P. Ariès, Histoire des populations françaises et de leurs attitudes devant la vie depuis le XVIIIe siècle Paris, Ed. Self, 1948, 572 p., in-8° ; et Seuil, 1971.
Cf. l’article du R. P. Riquet dans Population, octobre-décembre 1949 ; et la réponse de P. Ariès dans Population de juillet-septembre 1953.
J.-T. Noonan, Contraception, a History of its Treatment by the Catholic Theologians and Canonists, Cambridge, Massachusetts, 1966. Cet ouvrage vient d’être traduit sous le titre Contraception et Mariage, Paris, Éd. du Cerf, 1969, 722 p. C’est à cette traduction, plus accessible, que je renverrai et c’est d’elle que j’extrairai les citations que je ferai du livre.
Parmi les articles et ouvrages dus à l’équipe de l’INED, dirigée par L. Henry, voir en particulier l’ouvrage collectif dû pour l’essentiel à H. Bergues, La Prévention des naissances dans la famille, Paris, PUF, 1960, 400 p. On y trouvera un paragraphe prudent de L. Henry sur les « Relations sexuelles en dehors du mariage », p. 368-369. Prudent, mais ambigu, puisqu’on y lit par exemple : « Cette fréquence ne peut être atteinte que par le biais des conceptions illégitimes… on laisse ainsi de côté tout ce qui a trait à la prostitution et à l’adultère … » Ce qui implique que les autres sortes de relations illégitimes sont appréciables par les naissances illégitimes.
Voir, par exemple, E. Le Roy Ladurie, Les Paysans du Languedoc, Paris, SEVPEN, 1966, t. 1, 745 p. Parlant, p. 644, de la très longue période d’inhibition sexuelle « que les jeunes connaissent avant le mariage », il explique, en note 4 : « L’existence de cette période d’inhibition, bien plus longue et plus rigoureuse que dans notre culture contemporaine, ressort de plusieurs séries de faits (qu’ont mis en lumière les travaux de Goubert, 1960, et, pour le Languedoc, ceux de Godechot et Moncassin, 1964), à savoir : a) l’absence ou la très faible importance de la contraception, avant 1730, en Languedoc comme en Beauvaisis ; b) le très bas pourcentage des conceptions prénuptiales et, en général, des naissances illégitimes (0,5 % en Languedoc pendant tout le XVIIIe siècle). Si les relations sexuelles préconjugales avaient eu une importance véritable, elles auraient donné lieu, en raison de l’ignorance de la contraception, à de très nombreuses naissances illégitimes. Ce n’est pas le cas. »
Dans sa thèse sur Beauvais et le Beauvaisis, P. Goubert écrivait en fait, après avoir constaté que les naissances illégitimes ne dépassaient jamais 1 % du total des naissances villageoises, et avoir dit un mot des filles-mères allant accoucher en ville : « Un trait mérite d’être souligné : le très grand respect de la loi religieuse qui interdisait de concevoir en dehors du mariage. » Cette formulation me paraîtrait excellente, puisqu’on parle de conceptions et non de relations sexuelles. Mais il faut avouer que la nuance risque d’échapper au lecteur non averti.
Cité intégralement par H. Bergues dans Prévention des naissances, p. 229-230. Sur ce témoignage, voir aussi Noonan, Contraception et Mariage, p. 502-509.
Cf. H. Bergues, Prévention des naissances, p. 227-229.
Cf. Noonan, Contraception et Mariage, p. 479-483.
Cf. Noonan, Contraception et Mariage. Au début de son chapitre IX, consacré aux « Sanctions », Noonan écrit en effet : « En déclarant péché mortel le comportement contraceptif, les théologiens du bas Moyen Age, en accord avec les pénitentiels et les Pères, lui appliquèrent l’interdit le plus grave et le plus universel aux yeux des chrétiens consciencieux (…). Dans la mesure où les chrétiens étaient informés du caractère peccamineux de cet acte, et dans la mesure où ils cherchaient avec dévotion leur salut, la marque du péché mortel appliqué à la contraception devait être la plus puissante interdiction à sa mise en œuvre » (p. 331). Et plus loin : « Les théologiens et les canonistes proclamaient que le rapport conjugal non procréateur, y compris le coït interrompu, était un rapport contre nature. Pierre le Chantre, Jean Gerson, Bernardin et Antonin tenaient de tels rapports comme équivalents à ceux, plus décriés encore, de sodomie … Dans l’ordre des péchés de luxure, le péché contre nature était pour Adulterii malum pire que l’inceste. La classification de Gratien se perpétua dans les ouvrages classiques de théologie. Dans la Somme théologique de saint Thomas, le péché contre nature, même lorsqu’il est pratiqué entre époux, est le plus grave des vices sexuels ; il est pire que la fornication, la séduction d’une vierge, le rapt, l’inceste ou le sacrilège … » (p. 334).
« Des classifications de ce genre contribuèrent à une certaine mentalité sociale ; ces descriptions servaient à la fois d’épithètes et d’analyses. Au mieux de leurs possibilités linguistiques, les scolastiques médiévaux essayèrent de cataloguer la contraception comme une offense à la décence, à la vie, à la nature. L’homme qui s’engageait dans une attitude contraceptive devait non seulement ignorer ses conséquences spirituelles, mais aussi défier les idéaux sociaux de sa communauté » (p. 334).
Il s’agit du commerce oral — seminem in ore — et de l’accouplement anal — a tergo — que l’on rencontre l’un dans cinq, l’autre dans neuf pénitentiels sur dix-huit (cf. Noonan, Contraception et Mariage, p. 209 et 212-215).
Le Saint-Hubert (chap. 57) et le Mersebourg B (chap. 13) sont deux pénitentiels francs du VIIIe siècle. Ils décrivent cet acte comme « le renversement de la semence dans le coït avec une femme comme les fils de Juda firent avec Thamar » (cf. Noonan, p. 209).
Cf. Patrologie latine de Migne, t. 99, col. 1971-72 : « DE FUNDENDO SEMEN. Clericus si semen fuderit non tangendo, septem dies poeniteat. Si tangit cum manu, viginti dies. Si diaconus, triginta dies. Si presbyter hebdomadas quatuor.
