Introduction

« Venez vite ! Il y a un terroriste dans la préfecture ! Il a déjà poignardé plusieurs collègues », s’écriait le jeudi 3 octobre 2019, un peu avant 13 heures, une jeune femme effarée courant en direction d’un gardien de la paix tout juste diplômé de l’école de police.
Un vent de fureur barbare venait alors de s’abattre sur la préfecture de police de Paris.
Mickaël Harpon, 45 ans, un agent administratif à la direction du renseignement de la préfecture de police (DRPP), habilité « secret-défense », converti à l’islam radical depuis une dizaine d’années, venait de massacrer au couteau quatre de ses collègues. En à peine sept minutes.
Un attentat de plus et de trop qui, à l’instar de celui qui avait frappé nos confrères de Charlie Hebdo en 2015, revêtait une dimension symbolique, les Français prenant une fois de plus cruellement conscience du réel, à savoir que le cœur même de notre société – en l’occurrence une structure du renseignement – était infiltré par des islamistes.
La préfecture de police de Paris, l’un des poumons du renseignement civil français, abritait donc un terroriste islamiste ! À quelle mouvance appartenait-il ? Qui fréquentait-il à la mosquée de Gonesse, « tenue » par un imam salafiste ? Avait-il communiqué le nom d’agents du renseignement à des filières jihadistes ? Était-il en contact à la fois avec des éléments et des prédicateurs liés à la mouvance des Frères musulmans et des agitateurs salafistes, comme l’ont indiqué plusieurs « sources autorisées » ? Pourquoi, enfin, ses positions radicales n’avaient-elles fait l’objet d’aucun signalement ?
Tant de questions qui ne se seraient peut-être jamais posées si, dès 2015, alors qu’il justifiait l’attentat contre Charlie Hebdo , il avait été muté dans un service moins sensible, voire démis purement et simplement de ses fonctions.
Le « paradoxe islamiste » : dissimulation tactique et stratégie de conquête
Harpon dénonçait l’« islamophobie » de l’Occident. Il se sentait « exclu » en raison de son handicap, de sa couleur et de son islamité. Il mentait d’une façon inouïe en dénonçant le jour le jihadisme de Daech et en visionnant des vidéos de décapitations la nuit. Il n’est pas venu au radicalisme via Internet uniquement, mais aussi en fréquentant une mosquée et des imams « fréro-salafistes », oscillant tout comme Oussama Ben Laden et ses maîtres, pairs et disciples, entre l’idéologie de l’organisation des Frères musulmans et le jihadisme salafiste-wahhabite.
Rappelons que dans la mosquée de Gonesse, dite « de la Fauconnière », prêchaient Youssef Baouendi, le chef du bureau de l’organisation de la Ligue islamique mondiale à Mantes-la-Jolie (organisation qui diffuse l’islam salafiste-wahhabite saoudien), ainsi que l’imam islamiste Hassan El Houari, proche de la mouvance des Frères musulmans.
Tout un écosystème !
Lors d’un prêche datant de septembre 2019, ce dernier se déclarait ainsi favorable à la création d’un État islamique « soft » régi par la charià . Et bien qu’il soit membre du Conseil théologique musulman de France (CTMF) directement lié à l’association Musulmans de France (ex-UOIF, mouvance française des Ikhwan 1 , ce sur quoi nous allons revenir dans ce livre), bien que sur son compte Facebook il arbore le signe de ralliement des Frères musulmans (quatre doigts de la main levés et un pouce rabattu, appelé Rabia) et exhibe des portraits de Qardaoui, l’idéologue majeur des Frères, et bien qu’enfin, il ait été diplômé de l’IESH, l’Institut de formation d’imams des Ikhwan , notre homme affirmait sans complexe, quelques jours après l’attentat, que lui et le CTMF n’avaient rien à voir avec les Frères musulmans !
