Bien avant que l’idée ne devienne scénario, le processus de création est amorcé chez le scénariste qui établit déjà les bases de son récit. Mais où peut-il bien trouver ses idées, ses références ? Les premiers signes vitaux de votre histoire sont-ils le fruit de votre expérience personnelle, votre intérêt pour l’Histoire, les mythes anciens ? Une introspection s’impose avant de mettre en forme et bâtir tout un monde que deviendra votre scénario.
Propre à chacun, l’intrigue émane de principes profondément et intimement personnels. Chacun ses goûts en somme, et tout un chacun se doit d’être honnête envers lui-même. Il n’y a rien de cinématographique ou de télévisuel en ces valeurs et attraits propres à soi. Chacun ses souvenirs, ses rêves, fantasmes et fantaisies, entre réminiscences intimes et projections exclusives.
Chaque sensibilité et centres d’intérêts (thèmes de prédilection, domaines de préférence, archétypes plus ou moins inspirants, etc.) étant ainsi propres à chacun, il s’agit d’écrire sur un thème qui nous plaît à nous avant de plaire aux autres.
Pourquoi ? Parce que si le sujet développé ne plaît pas au scénariste, autant dire de suite que cela se ressentira dans l’écriture. Alors, à moins d’un réalisateur (autre que le scénariste) apte à magnifier l’histoire en question, elle ne plaira pas non plus aux spectateurs ; et encore moins aux critiques.
Ce qui est fait avec le cœur est une réussite en soi ; ce qui est fait par devoir l’est rarement.
Nota bene toutefois : en tant que jeune scénariste « amateur », refuser une commande sous prétexte que le sujet ne vous plaît pas et/ou n’est pas en accord avec vos principes et valeurs serait un sacrilège ! Afin de laisser vos passions et centres d’intérêts s’exprimer pleinement, vous aurez toujours la possibilité de travailler sur des projets personnels, nullement soumis à une commande, avant de tenter de les voir accepter par un producteur. En effet, si vous avez la chance qu’une production vous recommande et/ou vous propose une commande, que le sujet vous plaise ou non, foncez ! Se voir confier l’écriture d’un scénario professionnel n’est pas donné à tout le monde, surtout en début de carrière… Ne laissez surtout pas passer votre chance car, qui sait, peut-être que cette opportunité de vous faire connaître et apprécier du milieu ne se présentera plus jamais.
Autant le dire de suite, l’art qu’est celui d’écrire (scénarios, romans, nouvelles, poèmes, etc.) envahit notre espace-temps. La passion prend quotidiennement le pas sur la vie personnelle puisqu’en écrivant de chez soi, il n’y a pas d’horaire. À moins d’en sanctuariser une plage, à l’image de bon nombre d’auteurs professionnels aptes à maintenir des horaires fixes et strictement respectés, il n’y a ni début ni fin au travail d’écriture tant cette dernière reste intarissable. Idem pour cette soif d’avancer toujours plus, de parfaire l’irréprochable, d’ajouter ou de retirer de menus détails, etc., le tout au détriment de nos proches qui nous attendent pour passer à table ou jouir d’un moment en famille.
Aimer profondément créer demeure par conséquent la clé ; quant à la capacité de reprendre ses écrits (corrections, ajouts, retraits), c’est un gage de survie.
Reste que pour bien écrire, il est paradoxalement indispensable de pouvoir se modérer tout en sachant faire la part des choses. Il y a un temps pour tout, un pour écrire et un pour tout le reste, ne serait-ce que pour recharger les batteries. Et pour cause…
L’écriture est un long processus nécessitant des pauses aussi régulières que salutaires. Comparable aux heures passées sur la route des vacances, le point final se doit d’être atteint après avoir fait preuve de prudence. Prendre conscience de cet état de fait est déjà un grand pas en avant.
L’auteur est un aventurier qui cherche, écoute et prend pour redonner différemment. En offrant aux autres sa vision de ce qui l’entoure, il devient un baromètre de notre société. Le scénariste, par ses valeurs, ses peurs, ses convictions les plus intimes, est un auteur qui trace finalement en images le portrait de ce que nous sommes.
Demandez à n’importe quel auteur (écrivain) sérieux, il vous dira que pour bien écrire, il faut lire. Et bien lire. Capter, remarquer, apprendre et comprendre. Être une éponge en résumé ! Dans une entrevue réalisée dans le cadre de l’émission « Tout le monde en parle » (version québécoise, Radio-Canada) du dimanche 23 novembre 2008, l’auteur britannique à succès Ken Follett mentionnait si justement que la plus grande faiblesse des jeunes auteurs était de ne plus lire. Accepter de lire, c’est prendre la décision de porter son regard ailleurs. C’est vouloir acquérir des qualités – des munitions – afin de mieux attaquer la page – l’écran – blanche.
Puiser de l’autre demeure fondamental afin d’aiguiser sa plume, parfaire son talent, s’améliorer quotidiennement. Détenir une grande ouverture d’esprit revient de fait à se cultiver, non à plagier. Avoir des références et maîtres à penser permet de se connaître mieux, d’affiner sa propre personnalité, en vue de s’affirmer. Peu importe au final si cette affirmation de soi s’est construite en absorbant celles des autres. Il ne s’agit pas là de faire preuve de mimétisme et/ou de manque de personnalité, juste de devenir de plus en plus vivant. De se trouver personnellement, de s’établir professionnellement, de s’ériger humainement, tout simplement. Par ailleurs, on ne part jamais de zéro, il est difficile (et idiot) d’ignorer tout ce qui a été fait auparavant. C’est même contre-productif, car il vaut mieux bénéficier des apports des grands auteurs plutôt que de s’imaginer qu’on va réinventer l’écriture.
C’est ainsi accolés à ceux d’autrui que nos centres d’intérêts nous poussent à toujours plus nous ouvrir et à apprendre de l’autre. Multiplier ses connaissances, humaines comme intellectuelles, n’est donc en rien éparpillement, simplement un atout supplémentaire pour l’achèvement, la complétude, et la magnificence de nos écrits.
Accepter la critique, s’ouvrir aux remarques, être avide de conseils, tout cela n’est en rien une faiblesse mais au contraire une force. Ce qui, inévitablement, nous ramène au célèbre « ce qui ne tue pas rend plus fort » de Nietzsche (Le Crépuscule des idoles). La philosophie mise à part, il apparaît clair, scénaristiquement parlant, que seule l’indifférence tue, quand la vexation blesse. Blesse seulement. Ouvrons-nous alors à la discussion, débats et autres interrogations. Ainsi nos esprits seront nourris et, par leur biais, nos écrits.
Découvrir qui nous sommes intimement, nos forces et nos faiblesses, nos limites également, est un passage obligé. Nul ne peut parler d’un sujet qui lui échappe. Non pas qu’il ne soit pas concevable de développer un sujet que nous ne maîtrisons pas, mais qu’écrire sur une période, un lieu ou encore une thématique que l’on ne connaît pas empêchera de donner vie au texte grâce aux détails réalistes incontournables que l’on ne saura utiliser, puisque nullement maîtrisés. Notre histoire risquera en effet d’être basée sur du vide, de l’à peu près, puisque « le terrain » foulé reflétera le non-vécu. La pratique seulement basée sur la théorie n’a rien de bon car sans fond ni fondement, un récit n’a ainsi, qu’il soit scénarisé ou non, qu’une forme dénuée de fond.
Rappelez-vous : la documentation et la recherche d’informations permettent d’acquérir des connaissances que nous n’avons pas et/ou de les affiner plus avant. En effet, le fait de parfaitement ignorer un sujet ou de ne pas le connaître sur le bout des doigts (surtout lorsqu’il s’agit d’un récit historique) ne signifie pas pour autant que vous ne serez jamais à même de le traiter !
Les bibliothèques et archives regorgent d’informations factuelles et d’anecdotes parlantes, propices à donner vie et corps à l’intrigue que vous vous apprêtez à rédiger. Idem, si vous optez pour des interviews de groupe (une famille victime d’Hiroshima) et/ou des entretiens plus intimistes (la veuve d’un serial killer) : vous tourner vers des individus ayant vécu telle ou telle période, tel événement précis, telle perte ou telle fait marquant (par exemple pour un scénario traitant des camps de concentration, des débuts de l’aviation, etc.) ne peut que vous aider à développer un récit vivant. Un récit basé sur la réalité autrement dit, non seulement sur la théorie.
Deux choses s’imposent alors à nous. La première, il est impératif d’avoir pour son sujet une curiosité certaine, un attrait et une envie de raconter. La seconde, il faut conséquemment le connaître, le maîtriser, et si tel n’est pas le cas, se renseigner à son sujet. À propos du sujet, car si vous n’avez ni l’envie ni la capacité d’en parler, à quoi bon l’aborder ? Plus délicat encore, tenter de le traiter dans sa globalité ?
Vous lancer sans connaître votre sujet est déconseillé : les risques seraient grands et vous pourriez bien vous décrédibiliser, attirer sur vous des critiques et moqueries du public. Par crainte de broder ou d’écrire à côté, mieux vaut alors renoncer. Car sans parler de vos éventuels détracteurs, votre projet risquerait fort de ne pas même franchir l’étape de production, par manque de contenu avéré et de connaissances aiguisées du sujet !
De nos capacités à nos compétences en passant par nos aptitudes, il n’y a donc pas de limite pour qui ne veut s’en fixer, pour qui est prêt à apprendre et affiner ses connaissances de tel ou tel sujet.
Pour ce faire, il faut initialement savoir ce qu’on veut et ne veut pas, et ce vers quoi on tend. Et pour savoir où l’on va, il faut savoir d’où l’on vient, c’est évident. C’est l’essence même, le commencement, de l’acte d’écriture. La découverte de notre ADN, non pas physique mais de connaissances assimilées (il n’est pas question ici de QI !), reste donc le point de départ de tout lancement.
Il est ainsi nécessaire de faire une sorte « d’état des lieux » de nos connaissances avant de nous lancer, ce dans le but de cerner nos limites (et nos atouts). Cela nous permettra de savoir ce qu’il nous faut ou non travailler, réviser, apprendre ou réapprendre pour ne pas nous égarer. À titre d’exemple, il se peut que nous soyons incollables sur l’histoire des cirques en Europe sans pour autant connaître l’ensemble des tours et numéros qui y sont opérés. Le scénariste désireux d’écrire une intrigue sur le cirque devra alors réviser son histoire tout en se renseignant bien davantage sur ce qui, jadis et de nos jours, attiraient les foules.
Parallèlement à cela, et nous n’aurons de cesse de le répéter, aimer le récit de tel ou tel auteur n’implique pas que nous soyons à même d’écrire sur un sujet similaire au(x) sien(s). Mais puisque tout a déjà été traité, analysé ou raconté, l’important est de se dire que cela n’a pas été fait par nous, avec un éclairage et des mots qui n’appartiennent qu’à nous. Tout comme il est primordial de se rappeler que chacun a quelque chose à dire. Alors pourquoi pas nous ? Reste alors à se trouver soi-même en trouvant sa place et son intérêt dans le sujet.
Facile à dire, à écrire plutôt, mais pas nécessairement facile à faire. De sorte qu’il faudra, entre mille et autres choses, une bonne dose de patience pour cela ; prendre le temps de s’interroger est la clé. Au regard de tout ce qu’il a fait, dit et accompli, l’auteur doit trouver le dénominateur commun dans sa vie.
Exemple de questions à se poser : quelle est la ligne directrice de mon existence, de mes valeurs ? Quels sont les sujets que j’aime, que je déteste, pour lesquels j’ai de la curiosité, de l’envie ? Quel combat social suis-je prêt ou non à défendre ? Ma curiosité m’amène-t-elle vers le même type de sujets, de personnages ? Vers quoi suis-je attiré ? Qu’est-ce qui me répugne au plus haut point ? Toutes ces questions paraissent abstraites ; elles sont pourtant des plus basiques. Faites-vous une liste et, que ce soit bien clair ici : ce que l’on aime ne représente pas la seule avenue propice à l’écriture !
À ne pas confondre avec obstination. La patience, cela ne s’invente pas. S’avouer vaincu face à un sujet n’est pas une solution : il vous faut au contraire persévérer pour peu à peu le contrôler. Ainsi, quiconque souhaite s’intéresser, s’instruire, se cultiver, peut le faire. Il s’agit seulement, justement, d’avoir la patience d’y allouer le temps nécessaire, ce en vue de se documenter (archives, interviews) comme expliqué précédemment.
Se sentir légitime face à un sujet qui nous attire tient soit du background personnel (« je l’ai vécu donc je peux en parler »), soit de la détermination à augmenter ses connaissances. L’aval du public, le soutien des critiques, la reconnaissance de ses pairs, tout cela ne saurait exister si vous ne vivez pas pleinement votre sujet.
Bien plus qu’une discipline en soi, l’écriture reste ainsi un art qui doit parfois être en tous points assimilé dès le départ (témoignages et lectures encore une fois), ce avant même de pouvoir à votre tour vous y consacrer. Vous avez envie d’écrire ? Très bien. Mais n’écrit pas un scénario qui veut et, surtout, nul ne peut se targuer de traiter d’un sujet qu’il n’a pas ou peu étudié.
Imaginez un instant le maître du suspense s’atteler à l’adaptation d’un roman à l’eau de rose, traitant de l’union cachée de Monroe et Kennedy… Hitchcock se retournerait dans sa tombe à la seule idée de se mentir autant à lui-même ! Non pas que l’illustre réalisateur n’aurait pas souhaité écrire sur les amours de Marylin mais que changer à ce point de registre aurait d’une part grandement déstabilisé son public, lui aurait d’autre part donné beaucoup de fil à retordre en termes de recherches ! Nous citons ici un grand Monsieur du septième art, le principe est le même toutefois pour un jeune scénariste encore inconnu ; non pas que les professionnels vous pointeront du doigt pour cause de changement de genre, mais bon nombre risqueront de ressentir votre malaise et vos hésitations face au genre ou sujet traité.
