de Bercher, dans laquelle Saurin avait été pasteur ; je me suis adressé à toute la famille du seigneur de cette terre : lui et tous ses parents m’ont dit unanimement qu’ils n’avaient jamais vu la lettre imputée à Saurin ; ils m’ont tous marqué la plus vive indignation contre l’abus scandaleux dont on a chargé les suppléments aux dictionnaires de Bayle et de Moréri ; et cette juste indignation qu’ils m’ont témoignée doit passer dans le cœur de tous les honnêtes gens. J’ai en main les attestations de trois pasteurs, qui avouent qu’ils n’ont jamais vu l’original de cette prétendue lettre de Saurin, ni connu personne qui l’eût vue, ni ouï dire qu’elle eut été adressée à aucun pasteur du pays de Vaud, et qu’ils ne peuvent qu’improuver l’usage qu’on a fait de cette pièce.
Joseph Saurin mourut en 1737, en philosophe intrépide qui connaissait le néant de toutes les choses de ce monde, et plein d’un profond mépris pour tous ces vains préjugés, pour toutes ces disputes, pour ces opinions erronées, qui surchargent d’un nouveau poids les malheurs innombrables de la vie humaine.
Joseph Saurin a laissé un fils d’un vrai mérite, auteur d’une tragédie de Spartacus, dans laquelle il y a des traits comparables à ceux de la plus grande force de Corneille.
SAUVEUR (Joseph), né à La Flèche en 1653. Il apprit sans maître les éléments de la géométrie. Il est un des premiers qui aient calculé les avantages et les désavantages des jeux de hasard. Il disait que tout ce que peut un homme en mathématiques, un autre le peut aussi. Cela s’entend pour ceux qui se bornent à apprendre, mais non pour les inventeurs. Il avait été muet jusqu’à l’âge de sept ans. Mort en 1716.
SAVARY (Jacques), né en 1622, le premier qui ait écrit sur le commerce. Il avait été longtemps négociant. Le conseil le consulta sur l’ordonnance de 1670, dans tout ce qui regarde le négoce, et il en rédigea presque tous les articles. Le Dictionnaire de commerce, qui est de lui et de Philémon, son frère, chanoine de Saint-Maur, fut une entreprise aussi utile que nouvelle ; mais il faut regarder ces livres à peu près comme les intérêts des princes, qui changent en moins de cinquante ans. Les objets et les canaux du commerce, les gains, les finesses, ne sont plus aujourd’hui ce qu’ils étaient du temps de Savary. Mort en 1690.
SCARRON (Paul), fils d’un conseiller de la grand’chambre, né en 1610. Ses comédies sont plus burlesques que comiques. Son Virgile travesti n’est pardonnable qu’à un bouffon. Son Roman comique est presque le seul de ses ouvrages que les gens de goût aiment encore ; mais ils ne l’aiment que comme un ouvrage gai, amusant, et médiocre. C’est ce que Boileau avait prédit. Louis XIV épousa sa veuve en 1685. Mort en 1660.
SCUDÉRI (Georges de), né au Havre-de-Grâce en 1601. Favorisé du cardinal de Richelieu, il balança quelque temps la réputation de Corneille. Son nom est plus connu que ses ouvrages. Mort en 1667.
SCUDÉRI (Magdeleine de), sœur de Georges, née au Havre en 1607, plus connue aujourd’hui par quelques vers agréables qui restent d’elle que par les énormes romans de la Clélie et du Cyrus. Louis XIV lui donna une pension, et l’accueillit avec distinction. Ce fut elle qui remporta le premier prix d’éloquence fondé par l’Académie. Morte en 1701.
SEGRAIS (Jean Regnault de), né à Caen en 1625. Mademoiselle l’appelle une manière de bel esprit ; mais c’était en effet un très bel esprit et un véritable homme de lettres. Il fut obligé de quitter le service de cette princesse, pour s’être opposé à son mariage avec le comte de Lauzun. Ses Églogues et sa traduction de Virgile furent estimées ; mais aujourd’hui on ne les lit plus. Il est remarquable qu’on a retenu des vers de la Pharsale de Brébeuf, et aucun de L’Énéide de Segrais. Cependant Boileau loue Segrais, et dénigre Brébeuf. Mort en 1701.
