198. WITTGENSTEIN À ENGELMANN

Rappelez mon bon souvenir à M. Lachs.

199. WITTGENSTEIN À ENGELMANN

200. WITTGENSTEIN À ENGELMANN

[1917 ?]

C. M. E.1,

Pouvez-vous dire, s’il vous plaît, à M. Groag de bien vouloir m’expédier mes manuscrits, en dépit du danger. S’ils se perdent, ce sera la volonté de Dieu ! Vous serait-il aussi possible de m’envoyer une copie du poème que vous avez écrit ? Je n’en ferai pas mauvais usage et le lirai seulement à ma sœur Mining. Je vous en serai vraiment reconnaissant. J’ai été très heureux de vous voir et de parler avec vous. Cette rencontre m’a régénéré. Transmettez, s’il vous plaît, mes hommages à votre chère mère que je vénère.

Votre

L. Wittgenstein

— Mes manuscrits : En 1969, Groag dit à B. McGuinness qu’il s’agissait d’une version manuscrite du Tractatus, sur feuilles détachées.

— Minnig : C’est-à-dire Hermine Wittgenstein (1874-1950), l’aînée des enfants Wittgenstein. Elle écrira des Familienerinnerungen [Souvenirs de famille], dans les années 1940. Ludwig lui était profondément lié. Lorsqu’il la sut condamnée, il écrivit : « Les racines dont dépendait ma propre vie sont arrachées. Son intelligence et son talent se manifestaient de bien des façons, non pas de façon directe, comme cela se fait aujourd’hui, mais de façon voilée, comme le doivent les qualités humaines2. »

— Le poème écrit par Engelmann évoque une âme qui suit l’ange de la mort et comparaît devant le juge, lequel l’envoie en enfer pour avoir péché.

201. WITTGENSTEIN À ENGELMANN

Aspirant-officier Wittgenstein

F.H.R. 5/4, Poste militaire no 286

Monsieur Paul Engelmann

Oberring 6 T, Olmütz, Moravie

27.08.[1917 ?]

Je vous remercie pour votre carte. J’avais bien des choses à vous dire, mais je ne parviens à rien écrire. Mon cerveau travaille très dur. Transmettez mes hommages les plus cordiaux à Madame votre mère.

Avec mes salutations les meilleures.

Wittgenstein

202. WITTGENSTEIN À ENGELMANN

04.09.1917

C. M. E.,

Pourriez-vous avoir la bonté de m’envoyer la Bible en petit format, mais lisible. Mon adresse est : F.H.R. 5/4 P[oste] de campagne 286. J’ai bien des choses à vous dire, mais je n’arrive toujours pas à les exprimer.

Puissent les choses aller bien pour vous ! Je pense souvent à vous.

Avec mes salutations les plus cordiales

L. Wittgenstein

205. WITTGENSTEIN À ENGELMANN

— Engelmann avait écrit ceci à Wittgenstein, le 08.01.1918 : « Cher Monsieur Wittgenstein, Je lis ceci dans les notes aux Étapes sur le chemin de la vie : “Il [c’est-à-dire Kierkegaard] écrit dans son journal, le 17 mai 1843 : ‘Si j’avais eu la foi, je serais resté à ses côtés. Dieu soit loué et remercié pour m’en avoir fait prendre conscience.’” Cela me rappelle quelque chose3 que je souhaitais vous dire à Vienne. Comme je ne l’ai pas fait alors, je vous le dis maintenant. Au cas où ce que je vais vous dire serait injuste, je vous prie de me pardonner. Il m’a semblé […] que vous n’avez pas la foi. Si je vous le dis, ce n’est aucunement pour vous influencer en quelque sens que ce soit. Mais je vous prie de bien vouloir y penser, en réfléchissant à la phrase que je viens de citer, et je souhaite que vous fassiez ce qui est vraiment le mieux pour vous. Avec les meilleures salutations de votre Paul Engelmann. »

206. WITTGENSTEIN À ENGELMANN

09.04.1918

C. M. E.,

Une grande requête : au moment où j’ai souffert d’entérite à Olmütz, le Dr Hahn m’a prescrit un médicament, le seul qui m’ait jamais été bénéfique. J’ai perdu son ordonnance, mais hélas pas l’entérite ! Pourriez-vous avoir la gentillesse de passer chez le Dr Hahn pour lui demander d’établir une nouvelle ordonnance, si toutefois il parvient à identifier le médicament par sa description externe — car je ne connais pas ses composants ? C’est un liquide trouble, de couleur jaunâtre avec un dépôt blanc, qu’il faut agiter jusqu’à ce qu’il devienne laiteux. Il est d’un goût douceâtre et agréable (deux cuillères à soupe par jour). S’il peut établir l’ordonnance, faites-moi, s’il vous plaît, la faveur de me l’expédier. Mon adresse est : Batt[erie] d’art. Mont., 5/11, Poste militaire 209.