L’intérêt pour l’Histoire, les aventures humaines, sociales, les nouvelles technologies, ou tout simplement le goût de raconter le quotidien, révèle bien souvent la valeur de l’auteur, sa profondeur. Pourquoi ? Parce que tout est question de culture et d’ouverture d’esprit. Au-delà de connaître ses classiques, les événements historiques ayant marqué l’époque et/ou la période traitée au sein de son scénario, l’auteur doit également maintenir ses sens en éveil à chaque instant pour s’imprégner de tout ce qui l’entoure et laisser vivre sur le papier (ou plutôt le clavier) ses sentiments et émotions.
Cela s’appelle l’inspiration, qui se puise directement dans le monde qui nous entoure et dans l’actualité, les événements passés et les évolutions futures. Qu’il s’agisse d’un voyage au cœur des mythes (antiques, figures emblématiques, contes et légendes), du visionnage du journal télévisé (politique, économie, conflits), ou de la lecture d’articles (scientifiques, technologiques, de recherche), l’important reste de s’informer.
Au-delà de toutes ces questions de forme, de rythme et d’intrigues, d’écriture, ce que veut d’abord et avant tout le producteur (car c’est à lui que pense ultimement le scénariste, lui qui est finalement son lecteur initial, le véritable destinataire de son travail), c’est de la profondeur, du contenu. Il désire recevoir des projets qui racontent quelque chose ; en d’autres termes, un projet qui n’a rien à dire n’est pas intéressant.
Le scénariste débutant n’a de cesse de se torturer l’esprit en se demandant si son histoire aura la chance, voire le privilège, d’être digne d’intérêt aux yeux des producteurs. Sujet et récit sont-ils vendeurs ? Les personnages sont-ils assez puissants, aussi forts en apparence que fragiles en dedans ? La quête et le conflit présentent-ils un développement logique et idéalement agencé dans le temps ? Trop de questions, une seule réponse : seule l’expérience, bonne comme mauvaise, vous donnera ces réponses que vous attendez tant, tandis que vos premiers confesseurs seront vos proches et amis. Des avis et conseils vous seront prodigués, mais ne seront en rien à suivre à la lettre. Des professionnels avérés sauront vous orienter, qu’il s’agisse d’un producteur ayant accepté de vous lire ou d’une connaissance du milieu. Aussi tranchants et catégoriques que vos proches seront indulgents et magnanimes, eux vous diront sans détour ce qui cloche dans votre écrit. Ce qui fonctionne aussi, ce qui doit être amélioré enfin. L’expérience vous permettra d’avancer ; que les critiques soient négatives ou positives, elles seront en tous les cas constructives, c’est bien connu.
Les forces de votre récit sont des piliers qui ne tombent pas. Vous désirez raconter une histoire ? Personnage, quête et conflit. Quelqu’un veut faire quelque chose (accéder à sa quête) et quelqu’un d’autre – ou quelque chose – veut l’en empêcher. Ces éléments sont à la fois simples et indissociables. Une quête sans conflit (ou concrètement : un héros qui atteint sa quête sans aucune difficulté) est vide de sens. C’est précisément autour de ces notions de base que l’idée prend forme.
Oui, la bonne idée n’a qu’une seule origine. Il serait toutefois plus juste de dire au scénariste qu’une bonne idée met le focus sur l’un des trois éléments fondamentaux composant votre récit. Est-ce votre personnage principal ? Sa quête ? Le conflit entourant l’obtention de cette quête ?
C’est la grande question. S’il y avait une seule et unique recette, il n’y aurait pas de livres traitant de l’art d’écrire un scénario. Ce qui revient à dire que la clé se trouve dans chaque scénariste, qu’il soit apprenti ou vétéran. La capacité de déceler le centre d’intérêt de votre idée prouve à la fois la qualité de celle-ci et votre talent de conteur. Car il s’agit bien ici de raconter une histoire ; le scénario ne fait que cela. Raconter.
À noter que le personnage passionnant est parfois plus intéressant que le récit à proprement parler, que le chemin menant à sa quête donc. Pourquoi ? Parce que la démonstration de ses caractéristiques, ses valeurs et sa vision du monde prédomine sur le chemin qu’il parcourt. Le « personnage-film » est donc au centre de vos préoccupations de scénaristes. Il est au centre de votre histoire sans pourtant l’étouffer et l’écraser (et encore moins la faire disparaître). En résumé, le personnage se place à l’avant-plan.
La quête, ou véritable chemin de croix qu’emprunte votre personnage afin d’atteindre cette dernière, devient l’origine de votre bonne idée lorsqu’elle procure aux spectateurs tout le plaisir de suivre le personnage principal. Encore une fois, le principe n’étant pas d’amputer un élément de votre récit, mais plutôt de bien « choisir son avant-plan ».
Columbo
Les films de la série nous présentaient toujours, en séquence d’ouverture, le meurtrier en train de commettre l’irréparable. Le plaisir était alors de découvrir le parcours du lieutenant maladroit, de savourer l’enquête en connaissant, nous spectateurs, le meurtrier depuis le début !
Autre piste : le conflit, éternel moteur du récit, gage de profondeur et de relief dans l’histoire (le scénario). Le pur bonheur de placer en position conflictuelle le personnage principal face à ceux qui l’entourent devient souvent le point d’intérêt du récit. Le plaisir est donc de confronter les positions, visions de chacun. Souvent le film à dialogues, le film dit « psychologique » ou même le thriller tire avantage d’une telle décision.
Garde à vue
Le film de Claude Miller (1981) est un délice. Tourné presque entièrement dans un seul lieu, le dialogue et la confrontation des personnages (Lino Ventura et Michel Serrault, sublimes !) sont à l’avant-plan. Tout n’est que conflit par les mots.
La bonne idée se définit donc par un élément fort dans la stratégie de raconter une histoire. S’il n’y a pas de recette, il y a par contre des outils qui aident à y parvenir.
Il est alors temps pour le scénariste de plonger dans ce qui pourra éventuellement devenir une caverne d’Ali Baba, et de trouver les fondations, réelles ou imaginaires, de cette bonne idée.
Les mythes appellent une référence, tangible ou imaginaire, un modèle, un objectif, une quête. Les mythes au cinéma renvoient à des valeurs (re)connues de toutes et de tous. Ils imposent donc un certain respect. Le scénariste devrait s’y intéresser !
Le scénariste doit voir les mythes comme une boîte à outils. Nul besoin de savoir si leur fondement est historique ou non. L’important réside dans le fait qu’il s’agit là d’une caverne à idées. Légendes et mythes sont les vestiges d’un passé qui nous parle, un passé vivant. Quelle occasion alors que de raconter une histoire en faisant des liens pris à même la mémoire collective d’une société !
Concrètement, le scénariste s’intéressant à l’Histoire (et donc par extension à certains grands mythes et légendes) peut y puiser comme bon lui semble les éléments servant de fondations à son récit, ses personnages. À cet égard, force est de constater la grande crédibilité associée aux éléments d’un film qui s’appuient sur de vieux mythes et légendes anciennes.
Pazuzu
Pazuzu, dans L’Exorciste, de William Friedkin (1973), est une divinité secondaire de la Mésopotamie du Ier millénaire avant Jésus-Christ. C’est le roi des démons du vent.
Dans le scénario, le mythe est aussi un archétype. Il est la représentation convenue, le modèle souvent idéalisé d’un être, tantôt fort, tantôt faible : le savant fou, la femme fatale, la figure patriarcale, le vieux sage, le clown maladroit, le pré-adolescent génie de l’informatique, etc.
Il a une fonction bien précise dans le scénario. Qu’on se reconnaisse ou non en lui, il nous offre un repère que nous connaissons et est propice à bon nombre de retournements de situations.
Le cinéma alimente le cinéma. Les modèles populaires et idéalisés dans les blockbusters imposent quant à eux de nouvelles normes.
Alors que le mythe élève le personnage au rang de héros, le stéréotype lui donne plutôt une étiquette tenant de la caricature. Bien que le scénariste veuille à tout prix éviter une banalisation des personnalités qu’il élabore dans son récit, il doit se faire à l’idée que tous deux sont efficaces à l’écran. L’étiquette (stéréotype) ne tue pas, elle ne fait que son travail d’identification de personnage vis-à-vis du spectateur. Bref, le scénariste n’a que faire des jugements de valeurs. L’efficacité d’une scène tient d’abord de la compréhension de celle-ci par le spectateur. Les critiques télé et cinéma se chargeront bien assez vite de donner à votre œuvre une étiquette, alors pas de censure dans la création des personnages !
Un stéréotype : le clochard mendiant sur le trottoir
Il est fort probable que le comédien jouant ce rôle soit vêtu d’habits en lambeaux, qu’il porte trois ou quatre épaisseurs de manteaux et gilets. Agenouillé ou debout, il tient un petit gobelet ou tasse métallique bosselée en main.
Archétype ou stéréotype cinématographique ? Le stéréotype n’est-il, finalement, qu’au archétype brûlé par l’usure et devenu banal ?
En tant que scénariste, peu importe la réponse à cette question « philopsycho-sociale », seule l’efficacité importe : l’image doit parler immédiatement. Dans le cas contraire, mieux vaut s’abstenir d’écrire des scénarios pour se mettre aux romans, plus propices à la description.
Le mythe du Héros. Le mythe de la Famille. Le mythe de l’Ouest. Le mythe de l’Argent. Le mythe du Mal. Tous cinématographiques. Ils représentent des images, différentes selon l’époque à laquelle ils ont été mis en scène.
Bien que proches l’un de l’autre, Judah Ben-Hur (Charlton Heston) n’a aucun lien de parenté avec Harry Callahan (Clint Eastwood). Et alors que le premier prône les vertus chrétiennes, tempérées et altruistes, le second répond à un dérapage en règle des institutions politiques et publiques. Aussi, et quoique tous deux se réclament de normes qui leur sont contemporaines, tout ici est question de conventions, de réactions.
Dans la création de ses personnages, le scénariste développe des caractères, des personnalités correspondant (ou non) aux valeurs qui l’entourent. Conformes ou non à la normalité, le personnage émane d’un modèle convenu par la société. Il s’y conforme (plus ou moins) pour devenir le héros ou s’en éloigne pour incarner le méchant de l’histoire.
La famille Cartwright (série américaine Bonanza, 1959-1973) et celle de Dexter Morgan (série américaine Dexter, 2006-2013) répondent à des valeurs profondément enracinées chez le peuple américain. Elles véhiculent qualités et défauts à l’image de leurs époques respectives.
Alors que Bonanza propose une vision traditionnelle et conservatrice du modèle familial, tout particulièrement de la figure paternelle, Dexter nous conduit dans les tourments d’un père qui se définit par autre chose que des bonnes actions. Deux époques donc, deux visions différentes, mais également centrées sur le concept de la famille qui demeure au premier plan.
L’Ouest américain mis en scène par Sergio Leone dans Il était une fois dans l’Ouest (1968) change de visage dans Pale Rider, le cavalier solitaire (1985) de Clint Eastwood. De plus, au fil du temps, les cactus et villages poussiéreux se sont en effet vu maquiller d’étoiles, de vaisseaux et de colonies de l’espace.
Le scénariste écrit ainsi, à travers les décennies, le portrait de SON héros, de SA famille, de SON Ouest. Et le concept du mal dans tout cela ?
De Caligari (Le Cabinet du docteur Caligari, 1920) à Alien (Le Huitième Passager, 1979), et Nosferatu (Nosferatu, 1922) en passant par Hannibal Lecter (Le Silence des agneaux, 1991), le mal aura aussi pris le visage de démons, de grands singes et de dinosaures géants. Le mal personnifié et mis en scène répond à un besoin de société en réaction à des craintes généralisées, avouées ou refoulées.
Quoiqu’il demeure abstrait de définir le bien et le mal de façon absolue, le scénariste se doit d’être à l’affût de ce qui l’entoure. Sans pour autant tomber dans le « voyeurisme », il doit sentir ce qui est perçu comme mal, conçu comme bien, et vice-versa. Cela lui offrira de créer des personnages qui feront réagir le public, lequel sera alors apte à déterminer qui est le bon et le méchant dans l’histoire.
Voilà pourquoi il y a danger si tel ou tel personnage n’a aucun lien avec les valeurs véhiculées dans la société moderne. Ce n’est pas comme si le scénariste pouvait rejoindre l’ensemble des spectateurs dans X salle de cinéma pour le leur expliquer…
Le scénariste est-il redevable à l’Histoire au point de l’inclure obligatoirement dans sa recherche ? Passe-t-il nécessairement par la connaissance de l’Histoire et des mythes ? Certes non. Comme nous l’avons dit, il s’agit là d’un coffre à outils, d’une caverne à idées, libre à chaque auteur d’y pénétrer. Être toutefois conscient de la richesse et du relief qu’elle peut apporter au récit est un atout évident.
L’étude des œuvres cinématographiques à travers le temps permet ainsi au scénariste de porter un regard éclairé sur la constante évolution des mythes. Tout comme la mode, ils sont cycliques et se renouvellent continuellement, se nourrissent des courants anciens et délaissés pour les remodeler au goût du jour. Certains traversent les époques avec la même ampleur, tout simplement parce qu’ils sont le moteur même de la structure du récit. Ne pas oublier par ailleurs que, sans conflit (opposant), nul développement n’est possible chez le héros dans sa quête.
En guise d’exemple, appuyons-nous sur l’illustration du mythe du Mal, si cher au cinéma, à travers quelques époques marquantes. Ceci permettra par ailleurs de mettre en appétit nos lecteurs pour L’Exorciste.
Les premiers films nous montrent le mal sous des traits obscurs et inquiétants. Il porte bien souvent une cape, un chapeau haut-de-forme ainsi qu’une moustache aussi sombre que son âme (c’est le cliché du méchant qui ligote la pauvre femme sur la voie ferrée avant qu’elle ne soit finalement sauvée par son cher et tendre héros monté sur son blanc destrier). Le noir et le blanc symbolisent parfaitement ce premier combat entre le mal et le bien.