SENAULT (Jean-François), né en 1601, général de l’Oratoire. Prédicateur qui fut à l’égard du P. Bourdaloue ce que Rotrou est pour Corneille, son prédécesseur et rarement son égal. Il est compté parmi les premiers restaurateurs de l’éloquence, plutôt que dans le petit nombre des hommes véritablement éloquents. Mort en 1672.
SÉNECÉ, né en 1643, premier valet de chambre de Marie-Thérèse, poète d’une imagination singulière. Son conte du Kaïmac, à quelques endroits près, est un ouvrage distingué. C’est un exemple qui apprend qu’on peut très bien conter d’une autre manière que La Fontaine. On peut observer que cette pièce, la meilleure qu’il ait faite, est la seule qui ne se trouve pas dans son recueil. Il y a aussi dans ses Travaux d’Apollon des beautés singulières et neuves. Mort en 1737.
SÉVIGNÉ (Marie de Rabutin), femme du marquis de Sévigné, née en 1626. Ses lettres, remplies d’anecdotes, écrites avec liberté, et d’un style qui peint et anime tout, sont la meilleure critique des lettres étudiées où l’on cherche l’esprit, et encore plus de ces lettres supposées dans lesquelles on veut imiter le style épistolaire en étalant de faux sentiments et de fausses aventures à des correspondants imaginaires. C’est dommage qu’elle manque absolument de goût, qu’elle ne sache pas rendre justice à Racine, qu’elle égale l’oraison funèbre de Turenne prononcée par Mascaron au grand chef-d’œuvre de Fléchier. Morte en 1696.
SILVA, né à Bordeaux, très célèbre médecin à Paris, a fait un livre estimé sur la saignée. Il était fort au-dessus de son livre. C’était un de ces médecins que Molière n’eût pu ni osé rendre ridicules. Mort vers l’an 1746.
SIMON (Richard), né en 1638, de l’Oratoire, excellent critique. Son Histoire de l’origine et du progrès des revenus ecclésiastiques, son Histoire critique du vieux Testament, etc., sont lues de tous les savants. Mort à Dieppe en 1712.
SIRMOND (Jacques), jésuite, né vers l’an 1559, l’un des plus savants et des plus aimables hommes de son temps. On sait à peine qu’il fut confesseur de Louis XIII, parce qu’il fit à peine parler de lui dans ce poste délicat. Il fut préféré par le pape à tous les savants d’Italie pour faire la préface de la collection des conciles. Ses nombreux ouvrages furent très estimés, et sont très peu lus. Mort en 1651.
SIRMOND (Jean), neveu du précédent. Historiographe de France, avec le brevet de conseiller d’État, qui était d’ordinaire attaché à la charge d’historiographe. L’un de ses principaux ouvrages est la vie du cardinal d’Amboise, qu’il ne composa que pour mettre ce ministre au-dessous du cardinal de Richelieu, son protecteur. Il fut un des premiers académiciens. Mort en 1649.
SORBIÈRE (Samuel), né en Dauphiné en 1615. L’un de ceux qui ont porté le titre d’historiographe de France. Ami du pape Clément IX avant son exaltation, ne recevant que de faibles marques de la générosité de ce pontife, il lui écrivit : « Saint-père, vous envoyez des manchettes à celui qui n’a point de chemise. » Il effleura beaucoup de genres de sciences. Mort en 1670.
SUZE (Henriette de Coligny, comtesse de LA), célèbre dans son temps par son esprit et par ses élégies. C’est elle qui se fit catholique parce que son mari était huguenot, et qui s’en sépara, afin, disait la reine Christine, de ne voir son mari ni dans ce monde-ci ni dans l’autre. Morte en 1673.
TALLEMANT (François), né à La Rochelle en 1620, second traducteur de Plutarque. Mort en 1693.