« Presbyter si semen fuderit per cogitationem, septem dies poeniteat. Monachus similiter.
« Qui voluntarie semen fudit in ecclesia, si clericus est, quatuordecim ; si monachus aut diachonus, triginta dies ; si presbyter, quadraginta ; episcopus, quinquaginta dies poeniteat. ».
Cf. Patrologie latine de Migne, t. 99, col. 966 : « Coinquinatus es cum uxore tua in quadragesima. Si hoc fecisti, annum unum poenitere debes, aut viginti sex solidos in eleemosynam dare. Si per ebrietatem evenit, quadraginta dies poeniteas. ».
Patrologie latine de Migne, t. 99, col. 970 : « DE FORNICATONE… Adolescens si cum virgine peccaverit, annum poeniteat. Si semel et fortuito casu, levigetur ei poenitentia et tantum usque ad annum plenum poeniteat. »
Ibid. : « Si infra triginta annos adolescens fornicationem faciat, tres quadragesimas et legitimas ferias. »
Ibid : « Laicus maculans se cum ancilla Dei, duos annos poeniteat. Si genuerit ex ea filium, annos tres poeniteat. Si sine conjugio est, tres quadragesimas et legitimas ferias. » L’expression « se souiller » (maculans se) est ambiguë. Mais si l’on compare le troisième cas au premier, il paraît évident qu’il s’agit, dans celui-ci, d’un accouplement. Et c’est un accouplement stérile, ainsi qu’en témoigne le second cas.
Cf. La Prévention des naissances dans la famille, p. 209, où H. Bergues commente un passage analogue, tiré du pénitentiel de Cummean II, antérieur au recueil édité par Migne : « Si un laïc corrompt une vierge vouée à Dieu et perd sa réputation et s’il a un enfant d’elle, que cet homme fasse pénitence trois ans … » « Si toutefois il n’a pas d’enfant, mais néanmoins corrompt la vierge, il fera pénitence un an. »
Statuts synodaux des diocèses de Meaux (1245), Cambrai (1300-1310), Nantes (1387), Albi (1230, 1553 et 1695), Malines (1570), Besançon (1571), Reims (1585-1621 et 1677), Amiens (1411, 1454 et 1677), Agen (1666-1673), Sens (1658) ; et, d’après la Somme des péchés de Benedicti (1584), la liste des cas réservés à l’archevêque de Lyon et celle des cas réservés à l’évêque de Paris.
Le mot « mollicies » qui désignait, dans l’Antiquité, l’homosexualité passive, a pris, dès le XIIIe siècle, le sens de « pratiques solitaires ». Avant l’âge nubile, celles-ci n’entraînent pas de pollutions et sont considérées comme moins graves. D’autre part, les pollutions volontaires ne sont pas toujours manuelles : elles peuvent provenir de « cogitation et délectation », de « locution ou conversations avec femmes ou hommes », de « lecture de livres impudiques » et « autres moyens », comme le précise Benedicti au XVIe siècle. Enfin, les « pollutions manuelles » ne sont pas forcément solitaires et, lorsqu’elles ne le sont pas, le péché est plus grave. C’est autant de raisons qu’a pu avoir l’évêque de Cambrai de distinguer « mollesse » et « pollutions manuelles ».
Liste des cas réservés à l’évêque d’Amiens en 1677.
Comme dans le diocèse de Cambrai — si l’on en croit l’interprétation que j’ai donnée —, trois statuts synodaux ne mentionnent donc pas la bestialité parmi les péchés réservés à l’évêque : ce sont ceux des diocèses de Malines (1570), Besançon (1571) et Amiens (1411).
Celui du diocèse de Nantes (1387). Je le dis plus sévère parce qu’il est le seul à maintenir le vieil interdit biblique des relations conjugales pendant les règles. Par ailleurs, il mentionne l’adultère, l’inceste tant naturel que spirituel, et les péchés de chair « cum masculis, cum brutis, cum sanctimonialibus ». Son évocation de la mollesse est instructive : « de peccato molliciei quod omme adulterum superat ». Cette précision paraît infirmer la thèse que je soutiens. En réalité, elle confirme que ce classement ne va pas de soi, puisqu’à propos de l’homosexualité, de la bestialité et du sacrilège, point n’est besoin d’en dire tant.
Bède, en déterminant la peine imposée pour l’avortement, écrit dans son pénitentiel : « Il y a une grande différence selon qu’il s’agit d’une femme pauvre (paupercula) faisant cela parce qu’elle ne peut nourrir de nouveaux enfants, ou d’une femme impudique qui le fait pour cacher son inconduite » (4, 12). « La même règle, écrit Noonan, fut suivie par le Pseudo-Théodore (6, 4). Les raisons économiques qui incitaient à l’infanticide ou à l’avortement devaient inciter aussi vivemeent à la contraception » (cf. Noonan, Contraception et Mariage, p. 206).
Burchard, au XIe siècle, est le premier à l’attester : « Avez-vous fait ce que certaines femmes ont accoutumé de faire lorsqu’elles ont forniqué et veulent tuer leur progéniture : elles mettent en œuvre leurs maleficia et leurs herbes pour tuer ou pour faire passer leur embryon, ou, si elles n’ont pas encore conçu, s’arrangent pour ne pas concevoir ? Si vous avez fait cela, si vous l’avez admis, ou enseigné, vous devez faire pénitence pendant dix ans tous les jours fériés. Une décision ancienne éloignait de telles personnes de l’Église jusqu’à la fin de leur vie. Car, chaque fois qu’elle a empêché une conception, cette femme a commis un homicide. Mais cela fait une grande différence si c’est une pauvre femme qui a agi en fonction de la difficulté qu’elle a pour nourrir, ou si c’est quelqu’un qui agit pour dissimuler un crime de fornication » (Decretum, 19 in Patrologie latine, t. 140, col. 972, cité par Noonan, p. 206-207-9).