L’expressionnisme allemand, quant à lui, nous propose un mal qui, autant dans les décors que dans la démarche des personnages, se traduit par la déformation, la difficulté de se mouvoir, de se tenir debout bien droit. Cette matérialisation du mal traduit le malaise d’une nation, son oppression par l’arrivée de la machine. Cinématographiquement, cela se traduit par des décors démesurés, expression on ne peut plus grandiose de la révolution industrielle. Le mal est plus global, il n’est plus représenté par un seul individu. Les riches, propriétaires d’une technologie nouvelle et envahissante, dominent la populace.
Metropolis
Dans ce film de Fritz Lang (1927), les décors démesurés accentuent l’idée de puissance de la classe bourgeoise dirigeante qui emploie des travailleurs oppressés de la « basse ville ».
Un saut dans le temps nous conduit maintenant à la prohibition (1920-1933, États-Unis) et en plein krach boursier (1929, New York). Le mal prend cette fois-ci l’allure d’un individu. Le mafieux-gangster, le hors-la-loi incarne à merveille l’ennemi juré du héros (représentant de la loi bien entendu).
Puis viennent les années 1950… C’est la guerre froide, la peur de l’autre à l’échelle mondiale.
Ainsi va le balancier. Le mal suit un cycle qui passe constamment du global à l’individuel. La fin des années 1940 et la décennie 1950 penchent à nouveau du côté global (planétaire). En conséquence de quoi la peur atomique donne naissance aux soucoupes volantes ; ce sont les premiers films dits « catastrophes », même si l’appellation ne sera officiellement utilisée que dans les années 1970.
Et justement, ces fameuses seventies sont des plus décevantes pour une Amérique déjà déçue par le concept d’autorité qui a complètement déraillé ! Les gens n’ont plus aucune confiance envers les dirigeants (Watergate, Vietnam), le mal s’invite dans les coulisses de la machine gouvernementale, dans le nucléaire et la destruction de la nature (King Kong, 1976, Le Syndrome chinois, 1979). Pire encore, il s’immisce dans la maison, dans la famille dysfonctionnelle ou blessée (Rosemary’s Baby, 1968 ; Tremblement de terre, 1974 ; La Malédiction, 1976).
Nous voilà dans les années 2000. Il faut noter à quel point le changement de millénaire – outre le 11 septembre 2001 – fut source de craintes en l’avenir et de malédictions diverses et variées, d’un sentiment d’insécurité antinomique au désir parallèle d’aller de l’avant en faisant confiance à l’autre… Toujours est-il que l’attentat terroriste lancé contre les tours jumelles officialise ce qui se dessinait depuis un certain temps : le mal ultime est le terroriste, bien plus inquiétant que le martien, Godzilla et King Kong conjugués. À cette peur devenue globale s’impose un remède démesuré : le retour en force de tous les super-héros.
Beauté et ambiguïté du mal au fil du temps
Paré d’atours et d’armoiries, élégamment vêtu et doué d’une éloquente prestance, le mal est bien souvent plus subtil qu’auparavant : puissance et manipulation, violence et intimidation, il séduit pour écraser, diviser pour mieux régler.
Le mal a donc de nos jours belle allure ! Loups-garous, vampires ou gargouilles sont tous aussi désinvoltes qu’arrogants, tantôt sensibles ou bien sensuels, car le mal attire par sa beauté et n’effraie qu’une fois la victime apprivoisée.
Nosferatu est séduisant et même ses canines sont charnelles ! La sexualité et ses dérivés, plus que jamais, ont pris le pas sur le message véhiculé.
Le mal (au cinéma) est-il plus mauvais, plus séduisant ou plus fourbe que celui des dernières décennies ? Là n’est pas la question. Pour le scénariste, il s’agit d’une évolution des goûts et valeurs dans la société.
Quel qu’il soit, le mythe se perçoit et se comprend sur une ligne du temps. Le scénariste y verra là un outil pour décortiquer, analyser et comprendre l’Homme à travers les époques. Plus que cela, il pourra y déceler un quotidien parsemé de convictions, de croyances et de peurs. Le cinéma n’est-il pas l’art de la réaction à ce qui nous entoure, crises, guerres, évolutions technologiques et mouvements des classes sociales confondus ?
Voilà pour la caverne à idées. Le temps est venu de tout mettre en forme. Parlons structure.
Ayons l’audace d’affirmer que, d’entrée de jeu, la carrière d’un scénariste-réalisateur ne tient qu’à trois petits mots : sujet, récit et idée maîtresse. Non pas que le style de l’auteur soit à négliger ; bien au contraire, il s’agit de canaliser force et personnalité de chacun de façon précise, contrôlée et structurée.
Toujours est-il que sujet, récit et idée maîtresse demeurent des éléments-clés sur lesquels la plupart des producteurs se fieront pour voir jusqu’à quel point vous, scénariste, êtes maître de votre projet.
Vous, scénariste, voulez raconter une histoire. Vous êtes désireux de partager vos idées, votre point de vue, votre vision sur un sujet donné. Sujet : le terme ne serait-il pas galvaudé, utilisé à toutes les sauces autrement dit ?
Sachez que le sujet répond tout simplement à la question : De quoi je veux parler ?
Le récit est votre histoire, votre scénario. Il ne s’agit donc pas du sujet mais bel et bien de la montée narrative, l’évolution de vos personnages. La plupart des jeunes scénaristes confondent sujet et récit, raison pour laquelle il faut savoir s’interroger…
Le récit répond à la question : Comment je vais raconter ?
Vous désirez parler d’un sujet précis et avez minutieusement mis en place votre manière de le traiter. Vous avez donc votre récit. Le producteur vous demandera par la suite : « J’aime beaucoup votre récit, je décèle bien votre sujet mais ne comprends aucunement votre idée maîtresse… » Que veut-il dire ? Tente-t-il de vous piéger ? Souhaite-t-il vous déstabiliser ?
Rien de tout cela, il vous fait simplement part de son inconfort quant au sens profond de votre scénario. Il s’attend à ce que, en tant qu’auteur, vous ayez quelque chose de concret à véhiculer au détour de votre récit. Vous avez pris le temps (beaucoup de temps) à développer une histoire (scénario) pour nous parler d’un sujet, il est donc logique que l’on vous demande ce que vous vouliez vraiment dire sur le sujet. Sur papier, idée maîtresse et sujet se démarquent assez bien l’un de l’autre ; dans la pratique, ce n’est pas si simple. L’idée maîtresse est en quelque sorte votre message, votre morale (bien que ce terme soit un peu ronflant). Le plus simple reste finalement de se poser la bonne question… Qu’est-ce que j’ai à dire en tant qu’auteur ? Quel est mon message ?
Le scénariste doit ainsi être en mesure d’affirmer : j’ai choisi de vous parler d’un sujet X car j’ai mon opinion là-dessus, un message précis à faire valoir en tant qu’auteur.
Le thème implique tout un système de valeurs propres à l’auteur. Dans un film, c’est la façon qu’a l’auteur de voir le sujet qu’il traite avec ses convictions, ses croyances. Ce qu’il considère comme bien et mal en somme. Le sujet est définitivement influencé par le thème.
Le thème brouille bien souvent les cartes et nous fait presque douter de la clarté du sujet. En résumé, il s’apparente davantage à l’idée maîtresse (il en est le fondement) qu’au sujet, sans toutefois se décliner en un seul mot, ou une seule question.
Synopsis : un homme quittant la grande ville pour aller vivre en campagne y rencontre une femme. Coup de foudre, une histoire d’amour s’amorce. Petit différend cependant : elle préfère la ville alors que lui aspire à vivre au calme. Une série de décisions mènera l’un et l’autre à se questionner sur la force des liens les unissant.
Le récit (ma façon de raconter) : l’histoire de ce couple qui vivra en campagne puis en ville avant de traverser des moments difficiles de remise en question. Il s’agit du scénario à proprement parler.
Le sujet (de quoi il est question, de quoi je parle) : la transparence et la sincérité dans le couple.
L’idée maîtresse (ce que je veux dire, le message que je souhaite véhiculer en tant qu’auteur) : l’être humain devrait apprendre que certaines concessions sont possibles et d’autres pas. L’amour lui-même n’est pas toujours capable de dissoudre les valeurs les plus fortes chez l’individu.
Le thème (ce qui motive mon message, ce qui est donc personnel à moi, auteur) : l’origine des gens et l’éducation qu’ils ont reçue, qu’ils viennent de la campagne ou de la ville, influence la façon de voir le monde, la vie et l’amour. La campagne inculque des valeurs ou des besoins qu’on ne retrouve pas ailleurs (l’entraide, le dialogue avec son voisin, le besoin des grands espaces, etc.).
Le scénariste projette d’écrire un scénario. Il a d’abord pensé à une situation, à un personnage ou, plus globalement, à un sujet qui l’intéresse.
Les éléments principaux sont maintenant en place. Premier focus sur le personnage.
Tel un premier souffle de vie, votre personnage principal existe déjà en votre esprit. Cet homme ou cette femme qui vous inspire, humain ou non, ange ou démon, a d’ores et déjà pris ses droits sur votre écrit. Et, plus précisément, sur votre récit.
Soit vous l’avez déjà rencontré dans la vraie vie, soit il vous est apparu en rêve. Soit vous l’avez reconnu dans les mots d’autrui, soit vous l’avez déjà fantasmé. Dans tous les cas, vous lui avez donné vie avant même d’avoir débuté votre récit ; de façon plus ou moins consciente, écrire vous offre alors de vivre vos rêves, tout en rencontrant ceux et celles qui vous font frissonner.
Les voir par la suite incarnés à l’écran par des comédiens de talent confère l’accomplissement, celui-là même auquel nous faisions allusion à l’heure de la patience.
Dès le tout début du processus de création, vos personnages font partie intégrante de vos plans. Leur donner vie en les décrivant physiquement (de manière plus ou moins détaillée), mentalement, moralement, en les mettant en mouvement, en leur créant un langage, des émotions, des sentiments (expressions du visage et/ou voix off) : tout cela forme un ensemble de responsabilités qui vous revient en tant que scénariste.
Le personnage se définit en fonction de sa quête. Le scénariste doit donc poser les bornes ou balises afin de délimiter ses traits principaux. Le travail débute normalement par une suite de questions.
Ces quelques questions devraient normalement vous mettre sur le chemin de ce que vous voulez raconter. Le processus est ainsi amorcé. Mais vos devoirs ne s’arrêtent pas là. Bien au contraire, tout ne fait que commencer ! Outre l’obtention (ou non) d’une quête chez vos personnages, l’élaboration de leurs qualités, faiblesses et besoins, c’est toute une toile que vous devrez tisser et maîtriser de manière intuitive et méticuleuse. Le scénario est un monde. Ce monde vous appartient dorénavant. Il est temps d’y entrer.
Schématiquement, une histoire, c’est X (personnage) qui veut faire quelque chose (quête), mais Y et/ou Z (adversaire(s)) l’en empêche(nt) (conflit) pour telle ou telle raison.
Un peu flou vu comme ça, pourtant tout y est. Sans quête et sans conflit, sans allié ni adversaire, il n’y a tout simplement pas d’intrigue. Juste quelques interactions sans suite ni logique.
S’il souhaite construire une histoire digne de ce nom, le scénariste doit préalablement s’appuyer sur des outils de structure. Il s’agit pour cela d’utiliser à bon escient les « clés » narratives qui sont, dans l’ordre chronologique du récit : l’accroche, l’historique (background), la montée narrative, le point de non-retour (PNR), le point culminant (climax) et le dénouement.
Le schéma des pyramides propose des balises pour raconter une histoire efficace et intéressante. Composé de deux pyramides, une petite et une grande, il met en évidence les six éléments essentiels de toute narration (cités ci-dessus).
Pour une meilleure compréhension, appuyons-nous sur le chef-d’œuvre de William Friedkin : L’Exorciste (1973). D’autres films seront également cités tandis que des conseils pratiques vous seront livrés pour chacune des six « clés ».
Les premiers instants de votre scénario doivent agir tel un teaser, donner envie au spectateur d’aller plus loin, l’accrocher en d’autres termes : c’est une première montée d’adrénaline. C’est le moment d’instaurer les forces de votre intrigue : le (les) personnage(s), la quête et bien entendu le conflit.
Le scénariste averti réussira ainsi à y imposer style, ambiance et tout indice directement rattaché à la quête réelle du personnage central.
Certaines accroches sont si habilement construites qu’elles nous offrent seulement des pistes tortueuses, des images aux significations obscures qui donnent envie de voir la suite. N’oublions pas qu’il s’agit ici d’une mise en place, pas encore du développement.
Études de cas : accroche – premier sommet
L’Exorciste (William Friedkin, 1973)
Synopsis : la science étant impuissante face au mal qui ronge sa fille, une mère célibataire actrice de cinéma se tourne vers un prêtre psychologue et un spécialiste en exorcisme.
La séquence d’ouverture (le teaser) filmée en Irak du Nord est une accroche des plus puissantes. Elle transporte le spectateur sur un gigantesque chantier de fouilles archéologiques afin de lui présenter le personnage principal, Lankester Merrin, vieux prêtre jésuite et archéologue interprété par Max von Sydow, charismatique à souhait.
Composée de plusieurs scènes, cette ouverture s’emploie principalement à introduire le Mal par la présentation de la laideur et la faiblesse. Le Mal s’avère l’élément principal dans le conflit qui oppose les personnages centraux. Une mystérieuse et inquiétante statue de la divinité Pazuzu (roi des démons du vent) est déterrée sur le site et immédiatement rapportée au vieux prêtre archéologue qui, de toute évidence, est terrifié par sa présence. Les minutes qui suivent nous offrent une succession de détails extrêmement importants : la santé très fragile du prêtre (prise de TNT avec le thé, démarche chancelante), réactions de dégoût à la vue de la vieillesse, la maladie et l’infirmité. William Friedkin amorce sa stratégie de démolition par l’introduction au compte-goutte d’éléments inquiétants. Avec des personnages diminués, le Mal se retrouve rapidement en position de force.