TALLEMANT (Paul), né à Paris en 1642. Quoiqu’il fût petit-fils du riche Montoron, et fils d’un maître des requêtes qui avait eu deux cent mille livres de rente de notre monnaie d’aujourd’hui, il se trouva presque sans fortune. Colbert lui fit du bien comme aux autres gens de lettres. Il a eu la principale part à l’histoire du roi par médailles. Mort en 1712.
TALON (Omer), avocat général du parlement de Paris, a laissé des mémoires utiles, dignes d’un bon magistrat et d’un bon citoyen ; mais son éloquence n’est pas encore celle du bon temps. Mort en 1652.
TARTERON (Jérôme), jésuite. Il a traduit les satires d’Horace, de Perse, et de Juvénal, et a supprimé les obscénités grossières dont il est étrange que Juvénal, et surtout Horace, aient souillé leurs ouvrages. Il a ménagé en cela la jeunesse, pour laquelle il croyait travailler ; mais sa traduction n’est pas assez littérale pour elle : le sens est rendu, mais non pas la valeur des mots. Mort en 1720.
TERRASSON (l’abbé), né en 1669, philosophe pendant sa vie et à sa mort. Il y a de beaux morceaux dans son Séthos. Sa traduction de Diodore est utile ; son Examen d’Homère passe pour être sans goût. Mort en 1750.
THIERS (Jean-Baptiste), né à Chartres en 1641. On a de lui beaucoup de dissertations. C’est lui qui écrivit contre l’inscription du couvent des cordeliers de Reims : À Dieu et à saint François, tous deux crucifiés. Mort en 1703.
THOMASSIN (Louis), de l’Oratoire, né en Provence en 1619, homme d’une érudition profonde. Il fit le premier des conférences sur les Pères, sur les conciles, et sur l’histoire. Il oublia sur la fin de sa vie tout ce qu’il avait su, et ne se souvint plus d’avoir écrit. Mort en 1695.
THOYNARD (Nicolas), né à Orléans en 1629. On prétend qu’il a eu grande part au traité du cardinal Norris sur les Époques syriennes. Sa Concordance des quatre évangélistes, en grec, passe pour un ouvrage curieux. Il n’était que savant, mais il l’était profondément. Mort en 1706.
TORCI (Jean-Baptiste Colbert de), neveu du grand Colbert, ministre d’État sous Louis XIV, a laissé des Mémoires depuis la paix de Rysvick jusqu’à celle d’Utrecht. Ils ont été imprimés pendant qu’on achevait l’édition de cet Essai sur le siècle de Louis XIV. Ils confirment tout ce qu’on y avance. Ces Mémoires renferment des détails qui ne conviennent qu’à ceux qui veulent s’instruire à fond. Ils sont écrits plus purement que tous les mémoires de ses prédécesseurs : on y reconnaît le goût de la cour de Louis XIV. Mais leur plus grand prix est dans la sincérité de l’auteur : c’est la vérité, c’est la modération elle-même qui ont conduit sa plume. Mort en 1746.
TOURNEFORT (Joseph Pitton de), né en Provence en 1656, le plus grand botaniste de son temps. Il fut envoyé par Louis XIV en Espagne, en Angleterre, en Hollande, en Grèce, et en Asie, pour perfectionner l’histoire naturelle. Il rapporta treize cent trente-six nouvelles espèces de plantes, et il nous apprit à connaître les nôtres. Mort en 1708.
TOURREIL (Jacques), né à Toulouse en 1656, célèbre par sa traduction de Démosthène. Mort en 1715.
TRISTAN l’Ermite, gentilhomme de Gaston d’Orléans, frère de Louis XIII. Le prodigieux et long succès qu’eut sa tragédie de Mariamne fut le fruit de l’ignorance où l’on était alors : on n’avait pas mieux ; et, quand la réputation de cette pièce fut établie, il fallut plus d’une tragédie de Corneille pour la faire oublier. Il y a encore des nations chez qui des ouvrages très médiocres passent pour des chefs-d’œuvre, parce qu’il ne s’est pas trouvé de génie qui les ait surpassés. On ignore communément que Tristan ait mis en vers l’office de la Vierge, et il n’est pas étrange qu’on l’ignore. Mort en 1655. Voici son épitaphe, qu’il composa :
Je fis le chien couchant auprès d’un grand seigneur ;
Je me vis toujours pauvre, et tâchai de paraître :
Je vécus dans la peine, espérant le bonheur,
Et mourus sur un coffre en attendant mon maître.