Depuis l’Antiquité et encore au XVIIe siècle, les drogues contraceptives sont généralement citées en compagnie des abortifs, des poisons, des philtres d’amour et de toutes sortes de maléfices. D’autre part, on traite souvent ensemble les questions d’infanticide, d’avortement et de contraception par maléfice, tandis que les accouplements contraceptifs sont traités avec les péchés de luxure. Avant le XIIIe siècle, les seuls exemples d’assimilation de ces deux sortes de péchés se trouvent, si je ne me trompe, dans ces deux pénitentiels francs du VIIIe siècle qui parlent du crime d’Onan.
J’entends par « loi de l’Église », le Décret de Gratien (1140) et les Décrétales commencées par saint Raymond de Pennafort en 1230. On peut y ajouter les Sentences (1154-1157) de Pierre Lombard qui ont, pour les théologiens, la même autorité que Décret et Décrétales pour les canonistes.
Voici la traduction que l’édition française du Noonan donne de ce canon : « Celui qui pratique la magie ou donne des poisons de stérilité est un homicide. Si quelqu’un (Si aliquis), pour satisfaire sa concupiscence, ou par haine et avec préméditation, fait quelque chose à un homme ou à une femme, ou leur donne quelque chose à boire afin qu’il ne puisse pas engendrer ou elle concevoir, ou mettre au monde un enfant, qu’il soit tenu pour homicide.
Mais cette prescription catégorique, aucun des grands canonistes ni théologiens ne l’applique à la lettre à la stérilisation de soi-même.
Le canon Aliquando est tiré textuellement de Mariage et Concupiscence de saint Augustin : « Quelquefois (Aliquando), cette cruauté luxurieuse ou luxure cruelle en vient au point qu’ils utilisent même des poisons de stérilité (sterilitatis venena) et, si ceux-là n’œuvrent pas, éteignent et détruisent le fœtus dans le sein en quelque manière, préférant que leur progéniture meure avant que de naître. Assurément, si le mari et la femme sont tous deux comme cela, ils ne sont pas mariés, et s’ils sont comme cela depuis le début de leur vie commune, ils ne sont pas joints en mariage mais en séduction. S’ils ne sont pas tous deux ainsi, j’ose dire que ou bien la femme est une façon de putain de son mari, ou bien il est adultère avec sa propre femme. »
Ce texte fut inclus par Gratien dans son Décret, Si aliquis étant abandonné.
Si aliquis fut repris par saint Raymond et inclus dans les Décrétales ; il y inclut aussi le canon Si conditiones qui est un corollaire, fabriqué par ses soins, du canon augustinien. « Si des conditions (Si conditiones) sont mises contre la substance du mariage — par exemple, si l’un dit à l’autre : “Je contracte avec vous si vous évitez la descendance”, ou “jusqu’à ce que je trouve quelqu’un de plus digne en honneur ou en richesse”, ou “Si vous vous adonnez à l’adultère pour de l’argent” — le contrat de mariage, aussi privilégié soit-il, manque d’effet ; bien que d’autres conditions, quelques basses et impossibles qu’elles puissent être, doivent être tenues pour nulles en raison du privilège du mariage. »
C’est-à-dire que la plupart des conditions mises au mariage doivent être considérées comme nulles, car le mariage n’est pas conditionnel. Mais lorsque ces conditions sont contraires à l’un des biens de mariage — proles, sacramentum et fides, pour les citer dans l’ordre du canon —, ces conditions sont dirimantes : c’est le mariage qui est nul. En particulier, refuser la procréation, c’est refuser le mariage.
Aliquando l’est directement, Si conditiones indirectement.
Cf. l’ensemble du livre de Noonan, et en particulier les chapitres III et IV.
Saint Thomas, Commentaire sur les sentences, 4.33.1.3, cité par Noonan, p. 310.
Saint Thomas, De malo, 15, 2, obj. 14, analysé par Noonan, p. 312.
Saint Thomas, De malo, 15, 2, cité par Noonan, p. 313.
Cf. Noonan, p. 313.
Saint Thomas, De malo, 3, 122, cité par Noonan, p. 313-314.
Ce sont, par exemple, saint Raymond (Summa, 4.2.8), et Monaldus (Summa. fol. 136 r°) au XIIe siècle ; saint Bernardin de Sienne (Sermons séraphiques, 19.3) au XVe, ainsi que le summiste inconnu que suit Chaucer dans son Parson’s Tale (auteurs cités par Noonan, p. 320).
Noonan (p. 320) cite par exemple Alexandre de Hales, saint Thomas, saint Bonaventure, Guillaume de Rennes, Durand de Saint-Pourçain, Pierre de la Palu, Jean Gerson et saint Antonin de Florence.
Benedicti, La Somme des péchez éd. Paris, 1601 (B.N. : D. 6502), livre II, chapitre IX. « De l’excès des gens mariez », no 59.
Noonan (p. 321) cite par exemple Guillaume d’Auxerre, Alexandre de Haies, saint Bonaventure, Astesanus, Durand de Saint-Pourçain, saint Antonin de Florence ; Albert le Grand et saint Thomas assimilent le trop ardent amour et « user de sa femme comme une putain », comme ici Benedicti.
Cf. mon article « Sentiments et civilisations », ci-dessus, en particulier p. 33-40. Quant à l’attitude de l’Eglise à l’égard de l’amour, on trouvera beaucoup de choses intéressantes dans Noonan, Contraception, en particulier p. 414-415 (mais il y aurait bien davantage à dire pour cette fin du XVIe siècle) et surtout p. 622-638. En revanche, ce que l’auteur dit de l’attitude de l’Église devant l’amour au Moyen Age, p. 326-329, m’a paru peu convaincant.