Friedkin s’applique à nous rendre vulnérables tout au long du film, à commencer par la mise en scène de personnages affaiblis (des alcooliques racistes, des prêtres doutant de leur foi, des vieillards malades, etc.). Cette séquence s’achève sur un combat de chiens extrêmement bruyant dont est témoin le prêtre.
Washington D.C. Le récit se déroule désormais dans la maison de l’actrice divorcée (nouvelle faiblesse via le concept de « famille éclatée ») et sa jeune fille, de plus en plus inquiétante. Friedkin utilise le chevauchement (over lap) sonore entre certaines scènes pour déplacer le Mal (et donc la peur du spectateur) d’un lieu à un autre. D’Irak aux États-Unis. Le Mal est désormais dans la famille américaine.
Mais avant même cette célèbre accroche, avant même l’Irak du Nord, deux images avaient été placées sans dialogue ni narration. La maison de la jeune Regan MacNeil et une statue de la vierge Marie. Les deux institutions attaquées par le Mal dans L’Exorciste.
The Truman Show (Peter Weir, 1998)
Synopsis : Truman Burbank vit depuis toujours dans un monde fabriqué de toutes pièces ; il est, sans le savoir, l’acteur principal d’une émission suivie par des millions de téléspectateurs depuis plus de 10 000 jours. Truman réussira-t-il à sortir de cet immense studio ?
La séquence d’ouverture de ce film place immédiatement le spectateur dans une mise en abîme. C’est le film dans le film. Les personnages du long-métrage y expliquent clairement le merveilleux show de téléréalité (monde) dans lequel ils jouent en compagnie de Truman Burbank, star à son insu subissant tout ce cirque. Résultat : le spectateur développe un sentiment très paternaliste envers cet innocent né sous les yeux de tous. Les différents axes de caméra confirment l’énorme mise en scène qui a été installée pour faire croire à Truman qu’il s’agit de sa ville, de ses voisins, de vrais buildings, etc. (caméras dans le tableau de bord de la voiture de Truman, dans la poubelle du voisin, etc.).
En pratique
L’enjeu est double : capter l’attention du spectateur grâce au rythme insufflé et mettre l’accent sur ce qui est important pour la suite. Entre personnages, objet de quête et conflit, choisissez ce sur quoi le spectateur va s’appuyer pour comprendre vos intentions. Ce même spectateur doit pouvoir se dire, à la fin du film : « Wow ! Génial, je comprends tous les petits détails de l’ouverture. Intelligent et pertinent ! » Ex. : dans The Truman Show, il est établi très clairement que le personnage principal a peur de l’eau. Cela l’empêche de quitter le monde factice qui l’entoure. Cette précieuse indication est un insert de premier plan pour la compréhension du récit, ce jusqu’au dénouement.
Attention : vous constatez sur le schéma que la première pyramide est plus petite que la seconde. Et pour cause, votre accroche ne doit pas s’éterniser car elle aurait l’effet contraire à celui désiré, soit d’accrocher et non de diluer et de se perdre dans des longueurs indigestes en début de récit. Teaser = crochet = courte séquence.
Le spectateur est encore sous l’emprise de votre séquence d’ouverture (teaser), il faut maintenant lui donner assez de contenu pour qu’il puisse comprendre l’enjeu de votre histoire dans sa globalité.
Il faut donc développer certains éléments essentiels à la compréhension des personnages (antécédents, anecdotes, situation sociale, professionnelle et/ou familiale) et de la quête à proprement parler (que doit faire votre personnage et pour quelles raisons ?).
Études de cas : historique – background
L’Exorciste
Georgetown, Washington D.C. Présentation de la famille MacNeil : Chris, mère célibataire, actrice de cinéma (jouée par Ellen Burstyn) et sa fille Regan (Linda Blair). Une nounou et un valet complètent la maisonnée. L’absence du père de famille a toute son importance puisque c’est ici l’occasion de placer un concept important : la famille brisée. Mais bien plus que cela. Chris et Regan ne sont qu’un échantillon de cet énorme casse-tête de personnages faibles, fragiles, et de ce fait vulnérables. Le père Damien Karras (Jason Miller), psychiatre jésuite en manque de foi qui tentera d’aider les MacNeil, en est un autre exemple.
Il y a établissement des personnages et implantation des rouages de l’intrigue (liée à la faiblesse de ces personnages).
Le spectateur entre donc dans le monde de cette actrice. Il est attendri par la belle relation mère-fille et sait que l’action se déroulera entre maison familiale, plateau de tournage et un certain environnement religieux. Les premiers signes inquiétants – quasi insignifiants – d’anomalie dans la résidence des MacNeil se font sentir dans cette présentation : des bruits inexpliqués dans le grenier, la fenêtre de la jeune Regan constamment ouverte malgré le froid, les commentaires de la jeune fille se plaignant que son lit bouge la nuit. On le sait alors, la maison est le terrain de jeu d’un esprit malin, la jeune Regan est le personnage visé.
Dans le cadre de cette mise en place, le personnage du père Merrin est volontairement éclipsé, car il a déjà été présenté dans l’ouverture de façon convaincante. Son statut en tant que personnage de premier plan dans le scénario n’est plus à prouver. L’élément essentiel (sa santé très fragile) a de plus déjà été dévoilé dans cette même ouverture.
Autre personnage éclipsé, secondaire celui-là : le détective William Kinderman. Il enquêtera sur un mystérieux accident survenu dans la maison MacNeil, lors d’une « wrap party » bien arrosée. Kinderman, personnage plaisant et naïf, viendra en temps et lieu, ajouter une touche d’humanisme et de fraîcheur dans cette histoire ténébreuse.
Taxi Driver (Martin Scorsese, 1976)
Synopsis : Manhattan, NY. Insomniaque, Travis Bickle est chauffeur de taxi de nuit. La jungle qu’il voit le répugne ; violence, prostitution, racisme. Il tentera de faire à sa façon un grand ménage en aidant une jeune prostituée à revenir dans le droit chemin.
Une fois conclue la séquence d’ouverture et d’embauche de Travis Bickle (Robert De Niro), on s’emploie à cerner les personnages importants qui gravitent autour de lui : les compagnons et collègues chauffeurs de taxi, Betsy (Cybill Shepherd, l’ange blanc parmi cette foule si grise) et, bien sûr, Iris, la jeune prostituée (Jodie Foster). Tous ces personnages ont un rôle à jouer en relation avec la quête de Travis Bickle. Tous, sans exception. Les pions sont placés, la montée narrative peut démarrer et mettre en scène d’autres personnages aussi hauts en couleur qu’utiles au développement.
En pratique
L’information sur les personnages (background, antécédents, défauts, tics, etc.) doit être directement reliée à la quête. Les éléments de temps et d’espace aident souvent à la bonne compréhension du récit. Il est donc fréquent de placer, via les dialogues, la narration ou encore des éléments de décors, l’époque et le lieu précis où se déroule votre histoire. Plus encore, les premières scènes font habilement état du moment où l’action devra se terminer. Inutile de préciser l’engouement qu’a su provoquer 24h chrono…
L’installation du conflit (son origine) doit être claire, qu’il s’agisse d’un personnage (l’opposant) ou d’une situation (catastrophe, incident, etc.). Assurez-vous que le spectateur ait dans son sac tout le ravitaillement nécessaire à la bonne compréhension de ce qui va se passer par la suite.
Dans la première pyramide, l’historique décroît, en rythme et en tension. Cette phase doit être en accord direct, au niveau de la longueur, avec votre accroche : assez longue pour insérer/placer les bonnes bases, assez concise pour ne pas perdre votre spectateur dans des dédales inutiles.
Il s’agit de votre développement. Cette partie est la plus intimidante pour le scénariste qui n’a pas de plan de travail. Ce dernier doit savoir là où s’en va son personnage principal. La quête est parfaitement cernée.
Nombreux sont les éléments qui devront parallèlement être définis. Le récit que vous écrivez se déroule-t-il en une heure, une journée, une année ? Vos personnages évoluent-ils dans un univers restreint (une maison, un quartier, un pays, le monde entier, etc.) ?
Tracez une ligne imaginaire. Décidez le moment où votre histoire débute et celui où elle s’achève. Vous aurez une ligne de temps plus ou moins longue et pourrez évaluer si cela est réaliste ou non. Une seule destination : le dénouement.
Dans la montée narrative, une scène qui ne fait avancer ni vos personnages ni votre récit n’a aucune raison d’être. Si la dite scène ne nous apprend rien de plus sur le caractère de l’un de vos personnages par exemple, sur sa fonction précise dans le récit, retirez-la.
Études de cas : montée narrative
L’Exorciste
La montée narrative du film est fidèle à l’annonce faite dans l’accroche, par la suite détaillée dans l’historique. Le personnage de la mère évolue entre plateau de tournage, maison familiale et hôpital. La jeune Regan ne connaît la concernant rien d’autre que sa demeure et ce triste lieu de traitement. Le campus universitaire de Georgetown ainsi que certains endroits du quartier représentent par ailleurs le terrain de jeu du père Damien Karras. Le vieux prêtre Merrin évolue quant à lui uniquement dans la maison MacNeil.
Les lieux déterminent bien sûr – à un premier niveau – l’espace du récit en termes de background mais révèlent plus encore. Ils définissent le rythme et le genre même du récit. Dans L’Exorciste, ils agissent comme un étau, un entonnoir qui cerne de plus en plus la quête ultime qu’est la guérison – ou non – de la jeune Regan. Le film débute en Irak, se poursuit à Georgetown (campus universitaire) pour se terminer dans la demeure des MacNeil. En résumé, les lieux agissent en éléments oppressants.
Dans la montée narrative, au même titre que les lieux, les personnages de premier plan (pères Karras et Merrin, mère de Regan) comme de second plan (médecins et personnel médical, inspecteur Kinderman) servent autant le développement du personnage de la jeune Regan que la bataille entre le Bien et le Mal.
L’Exorciste répond à un schéma précis, efficace, parce que méticuleusement tissé. Aucune scène n’est là par hasard, tout est calculé.
Blade Runner (Ridley Scott, 1982)
L’accroche de Blade Runner nous conduit directement, après un premier plan aérien sur le Los Angeles de 2019, dans les locaux de la Tyrell Corporation où un policier (Holden) se fait crûment griller la cervelle par un androïde (réplicant Nexus 6) au cours d’un interrogatoire. À la suite de l’historique (background) présentant Rick Deckard (Harrison Ford), ex-blade runner forcé de reprendre du service pour traquer et abattre quelques Nexus 6, la quête est claire, la chasse peut débuter.
La montée narrative à proprement parler, c’est le récit développé autour de cette même quête et des différents personnages présentés. Les trajectoires de ceux-ci (Deckard ; Eldon Tyrell, créateur des androïdes ; Rachel, Nexus 6 qui s’ignore ; Leon ; Zora ; Pris et Roy Batty, les « méchants » Nexus 6) offrent un enchaînement précis qui s’articule autour de la quête principale du personnage central.
Blade Runner fonctionne lui aussi grâce à la technique « de l’entonnoir » pour nous conduire à la bataille finale (climax). Deckard fait face à Roy Batty, le chef des Nexus 6.
Seconde intrigue, l’histoire d’amour entre le héros et Rachel sert pour sa part les propos de ce questionnement fondamental : sommes-nous humains ou fabriqués de toutes pièces ?
Une montée narrative à deux niveaux donc. Le mandat de tuer les Nexus constitue le premier. La quête amoureuse, intimement liée à la recherche de soi (humain ou androïde ?), le second. Les deux fonctionnent ensemble. La trame amoureuse est-elle superflue ? Absolument pas, puisque Rachel sera le seul personnage à interroger et faire douter Deckard sur ses origines ; il s’agit tout de même du thème principal de la nouvelle de Philip K. Dick, à l’origine du film.
En pratique
Chacun de vos personnages a une raison d’être et d’agir dans votre histoire. Dressez-en une liste, ainsi que de leurs actions, et placez-les en fonction du personnage principal. Sont-ils des alliés ou des adversaires ? Un croquis ou un schéma peut vous aider à y voir plus clair, c’est à vous de décider : la bonne méthode sera la vôtre.
Cette « classification » déterminera les interactions possibles entre vos personnages, tantôt dans le clan du héros, tantôt dans celui des « méchants » (ou des « gentils » si votre héros est méchant).
Grâce à votre plan de travail (ce tunnel d’événements détaillé précédemment), vous saurez faire avancer vos pions dans l’espace et le temps tout au long de votre récit.
À vous alors d’être bien conscient que vous demeurez votre plus grand ennemi ; en effet, le désir d’écrire LA scène irréprochable risque de déclencher en vous un blocage néfaste à l’élaboration de brouillons, ces premiers jets divers et variés bien souvent nécessaires. Mieux vaut écrire sans se freiner puis effacer, copier, coller, reprendre et recommencer. Aucun auteur n’aiguise son style à partir d’un texte qu’il n’a pas préalablement écrit.
La montée narrative constitue la plus longue pente ascendante du schéma des pyramides. Une évidence, puisque c’est tout un monde que vous tissez à cet effet.
Au creux de cette imposante pyramide se trouve une entrée secrète conduisant à la chambre mortuaire, une coche brisant la linéarité.
Vous développez vos personnages et les conduisez prudemment, mais inévitablement, vers le climax. Arrivera alors un moment où vous aurez besoin d’un coup de pouce, d’un événement venant confirmer la direction précise que vous désirez emprunter : c’est le point de non-retour. La marche arrière n’est plus possible à ce stade du scénario : le personnage principal n’a plus le choix, voit ses options diminuées. Le point de non-retour peut être incarné par un personnage pénétrant inopinément le récit, se dévoilant tout à coup au héros (par extension au public qui ne l’avait pas vu venir). Ce peut être aussi un dialogue venu totalement modifier la perception de votre personnage principal, ses ressentis, ce qu’il avait choisi, ou encore une action inattendue qui change la donne.