Rien de vraiment surprenant, pourtant. Car avant même les salafistes-jihadistes, capables de nier leur foi et leurs convictions afin de tromper l’ennemi, les Frères musulmans ont été les précurseurs de la stratégie de la dissimulation et de l’infiltration.
Ainsi, de même que des jihadistes tels que Harpon ont dissimulé leurs intentions et leur radicalisme avec une duplicité déconcertante, de même des islamistes fréristes comme El Houari sont capables de nier leur appartenance à la confrérie – y compris s’ils sont pris en flagrant délit – alors que tout les relie à cette nébuleuse. Un classique au sein de la mouvance islamiste pour qui le mensonge envers les mécréants est considéré telle une action nécessaire.
Autre classique, qui soulève la vulnérabilité majeure de nos démocraties : le laxisme judiciaire et la dévalorisation de l’intérêt national et des fonctions régaliennes.
La mosquée de Gonesse fréquentée par Mickaël Harpon a été ainsi codirigée par un « imam adjoint » marocain en situation irrégulière et fiché S, Ahmed Hilali, 35 ans, sous le coup, depuis 2017, d’une « obligation de quitter le territoire français » (OQTF) après avoir été exclu d’une mosquée de Sarcelles avec pertes et fracas. L’homme était de surcroît connu pour ses liens avec des délinquants.
Ubuesque, mais vrai, à l’image de nos institutions qui n’agissent pas suffisamment, paralysées par la peur de se voir qualifiées d’« islamophobes ». L’« imam adjoint » de la mosquée de la Fauconnière de Gonesse n’a de fait jamais été expulsé de France malgré sa dangerosité idéologique connue, sa situation irrégulière et sa collusion avec des voyous et des salafistes. Il a même fini par bénéficier d’un titre de séjour après être parvenu, en tant que père d’un enfant né en France, à faire abroger son OQTF.
Beaucoup de choses peuvent encore être dites sur le terrible drame de la tuerie de la préfecture de police de Paris, notamment sur le volet de la « guerre du renseignement », car les jihadistes et les islamistes fréristes ont durablement réussi à infiltrer nos démocraties.
Beaucoup peut aussi être dit et déploré sur la façon dont ils parviennent à livrer leur guerre de l’ombre en utilisant nos lois.
Des milliers de militants fréro-salafistes comme Hilali et El Houari se jouent ainsi de nos libertés et de nos principes de tolérance, dans l’optique avouée – et écrite, comme nous le démontrons dans ce livre – d’islamiser et de conquérir nos sociétés.
Si l’on veut donc comprendre le « paradoxe islamiste », à savoir comment l’on a pu en arriver à être infiltrés puis subvertis par ceux-là mêmes qui obéissent à des organisations qui ont pourtant annoncé la couleur dans leurs textes, tels les totalitaires nazis et les communistes, il est nécessaire de se pencher sur les causes lointaines du phénomène – et de sa « matrice » doctrinale et organisationnelle qu’est l’islam politique et révolutionnaire des Frères musulmans, confrérie qui a déstabilisé la plupart des pays arabes, conquis la Turquie, et qui a fait des petits dans le Golfe, le Maghreb, le Pakistan et l’Asie du Sud, mettant à mal l’Europe, à commencer par la France.
Le présent ouvrage a ainsi pour objectif de démontrer que les Frères musulmans constituent la matrice du totalitarisme islamiste et que cette organisation islamiste mondiale, puissante et incontournable, évolue depuis son origine entre islam politique « soft » et jihadisme, déployant avec une efficacité maintes fois avérée une stratégie planétaire d’infiltration et de conquête fondée sur la duplicité, la dissimulation ( takiya ) et le victimisme. Ces « ingrédients » se retrouvent tous dans le profil du terroriste-policier Harpon. Il n’existe pourtant aucun ouvrage comme celui qu’il vous est donné de lire ici, car le travail des deux auteurs a pour objectif de décrire de façon très précise la matrice doctrinale ou continuum idéologique qui inspire tant les « coupeurs de têtes » (« jihadistes ») qui ensanglantent les capitales du monde entier depuis plus de trente ans – d’Alger à Bagdad en passant par l’Inde, l’Europe, les États-Unis, l’Afrique – que les « coupeurs de langues » (islamistes institutionnels, « modérés »), lesquels instrumentalisent les valeurs des sociétés pluralistes pour asseoir progressivement un califat universel.