Je pense souvent à vous avec grand plaisir. Transmettez, s’il vous plaît, tous mes hommages à votre mère honorée.

L. Wittgenstein

215. WITTGENSTEIN À ENGELMANN

Veuillez transmettre mes hommages à Madame votre mère.

216. WITTGENSTEIN À ENGELMANN

Mon adresse actuelle : XIII, St. Veitgasse 17, chez Mme Sjögren.

Les hommes normaux sont, pour moi, un bienfait et, en même temps, un tourment !

218. WITTGENSTEIN À ENGELMANN

N. V. Vegetarisch Hotel-Restaurant « Pomona »

Molenstraat 53, La Haye

15.12.1919

C. M. E.,

Comme vous voyez, je suis ici dans un hôtel qui promeut la vertu ! Je vais très bien. Russell veut faire imprimer mon traité, probablement en allemand et en anglais (il le traduira lui-même et écrira une introduction — ce qui me convient parfaitement). En vérité, je vous écris simplement pour vous dire que j’ai été très heureux d’avoir parlé avec vous. Dommage que ç’ait été si bref ! J’aurais encore bien d’autres choses à discuter avec vous. Ou plutôt je n’en aurais qu’une à discuter plus à fond, parce que je ne m’y reconnais toujours pas. Transmettez mes respects à votre vénérée mère.

Votre

Ludwig Wittgenstein
Mes salutations les meilleures
Arvid Sjögren

— Au moment de sa rencontre avec Russell, Wittgenstein avait déjà été informé par Ludwig von Ficker de l’impossibilité dans laquelle il se trouvait de publier le Tractatus. Cf. les lettres 188 et 189.

— Arvid Sjögren : Un ami de Wittgenstein (et fils de sa logeuse d’alors) qui l’avait accompagné en Hollande. Il l’accompagnera aussi plus tard en Norvège (et épousera une fille d’Helene Wittgenstein-Salzer).

219. WITTGENSTEIN À ENGELMANN

29.12.1919

C. M. E.,

De retour de Hollande depuis avant-hier. Ma rencontre avec Russell a été fort réjouissante. Il veut écrire une introduction à mon livre et je lui ai donné mon accord. Je voudrais donc à nouveau essayer de trouver un éditeur. Avec une introduction de Russell, l’ouvrage constituera certainement un risque moindre pour l’éditeur, puisque Russell est très connu. Peut-être pourriez-vous écrire une lettre allant dans ce sens à ce monsieur qui doit me recommander à Reclam. Si je ne parviens pas à trouver un éditeur allemand, Russell fera imprimer le livre en Angleterre. Étant donné qu’il lui faudra, en ce cas, entreprendre toutes sortes de démarches, pouvez-vous, s’il vous plaît, me faire savoir aussi vite que possible si vos tentatives ont quelque chance d’aboutir. — Je suis en ce moment très déprimé. Mes relations avec mes proches se sont curieusement modifiées. Ce qui était en ordre quand nous nous sommes vus est maintenant en désordre, et je suis totalement désespéré. Je prévois d’ailleurs qu’il ne se produira rien de décisif avant bien longtemps. Comme j’aimerais vous revoir bientôt ! Car je tire un certain apaisement de l’activité de mon entendement que votre présence rend possible. — Transmettez mes respects les plus cordiaux à Madame votre mère.

Ludwig Wittgenstein

220. WITTGENSTEIN À ENGELMANN

— Vos remarques sur la religion : Dans sa lettre du 31 décembre, Engelmann revenait sur ce qui avait été le sujet principal de leurs discussions, lors de leur rencontre à Vienne. Il écrivait : « Avant le Christ, les hommes ressentaient Dieu (ou aussi bien les dieux) comme quelque chose d’extérieur à eux.

« Depuis le Christ, les hommes (non tous les hommes, mais ceux qui ont appris à connaître à travers lui voient Dieu comme quelque chose se trouvant en eux. On peut dire : à travers le Christ, Dieu est entré dans les hommes.

« La difficulté sur laquelle on bute, pour comprendre cette doctrine non comme une comparaison (Gleichnis), mais comme témoignant d’une réalité se trouvant à l’arrière-plan de la comparaison (car c’est ainsi seulement que la doctrine peut avoir une valeur), tient à ce qu’on ne veut pas se réprésenter le Père devenu homme. Or, à mon sens, il ne s’agit aucunement de cela, mais du fait que le Fils s’est fait homme.

« Le Père est la perfection infinie, la divinité comme idée, laquelle n’est pas une abstraction, mais ce d’où la vie (ou le monde) procèdent.

« Le Fils est la perfection infinie comme réalité vivante dans et à travers le Christ en tant que possibilité présente en tout homme.