Le terme « pivot », fréquemment utilisé, n’entre pas en conflit avec celui de « point de non-retour ». Peut-il y avoir plus d’un point de non-retour ? Pourquoi pas. Du moment qu’ils servent votre développement et l’ascension vers le climax.
Études de cas : point de non-retour
L’Exorciste
L’attention est portée sur Regan et sa mère, totalement dépassée par l’étrange maladie de sa fille. L’échec de la science et de la parapsychologie conjuguées marque un premier point de non-retour lorsque le médecin traitant Regan évoque la possibilité de recourir à une méthode alternative, éventualité en tous points inquiétante. Vient ensuite le spécialiste hypnotiseur, personnage n’appartenant plus à la science conventionnelle, venant en renfort pour tenter de percer l’inconscient de la fillette. Le pauvre se confronte à Regan qui, lors d’une tentative d’hypnose, l’agresse violemment : deuxième point de non-retour (les options diminuent de plus en plus quant à la résolution du problème par des « spécialistes »).
L’événement majeur est sans contredit la mort du père Mirren provoquée par une Regan trop au fait des faiblesses du vieil homme au cœur fatigué. Mirren meurt d’un arrêt cardiaque dans les bras d’une Regan souriante, démoniaque.
Gladiator (Ridley Scott, 2000)
Au premier niveau de l’intrigue, Maximus Decimus Meridius (Russell Crowe) n’a qu’un seul but : servir sa patrie et honorer César. La quête intérieure (et majeure) de ce personnage fidèle et dévoué est révélée dès les premières images (la main caressant le blé au vent) : le retour auprès de sa femme et son fils.
Le point de non-retour intervient juste avant le climax, alors qu’il apprend de la bouche de l’empereur Commode les détails du massacre de sa femme et son fils. Aucune issue possible pour Maximus qui sait que la confrontation finale est inévitable puisque scellée d’avance ; il mourra. Il rejoindra sa famille bien-aimée dans l’au-delà.
Ici, la mort du personnage principal agit telle une réelle délivrance pour lui. C’est l’aboutissement de sa quête : le dénouement de la réunion finale remet d’ailleurs en perspective le fameux plan de la main effleurant les blés qui ouvre le film. Le spectateur est à même de comprendre, enfin, la signification de cette image.
En pratique
Pour qu’un point de non-retour soit totalement efficace, crédible et réaliste donc, il doit être en harmonie avec le personnage central, sa quête et, surtout, ses valeurs les plus profondes. Un événement qui ne touche pas les fondements de votre personnage principal ne peut générer ce changement de cap, ou voie de rétrécissement, qui s’impose tout à coup.
Ce dernier a surmonté plusieurs embûches dans l’espoir d’atteindre sa quête. C’est alors un événement majeur qui devra le conduire au plus haut sommet (qu’il soit positif ou négatif – nous y reviendrons plus tard). Trouvez l’objet de la véritable quête de votre personnage, vous trouverez automatiquement ce qui peut ultimement l’ébranler et provoquer en lui ce changement ou révélation l’aidant à aller jusqu’au bout.
C’est le plus haut sommet de la grande pyramide, l’un des plus difficiles à maîtriser également. Au sens propre comme au figuré, cette grande bataille peut tout autant démontrer l’ingéniosité de votre développement que l’échec de la mise en place de vos personnages et de la quête principale.
Le point culminant, ou climax, est en quelque sorte la confrontation finale de votre personnage principal à son (ses) opposant(s). Cette bataille, à coups d’épée, de fusils, de mots ou bien d’astuces, démontre toute la profondeur des valeurs représentant sa raison de vivre et de se battre. On comprend donc aisément la raison pour laquelle une bataille dénuée de sens – valeurs – ne peut tenir la route.
Le spectateur saisit alors que les éléments élaborés dans les premières scènes du film n’ont pas été mis en place par hasard. Il voit dans le climax la résolution de ce qui a été esquissé au début du film.
Études de cas : point culminant – climax
L’Exorciste
La grande séquence d’exorcisme a avorté, nous l’avons vu, et culmine sur la mort du père Merrin. Karras n’a d’autre choix que d’affronter l’ennemi. Au premier degré, il s’agit du Diable. Au second, de sa foi mise en doute. Le prêtre jésuite amorce d’abord la confrontation avec toute la rage qui l’habite. Le caractère de l’homme qui doute, qui est effrayé et réagit par la violence prend le dessus (le spectateur se rappellera l’avoir vu repousser avec fermeté des malades psychiatriques trop affectueux lors d’une visite auprès de sa mère mourante).
Dans un second temps, mains sur la gorge de la petite Regan qu’il tente d’étouffer, il supplie le Diable d’épargner la fillette en prenant son âme à la place. Dans un dernier souffle de vie, il comprend qu’il peut mettre fin à tout cela en mettant fin à ses jours. Le miracle – ou la foi – agit lorsqu’il se défenestre pour aller s’éteindre au pied d’un immense escalier.
Man on Fire (Tony Scott, 2004)
La grande bataille s’installe alors que John W. Creasy (Denzel Washington) monnaye l’échange de la jeune fille kidnappée (Dakota Fanning) contre le frère de l’un des mafieux et lui-même. Habilement réalisée, la séquence démontre que le personnage principal du flic déchu réussit à sauver la fillette (premier niveau) tout en atteignant son but ultime, celui de se racheter en tant qu’homme d’honneur (second niveau). Creasy meurt dans l’automobile en tenant sa médaille. Il ferme les yeux. C’est l’accomplissement, le dénouement après la résolution du problème.
En pratique
Votre personnage principal s’est démené comme un diable dans l’eau bénite pour atteindre sa quête. Cela impose que votre séquence/scène soit à la hauteur de votre montée narrative. Le point de non-retour a en toute logique conduit votre récit dans une impasse, un entonnoir qui
ne laisse que très peu de choix d’actions. La bataille doit avoir la teneur (le style, le réalisme) du monde que vous avez instauré. C’est la plus grande scène de votre film.
Le choix des lieux est primordial pour le réalisme lié aux valeurs de vos personnages, héros comme adversaires.
Si votre héros règle définitivement ses comptes, souvenez-vous que bien souvent, il peut aussi être son pire ennemi. Ses propres peurs le rendent plus vulnérable quand ses faiblesses le terrorisent… Il n’y a qu’un seul climax dans le schéma : à vous de l’utiliser à bon escient pour une intrigue inoubliable.
Dernière pente sur la grande pyramide du schéma, le dénouement ne fait pas l’unanimité chez les scénaristes, réalisateurs et producteurs. La question se pose : pourquoi aller plus loin qu’un climax se voulant l’apothéose de votre récit ? Pourquoi en rajouter et risquer un relâchement d’intérêt ? Le point de vue se défend, d’autant que certains films proposent une fin abrupte, ne laissant aucunement au spectateur le temps de se remettre de ses émotions. Et cela fonctionne !
Pour autant la chose peut être vue différemment. Le spectateur a besoin de reprendre son souffle après la plus grande scène du film… Et cela fonctionne aussi ! Le dénouement propose une baisse de tension. C’est l’opportunité d’offrir au spectateur un dernier regard sur la situation des personnages, le monde dans lequel ils ont évolué.
Études de cas : dénouement
L’Exorciste
Après la mort violente du père Karras, intense climax s’il en est, nous passons à la dernière séquence du film.
C’est le jour du déménagement pour Chris et sa fille. Le Père Dyer, un ami de Karras, se tient près de l’entrée de la maison, là où Chris vient lui dire au revoir. Suit de près Regan, qui n’a plus aucun souvenir des effrayants événements survenus. Elle regarde le col romain de Dyer, puis l’enlace pour l’embrasser sur la joue. Geste inconscient mais révélateur soulignant la victoire du Bien sur le Mal.
La Mercedes des MacNeil quitte l’entrée de la maison puis s’arrête. Par la fenêtre, Chris MacNeil demande à Dyer de prendre une médaille ayant appartenu à Karras. La mère et sa fille peuvent maintenant passer à autre chose.
Le spectateur jouit d’un dénouement bienfaiteur, voire rédempteur, pour relâcher la pression.
Taxi Driver
Après être devenu un héros au sein de sa communauté, Travis reprend son boulot de chauffeur de nuit. Il prend en charge une cliente : Betsy. Elle félicite Travis qui demeure poli, sans plus. Le taxi s’immobilise devant la résidence de Betsy qui veut payer. L’homme lui sourit sans dire mot, remet le compteur à zéro. Elle s’extrait du taxi qui redémarre.
Sujet de bien des forums sur le net, ce dénouement laisse place à diverses interprétations. Quoiqu’il en soit, c’est un Travis Bickle transformé et distant qui accueille celle qu’il considérait comme un ange, à part des autres. Son opinion a changé. Il a compris bien des choses…
En pratique
Votre personnage principal a atteint ou non sa quête et en ressort soit grandi, soit anéanti. Toujours est-il que cette expérience l’a transformé. Voici venue l’heure du dénouement : quel chemin va-t-il emprunter ? Que va-t-il faire désormais ?
Il est impératif que, visuellement, le spectateur puisse comprendre ces changements, qu’ils soient positifs ou négatifs. Et comme les personnages entourant votre héros ont également subi des transformations, que leur monde s’est parallèlement vu modifier, tout cela mérite d’être communiqué au spectateur. N’oubliez pas que c’est pour lui que vous écrivez. À titre d’exemple, le fait de placer le personnage principal dans une situation similaire à celle vécue en début de récit vous permettra de démontrer qu’elle est gérée différemment.
Vous l’aurez compris, le schéma des pyramides est un outil pour vous aider à structurer votre récit et ses nombreuses composantes. C’est une question de mise en forme, donc de préparation réfléchie.
Voici d’autres balises qui vous aideront à faire de vos écrits une œuvre vivante et solide.
Le temps est venu d’avancer les éléments à même de faire de votre scénario une histoire réaliste parce que construite tout en relief, avec des personnages qui vivent des conflits, qui ressemblent aux hommes et aux femmes que l’on côtoie quotidiennement.
Le personnage impose au scénariste réflexion et organisation. Le fait de développer ses forces et faiblesses, de le mettre en action, de le faire s’exprimer, et de le confronter à ses alliés et adversaires risque de vous éloigner de votre idée de départ le concernant. Gardez le cap sur sa quête donc, ainsi que sur l’ensemble des événements qui vous y mèneront.
La quête, c’est une nouvelle fois ce que cherche à atteindre votre personnage, l’objectif qu’il s’est fixé, son but, directement relié à un, ou plusieurs, conflit(s). Sans quête ni conflit, il n’y a tout simplement pas d’histoire.
Le spectateur veut s’identifier à votre (vos) personnage(s), vibrer avec elle/lui/eux. Il a besoin de vivre des émotions, s’évader, sentir l’évolution et le développement des personnages, leurs valeurs mises à l’épreuve, etc., tout cela à travers le récit, l’intrigue.
Les personnages sont tous reliés entre eux, ne serait-ce que par l’intermédiaire du héros. Chacun a un rôle à jouer, direct ou indirect, par rapport à la quête du personnage central.
Un personnage qui n’apporte rien au développement de l’intrigue devrait en toute logique disparaître de votre scénario… Ceci étant dit, et bien qu’il ne croise jamais la destinée de votre héros, ne le rencontre pas, ne lui parle pas (pas même par personnes interposées), il peut tout de même servir le développement.
Voilà le personnage de second plan. Il évolue et a une quête parallèle à votre héros, sans pour autant croiser son chemin : son rôle et de nous faire comprendre, différemment, le cheminement du personnage central.
Personnage de second plan
Northfork (Michael et Mark Polish, 2004) raconte en parallèle la mort d’une ville qui va être engloutie par les eaux suite à la construction d’un barrage et celle d’un jeune garçon malade qui tente de rejoindre le monde des anges.
Des hommes mandatés par le gouvernement doivent convaincre les derniers récalcitrants de quitter leur maison. Parmi eux, Walter O’Brian (James Woods), personnage de second plan. Aucune scène ne le lie au jeune garçon mourant, personnage clé de l’histoire. Pourtant, tous deux avancent vers l’obtention d’une quête en relation avec la foi. Alors que le jeune approche de plus en plus du monde qu’il convoite (celui des anges), celui joué par James Woods doit accepter le décès de sa femme et excaver sa tombe du cimetière bientôt submergé par les eaux. Un chemin de croix identique, une quête basée sur l’acceptation de la mort unit ces deux personnages.
Le scénariste désirant faire évoluer un personnage de second plan accentue la quête de son personnage principal s’appuie non pas sur un mais sur deux personnages pour démontrer un parcours menant à la même quête.
Indéniablement plus visibles et récurrents dans le récit : les alliés et adversaires. Il importe ainsi au scénariste de créer un environnement propice au réalisme du récit, un univers en accord avec votre héros et ses différents interlocuteurs, avec ou contre lui. Un monde auquel le spectateur pourra croire.
Afin de séparer les « bons » et les « méchants », les alliés des adversaires, prenez une feuille et séparez-la en deux. En haut au centre, le personnage principal. Dans une première colonne, placez tous les personnages qui sont de son côté, qui l’aideront à l’obtention de sa quête, qui ne lui feront pas obstacle ; ses alliés, en d’autres termes.
Dans l’autre colonne, déclinez les personnages qui ont tout intérêt à ce que votre héros n’atteigne pas sa quête : ceux qui sont contre lui, qui veulent lui nuire. Il vous faudra bien entendu justifier tout cela en temps voulu mais pour l’heure, concentrez-vous sur ce tableau.
Vous pouvez après cela construire et développer les interactions qui opéreront sur le récit. Alors que les alliés partagent les mêmes valeurs que le héros, les adversaires les rejettent du revers de la main. Ce qui n’empêche nullement aux uns et aux autres de convoiter la même quête.