TURENNE. Ce grand homme nous a laissé aussi des mémoires qu’on trouve dans sa Vie écrite par Ramsay. Nous avons beaucoup de mémoires de nos généraux ; mais ils n’ont pas écrit comme Xénophon et César.
VAILLANT (Jean-Foy), né à Beauvais en 1632. Le public lui doit la science des médailles ; et le roi, la moitié de son cabinet. Le ministre Colbert le fit voyager en Italie, en Grèce, en Égypte, en Turquie, en Perse. Des corsaires d’Alger le prirent, en 1674, avec l’architecte Desgodets. Le roi les racheta tous deux. Jamais savant n’essuya plus de dangers. Mort en 1706.
VAILLANT (Jean-François), né à Rome en 1665, pendant les voyages de son père ; antiquaire comme lui. Mort en 1708.
VALINCOURT (Jean-Baptiste-Henri du Trousset de), né en 1653. Une épître que Despréaux lui a adressée fait sa plus grande réputation. On a de lui quelques petits ouvrages : il était bon littérateur. Il fit une assez grande fortune, qu’il n’eût pas faite s’il n’eût été qu’homme de lettres. Les lettres seules, dénuées de cette sagacité laborieuse qui rend un homme utile, ne procurent presque jamais qu’une vie malheureuse et méprisée. Un des meilleurs discours qu’on ait jamais prononcés à l’Académie est celui dans lequel M. de Valincourt tâche de guérir l’erreur de ce nombre prodigieux de jeunes gens qui, prenant leur fureur d’écrire pour du talent, vont présenter de mauvais vers à des princes, inondent le public de leurs brochures, et qui accusent l’ingratitude du siècle parce qu’ils sont inutiles au monde et à eux-mêmes. Il les avertit que les professions qu’on croit les plus basses sont fort supérieures à celle qu’ils ont embrassée. Mort en 1730.
VALOIS (Adrien de), né à Paris en 1607, historiographe de France. Ses meilleurs ouvrages sont sa Notice des Gaules et son histoire de la première race. Mort en 1692.
VALOIS (Henri de), frère du précédent, né en 1603. Ses ouvrages sont moins utiles à des Français que ceux de son frère. Mort en 1676.
VARIGNON (Pierre), né à Caen en 1654, mathématicien célèbre. Mort en 1722.
VARILLAS (Antoine), né dans la Marche en 1624, historien plus agréable qu’exact. Mort en 1696.
VAUBAN (le maréchal de), né en 1633. La Dîme royale qu’on lui a imputée, n’est pas de lui, mais de Bois-Guillebert18. Elle n’a pu être exécutée, et est en effet impraticable. On a de lui plusieurs mémoires dignes d’un bon citoyen. Il contribua beaucoup par ses conseils à la construction du canal de Languedoc. Observons qu’il était très ignorant, qu’il l’avouait avec franchise, mais qu’il ne s’en vantait pas. Un grand courage ; un zèle que rien ne rebutait ; un talent naturel pour les sciences de combinaison ; de l’opiniâtreté dans le travail ; le coup d’œil dans les occasions, qui ne se trouve pas toujours ni avec les connaissances ni avec le talent : telles furent les qualités auxquelles il dut sa réputation. Il a prouvé, par sa conduite, qu’il pouvait y avoir des citoyens dans un gouvernement absolu. Mort en 1707.
VAUGELAS (Claude Favre de), né à Bourg-en-Bresse en 1585. C’est un des premiers qui ont épuré et réglé la langue, et de ceux qui pouvaient faire des vers italiens sans en pouvoir faire de français. Il retoucha pendant trente ans sa traduction de Quinte-Curce. Tout homme qui veut bien écrire doit corriger ses ouvrages toute sa vie. Mort en 1650.