Les auteurs entendent également mettre en garde les responsables des sociétés « ouvertes » occidentales contre les VRP de la charià et leurs alliés en costumes-cravates qui répandent dans les journaux ou sur les plateaux de télévision leurs concepts fourre-tout d’islamophobie dès lors que l’on ose critiquer l’islamisme et ses théoriciens, ou que l’on s’érige contre le séparatisme musulman et ses symptômes que sont les exigences de non-mixité, de halal ou de voiles islamiques dans les lieux publics.
Car ces adeptes de l’« islamistement correct » agissent objectivement ou subjectivement en bras médiatique et culturel, voire en « facilitateurs » du totalitarisme islamiste au nom duquel les terroristes ont frappé nos jeunes au Bataclan le 13 novembre 2015, ensanglanté Nice le 14 juillet 2016, égorgé en pleine messe le père Jacques Hamel le 26 juillet 2016, assassiné le colonel – et héros – Arnaud Beltrame le 24 mars 2018, et plus récemment les quatre fonctionnaires du renseignement dont nous parlions plus haut. Sans compter les centaines de milliers de musulmans, premières victimes de l’islamisme totalitaire, tués par ceux qui ne les trouvent jamais « assez musulmans ».
La mise en garde est d’autant plus nécessaire que ces attentats récurrents contre des cibles occidentales font dire à chaque fois aux belles âmes et aux idiots utiles du fascisme vert que le jihadisme barbare ne serait qu’une « réaction » à la « persécution » des musulmans et à l’« islamophobie » ; que le « vrai islam » et la « vraie charià  » n’auraient « rien à voir » avec l’islamisme radical, et que l’« islamisme politique » n’aurait lui-même « rien à voir » avec le jihadisme.
Cette stratégie de retournement des responsabilités, qui permet aux partisans d’un islam orthodoxe d’être exemptés de faire le moindre travail d’autocritique et de réforme des textes, et qui empêche de guérir cette « maladie de l’islam » diagnostiquée par l’intellectuel tunisien Abdelwahab Meddeb, est chère aux Frères musulmans, professionnels du victimisme et de la « guérilla rhétorique », qui savent instrumentaliser à merveille la mauvaise conscience postcoloniale européenne.
Une rhétorique de Diabolisation/Culpabilisation/Retournement (DCR) qui leur permet de faire oublier que les pires massacres jihadistes sont commis entre musulmans (Pakistan, Afghanistan, Yémen, Irak, Burkina Faso, Mali, Nigeria, Soudan, Somalie, etc.) dans des pays où l’« islamophobie » n’existe pas et où, au contraire, des musulmans dominent ou persécutent des non-musulmans – exception faite de la Syrie et du Liban.
Les auteurs s’attachent ainsi à souligner que le terrorisme islamiste ne doit pas être réduit à ses « petits soldats » jihadistes, souvent recrutés en Occident au sein de milieux marginaux ou en terre musulmane au sein d’une jeunesse désœuvrée, désespérée et endoctrinée depuis des décennies de « réislamisation ». Ces mains droites du terrorisme islamiste, ainsi que leurs officiers et théoriciens, ne forment en fait que la face émergée de l’iceberg islamiste totalitaire, dont les fondements idéologiques, institutionnels, théologiques et parfois étatiques doivent être scrutés et désoccultés, faute de quoi il est impossible de comprendre « d’où parlent » les « coupeurs de têtes », souvent formés doctrinalement par des « coupeurs de langues » comme les Frères musulmans qui ont presque réussi, en Occident, à faire oublier leur rôle de matrice originelle du totalitarisme vert dans ses dimensions politiques, associatives et même jihadistes.