Pour tous les théologiens, il y a, en effet, une position naturelle d’accouplement et une seule. Tous les interrogatoires de confesseurs sur ce chapitre commencent par la question, ou la constatation : « Vous connaissez la position qui est naturelle… » La chose est si évidente qu’on ne dit presque jamais pourquoi cette position est naturelle, sinon lorsqu’on attaque celles qui ne le sont pas. On est en présence d’une coutume dont l’origine doit être recherchée dans les temps préhistoriques ; en liaison, j’imagine, avec le geste rituel du laboureur, bien qu’aucun texte ne me permette d’appuyer cette supposition. Il me paraît clair, en tout cas, que l’accouplement conjugal est un rite : un rite de fécondation. Thomas Sanchez, plus explicite que la plupart des autres casuistes, commence en effet son chapitre par une explication : « Il faut établir d’abord quelle est la manière naturelle de s’accoupler quant à la position. Quant à celle-ci, c’est que l’homme soit couché dessus et la femme renversée dessous. Parce que cette manière est plus propre à l’effusion de la semence virile, à sa réception dans le vase féminin et à sa rétention… » Cela est bien du génie de Sanchez que de tout expliquer sans délai. Pourtant, lorsqu’il s’agit de condamner les positions contre nature, la question de rite pur ne lui échappe pas : « C’est un abus du sacrement de mariage, et il est évident que c’est une perversion de l’usage et aussi du rite … et que c’est un sacrilège digne de l’enfer » (De sancto matrimonii sacramento, éd. Anvers 1607, livre IX, dispute XVI, q. 1).
La position que les théologiens appellent retro et que Brantôme appelle more canino est depuis le haut Moyen Age dénoncée comme abaissant l’homme au rang de l’animal. Il ne s’agit pas ici de la relation des deux partenaires mais de l’honneur du genre humain.
A son propos, Sanchez écrit : « … puisque la nature prescrit ce mode aux bêtes, l’homme qui en prend le goût devient semblable à elles. »
Plus grave cependant paraît être la position mulier super virum que Sanchez attaque beaucoup plus vivement :
« 4° Ce mode est absolument contraire à l’ordre de la nature puisque cela s’oppose à l’éjaculation de l’homme et à la réception et à la rétention de la semence dans le vase féminin. Ensuite, non seulement la position, mais la condition des personnes importe aussi. Il est en effet naturel pour l’homme d’agir, pour la femme de pâtir ; et l’homme étant dessous, par le fait même de cette position, il subit, et la femme étant dessus agit ; et combien la nature elle-même abhorre cette mutation, qui ne le voit ?
« 5° Parce que dans l’histoire scholastique (ca. 31 super Genesium ex Metodio), il est dit que la cause du déluge a été que les femmes, transportées de folie, avaient fait mauvais usage des hommes, ceux-là étant dessous et celles-ci dessus… Saint Paul dit aux Romains : “Les femmes changèrent l’usage naturel en celui qui est contre nature” et il met ce péché au nombre des péchés léthaux. »
L’association d’idées entre la condamnation des amours trop ardents et ces positions extraordinaires est constante. Si le découpage des traités théologiques ne la fait que rarement apparaître, on en trouve mainte preuve. Parmi les écrivains laïcs, par exemple, Brantôme y revient à plusieurs reprises, fasciné qu’il paraît être par ces « figures de l’Arétin » : « De plus, ces marys, qui pis est, apprennent à leurs femmes, dans leur lict propre, mille lubricitez, mille paillardises, mille tours, contours, façons nouvelles et leur pratiquent ces figures énormes de l’Arétin ; de telle sorte que pour un tison de feu qu’elles ont dans le corps, elles y engendrent cent, et les rendent ainsi paillardes » (Brantôme, Dames galantes, éd. M. Rat, p. 26). Et plus loin, d’une manière plus scolastique : « Toutes ces formes et postures sont odieuses à Dieu, si bien que sainct Hierosme dit : “Qui se monstre plustost desbordé amoureux de sa femme que mary est adultère et peche.” »
Les théologiens, bien sûr, font eux aussi allusion à cette recherche d’un plaisir excessif. Pierre de la Palu, par exemple, dans son Commentaire sur les Sentences (d. XXXI, q. 3, art. 2, 5°), écrit : « … Certains disent… que l’homme qui connaît sa femme d’une manière inaccoutumée, même dans le vase naturel, pèche mortellement, si cela est fait pour rechercher une plus grande volupté. »
Les théologiens n’étant pas unanimes à condamner ces positions inaccoutumées, c’est sur leur caractère fécond ou stérile que porte l’essentiel de la discussion. Finalement, ces positions sont dites « contre nature » parce qu’elles sont contraires au rite de l’accouplement prescrit par nature, parce que certaines pervertissent la nature humaine en modelant l’homme sur l’animal, parce que d’autres intervertissent la nature de l’homme et de la femme, enfin parce que pèse sur elles le soupçon de stérilité, et qu’elles sont donc contraires à la nature du mariage — à moins que ce soit l’inverse, c’est-à-dire qu’étant supposées voluptueuses, elles sont contraires à la nature du mariage, donc soupçonnées d’être stérilisantes. Le sens de cette relation de causalité a, au demeurant, peu d’importance : ce qui compte c’est l’association de ces caractères sous le concept général de péché contre nature. Les couples stériles sont d’ailleurs souvent soupçonnés d’avoir mérité cette punition divine par leurs pratiques luxurieuses. Il serait quasi impossible qu’ils aient été frustrés de descendance, dit le prédicateur anglais Bromyard au XIVe siècle, s’ils avaient tendu à la fin ordonnée par Dieu : ils ont donc visé luxure ou richesses en mariage (cf. Summa, « Matrimonium », 8.10, cité par Noonan, p. 344-345).
On parvient même à justifier la position mulier super virum au nom de la vertu attractive de l’utérus. Cela, à vrai dire, est rare.
Le cas le plus fréquent est celui de la femme enceinte qui craint de gâter son fruit en ayant des rapports normaux avec son mari. On parle aussi beaucoup des époux trop obèses pour avoir des relations normales.
Brantôme. Dames galantes, éd. M. Rat, p. 32. Tout le discours tenu sur cette question, depuis la page 25, est fort instructif. Brantôme s’y réfère plusieurs fois à l’Écriture, aux Pères de l’Église et aux docteurs. Peut-être l’intention du discours — montrer que les maris sont les premiers responsables des débordements de leurs femmes — affaiblit-elle sa valeur de témoignage. Je ne crois cependant pas que l’on puisse rendre ce contexte de plaidoirie seul responsable des indignations de l’auteur.