« Le Père et le Fils sont un. Ce qui parle par le Christ et ce d’où le monde procède sont une seule et même chose.

« Dans l’homme nommé Jésus, la terre est devenue si proche du ciel qu’en lui Dieu a pu se faire homme et qu’en lui l’homme s’est lui-même fait Dieu.

« Le Christ enseigne aux hommes que la possibilité de s’élever sommeille en chacun, pour autant que Dieu puisse entrer en lui.

« Dieu s’est fait homme à travers le Christ.

« Lucifer voulait se faire Dieu, mais il ne l’était pas.

« Le Christ s’est fait Dieu sans le vouloir.

« Le mal consiste à vouloir le plaisir sans avoir à le gagner.

« Mais lorsqu’on fait ce qui est juste sans vouloir le plaisir, alors le plaisir se transforme en joie. »

221. WITTGENSTEIN À ENGELMANN

226. WITTGENSTEIN À ENGELMANN

228. WITTGENSTEIN À ENGELMANN

P. S. Ma sœur Minnig est inquiète de n’avoir pas reçu de réponse à la lettre qu’elle vous a adressée. Mais elle n’est pas fâchée !

— Une coupure de journal : Un article intitulé « Eine Schule der Weisheit [Une école de sagesse] » paru dans la Neue Freie Presse du 20 août 1920 : « Le comte Hermann Keyserling, auteur du Journal de voyage d’un philosophe, soutient, dans son nouveau livre, Ce dont nous avons besoin — ce que je veux, que c’est la sagesse, et non le seul savoir, qui peut nous sauver, et il montre qu’à cette fin il faut reconnaître que la sagesse est un refuge possédant autant de valeur que l’Église et l’Université. L’importance de son idée et l’impérieuse nécessité de la concrétiser ont été immédiatement reconnues. Pour en prendre acte, les tenants de la philosophie de Keyserling ont constitué une société pour la libre philosophie. L’entreprise a été soutenue du point de vue économique par le grand-duc Ernst Ludwig von Hessen qui l’a aidée par sa fondation renommée en mettant à sa disposition des salles de réunion. Elle a également été soutenue par d’autres fondations. Le comte Keyserling est donc en mesure de développer un enseignement libre dans l’école de la sagesse qu’il a créée et qu’il dirige et d’atteindre ses objectifs : les retrouvailles entre l’esprit et l’âme, l’imprégnation réciproque du contenu et de la forme de la vie, la diffusion, en Allemagne, d’une éducation de portée mondiale. Mais l’école de la sagesse n’a pas de programme, car elle ne repose pas sur un “pouvoir”, mais sur l’“être”. Elle veut être au service de l’accomplissement des hommes. Et comme l’éducation des éducateurs est de nos jours le problème le plus sérieux, elle invitera des dirigeants talentueux à venir vivre un certain temps avec le comte Keyserling et à échanger leurs idées avec lui. »

Dans la lettre où il accuse réception de cet article, Engelmann le dit « plus horrible que ridicule ».

229. WITTGENSTEIN À ENGELMANN

Trattenbach 11.10.1920

Cher Monsieur Engelmann,

L’étrange format de ce papier à lettres s’explique par le fait que j’ai d’abord voulu écrire à quelqu’un d’autre et que j’ai ensuite supprimé la partie où le début de ma lettre était écrit. Mais la raison pour laquelle j’ai tracé des lignes au lieu d’écrire sur celles qui sont imprimées, vous ne vous l’expliquerez pas, même si vous y réfléchissez cent ans ! Avec ce liminaire, je viens de noircir presque une demi-page que j’aurais pu aussi bien supprimer.

Me voici finalement devenu instituteur dans un beau petit village qui a pour nom Trattenbach (près de Kirchberg am Wechsel, en Basse-Autriche). Le travail que je fais à l’école me rend heureux, et il m’est sacrément nécessaire, car sinon tous les diables s’empareraient de moi. J’aimerais énormément vous voir et parler avec vous !!!!! Bien des choses se sont passées ; j’ai accompli plusieurs opérations qui étaient très douloureuses, mais qui se sont bien terminées. Il me manque, certes, quelques membres ici ou là, mais mieux vaut en avoir quelques-uns en moins, et que ceux qui restent soient sains. Hier j’ai lu Nathan dem Weisen [Nathan le Sage] que je trouve merveilleux. Il me semble que vous ne l’aimez guère. — Ne pourriez-vous pas éventuellement venir jusqu’à Vienne pour Noël ?? Réfléchissez-y ! Et écrivez-moi vite pour me dire comment vous allez. Transmettez de nombreuses fois mes hommages à Madame votre vénérée mère à laquelle je pense bien souvent et avec beaucoup de gratitude.

Ludwig Wittgenstein

234. WITTGENSTEIN À ENGELMANN

Arvid Sjögren qui est venu ici avec moi vous salue.