Les auteurs estiment également que l’étude du jihadisme ne peut pas faire l’économie de celle du « continuum » qui le fait découler d’une matrice idéologique fréro-salafiste et d’une souche virale théologique inhérente à une vision obscurantiste d’une orthodoxie sunnite jamais réformée depuis le X e  siècle. Le totalitarisme doit donc être étudié dans le contexte originel qui fut, au début du XX e  siècle, celui de la Société des Frères musulmans, créée en 1928 par Hassan Ibn Ahmed Ibn Abd al Rahman al-Banna, dit Hassan al-Banna.
Ce livre démontre ainsi, preuves à l’appui, que ce sont des doctrinaires « fréristes » qui ont formaté les visions et influencé la praxis de la plupart des mouvements terroristes sunnites – et parfois même chiites –, d’Al- Qaida, créée par le Palestinien Abdallah Azzam, le Saoudien Oussama Ben Laden et l’Égyptien Al- Zawahiri, à Daech, avec son « calife » autoproclamé Abou Bakr al- Baghdadi, sans oublier le Hamas palestinien, qui fait régner une terreur psychologique et physique à Gaza.
Trop souvent exonérée, voire dédouanée grâce aux discours lénifiants d’un Tariq Ramadan ou au travail de sape de façades « démocratiques » fréristes dans le monde arabe – Ennahda en Tunisie, PJD au Maroc, AKP en Turquie, PJL en Égypte – ou en Occident (UOIE en Europe, CAIR aux États-Unis), la matrice islamo-totalitaire des Ikhwan doit par conséquent être désoccultée, son discours suprématiste, séparatiste et victimaire révélé, et sa double nature politico-subversive et prototerroriste exhumée.
Les auteurs s’attellent enfin à faire la lumière sur les multiples ramifications associatives, caritatives, partisanes et financières des Frères musulmans qui ont influencé et accompagné la plupart des organisations terroristes islamistes contemporaines, qu’il s’agisse du GIA, de Boko Haram, de Daech ou d’Al-Qaida, et pas seulement les vitrines présentables, supposées « démocratiques » des Frères qui se présentent en Occident, sous couvert de « droit à la différence » et de défense des « minorités persécutées », comme des « progressistes-antiracistes », soutenus par les forces révolutionnaires de gauche athées « bonnistes 2  », dont les pulsions xénophiles, tiers-mondistes et antioccidentales semblent plus fortes que leur aspiration à la cohérence. N’en déplaise à ces idéologues, les islamistes ne sont assurément pas leurs amis et ne les paieront jamais en retour. Les nationalistes laïques, comme les forces révolutionnaires de gauche et communistes en Iran, qui furent massacrées juste après avoir prêté main-forte à l’ayatollah Khomeiny, en savent quelque chose. Ceux qui, parmi eux, ont survécu aux campagnes d’éradication du « Frère musulman chiite » qu’était Ruhollah Khomeiny se mordent encore les doigts d’avoir parié sur une alliance rouge-vert contre nature.
D’évidence, la matrice du totalitarisme islamiste ne se limite pas au « salafisme* » pur et dur des jihadistes et même au salafisme « monarchique » ou « piétiste » propagé par l’Arabie saoudite wahhabite* et sa Ligue islamique mondiale*. Elle remonte pour une très large part à l’organisation des Frères musulmans, elle-même issue d’une forme hybride et particulièrement duplice de salafisme hanbalite, soi-disant « réformiste ».