Hors du contexte conjugal, voici par exemple ce qu’il en dit : « … il acheta d’un orfèvre une très belle coupe d’argent doré, comme pour un chef-d’œuvre et grand spéciauté la mieux élabourée, gravée, sigillée qu’il estoit possible de voir, où estoyent taillées bien gentiment et subtillement au burin plusieurs figures de l’Arétin de l’homme et de la femme … et au-dessus… plusieurs aussi de diverses manières de cohabitation de beste… » (p. 27-28). « Quand ce prince festinoit les dames et filles de la cour … ses someliers ne failloyent jamais… de leur bailler à boire devans … les unes demouroyent estonnées et ne sçavaient que dire là-dessus ; aucuns demeuroyent honteuses et la couleur leur sautoit au visage ; aucune s’entredisoyent entr’elles :
“Qu’est- ce qui est gravé là-dedans ? Je croy que ce sont des sallauderies. Je n’y bois plus. J’aurois bien grand soif avant que je n’y retourne boire” … et pour ce, aucunes fermoyent les yeux en beuvant, les autres, moins vergogneuses, point. Qui en avoyent ouy parler du mestier, tant dames que filles, se mettoyent à rire sous bourre ; les autres en crevoyent tout à trac… Les unes disoyent : “Voilà de belles grotesques !”, les autres : “Voylà de plaisantes momeries !”, les unes disoyent : “Voylà de beaux images !” …
« Bref cent mille brocards et sornettes sur ce sujet… c’estoit une très plaisante gausserie, et chose à voir et ouïr ; mais surtout, à mon gré, le meilleur estoit à contempler ces filles innocentes ou qui feignoyent l’estre … Enfin elles s’y avezarent si bien qu’elles ne firent plus scrupule d’y boire ; et si firent bien mieux aucunes, qu’elles se servirent de telles visions en temps et lieu ; et, qui plus est, aucunes s’en desbauchèrent pour en faire l’essay ; car toute personne d’esprit veut essayer tout.
« Voylà les beaux effets de cette belle coupe si bien historiée … en cette coupe le vin ne rioit pas aux personnes mais les personnes au vin : car les uns beuvoient en riant et les autres beuvoient en se ravissant… » (p. 27-30).
Rien de commun, donc, avec le ton constamment indigné, sérieux, moralisant, qu’il adopte pour parler de ces accouplements en mariage.
Cf. Noonan, Contraception et Mariage, l’ensemble de l’ouvrage, mais en particulier les pages 63-76.
Par exemple lorsqu’il écrit : « Toutefois il y a aucunes femmes qui disent qu’elles conçoivent mieux par les postures monstruieuses et surnaturelles et estranges que naturelles et communes, d’autant qu’elles y prennent plaisir davantage, et, comme dit le poète, quand elles s’accommodent more canino, ce qui est odieux » (Dames galantes, p. 31).
Voici par exemple ce qu’écrit J. Dubois dit Sylvius dans son De mensibus mulierum et hominis generatione… (Bâle, 1556) : « COITUS INANIS..Praeter hos etiam coitus coitui succedens, et coactus alterutrius, vel utriusque concubitus, ut in his qui inviti, et sine amore junguntur, inanis est, ac sterilis : ut voluntarius et jucundus, est foecundus, nisi amor nimis ardens adist. »
Ce qui donne dans une traduction d’époque, de clarté contestable : « Et oultre ceste là, aussi le coït sur coït et celuy qui est contraint ou de l’un ou de l’autre : et le coucher de l’un et l’autre, comme en ceux qui ennuys et oultre leur gré et sans amour sont mariez et conjoincts, est vain et stérile, ainsi, comme celuy qui est voluntaire, aggreable et de plaisir est fécond, sinon qu’il y eut amour par trop ardent » (cf. G. Chrestien, Le Livre de la génération de l’homme, Paris, 1559, p. 39).
S’agit-il ici d’une association traditionnelle entre plaisir et fécondité ou de la reconnaissance, par les médecins du temps, de la nécessité de l’attrait interpersonnel en mariage ? Cela mériterait d’être approfondi par l’examen d’autres textes.
J. Gerson, Instruction pour les curés, éd. 1575, ch. XI, f. 17.
Lorsqu’il justifie cette prescription (cf. De sancto matrimonii sacramento, livre IX, dispute XVIII, no 5), Sanchez ne parle pas de sacrilège et paraît au contraire penser qu’avec la propre femme du pécheur, le crime est moins grave qu’avec la femme d’autrui. Pourtant, au chapitre des « positions contre nature », il les accusait d’être « un abus du sacrement de mariage », une « perversion de l’usage et du rite » et d’être ainsi « un sacrilège digne de l’enfer » (cf. ibid., livre IX, d. XVI, q. 1). Azor, dans Institutionum moralium (Rome, 1600, t. III, livre III, ch. XX, q. 5, no 5), s’il ne parle pas explicitement de sacrilège, précise qu’il y a « une malice spéciale d’injure faite contre sa propre épouse, parce qu’on a abusé d’elle, et l’épouse a droit de divorcer », c’est-à-dire d obtenir la séparation de corps.
Brantôme, Dames galantes, p. 38-39.
Cf. H. Bergues, La Prévention des naissances, p. 143. Commentant ce texte de Brantôme, Hélène Bergues en tire avec raison l’enseignement que dans la bourgeoisie et la noblese « le coitus interruptus restait le moyen le plus utilisé et qu’il n’était pas tellement rare lorsqu’il n’était pas question de mariage entre les partenaires ». Mais elle n’approfondit pas la chose, et cela paraît oublié dans le reste de l’ouvrage.