236. WITTGENSTEIN À ENGELMANN

23.10.1921

C. M. E.,

Je souhaite vous écrire quelques mots, car je viens de lire le König der dunklen Kammer [Le roi de la chambre obscure]. La pièce ne m’a pas fait une profonde impression, bien qu’une grande sagesse s’y manifeste — ou peut-être précisément pour cela. Elle ne m’a pas bouleversé (mais peut-être est-ce ma faute). Il m’a semblé que toute cette sagesse sortait d’une chambre froide ; je ne serais pas surpris d’apprendre qu’il [Tagore] n’a pas vraiment lui-même ressenti tout cela, mais qu’il le tient de seconde main (un peu comme bon nombre d’entre nous, en ce qui concerne la sagesse chrétienne). Il se pourrait que je ne comprenne pas son ton, mais il ne me paraît pas être celui d’un homme saisi par la vérité. (COMME, PAR EXEMPLE, LE TON D’IBSEN.) Mais il est aussi possible que la traduction soit un obstacle que je ne parviens pas à franchir. J’ai lu le livre d’un bout à l’autre avec intérêt, mais sans parvenir à vraiment accrocher. Ce qui ne me semble pas être bon signe. Le sujet aurait dû m’accrocher. À moins que je ne sois devenu si amorphe que plus rien ne me touche ? — C’est aussi une possibilité. — Je n’ai vraiment pas eu un instant le sentiment d’être en présence du déroulement d’un drame, et je n’ai compris l’allégorie que de façon abstraite. Écrivez-moi donc ce que vous en pensez, vous. Ce sera un peu plus intelligent que ce que je dis là. Ce qui n’aura rien d’étonnant ! — Ici, rien n’a changé. Je suis toujours aussi stupide et indécent. Rien ne germe en moi qui soit le signe d’un avenir meilleur. Peut-être faudrait-il qu’un coup venu de l’extérieur anéantisse entièrement mon cadavre pour qu’il revive à nouveau. Transmettez mes hommages à Madame votre chère mère.

Ludwig Wittgenstein

245. WITTGENSTEIN À ENGELMANN

[Cachet de la poste Otterthal, 09.09.1925]

C. M. E.,

Tous mes remerciements pour vos deux lettres que je viens tout juste de recevoir ici. Ce qui vous montre que je fais une nouvelle tentative ! J’ai été dans l’impossibilité de venir à Olmütz, malgré le grand désir que j’en avais. De toute façon, cela n’aurait eu aucune valeur du point de vue pratique. Au besoin, je partirai pour l’Angleterre. Mais je ne peux en dire plus pour le moment, car je n’ai pas encore tranché les questions les plus importantes.

Votre

Wittgenstein

— Vos deux lettres : Engelmann avait essayé, avec l’aide de Groag, de trouver un travail à Wittgenstein à Olmütz.

246. WITTGENSTEIN À ENGELMANN

[Après le 25.11.1925]

C. M. E.,

Je serai ravi de vous voir à Vienne pour Noël. Construire une demeure m’intéresserait beaucoup. Je serai à Vienne du 24.12 au 2.1.

Votre

L. Wittgenstein

J’aurai aussi toutes sortes de sujets personnels à discuter. Nous verrons si nous pouvons nous comprendre cette fois.

247. WITTGENSTEIN À ENGELMANN

J’envoie ma lettre à Vienne afin qu’on vous la transmette.

— À la fin de 1936 et au début de 1937, Wittgenstein fit une série de confessions à différentes personnes : outre Engelmann et sa famille : G. E. Moore (voir supra la lettre 110) ; George Thomson, avec qui il discutait politique, dans les années 1930 (voir infra les lettres 530 et 531) ; Francis Skinner, son compagnon ; Rowland Hutt, un ami de Skinner ; P. Sraffa ; Fania Pascal, son professeur de russe ; Ludwig Hänsel ; Maurice O’C. Drury. On sait par F. Pascal et R. Hutt que la plupart de ces confessions portaient sur les mensonges qu’il avait faits sur sa judéité, sur les coups qu’il avait donnés à certains de ses élèves lorsqu’il était instituteur, sur le fait qu’il n’avait eu de rapports sexuels avec aucune femme, etc.

— Cette lettre est la dernière qui a été retrouvée de la correspondance entre les deux amis. Mais on sait qu’en 1947 Paul Engelmann écrivit au frère de Wittgenstein pour lui demander l’adresse de Ludwig.

1. C. M. E. : Abréviation de : « Cher Monsieur Engelmann », à laquelle Wittgenstein recourt assez fréquemment dans ces lettres. (N.d.T.)

2. MS 138, 25 février 1949.

3. C’est ainsi que je comprends ce passage, mais ce que j’y vois n’est peut-être pas ce que Kierkegaard voulait dire. (P. Engelmann)