Longtemps appuyée par les Saoudo-wahhabites, avant de l’être par d’autres États « amis » de l’Occident comme le Qatar, la Turquie d’Erdogan ou encore le Koweït, la confrérie est parvenue en moins de quatre-vingt-dix ans, aux côtés d’autres « pôles » de l’islamisme conquérant (Pakistan, Arabie saoudite, Qatar, etc.), à toucher idéologiquement l’ensemble des sociétés arabo-islamiques en faisant prédominer, jusqu’au cœur théologique de la plus haute autorité du sunnisme – à savoir l’université islamique Al-Azhar au Caire –, une conception rétrograde, révolutionnaire, subversive, théocratique et néo-impérialiste de la religion islamique, fondée notamment sur le mythe néo-impérial du « califat » et l’obsession la charià .
La « sève de l’islamisme mondial »
Pour Zidane Meriboute, docteur en relations internationales, l’un des meilleurs connaisseurs de La Confrérie 3 , les Frères musulmans constituent en fait «  la sève vitale de l’islamisme mondial  » 4 et l’objectif premier du fondateur de cette organisation foncièrement métapolitique – « gramsciste » avant l’heure – est «  l’éducation des jeunes dans l’islamisme de la ‘da’awa salafi » (« prédication salafie ») , donc de «  l’islam sunnite purifié  » 5 . Cette première approche montre d’emblée à quel point il est erroné d’opposer, comme on le fait trop souvent dans les pays occidentaux (qui ont donné aux Frères pignon sur rue), les « islamistes salafistes » (« extrémistes ») aux « islamistes réformistes » (« modérés ») que seraient les Ikhwan , en réalité eux-mêmes représentants de la salafiya , le salafisme originel. Le but de La Confrérie est en fait de «  créer un homo islamicus recouvert d’un vernis moderniste », poursuit Meriboute. Or, « pour atteindre ce but, Hassan al-Banna et ses successeurs se sont inspirés des méthodes d’initiation prônées par des ordres soufis salafis . (…) Là où le mouvement s’implante, il crée ses propres syndicats, ses associations d’étudiants, de médecins, de travailleurs, d’avocats ou d’ingénieurs, ses banques, ses médias, ses journaux, etc. (…). Les Frères exhortent les régimes musulmans à rejeter en bloc la laïcité, vue comme un « blasphème », une « apostasie », puis à appliquer la charià sous le gouvernement d’un califat suprême » 6 .
On est en réalité très loin d’un islamisme « réformiste » et « modéré ». De ce fait, on ne peut que donner raison à ceux qui préfèrent parler « d’islamisme fréro-salafiste » afin de montrer la communauté de vues entre salafistes officiels (hanbalites, wahhabites saoudiens « quiétistes »), salafo-jihadistes et Frères musulmans, dont le prétendu « réformisme » est le contraire de la Réforme telle qu’on l’entend en Europe, puisque les Frères l’ont conçue comme un retour à l’islam des « pieux ancêtres » ( salaf ), auxquels le « vrai » musulman devrait se référer pour retrouver « l’islam pur des origines » dont l’objectif est de faire régner les lois de Dieu partout sur la Terre après avoir combattu et/ou subverti les lois et valeurs du reste du « monde de la mécréance », lequel, assimilé au Mal, ne fait qu’un ( «  Kufru millatûn wahida  »).
Tel qu’inculqué par La Confrérie et la littérature de son fondateur Hassan al-Banna, le développement de la foi islamique se subdivise en plusieurs « étapes », de l’endoctrinement de l’individu dès son plus jeune âge à l’école, jusqu’à l’échelon panislamique mondial, objectif ultime, en passant par les cadres familial, national et califal. L’objectif de réislamisation et de conquête islamique universelle est censé se dérouler en sept phases : 1/ à la base, « l’individu musulman », 2/ le « foyer musulman », 3/ le « peuple musulman », 4/ le « gouvernement islamique », 5/ le «  Califat islamique », phase qui précédera 6/ la « reconquête de l’Occident », puis enfin 7/ la domination universelle ou « le Tamkine * planétaire ».