Noonan a dit un mot, pour le XVIIe siècle, de ces motivations extrinsèques du maintien de la doctrine traditionnelle de l’Église (cf. Contraception, — p. 333-358 et p. 367-371), et l’on sait la place qu’elles tiennent dans la récente encyclique Humanae vitae. Cependant, Noonan n’avait pas remarqué le texte de Sanchez sur le coït fornicateur interrompu et ne paraît pas voir l’opposition qu’il y a en cette matière entre les relations conjugales et les relations extraconjugales.
Sanchez croit, selon la théorie de Galien, que la femme comme l’homme émet une semence et que la conception naît du mélange de ces deux semences. Le fait que l’un des conjoints émette sa semence sans laisser à l’autre le temps d’émettre la sienne constituerait donc un acte de contraception.
On s’est demandé sur quoi était fondée la théorie de Galien et si la semence féminine était censée être émise dans les débuts de l’accouplement ou au moment de l’orgasme. S’il faut choisir, plusieurs raisons me poussent à préférer la seconde interprétation. Sanchez consacre d’ailleurs une longue et intéressante discussion au fait de savoir si, lorsque l’homme abandonne sa femme avant le moment où elle doit émettre sa semence, cela constitue un péché grave. C’est là une piste intéressante pour la connaissance de l’accord charnel aux différentes époques, et elle doit être suivie. Dans le texte que je cite, lorsque Sanchez écrit « ou que le risque de la jeter soit devenu inévitable », il fait implicitement, me semble-t-il, un parallèle entre les prémices de l’éjaculation chez l’homme et de l’orgasme chez la femme.
Sanchez, à l’article précédent, vient de prouver que, même sous peine de mort, on doit refuser la fornication.
Il a prouvé aussi — et cela montre son habileté dans la discussion — qu’en cas de péril grave, on pouvait interrompre le coït légitime, même si cela entraîne une éjaculation extra vas, car on a plus de devoir envers sa propre vie qu’envers la vie potentielle de l’enfant à naître.
Cf. De sancto matrimonii sacramento, livre IX, dispute XIX, q. 7.
Cf. Journal de l’Estoile, à la date du 16 mars 1611, éd. André Martin, Paris, Gallimard, 1960, t. III, p. 230. Ce n’est d’ailleurs pas ce que Sanchez dit du coitus interruptus qui scandalisa l’Estoile et ses contemporains, mais les pages abondantes et précises consacrées à la sodomie.
Cf. l’ensemble du livre de Noonan et, en particulier, les chap. III, IV et VI.
Quoique peu d’historiens-démographes l’affirment explicitement, rappelons que beaucoup le laissent croire et que Le Roy Ladurie le dit pour sa part nettement.
Beaucoup de témoignages, comme l’Heptameron de Marguerite de Navarre, émanent d’auteurs favorables à la Réforme. Est-ce une raison pour les récuser ? Si la position réformée a des fondements théologiques plus profonds, les manquements au célibat ecclésiastique l’expliquent aussi, et les réformés n’ont pas de peine à jouer de cette hostilité au célibat dans leur propagande.
P. Goubert, dans sa thèse (p. 204-205), indique qu’entre 1650 et 1679, dans le diocèse de Beauvais qui comprenait 432 paroisses, plus de 400 prêtres firent l’objet d’une information ou d’un procès en règle devant l’officialité. Mais les accrocs au célibat ecclésiastique n’entrent que pour une part dans ces délits, une part qu’il dit importante sans préciser numériquement cette importance. E. Brouette, d’autre part, nous a donné en 1956, dans la Revue belge de philologie et d’histoire (p. 1067-1072), une étude sur « Les excessus et incontinentiae clericorum dans l’archidiaconé liégeois de Hainaut (1499-1570) ». Selon mes calculs, entre 1499 et 1504, il y a pour l’ensemble du diocèse, chaque année, environ 15 % des curés résidants qui sont frappés d’une amende pour excessus et incontinentiae. La proportion diminue à partir du milieu du siècle, mais on est alors en un temps troublé où la surveillance se relâche peut-être.
On lit par exemple dans les Caquets de l’accouchée, écrits au temps de Louis XIII, le dialogue suivant : « Qui commença la querelle, ce fut la mère de l’accouchée, qui estoit assise proche du chevet du liet, à côté droiet de sa fille, qui respondoit combien sa fille avoit d’enfans, et si c’estoit le premier ? — Vramy, mademoiselle, c’est le septiesme, dont je suis fort estonnée. Si j’eusse bien pensé que ma fille eust esté si vite en besogne, je lui eusse laissé gratter son devant jusques à l’âge de vingt-quatre ans sans estre mariée » (Éd. Marpon et Flammarion, 1890, p. 12). Sur le mariage des domestiques, on trouve dans le même texte, cette indication : « Et moy donc, ce dit une servante… je suis plus à plaindre que vous autres : car autrefois, quand nous avions servi huit ou neuf ans, et que nous avions amassé un demy-ceint d’argent et cent escus comptans … nous trouvions un bon officier sergent en mariage, ou un bon marchand mercier. Et à présent, pour notre argent, nous ne pouvons avoir qu’un cocher ou un palefrenier, qui nous fait trois ou quatre enfants d’arrache-pied, puis, ne les pouvant nourrir, pour le peu de gain qu’ils font, sommes contraintes de nous en aller servir comme devant » (ibid., p. 14-15).
Au XIVe siècle, le dominicain John Bromyard observe dans un de ses sermons que lorsqu’on reprochait aux fornicateurs de ne pas se marier, les uns répliquaient qu’ils étaient ainsi et ne pouvaient avoir de femmes ; d’autres disaient qu’ils se marieraient « s’ils avaient une maison à laquelle ils pourraient prendre une femme » ; d’autres encore qu’ils n’auraient pas assez pour vivre avec une descendance (Summa praedicantium, éd. Nuremberg, 1485, « Luxure », 28, cité par Noonan, p. 294 de son livre).