VAVASSEUR, né dans le Charolais en 1605, jésuite, grand littérateur. Il fit voir le premier que les Grecs et les Romains n’ont jamais connu le style burlesque, qui n’est qu’un reste de barbarie. Mort en 1681.
VERGIER (Jacques), né à Paris en 1657. Il est à l’égard de La Fontaine ce que Campistron est à Racine : imitateur faible, mais naturel. Mort assassiné à Paris, par des voleurs, en 1720. On laisse entendre, dans le Moréri, qu’il avait fait une parodie contre un prince puissant, qui le fit tuer. Ce conte est faux.
VERTOT (René Aubert), né en Normandie en 1655, historien agréable et élégant. Mort en 1735.
VILLARS (le maréchal, duc de), né en 1652. Le premier tome des Mémoires qui portent son nom est entièrement de lui. Il savait par cœur les beaux endroits de Corneille, de Racine, et de Molière. Je lui ai entendu dire un jour à un homme d’État fort célèbre, qui était étonné qu’il sût tant de vers de comédie : « J’en ai moins joué que vous, mais j’en sais davantage. » Mort en 1734.
VILLARS DE MONTFAUCON (l’abbé de), né en 1635, célèbre par Le Comte de Gabalis. C’est une partie de l’ancienne mythologie des Perses. L’auteur fut tué, en 1675, d’un coup de pistolet. On dit que les sylphes l’avaient assassiné pour avoir révélé leurs mystères.
VILLEDIEU (Mme de). Ses romans lui firent de la réputation. Au reste, on est bien éloigné de vouloir donner ici quelque prix à tous ces romans dont la France a été et est encore inondée. Ils ont presque tous été, excepté Zaïde, des productions d’esprits faibles, qui écrivent avec facilité des choses indignes d’être lues par les esprits solides. Ils sont même pour la plupart dénués d’imagination ; et il y en a plus dans quatre pages de l’Arioste que dans tous ces insipides écrits qui gâtent le goût des jeunes gens. Mort en 1683.
VILLIERS (Pierre de), né à Cognac en 1648, jésuite. Il cultiva les lettres, comme tous ceux qui sont sortis de cet ordre. Ses sermons et son poème sur l’Art de prêcher eurent de son temps quelque réputation. Ses stances sur la solitude sont fort au-dessus de celles de Saint-Amant, qu’on avait tant vantées, mais ne sont pas encore tout à fait dignes d’un siècle si au-dessus de celui de Saint-Amant. Mort en 1728.
VOITURE (Vincent), né à Amiens en 1598. C’est le premier qui fut en France ce qu’on appelle un bel esprit. Il n’eut guère que ce mérite dans ses écrits, sur lesquels on ne peut se former le goût ; mais ce mérite était alors très rare. On a de lui de très jolis vers, mais en petit nombre. Ceux qu’il fit pour la reine Anne d’Autriche, et qu’on n’imprima pas dans son recueil, sont un monument de cette liberté galante qui régnait à la cour de cette reine, dont les Frondeurs lassèrent la douceur et la bonté :
. . . . . . . . .
. . . . . . . . .
Je pensais si le cardinal,
J’entends celui de La Valette,
Pouvait voir l’éclat sans égal
Dans lequel maintenant vous ête*2 :
J’entends celui de la beauté,
Car auprès je n’estime guère,
Cela soit dit sans vous déplaire,
Tout l’éclat de la majesté.
Il fit aussi des vers italiens et espagnols avec succès. Mort en 1648.
Ce n’est pas la peine de pousser plus loin ce catalogue. On y voit un petit nombre de grands génies, un assez grand d’imitateurs, et on pourrait donner une liste beaucoup plus longue des savants. Il sera difficile désormais qu’il s’élève des génies nouveaux, à moins que d’autres mœurs, une autre sorte de gouvernement, ne donnent un tour nouveau aux esprits. Il sera impossible qu’il se forme des savants universels, parce que chaque science est devenue immense. Il faudra nécessairement que chacun se réduise à cultiver une petite partie du vaste champ que le siècle de Louis XIV a défriché.