L’adversaire a cela de particulier qu’il ressemble bien souvent à votre héros. Il n’est pas rare qu’il fréquente les mêmes lieux, les mêmes personnes, ait les mêmes centres d’intérêts, etc. Tous deux gravitent finalement dans la même sphère. Pourquoi ? Par souci de vraisemblance et de crédibilité. Il est plus plausible que votre personnage principal puisse rencontrer son adversaire dans son milieu de vie (personnel ou professionnel) car la fréquence, la pertinence et l’importance de ces rencontres donneront au récit un portrait réaliste du monde que vous (d)écrivez.
Plus que cela, l’adversaire a souvent la même quête que le héros, d’où le besoin irrésistible de l’empêcher d’y accéder. Seulement, son système de valeurs est différent ; la quête n’a donc pas la même valeur/utilité à ses yeux, et est généralement associée à de vils desseins.
Tel un jumeau maléfique, les travers de l’adversaire sont bien souvent exagérés pour devenir archétype. L’archétype du méchant face à l’archétype du gentil (Lex Luthor vs Clark Kent). L’idée de l’archétype est instaurée pour une raison bien simple : elle oblige à rendre l’opposant plus fort, tantôt plus flamboyant que votre héros, à avoir quasiment l’ascendant sur lui ; tantôt simplement sombre et répugnant.
L’adversaire « fantaisiste » (Luthor) est bien souvent attirant puisque charismatique, de ce fait agréable à voir évoluer dans le récit. Il est mélomane, excentrique, grand connaisseur d’art, de musique, de femmes, etc. ; de l’autre côté, dans l’ombre, l’adversaire noir, sadique et sans scrupule, sans aucune moralité. Via son absence de valeurs, ce dernier est en toute logique moins complexe que le premier auquel le spectateur peut s’attacher, avoir envie de ressembler. Un méchant nullement nuancé sera à l’inverse simplement détesté (les personnages des terroristes très légèrement développés, si ce n’est qu’on leur attribue un passé militaire par exemple).
Quelques adversaires (opposants) flamboyants…
Joker (Jack Nicholson) Batman (1989)
Aussi coloré dans ses costumes que ses propos, le Joker fait rire à chaque scène. Il prend des airs d’aristocrate naïf qui, à la limite, ne se prend même pas au sérieux lui-même.
Zorin (Christopher Walken) Dangereusement vôtre (1985)
Le gentleman machiavélique par excellence (comme dans tous les James Bond). Il possède château et écuries, côtoie les courses de chevaux réservées aux riches. Le charisme de l’acteur vient donner une amplitude très convaincante au personnage.
Francisco Scaramanga (Christopher Lee) L’Homme au pistolet d’or (1974)
Il possède une île, est entouré de jeunes et belles femmes. L’or de son pistolet en dit long sur ce personnage excentrique au rythme de vie démesuré. Le choix même de l’acteur n’est pas un hasard. Il confirme on ne peut plus clairement cette volonté de donner un haut standing au personnage.
Le cinéma utilise régulièrement la technique du miroir, du double. Le héros en veut à son ennemi puisqu’au fond, sans pouvoir nécessairement se l’avouer, tous deux se ressemblent. Le héros livre alors bataille contre lui-même. Ainsi, dans Superman 2, le super-héros doit affronter un autre Superman, maléfique celui-là. Même recette pour Spiderman qui met en scène un second homme-araignée, noir quant à lui.
Le procédé fonctionne toujours chez le spectateur qui, navré et découragé, voit son héros tomber du côté sombre. Bien qu’un retournement de situation soit à prévoir, le doute est bien présent et rien à ce moment-là ne laisse entrevoir une issue lumineuse (« Je le savais ! Mais le temps d’un instant j’ai douté… »).
Votre récit met en scène votre personnage principal qui veut atteindre sa quête mais quelqu’un d’autre veut l’en empêcher pour X ou Y raisons. C’est votre héros qui va vous permettre de définir les bases de votre opposant.
Dans ces quelques lignes, une foule d’indications liées au héros vous aident déjà à cerner l’adversaire.
1.Vous savez dans quel environnement votre récit se déroule, celui-là même dans lequel l’adversaire devra donc évoluer.
2.Vous avez établi que la famille est une valeur fondamentale pour le héros puisque son honnêteté envers celle-ci est vraisemblablement inébranlable.
3.Vous avez « gratifié » votre personnage principal d’une faiblesse qui le rend extrêmement vulnérable.
4.Sa quête est précise et vous indique par là même occasion ce que risque de convoiter votre adversaire : la gloire et les bénéfices grâce à un manuscrit génial.
Vous avez un héros affaibli, attaqué sous des angles qui le touchent gravement (valeurs personnelles, qualité, faiblesse, quête).
Poursuivons sur ce même exemple. Votre personnage principal est aux prises avec un dilemme d’envergure car il a perdu sa plus grande qualité qu’est l’honnêteté (il trompe sa femme). Il est retombé dans son problème de consommation d’alcool dans ce monde qui l’attire irréversiblement (rencontres d’auteurs et personnes célèbres gravitant autour de l’éditrice). Finalement, il voit sa quête fondre sous les menaces de cette dernière.
Les personnages directement impliqués en première ligne du récit sont facilement étiquetés comme alliés ou opposants. Ils agissent activement, positivement ou négativement, sur le héros. Le personnage de second plan (voir plus haut) est tout indiqué pour faire avancer le récit et lui donner plus de relief. Ce personnage agirait comme allié. Voici un exemple.
Un personnage du roman : votre héros pourrait éventuellement trouver appui dans l’un de ses personnages (qui prendrait vie dans certaines séquences). Sorti tout droit de la fiction (le roman du héros) et évoluant dans un monde qui ne ressemble pas à celui de son auteur, ce personnage réussit malgré tout à inspirer et diriger sa destinée. Concrètement, puisqu’inventé par le héros-auteur, il devient en quelque sorte sa bonne conscience. Pour le scénario, il s’agit là d’un personnage qui, de par son expérience et son vécu, montrera la voie au personnage principal. Comment ? En lui rappelant ses valeurs fondamentales, tout simplement.
Les conflits sont des sortes de bâtons dans les roues qui ralentissent votre protagoniste, l’empêchent d’avancer, ou le détournent totalement de son objectif premier. Votre personnage principal aura des alliés, des adversaires, des acolytes plus ou moins nuancés selon les motifs qui les motivent à suivre – ou poursuivre – le héros. Bref, rivaux ou complices, les personnages sont connectés.
Atteindre un but au prix d’efforts, de sacrifices et de douleurs est bien plus gratifiant que de l’obtenir gratuitement. C’est alors que l’obtention d’une quête devient quelque chose de bien plus grand qu’une simple récompense. C’est la victoire des valeurs profondes sur les peurs, des puissantes convictions et liens indéfectibles sur les angoisses et l’adversité.
Les Aventuriers de l’arche perdue (1981, Steven Spielberg)
Synopsis : le professeur et archéologue-aventurier Indiana Jones (Harrison Ford) part à la recherche de l’Arche de l’alliance. Il devra combattre des personnages malsains également avides de cette pièce mythique pour ses supposés pouvoirs.
Les personnages se greffent au développement (montée narrative) et ne sont jamais bien loin du héros, soit pour l’empêcher, soit pour l’aider à accéder à son ultime quête. Le film de Spielberg a ceci d’intéressant : le héros n’obtient pas l’objet de sa quête (l’Arche) mais obtient gain de cause face à ses opposants en les empêchant d’utiliser l’Arche pour des intérêts de pouvoir et de richesse. Il se résigne ainsi à voir l’Arche entreposée par le gouvernement au lieu de l’exhiber dans des musées pour le bénéfice de l’Histoire. Demi-victoire, demi-défaite. Les valeurs du héros sont indemnes au sortir de l’aventure.
Puisque vos personnages s’articulent autour du conflit, mieux vaut que ce dernier soit intéressant et consistant. Le héros vainqueur à la première difficulté n’est pas très cinématographique, pas plus qu’il ne sera réaliste.
Bambi meets Godzilla : absence de faiblesse
Court-métrage d’animation (1969) et pied-de-nez ridiculement drôle fait au personnage de Disney. Devenu un mythe, ce film se veut aussi une démonstration de la nécessité d’avoir un conflit ; en son absence, c’est l’échec absolu. À voir absolument sur le Web. (voir Bambi meets Godzilla, 1969 sur YouTube).
Pour le scénariste, l’enjeu consiste justement à jongler avec les forces et faiblesses du personnage.
Elles doivent être associées aux valeurs fondamentales de votre personnage principal. Les convictions et motivations qui font avancer le héros sont celles qui le conduiront vers la victoire, l’accomplissement de soi. Le héros de la petite ville en campagne contre la grosse machine corrompue du gouvernement. Les valeurs familiales contre celles liées à l’argent et aux profits. Telles sont les valeurs auxquelles adhère le héros simple et attachant.
Rocky Balboa : souffrir pour être bon !
Dans Rocky IV (Sylvester Stallone, 1985), Rocky Balboa s’entraîne en Sibérie, en tirant dans une neige épaisse des arbres entiers sur ses épaules. Ivan Drago, son adversaire russe, est de son côté branché à des machines de laboratoire. Calcul de performance et gonflements aux stéroïdes sont au programme…
Le héros, s’il se définit par un dosage réaliste de forces et de faiblesses, avance et grandit avant tout par ces mêmes faiblesses. Celles-ci l’empêchent d’atteindre son désir (la quête). Ses besoins sont directement liés à ces faiblesses.
Au début de votre histoire, le héros ne sait pas encore de quoi il a besoin pour vaincre ses démons, ses faiblesses. Le chemin parsemé d’embûches qu’il empruntera lui permettra de découvrir de quoi il est fait, de comprendre son besoin profond afin d’atteindre son but. But, désir et quête deviennent alors un concept unique.
Étudions la même dynamique « faiblesse, besoin, désir » sous les projecteurs d’un film très connu.
The Truman Show : faiblesse, besoin et désir
(Voir synopsis page 25) Truman (Jim Carrey) est d’abord présenté dans « son intimité ». Après la petite routine matinale, le voilà arrivé au bureau où il passe, en cachette, un coup de fil aux
renseignements téléphoniques afin de retrouver une ancienne conquête partie vivre aux îles Fidji. L’image de l’île est ici forte puisque le spectateur apprendra dans la scène suivante que Truman a une peur irrationnelle de l’eau, l’empêchant du même coup de rencontrer un client au pied marin.
Comme nous l’avons vu précédemment, Truman Burbank est bien malgré lui le personnage principal d’une téléréalité mis en place depuis sa naissance. La fausse ville dans laquelle il demeure est entourée d’eau. C’est cette même peur qu’il doit dépasser s’il souhaite accéder au rêve (Fidji, l’amour à retrouver) et aller au-delà de toute cette mascarade qu’est sa vie télédiffusée (cela, il n’en a pas encore conscience).
Les faiblesses et autres blessures donnent du corps aux protagonistes tandis qu’un passé trouble (secret inavouable, perte de l’être aimé, dédoublement de personnalité, accusation à tort…) ne peut que leur donner rondeur et épaisseur.
Allons un peu plus loin dans l’exemple du jeune moniteur de camp d’été (vu précédemment).
Le dilemme du héros, qui tombe amoureux de sa collège au camp d’été, se situe dans le fait qu’il veut à la fois aider sa jeune compagne et garder le secret de son propre passé (le spectateur a ici une longueur d’avance sur les autres personnages du récit). Les violences et abus dont il a été victime ont beaucoup plus de poids sur le développement du personnage s’ils ne sont pas révélés « ouvertement ».
Voici les questions que vous devez vous poser lors de la préparation de votre scénario.
Dites-vous bien que la plus grande faiblesse de votre personnage principal le rend réaliste, sympathique et crédible. Son besoin est interne. Cela ne dépend pas des autres personnages, seulement de lui-même. Le désir, au contraire, est externe au personnage : il fait entrer en ligne de compte d’autres personnages et, de plus, est visible au spectateur.
C’est ainsi que faiblesse et désir se rejoignent. La résolution de la première amène à l’obtention de l’autre (l’exemple fictif du jeune moniteur en atteste).
La Guerre des mondes : faiblesse, besoin et désir
Le remake de Spielberg de 2005 offre à la fois un hommage vibrant au film de Byron Haskin (1953) et une vision moderne de la famille dysfonctionnelle américaine.
Certes, à la base, La Guerre des mondes est une histoire de martiens. Mais cela va bien au-delà.
La première séquence présente Ray Ferrier (Tom Cruise), un opérateur de grue portuaire intransigeant avec son supérieur qui le supplie de faire des heures supplémentaires. On le découvre ensuite à bord de sa vieille Mustang arrivant en trombe - et en retard - à la maison. Toute la séquence est alors centrée sur l’irresponsabilité du personnage en tant que père de famille. Le contraste est d’ailleurs saisissant avec son ex-femme (Miranda Otto) remariée et enceinte d’un homme très « propre sur lui », propriétaire d’un véhicule de luxe.
Tom Cruise incarne le père de famille dont la vie de couple est un échec. C’est le désastre avec son fils (Justin Chatwin) tandis que seule sa fille (Dakota Fanning), très mature pour son jeune âge, communique avec lui. La maison est en désordre (un moteur d’auto en plein milieu de la cuisine), le lait a tourné dans le frigo et les chambres sont sens dessus-dessous.
En résumé, le personnage principal est un éternel ado. Sa plus grande faiblesse se situe dans sa relation avec ses enfants. Il devra vaincre cette faiblesse et prouver à son ex-femme qu’il sait prendre soin d’eux (besoin réel qu’il ignore en début de récit). Toute la montée narrative (l’arrivée des martiens) ne servira qu’à cela.
Ainsi, la quête de premier niveau est d’anéantir les envahisseurs, tandis que celle du personnage principal, interne (le désir donc) est de vaincre sa faiblesse en tant que mauvais père. La quête ultime, enfin, est de réussir à ramener les enfants sains et saufs à Boston auprès de leur mère.