Je veux dire que les célibataires de tous âges ont dû chercher des satisfactions sexuelles auprès des prostituées, ou dans l’adultère et dans des pratiques « contre nature » comme l’homosexualité, la bestialité, la masturbation solitaire, des flirts poussés, etc. Toutes ces pratiques nous sont connues par quantité de documents judiciaires, ecclésiastiques, littéraires, médicaux et folkloriques, et leur existence est attestée dès le Moyen Age. D’autre part, il y a eu aussi, de plus en plus fréquemment sans doute entre le XVIe siècle et le milieu du XXe le coït interrompu. On doit lui accorder une attention particulière, puisque c’est lui qui paraît avoir été utilisé par les ménages français malthusiens du XIXe siècle, et non pas les techniques contraceptives que les prostituées s’étaient transmises depuis l’Antiquité.
Le coït interrompu, même s’il nous paraît simple et efficace, ne pouvait être réinventé par n’importe qui, dans n’importe quel milieu, à n’importe quelle époque. Pour que la « révolution malthusienne » s’accomplisse en France, il a fallu qu’apparaisse un ensemble de circonstances favorables, dont la connaissance de cette technique. Je suggère ici qu’avant de l’utiliser dans le mariage, les conjoints de la seconde moitié du XVIIe siècle l’ont apprise dans des relations illégitimes d’un certain type : relations où l’homme est prêt à s’imposer un sacrifice pour complaire à la femme et protéger sa réputation. Et puisqu’il semble que le coït interrompu a été utilisé dans les milieux aristocratiques avant de l’être dans les milieux populaires, je suppose que les domestiques ont joué un rôle important dans l’histoire de sa transmission. Mais il ne s’agit encore que d’une hypothèse.
J.-L. Flandrin, Familles : parenté, maison, sexualité dans l’ancienne société, Paris, Hachette, coll. « Le temps et les hommes », 1976, 284 p., p. 120-128.
Éphésiens, 5, 22-24 : « Femmes, soyez soumises à vos maris, comme au Seigneur ; car le mari est le chef de la femme, comme le Christ est le chef de l’Église, qui est son corps, et dont il est le Sauveur. Or, de même que l’Église est soumise à Christ, les femmes aussi doivent l’être à leurs maris en toutes choses. »
I Corinthiens, 7, 2-4.
Par exemple. P. Lombard, Sententiarum libri quatuor, distinctio XXXII : « Sciendum etiam est quia cum in omnibus aliis vir praesit mulier ut caput corpori (est enim caput mulieri, I. Cor. 11) in solvendo tamen carnis debito pares sunt. »
Voyez, par exemple, l’explication entortillée d’un théologien du XVIe siècle : « Ils sont égaux dans la puissance susdite, ce qui ne doit pas être compris de l’égalité quantitative comme de deux coudées à deux coudées, car cette égalité ne signifie pas que l’homme et la femme soient égaux en mariage ; ni dans l’acte lui-même, puisque l’homme est actif et la femme passive et qu’en cela l’homme est donc plus noble ; ni non plus dans l’administration de la maison, puisque l’homme gouverne et que la femme est gouvernée, d’où l’homme est dit chef de la femme, non la femme de l’homme… l’homme n’est pas non plus fait pour la femme, mais la femme pour l’homme. Ils sont cependant égaux selon l’égalité de proportion, c’est-à-dire… comme du double au double, parce que le plus grand double n’a pas une proportion plus grande ou plus petite au simple de lui-même que le plus petit double à son simple, bien que l’un des doubles ait une plus grande quantité que l’autre. Ainsi l’homme et la femme sont égaux quant à la proportion, car de même que l’homme est tenu à l’épouse dans l’acte conjugal et l’administration de la maison selon ce qui est de l’homme, ainsi l’épouse à l’homme selon ce qui est de la femme… » (J. Viguerius, Institutions theologicae, Paris, 1580, p. 640-641, « De redditione debiti matrimonia-lis »).
D. Soto, In quartum sententiarum commentarii, Louvain, 1573, d. 32, s. 1, art. 2.
Les lecteurs plus jeunes que moi me corrigeront éventuellement sur ce point si les attitudes sexuelles se sont transformées à cet égard au cours des dernières décennies.
T. Sanchez, De sancto matrimonii sacramento, Anvers, 1607, 3 tomes in-folio, t. III, livre IX, dispute 2, no 4.
Viguerius, loc. cit. : « … vir et mulier non sunt aequales in matrimonio, nec in actu ipsius, quia vir est agens et mulier patiens. Ideo quod est nobilius debetur viro. » Cette relation causale est évidemment naïve : le rôle actif n’était en réalité considéré comme plus noble, dans cette société, que dans la mesure où il caractérisait l’homme vis-à-vis de la femme. Dans les relations sociales, au contraire, ceux qui consommaient sans travailler étaient considérés comme plus nobles que ceux qui s’activaient à produire.
Sylvestre, Summa summarum (éd. de Lyon, 1593), verb. DEBITUM, 6 : « Modus naturalis, quantum ad situm, secundum omnes est ut mulier jaceat in dorso, et vir super ventrem eius incubat, observons ad seminandum vas debitum. »
Sanchez, op. cit., livre IX, d. 16, no 1.
Ibid. : « Est enim naturale viro agere, feminae vero pati : vir autem succubans, quantum est ex ipsa situs forma patitur, et femina incubans agit : quam mutationem quantum natura ipsa abhorreat, quis non videat ? Quinto, quia in historia scholastica. ca. 31. super Genesim ex Metodio dicitur, diluvii causam fuisse feminas in insaniam versas, abusas fuise viris, illis incubentibus, his succubis. Et confirmatur. Quia teste Abulense statim referendo, aliqui de hoc modo congresso exponunt locum illum D. Pauli ad Roman. 1. Feminae eorum immutaverunt naturalem usum, in eum qui contra naturam est. Quod inter peccata lethalia Paulus ibi annumerat. »
Genèse, 6, 1-7.
