CHAPITRE 1

TOUR D’HORIZON HISTORIQUE

Au programme

« Autrefois, lorsque les plantes descendirent du ciel, elles disaient : par nous, tout homme qui tiendra encore à la vie sera guéri de son mal. »

Hymne védique, Chant du médecin

La médecine par les plantes, autrement appelée phytothérapie1, est la plus ancienne façon au monde de se soigner, on la retrouve dans toutes les civilisations, chacune d’entre elles ayant élaboré sa propre thérapeutique au fil des siècles. L’usage des Simples pour remédier à un mal remonte à l’aube de l’humanité. Il apparaît que l’homme a compris très tôt tout ce que le monde végétal pouvait lui apporter, non seulement pour se nourrir et se vêtir mais encore pour se soigner ou se concilier les forces de la Nature.

Cet usage, étroitement lié au chamanisme, se retrouve dans toutes les médecines dont on a gardé une trace à ce jour, dans des traditions aussi variées que les médecines druidique, amérindienne, laotienne, mongole, amazonienne, péruvienne…

Connaissance reposant sur une approche empirique, en intercession avec les divinités de la Nature et par transmission orale, elle s’est enrichie au fur et à mesure des siècles et par le biais d’échanges et d’expériences, d’influences provenant d’autres pays. Grecs, Arabes, Latins, Perses, Égyptiens puisent leurs savoirs à la fois dans leur lieu d’origine mais aussi au gré de leurs voyages.

Quant à l’Inde, reconnue aujourd’hui comme la mère de la phytothérapie, elle a apporté de nombreuses instructions au sujet de la pharmacopée et des modes d’application. Car, dès son origine, la phytothérapie est considérée comme une médecine à part entière, naturelle, puissante et aussi complexe. Sont en effet pris en compte la composition de la plante (principes actifs), ses différentes parties (tige, racines, feuilles, fleur, sommités fleuries…) et leur utilisation, les modes préparatoires, la période de cueillette. Cet enseignement sera transmis oralement durant de nombreux siècles avant d’être rédigé vers 1500 avant notre ère, et toujours vivant aujourd’hui.

Babylone et Sumer

Six cents tablettes d’argile, datant de 3000 avant notre ère, mentionnent des formules médicamenteuses à base de plantes telles que le myrte, le chanvre, le pavot, la jusquiame, le thym et le saule.

Le monde égyptien

Le papyrus Ebers, découvert en 1862 par Edwin Smith, à Louxor, est l’un des plus anciens traités médicaux rédigés. Il daterait de 1600 avant notre ère. Comportant 877 paragraphes, un certain nombre de maladies sont décrites comme l’ophtalmologie, la gynécologie, la gastro-entérologie mais aussi les désordres mentaux (tels que la dépression ou la démence), ainsi que les prescriptions correspondantes. Il répertorie plus de 700 plantes, dont le safran, la myrrhe, le lotus bleu, l’aloès, l’encens, le chanvre ou la résine, pour n’en citer que quelques-unes.

Le monde chinois

Le premier traité connu date de 2 900 avant notre ère. Appelé « Traité des plantes médicinales de l’empereur Shen Nung » (Shen Nung Ben Cao jing), il liste 365 remèdes : 120 plantes toniques conservant la santé, 120 plantes à vertus thérapeutiques pour soigner, 125 plantes toxiques à vocation de contrepoison. On parle des vertus des plantes en termes d’énergie (provenant des cinq éléments : bois, feu, terre, métal, eau), de saveur (au nombre de cinq : aigre, amer, doux, âcre, salé, chacune en relation avec les organes) et de nature (froid, chaud, tiède selon les souffles qu’elles contiennent) ; les différentes saveurs permettent de soigner les dysfonctionnements organiques et corporels.

La classification des plantes les partage en trois catégories :

Le monde persan

Avicenne (Ibn Sina, 980-1037), à la fois médecin de génie, philosophe, théologien, métaphysicien, scientifique, par son Canon de la médecine et son Livre de la guérison [des âmes], a marqué d’une trace indélébile la pensée médicale arabe et occidentale. Novateur, il s’est attaché à décrire les symptômes de toutes les maladies connues à cette époque en incluant la psychiatrie, mais surtout il s’est intéressé aux moyens de préserver la santé tout en perpétuant les principes de Galien, dont il a traduit les textes ainsi que ceux d’Hippocrate et d’Aristote.

Le monde gréco-latin

L’Occident connaît aussi de grands médecins chercheurs qui feront référence durant de nombreux siècles. Ainsi, Dioscoride (Ier siècle de notre ère) qui, dans son ouvrage De materia medica (Sur la matière médicale), décrit 600 plantes à usage médicinal ; Hippocrate qui posera les bases de la médecine dite scientifique, recherchant une cause naturelle (provenant de l’organique) et non plus magique aux maladies ; Théophraste qui, dans son ouvrage Historia plantarum, classera les plantes ; ou encore Celsius, Galien (père de l’allopathie, « la médecine des contraires ») et Pline l’Ancien avec son Histoire naturelle, qui transmettront la connaissance des plantes.

Dans les ouvrages naturalistes du monde romain des premiers siècles de notre ère, les plantes sont déjà précisément répertoriées et les ingrédients entrant dans la composition d’onguents, de parfums en poudre, de cosmétiques, de remèdes sont désignés sous les noms suivants :

L’Inde

La ressource du monde végétal et de ses richesses thérapeutiques n’a pas échappé à l’observation des érudits indiens. La phytothérapie (Rasavidyâ) est l’un des éléments clés des soins traditionnels préconisés par l’Âyurveda et est toujours couramment utilisée aujourd’hui. On trouve, dans les matières médicales âyurvédiques, quelque 3 000 plantes dénombrées, listées et répertoriées, dont environ 1 000 sont toujours prescrites actuellement. Dans la CharakaSamhitâ, texte fondamental de l’Âyurveda toujours d’actualité (et qui reste la référence actuelle des médecins), sont exposées de façon explicite et très rigoureuse les grandes maladies connues à l’époque (fièvres, aliénation mentale, hémorragies internes, affections cutanées dont la lèpre, l’épilepsie, les tumeurs…) ainsi que les pathologies associées, les thérapeutiques regroupant les différents traitements à base de plantes et adaptés à chaque cas, les formules pharmaceutiques et les protocoles de soins.

L’objectif de la phytothérapie âyurvédique est de rétablir l’équilibre interne, en apportant des réponses immédiates, précises et personnalisées.

Les phytothérapeutes indiens insistent particulièrement sur la prévention, le renforcement des défenses naturelles et l’attention portée à l’état d’esprit de la personne lors de la consultation. Ils ont établi une classification distinctive et sophistiquée après avoir observé les interactions entre la plante, son dosage et les effets (parfois) secondaires de certains composants actifs. C’est pourquoi, avant de donner une plante (sous quelque forme que ce soit), ils tiennent compte des éléments suivants :

Cette thérapeutique est encore transmise, enseignée, pratiquée et appliquée de nos jours. Elle est certainement la plus ancienne survivante de toutes ces médecines traditionnelles, car la majorité d’entre elles ont disparu au fil des siècles.

 

1. En Occident, nous devons la notion de « phytothérapie » à Auguste Soin, en 1865. L’ouvrage de référence est le Précis de phytothérapie d’Henri Leclerc.