Le soin apporté à la création de l’adversaire est tel qu’il ne faut pas laisser au hasard ni l’endroit ni le moment où celui-ci sévira. Le conflit fait partie de la montée narrative : il en est même l’un des moteurs principaux.
Avant toute chose, la nature du conflit. Qu’est-il ou qui est-il ?
Description des lieux
Les lieux font partie intégrante de vos scènes. Plus ou moins détaillées, ces descriptions doivent demeurer fluides pour éviter d’alourdir le processus d’écriture et, en bout de ligne, la bonne compréhension du scénario.
Ex. : un groupe de jeunes vacanciers arrive dans une petite ville de prime abord abandonnée. La description du lieu passe dans la scène par des mots-clés : maisons délabrées, carcasses de voitures renversées dans les rues, bétail en décomposition dans les champs. De courtes phrases suffiront à générer réactions des personnages et dialogues (mise en scène) en plus de satisfaire les besoins du réalisateur.
Reprenons toujours le même exemple amorcé précédemment (l’auteur et son éditrice).
Le conflit est sans conteste un personnage : l’éditrice, qui démolit systématiquement l’auteur-père de famille-mari fidèle. Il est plausible qu’une première rencontre avec l’auteur ait lieu vers la fin du teaser. Des signes de l’attrait exercé sur l’homme sont à ce stade détectables.
La meilleure bataille livrée par le héros sera probablement opérée dans un lieu qui ne l’avantage pas (bar, discothèque) et qui au contraire le mène irréversiblement à sa perte (l’alcool). Vous exercerez ainsi une pression maximale sur votre personnage en l’introduisant dans un cadre idéal à l’évolution de l’opposant(e).
Vous amorcez rarement une journée sans avoir un minimum planifié et consulté votre agenda. Il en est de même pour votre récit.
Habilement rattachés les uns aux autres, vos personnages évoluent au sein d’un monde en mouvement, bénéficiant d’interactions physiques et/ou verbales.
N.B. : souvenez-vous des deux colonnes alliés et opposants avec votre personnage principal centré en haut de page. Reste à établir la façon dont ces personnages agiront, positivement ou négativement, à l’encontre du héros.
Bref rappel : sans personnage, la quête n’existe pas et sans quête, il n’y a pas de conflit. L’opposant, fort et stratégique, sait qu’une attaque efficace vise directement les faiblesses du héros. Habilement immoral, il sait taper là où ça fait mal : il connaît les points stratégiques (tentation, dépendance, valeur bafouée, etc.) à même d’ébranler le héros.
Attention de bien respecter la règle : un opposant, un angle d’attaque. Chaque personnage, ne l’oubliez pas, a une fonction dans le récit. Si votre héros a plusieurs adversaires, chacun d’entre eux doit avoir un angle d’attaque qui lui est propre. Chacun connaît au moins une faiblesse chez ce héros et sait comment faire pour l’affaiblir, le détourner de sa quête.
L’exemple le plus commun est le scénario dans lequel le salaud utilise l’épouse/la fille unique du héros comme appât et/ou monnaie d’échange. Ce salaud sait pertinemment que le « gentil » va perdre tous ses moyens et toute rationalité face à cette situation insoutenable.
Il est normal de s’attendre à ce que la bataille finale soit à la hauteur des embûches surmontées puisque l’on désire, au bout du compte, un personnage transformé ainsi qu’un dénouement chargé de sens qui nous dévoile un nouvel état des choses.
Voici un exemple.
Pour qu’elle soit à la hauteur de vos personnages, la bataille ne doit pas, nous l’avons dit, nécessairement aboutir à la victoire du héros. Ce serait parfois trop simple. La bataille finale est en fait l’aboutissement du développement de vos personnages. Un héros qui a voulu, jusqu’à la toute fin, vaincre l’indéfendable, court nécessairement à sa perte. Est-il pour autant un perdant ?
Une bataille perdue d’avance…
Dans Soleil vert (Richard Fleischer, 1973), le détective Thorn (Charlton Heston) termine sa course dans une ruelle, blessé et très prochainement écrasé par une société devenue monstre incontrôlable.
Ce héros n’a pourtant pas complètement perdu la bataille. Pourquoi ? Parce que le spectateur associe le personnage principal du film à ses convictions, lesquelles ont été respectées, suivies, vécues… Jusqu’à la mort. Voilà un héros qui a traversé les décennies.
La bataille provoque un éveil chez votre personnage, un nouvel état auquel il ne s’était pas forcément attendu et préparé. Tantôt physique ou psychologique, votre héros subit un changement irrévocable, positif ou négatif.
L’autorévélation est certainement l’une des parties les plus difficiles à écrire pour le scénariste car elle nécessite une vision globale de son œuvre et une maîtrise assurée de ses propres convictions d’auteur.
Un exemple : Seul au monde (2000)
Synopsis : employé chez FEDEX, Chuck Noland (Tom Hanks) survit à un crash d’avion et aboutit seul sur une île déserte. Sa ténacité et sa transformation intérieure le sauveront pour enfin renaître lors de son retour dans la société.
Naufragé depuis des années et déclaré mort par ses proches, Chuck Noland revient enfin parmi les siens. Une réception est donnée en son honneur à l’aéroport mais dès que les invités désertent pour le laisser se recentrer, Chuck réalise – face aux restes d’un buffet à peine entamé – toute la futilité d’une vie « trop facile ». Pattes de crabe à profusion opposés à sa lutte pour la survie, chalumeau à bougies face à la guerre du feu menée seul sous la pluie : c’en est trop. Il ne croit plus en ce monde de surconsommation et de gaspillage, préférant même le sol à son lit de chambre d’hôtel.
L’élément le plus important de cette séquence réside dans le fait que le spectateur comprend et partage les sentiments du héros. Il se dit : « il a évolué au fil de son aventure humaine… Normal qu’il n’adhère plus à ses valeurs initiales ».
Votre héros est sorti transformé de son expérience. Il est primordial pour le scénariste d’être très clair afin de ne pas laisser planer de doute quant à ce nouveau portrait présenté au spectateur. Vainqueur ou déchu, le personnage est mis en scène par une écriture solide et sans ambiguïté.
Attention à ne pas confondre nouvel équilibre et dénouement. Le nouvel équilibre est la façon dont vous vous y prenez pour démontrer que votre personnage a changé (ce que nous venons d’expliquer). Le dénouement demeure la dernière séquence mise en place pour démontrer cet état de fait.
Ex. : le héros a tout perdu dans sa bataille finale ; famille, amis et alliés. La dernière séquence le présente dans une ruelle, alors qu’un junkie vient lui offrir sa dose de stupéfiant. Il sort de l’argent puis quitte les lieux. Fondu au noir.
Un exemple : Seul au monde (2000)
Dans la scène finale (après la réception donnée en son honneur), Chuck Noland conduit sa Jeep sur une route déserte. Il s’immobilise à la croisée de quatre chemins, ne sachant où aller. Arrive alors un vieux pickup vintage conduit par une jolie femme qui lui explique où aboutit chacune des routes. Elle reprend le volant, lui lance « Good luck, cowboy ! » et redémarre. À l’arrière du camion, un logo représentant des ailes dorées attire l’attention de Chuck. Il reconnaît ce dessin, celui-là même apposé sur un colis qu’il devait livrer et qui s’était échoué auprès de lui sur l’île. Venant précédemment de livrer, finalement, ce fameux colis à une résidence où il n’y avait personne (le spectateur a vu le logo avec les ailes dorées sur les lieux), Chuck comprend que cette jeune femme en est le destinataire.
Plus serein que jamais, il s’autorise un sourire, a priori prêt à emprunter l’un des chemins. Fondu au noir.
Le spectateur comprend que c’est la liberté, le goût de l’aventure et le désir de vivre l’instant présent qui dicte le choix du personnage. Il est définitivement délivré de son ancienne vie, de son ex-femme aussi, remariée depuis. Les derniers instants du film nous montrent un Chuck Noland heureux et en paix avec le choix qu’il va faire. Libre alors au spectateur d’imaginer qu’il suivra la jeune femme ou prendra une autre voie, tournant le dos à ce sentiment de destinée.
Savoir prendre du recul une fois son scénario achevé demeure indispensable. Une vue d’ensemble vous apparaîtra alors, propice à l’autocritique et à la reprise de tout ou parties.
Pour chacun des personnages, parcourez le scénario et dressez la liste de ses actions respectives ; est-ce significatif pour le développement du récit et du héros ? Si ce n’est pas le cas, il faut revoir la raison d’être de ces actions/scènes.
Au-delà d’offrir un enchaînement logique de plans, de scènes et éventuellement de séquences, un scénario se doit d’être homogène dans son déploiement ; il n’en sera que plus crédible et propice à l’évasion.
Cet univers que vous proposez est en fait le message véhiculé par votre récit. Personnages, dialogues, lieux, objets, décors, accessoires, tout cela reste au service de ce que vous désirez dire au spectateur. Le scénariste soucieux de livrer une histoire des plus crédibles aura bien entendu fait des recherches et investigué tout élément se rapportant au monde dans lequel il se propose d’inviter le spectateur. Le scénariste n’est certes pas un chercheur ni un historien mais il doit s’assurer d’une certaine vraisemblance globale, qu’elle soit historique ou technique, avant d’écrire quoique ce soit.
Tim Burton représente bien l’artiste soucieux de créer un monde homogène dans ses films : personnages colorés et esthétique débridée contribuent à créer un monde féerique et enchanteur. La fantaisie n’étouffe jamais la crédibilité dans son œuvre car le spectateur accepte ce monde à la fois tordu et tout en harmonie.
Dans Edward aux mains d’argent (Edward Scissorhands, Tim Burton, 1990), il ne faut pas plus de sept ou huit minutes au spectateur pour comprendre le code couleurs imposé par Burton, lequel renverse pour le moins l’ordre établi : les bleu, rose, jaune et vert pastel (maisons, pelouses, tenues vestimentaires) cachent de vils personnages quand des nuances du noir au gris (la colline, le château d’Edward, le personnage lui-même) émergent bonté, tendresse et simplicité. Ainsi le quartier standardisé impeccablement entretenu renvoie au chaos et à la méchanceté des personnages, tandis que le délabrement du château nous ramène aux fondements et aux valeurs saines d’un personnage qu’il nous plaît de découvrir. Tel est le monde de Burton. Tel est le beau dissimulé derrière le laid, l’humain derrière le monstre. Et on y croit !
Maîtriser l’écriture du scénario, c’est savoir ce à quoi il servira. C’est aussi et surtout se mettre dans la peau de celles et ceux qui auront à travailler avec cet outil. Car c’est bien de cela dont il s’agit : un document de travail.
Deux écoles de pensée sont enseignées aux jeunes scénaristes dans les écoles nord-américaines et européennes, par rapport au budget et à la faisabilité.
La première, la plus simple à expliquer, consiste à ignorer tout élément susceptible de provoquer quelque censure que ce soit. Autrement dit, ne penser ni au budget, ni à la faisabilité de l’œuvre. Le principe est objectivement bon puisqu’il laisse toute la place à la création. Une écriture sans prescription ni contre-indication. Vous apprendrez d’ailleurs bien assez vite ce que signifient censure et restrictions au regard des budgets (la faisabilité technique étant, en majeure partie, incluse dans « le fait budgétaire »).
La deuxième école de pensée rappelle qu’il est indispensable de garder à l’esprit budget et faisabilité lors de la rédaction d’un scénario. Attention aux scènes d’action donc, surtout celles nécessitant effets spéciaux et/ou cascadeurs. La production risque de se trouver refroidie si vous-même vous êtes trop enflammé, laissé aller à une ambition démesurée autrement dit. Inutile donc d’avancer des décors hors de prix, des costumes onéreux ou une pluie d’explosions, carambolages à grande échelle et/ou tours qui s’écroulent. Soit la production ne pourra se le permettre, soit elle ne voudra pas investir autant d’argent sur votre intrigue.
Non que votre scénario ne puisse être modifié par la suite (vos projections revues à la baisse donc), mais pour un premier jet, il faut savoir faire preuve de mesure dans l’excès (surtout si vous êtes encore inconnu au bataillon et qu’il s’agit-là du premier projet que vous présentez).
Avant d’entrer dans la technique d’écriture, réglons un détail – de taille – qui sera très utile au scénariste pour comprendre comment s’articule son récit.
Revenons d’abord à la plus petite « unité de mesure » du cinéma, à savoir le plan, qui débute par le démarrage du moteur de la caméra jusqu’à son arrêt (en pellicule, le plan est le morceau de film utilisé entre ces deux moments). Le plan propose donc une action en continuité jusqu’à l’arrêt de la caméra (ou le fameux « Coupez ! » du réalisateur).
Mais dans quoi ce plan vient-il s’imbriquer ? La scène ou la séquence ? Voyons quelle sera « l’unité de mesure » à la base de votre scénario.
Nombreuses sont les sources (livres, sites, cours de cinéma, etc.) qui définissent la scène comme un ensemble de plans tournés dans un seul et même lieu. La séquence quant à elle est un ensemble de scènes pas nécessairement tournées au même endroit (différents décors donc). Dans un cas comme dans l’autre, succession de plans ou de scènes, cela forme un tout. Une unité.
Les Dents de la mer (Steven Spielberg, 1975)
Synopsis : un grand requin blanc sème la terreur sur la côte Est américaine. Un chef de police, un pêcheur et un océanographe partent à sa recherche.
La séquence d’ouverture se compose de trois scènes.
La première, des jeunes fument et boivent sur une plage autour d’un feu de joie.
La seconde, deux jeunes amoureux se dévêtissent au bord de l’eau pour un bain de minuit.
La troisième, en mer, l’attaque du requin sur la jeune femme.
Cette séquence forme un tout, une unité narrative appelée séquence introductive : l’incident par lequel tout a commencé.
La Party (Blake Edwards, 1968)
Synopsis : un acteur maladroit se retrouve sur la liste d’invités d’une fête donnée par le producteur d’un film qui l’a pourtant congédié.