Romains, 1, 26-27 : « C’est pourquoi Dieu les a livrés à des passions infâmes : car leurs femmes ont changé l’usage naturel en celui qui est contre nature ; et de même les hommes, abandonnant l’usage naturel de la femme, se sont enflammés dans leurs désirs les uns pour les autres, commettant homme avec homme des choses infâmes. »
C’est le cas de l’accès arrière, dénoncé avec une particulière fréquence pendant le haut Moyen Age. Ainsi par Burchard de Worms : « T’es-tu accouplé avec ton épouse ou avec une autre par-derrière, à la manière des chiens ? Si tu l’as fait, ta pénitence sera de dix jours au pain et à l’eau » (Décret, livre XIX, cap. 5). Plus explicite, Sanchez écrivait au XVIIe siècle : « Puisque la nature prescrit cette manière aux bêtes, l’homme qui en prend le goût devient semblable à elles » (loc. cit., no 1, 3°).
Par exemple Brantôme, Dames galantes, Éd. Rat, p. 32. Voir ci-dessus p. 119-120.
A.-C. Ducasse-Kliszowski, Les Théories de la génération et leur influence sur la morale sexuelle du XVIe au XVIIIe siècle, mémoire de maîtrise de l’université de Paris VIII, juin 1972, 88 pages dactylographiées. Dans tout ce qui suit, j’emprunte largement à cette étude.
C. Galien, De semine, livre II, ch. I et IV.
Aristote, Génération des animaux, Paris, Les Belles Lettres, coll. « Budé », 1961, passim.
Saint Jérôme, Sur Ephésiens. v. 30 ; saint Augustin, De Genesis ad litteram, X, 18, 32.
Les Secrets des hommes et des femmes composez par le Grand Albert, traduit de latin en françois, Paris s.d. (XVIe siècle), in-16, 127 p.
« Selon l’avis d’un grand nombre [d’auteurs], la semence de la femme est nécessaire ou du moins elle apporte beaucoup à la génération, la nature ne faisant rien sans motif » (A. de Liguori, Theologia moralis, livre VI, t. VI, c. 2, q. 919).
Par exemple A. de Liguori : « Si autem vir jam seminaverit, dubium sit an foemina lethaliter peccet, si se retrahat a seminando ? » (ibid., q. 918). Ou, plus explicitement, B. de Fumes : « Quand l’un émet sa semence, l’autre ne l’émettant pas, dans l’intention d’empêcher la génération … c’est péché contre nature » (Aurea Armilla, verb. LUXURIA, no 5).
A. Paré, Œuvres complètes, Paris, 1585, t. III.
Sanchez, op. cit., livre IX, disp. 17, no 7 : « Prima conclusio : Sanum est concilium curetur simul utrumque semen effundi ; quare conjugi tardiori ad seminandum, consulendum est ante concubitu ut tactibus venerem excitet, ut vel sic possit in ipso concubitu simul effundere semen… Et ratio est, licet semen muliebris non sit ad generationem necessarium, multum tamen confert ad facilius generandum… »
Sanchez, op. cit., livre IX, d. 45, no 38.
Bossius, De matrimonii contractu tractatus (2 tomes, Lyon, 1655-1658), « De effectibus contractus matrimonii », no 55 : « cum frequentius viri quia robustiores, prius seminent… » ; Liguori (loc. cit., q. 919) : « cum frequentius viri, quia calidiores, prius seminent… » ; etc.
Sanchez, loc. cit., d. 17, no 12.
Sanchez, ibid. ; et Liguori : « Si mulieres post talem irritationem tenerentur naturam compescere, essent ipsae jugiter magno periculo mortaliter peccandi, cum frequentius viri, quia calidiores, prius seminent — sed haec ratio non suadet, nam si hoc permitteretur uxoribus, deberet permitti etiam viris, casu quo mulier se retraheret post suam seminationem, et vir maneret irritatus… » (loc. cit. q. 919).
Sur ces questions, voir J.-L. Flandrin, L’Eglise et le Contrôle des naissances, Paris, Flammarion, coll. « Questions d’histoire », no 23, 1970, 139 p.
H. Van der Berg, Metabletica, ou la Psychologie historique, traduction française publiée chez Buchet-Chastel, 1961. Voir, plus haut, les commentaires d’A. Besançon, p. 237 et suivantes.
Certains textes médiévaux semblent pourtant attester une volonté d’éloigner les enfants des « secrets » sexuels. Ainsi, le traité d’Albert le Grand sur les « secrets des femmes », dont je cite ce passage dans une traduction du XVIe siècle : « Ains ay voulu satisfaire à vostre soigneux appétit et courage escrivant ce petit traicté, priant vostre constance qu’en cet œuvre et négoce soyez constant et secret, afin que ne permettez tenir les jeunes enfans d’aage et de mœurs à la cognoissance des choses cy devant escrites … » Il est vrai qu’Ariès reconnaît aux moralistes, dès le Moyen Age, une conscience de l’innocence enfantine. Ce texte, d’ailleurs, confirme ce qu’Ariès nous dit de la confusion qui s’établit dans le vocabulaire médiéval entre l’enfance biologique et la dépendance. Le commentaire médiéval de ce passage est encore plus explicite : « L’autheur dit icy qu’il n’est pas bon que jeunes enfans d’aage et de condition voyent ce livre, pourceque jeunesse et imprudence sont naturellement prompts et enclins à mal plustost qu’à bien … »
R. Mercier, L’Enfant dans la société du XVIIIe siècle, thèse complémentaire, 1947, Paris, 1961, in-8° (BN : 4° Z 5411).
F. de Dainville, La Naissance de l’humanisme moderne.
Cf. les articles de F. de Dainville dans la revue Population, 1955, p. 455-488, et 1957, p. 467-494.
Sur l’histoire scolaire, l’ouvrage de R. Hubert, Histoire de la pédagogie (Paris, 1949, 404 p.), admet que l’internat est devenu la règle, à partir du XVe siècle, pour tous les étudiants de la faculté des arts. Sur l’histoire de la famille, l’ouvrage d’E. Pilon, La Vie de famille au XVIIIe siècle (Paris, 1941, in-8°), est édifiant.
Cf., dans La Prévention des naissances dans la famille (Travaux et documents de l’Institut national d’études démographiques, cahier no 35), le chapitre X écrit par P. Ariès.
Idem.
J. Calvet, L’Enfant dans la littérature française, Paris, 1941, 2 vol. in-16°.