Ce film culte mettant en vedette Peter Sellers (l’acteur maladroit) débute également sur un enchaînement de scènes (lieux différents) que l’on peut regrouper en une séquence.
Ouverture sur un plateau de tournage ; Sellers accumule les gaffes. Vient ensuite le producteur exécutif assis à son bureau ; il apprend qu’un certain Hrundi V. Bakshi (Sellers) a fait exploser un décor complet par maladresse. Voulant se rappeler du nom de ce comédien gaffeur afin de ne plus jamais l’engager, il l’inscrit par mégarde sur la liste de ses invités pour la fin du projet.
Fin de la séquence introductive : titre du film.
En résumé, le plan est une unité de tournage dans la scène, et la scène dans la séquence.
Voici quelques règles de base d’écriture (formats, mises en page) qui partent toutes d’un principe fondamental : le scénario est un outil de référence en cinéma, non un support littéraire. Que ce soit d’un point de vue technique, de mise en scène, de jeu ou encore de direction artistique, votre document doit être épuré, fluide et compréhensible. Peu importe que l’intrigue plaise ou non aux membres de l’équipe, le scénario se doit avant tout d’être efficace.
Bien qu’il existe différentes manières de mettre en page un scénario, quelques éléments essentiels demeurent incontournables. Les exemples qui suivent vous aideront à y voir plus clair et à comprendre la logique de leur auteur respectif.
Chaque nouvelle scène doit être numérotée. Certains scénarios proposent même une numérotation double (marges gauches et droites de chaque page) afin de toujours plus faciliter la vie du lecteur. Acteurs, directeur-photo et techniciens peuvent ainsi retrouver très facilement une séquence ou scène particulière. N’oubliez pas, scénario = document de référence.
Partant du principe que la notion de séquence est utilisée dans votre scénario pour englober plusieurs scènes, ce sont les scènes qui seront numérotées et identifiées. Notez que bon nombre de scénarios alternent entre plans et séquences. Il n’y a pas nécessairement d’unité. L’extrait du scénario qui suit nous offre de découvrir différentes variations en une seule page.
Extrait du scénario de Somewhere in Time (Quelque part dans le temps, Jeannot Szward, 1980), écrit par Richard Matheson – adapté de son propre roman Bid Time Return (Le jeune homme, la mort et le temps).
La scène débute par une indication en lettres majuscules précisant :
L’exemple de Somewhere in Time
Dans le scénario de Richard Matheson, la numérotation apparaît des deux côtés de la page ; tel qu’expliqué précédemment, cela facilite la recherche d’une scène.
La scène 1 (qui est aussi un plan en mouvement) introduit une ambiance générale ainsi que des indications techniques, tel un découpage.
La scène 2 propose plusieurs plans en des lieux différents. Si la mention « EXT. » est inexistante (les images sont pourtant à l’extérieur du collège, incluant l’affiche de la pièce de Richard Collier), c’est que Richard Matheson demeure dans les mêmes paramètres de lieux qu’en scène 1. Il reviendra avec une mention « INT. » en scène 3 puisqu’il y a changement de lieu.
Dans la scène 3, c’est l’indication « NUIT » qui est absente, probablement jugée inutile puisque la fête se déroule à l’intérieur.
Un exemple quelque peu déroutant donc, mais révélateur de la manière d’opérer de ce grand auteur-scénariste que fut Richard Matheson.
NB : selon vos préférences, mettez des « . », « - » ou des « / » pour séparer vos indications.
INT. CHAMBRE. JOUR
EXT/RUE/NUIT
INT. BUREAU. DÉBUT DE MATINÉE
EXT/PARVIS D’ÉGLISE/AUBE
INT. SALLE DE CINÉMA – PLAN LARGE
Vous pouvez préciser certaines particularités de l’image, telle la luminosité (LUMIÈRE TAMISÉE/PÉNOMBRE) ou les textures (CLAIR OBSCUR/FILTRE JAUNE), mais sans en abuser. Laissez au directeur de la photographie le soin de faire son métier.
Même chose pour les décors, ne cherchez pas à imposer un plafond digne de Léonard de Vinci quand il sera plus aisé pour le directeur de la décoration (si la réalisation d’un décor s’impose) de réaliser un plafond blanc, éventuellement sublimé de simples moulures.
Lorsqu’ils sont nécessaires à la bonne compréhension du plan ou de la scène, certains mouvements de caméra s’imposent et peuvent être incorporés dans votre scénario (comme c’est le cas dans l’exemple de Somewhere in Time).
En bref, votre liberté d’expression et/ou de décisions s’arrête là où commence celle des autres. C’est l’ensemble des corps de métier qui font qu’un film est un film, non une œuvre littéraire.
Il vous faudra user d’indications scéniques pour décrire les actions, gestes et autres déplacements des comédiens. Ces dernières devant être saisies dès la première lecture, évitez les verbes inutiles et descriptions détaillées susceptibles d’alourdir vos phrases et d’en faire perdre le sens. Nous y revenons plus loin.
À ce stade, ne vous attachez pas aux mouvements de caméra (travelling avant vers la voiture, panoramique du cimetière, etc.), lesquels seront définis dans le cadre du découpage technique. De même, rédigez la scène sans vous étendre sur les échelles de plan.
1/Marylin debout face au tableau. John à ses côtés, bras ballants.
2/Hors de lui, Jack s’empare du fusil. Volte-face, il tire.
3/Helena à terre, poitrine en sang, yeux mi-clos.
Revenez à la ligne lorsque vous décrivez l’action d’un autre personnage. Dès lors qu’il est nouveau (première apparition), son nom/titre/genre peut être inscrit en majuscules, suivi d’une description succincte comme : GABRIEL/PROFESSEUR/HOMME ; JEUNE FEMME blonde, de taille et de corpulence moyenne.
Les descriptions des lieux, les silences, les mises en contexte temporelles, doivent également être placés à la ligne.
1/Vaste terrasse ensoleillée surplombant une piscine. En son centre, une table en bois et quatre chaises.
2/Silence prolongé.
3/Inscription à l’écran : « Huit ans plus tard ».
Par souci de clarté, et toujours dans l’esprit de faciliter la lecture (consultation des comédiens dans ce cas précis), les dialogues doivent être centrés. Cette mise en page permet de bien les différencier des indications scéniques. Inscrivez les noms en majuscules et/ou caractères gras, selon votre convenance.
L’important reste que vous conserviez les codes établis dès le départ tout au long de votre intrigue.
Vous avez par ailleurs la possibilité de préciser le ton et/ou l’attitude du personnage à côté ou sous son nom, en italique par exemple, voire au sein même du dialogue, si votre personnage change d’état d’esprit.
1/ | MARYLIN (soucieuse) Je sais tout, John… |
2/ | John (se tournant, impétueux) Jamais je n’aurais pu faire une chose pareille ! |
3/ | JACK (serein) Je n’ai jamais pensé cela de toi John. Marylin a des doutes ; je peux la comprendre… (plus ferme) Si vraiment tu l’as trompée, alors jamais je ne pourrais te le pardonner. C’est de ma petite sœur dont il s’agit. |
Il vous faut à tout prix bannir les phrases à rallonge saturées de descriptions alambiquées et de conjugaison. Vous n’écrivez pas un roman ! Vos verbes sont au présent de l’indicatif et, ultimement, vos phrases en sont dépourvues afin d’aller droit au but. Les adjectifs et adverbes sont les bienvenus lorsqu’ils ajoutent des indications utiles à la mise en scène (ex. : il marche rapidement).
N’oubliez pas que le scénario est un outil de référence, document de travail riche de sens mais plutôt économe en mots.
1/ N’écrivez pas :
« Jack est assis sur une chaise en bois blanc à l’assise rouge. »
Mais plutôt :
« Jack assis sur une chaise. »
2/ Et encore moins :
« John s’avança élégamment, aussi gracieux que langoureux, avant de reculer d’un pas, hésitant, pour revenir à Marylin, frémissante et rougissante à la fois. »
Mais plutôt :
« Troublé, John s’avance élégamment vers Marylin, empourprée. ».
Même s’ils sont extrêmement talentueux, les acteurs ne peuvent être tristes et enjoués la fois, sûrs d’eux mais incertains. Attention également aux doubles ou triples sens des mots que vous choisissez, « frémissante » pouvant autant induire que Marylin a froid, peur ou qu’elle succombe aux vertiges dus à son amour pour John.
Autant vous pouvez suggérer les placements et gestuelles des comédiens, autant il vous faut être prudent quant aux expressions du visage et sentiments à communiquer. Vous ne devez pas jouer à leur place : transmettre l’émotion est leur métier.
Ne vous égarez donc pas en lourdeurs superflues et freins pour la production. D’accord pour sortir des sentiers battus, pas pour marcher sur les plates-bandes des autres. Rappelez-vous du directeur photo susceptible de ne pas apprécier les libertés que vous aurez prises. Idem pour l’abus de descriptions relatives aux décors.
En partant du principe fondamental que votre scénario décrit du contenu par le dialogue et de l’action par la mise en scène, il faut s’en tenir à du concret : des éléments qui orienteront le comédien dans son jeu tout en menant les émotions dans le sens souhaité. Il en va de même pour les indications de décors et d’ambiance qui doivent concrètement refléter les intentions de l’auteur.
Vous l’aurez compris, attention à ne pas tomber dans le piège d’une description inadéquate, voire infidèle, à ce que vous souhaitiez visuellement montrer. Voici une série d’exemples qui résument ces erreurs fréquemment rencontrées, auxquelles il est toutefois facile de remédier.
Scène 1 - Ext./rue principale village de Saint-Basile/jour
Série de plans fixes de différents bâtiments. L’église, l’épicerie, la caisse populaire, le bureau de poste, une enfilade de maisons. Aucun mouvement ; ni passant ni trafic.
Les indications sont claires mais ne révèlent qu’une partie de la vision d’auteur. Si l’intention du scénariste est de présenter une ville abandonnée et décimée par une catastrophe, les précisions manquantes deviennent tout à coup plus évidentes.
Voici la même scène réécrite adéquatement. Quelques mots et ajouts suffisent à changer l’atmosphère générale.
Scène 1 - Ext./rue principale village de Saint-Basile/jour
Série de plans fixes de différents bâtiments délabrés. L’épicerie, la caisse populaire, une enfilade de maisons. Vitres brisées, cendres fumantes. Des branches d’arbres jonchent les rues. Cadavre de chien devant le bureau de poste. Camion de lait renversé devant l’église.
Surimpression sur image : Village de Saint-Basile, Québec. Un mois après le drame.
Scène 12 - Ext./marina du Bassin-Louise, Québec/jour
Richard marche lentement sur la promenade aménagée le long des quais. Il observe les voiliers et embarcations à moteur en se disant qu’un jour, il pourra se payer un tel luxe. Malgré tout, il semble heureux.
Nul doute que le comédien interprétant Richard se posera des tas des questions !
Voici la même scène réécrite adéquatement. Un accessoire à la mise en scène et une indication de jeu plus claire aident grandement à détecter ce qui se passe dans la tête du personnage.
Scène 12 - Ext./marina du Bassin-Louise, Québec/jour
Richard déambule le long des quais.
Léger sourire à l’approche d’un petit voilier orné d’une affiche : À VENDRE 6 000 $ NÉGOCIABLE. 418-222-4558.
Photo prise avec son téléphone portable, il secoue la tête et reprend sa route.
Vous ne pouvez en effet inscrire les pensées ou désirs du personnage en description scénique. Il vous faut impérativement parvenir à décrire physiquement l’émotionnel.
Scène 32 - Ext./Bois-de-Coulonge, Québec/jour
Arthur arrive au milieu d’une clairière recouverte de neige. Il s’immobilise et observe le soleil rouge, voilé par la tempête qui s’intensifie. Arthur semble heureux de retrouver l’image quasiment intégrale d’une photographie qu’il affectionne particulièrement.
Vous comprenez cette scène car l’idée de base exprimée par le scénariste est claire. Cependant, une fois tournée et montée, le spectateur ne verra que cela : un homme au visage serein arrive au beau milieu d’une clairière dans une clairière recouverte de neige. Il regarde le soleil rouge dans un ciel neigeux.
Un petit mot, à première vue sans importance, vient brouiller les pistes en termes de direction d’acteur. Arthur semble heureux. Le comédien ne pourra sembler, il devra jouer, mimer une expression. « Sembler » n’est jamais une bonne indication de jeu pour votre acteur qui devra alors demander au réalisateur comment jouer.
Voici la même scène réécrite adéquatement. Elle convient mieux à l’idée originale du scénariste pour qui la référence de la photo était majeure. Par l’insertion d’un détail de mise en scène (son téléphone), le spectateur comprend cette fois que le personnage souhaitait revivre une photographie qu’il affectionne.
Scène 32 - Ext./Bois-de-Coulonge, Québec/jour
Arthur s’immobilise au milieu d’une clairière recouverte de neige. Regard porté au soleil rouge, voilé par la tempête qui s’intensifie.
Il extrait son téléphone portable de son manteau et y observe une photographie, semblable au décor devant lui. Large sourire.
Autre erreur commise par les scénaristes débutants (au moins 7 étudiants sur 10) : le désir brûlant d’expliquer que la caméra « montrera des choses ». Inutile d’élaborer, l’exemple parle de lui-même. Reprise de l’exemple précédent.
Scène 32 - Ext./Bois-de-Coulonge, Québec/jour
La caméra nous montre Arthur qui arrive au milieu d’une clairière recouverte de neige immaculée. On le voit s’immobiliser et observer le soleil. On voit alors le soleil rouge voilé par la neige qui s’intensifie. Finalement la caméra cadre Arthur qui semble heureux de retrouver l’image quasiment intégrale d’une photographie qu’il affectionne particulièrement.
La présence de la caméra doublée du « on voit » alourdit considérablement la scène. Inutile d’expliquer ce qu’elle montre ; vous écrivez une scène qui va être tournée ! Il va de soi que nous verrons l’action décrite via l’objectif de la caméra.