Le projet Tamkine ou « Tamkine planétaire », objectif ultime des Ikhwan devant déboucher à terme sur le Califat universel, désigne la stratégie d’islamisation globale secrète des Frères musulmans. Longtemps demeuré secret, ce plan néo-impérial d’islamisation mondiale a été décrypté par la police égyptienne en 1992 lorsqu’elle mit la main sur le «  document de Tamkine  », un texte secret de treize pages dont le programme consistait, à travers un vaste réseau d’institutions, à faire accéder les Ikhwan au pouvoir, aux niveaux local, régional, national et mondial, après avoir répandu à tous les échelons et par « étapes », l’idéologie néo-califale et chariatique de Hassan al-Banna, partout où vivent des membres de la «  Oumma * ».
Cette stratégie d’entrisme et de conquête asymétrique « par étapes », via la dissimulation initiale des vrais objectifs suprémacistes/conquérants, passe, en milieu « hostile-mécréant », par l’utilisation du mensonge et du double discours. Pour ce faire, les Frères puisent dans la Tradition islamique des pieux « prédécesseurs » ( salaf ) et de la charià les sources de légitimation de la manipulation vertueuse que sont la «  taqiya  », la dissimulation des vraies intentions en milieu « impie » » ; la moudara , mensonge pieux ou politesse simulée visant à imposer progressivement ses convictions tout en les niant afin de faire baisser la garde à l’infidèle ; le ta’rid , qui consiste à dispenser une « vérité » de façon équivoque pour faire comprendre le contraire au « mécréant » – en l’occurrence l’occidental –, ou encore le kitman , qui invite à ne dire qu’une partie de la vérité, comme le fait de ne citer que les passages pacifiques du coran de la période mecquoise tout en sachant que ceux-ci ont été abrogés par les versets belliqueux médinois post-hégire 7 . Exemple de dissimulation très courante chez les Frères musulmans en Occident, nombre de membres de l’UOIF/MF, la principale structure de représentation de l’islam français liée aux Ikhwan , nient leur appartenance à La Confrérie en jouant sur le fait que l’on peut en effet adhérer moralement et idéologiquement à la nébuleuse frériste sans en être formellement membre – ce qui permet de nier en toute mauvaise foi l’appartenance aux Frères. À la suite de Tariq Ramadan (voir chapitre II ), qui a toute sa vie démenti son appartenance à La Confrérie tout en consacrant sa carrière à la diffusion de la pensée de son fondateur (son grand-père maternel Hassan al-Banna), le médiatique « imam de Bordeaux », Tareq Oubrou, ex-membre de l’UOIF frériste, a expliqué publiquement que le changement de nom officiel de l’UOIF en 2017, en Musulmans de France (MF) témoignait d’une volonté de « s’éloigner des Frères musulmans » 8 , ceci alors même qu’en avril 2017, le président de l’ex-UOIF/MF, Amar Asfar, déclarait : «  Nous ne faisons pas partie des Frères musulmans. En revanche, nous nous inscrivons dans leur courant de pensée », ajoutant que son mouvement représente « surtout l’islam de France  » 9 . Dans une interview accordée à Egypt Today  en 2004, Tariq Ramadan avait d’ailleurs donné le ton et la méthode qui consistent à édulcorer les revendications obscurantistes pour les faire accepter avec ce stratagème : «  Le terme charià est mal vu dans l’esprit des Occidentaux (…). Ce n’est pas nécessaire de mettre l’accent là-dessus. […] Pour le moment, ce n’est pas comme ça qu’on veut être perçus  » 10 .
Aujourd’hui, les Frères musulmans ont pignon sur rue en Europe, en France et partout dans les sociétés occidentales, dont ils sont pourtant les pires ennemis civilisationnels. Ils sont même souvent privilégiés par les pouvoirs publics des pays démocratiques occidentaux, voire parfois bénéficiaires d’aides financières publiques pour leurs projets de « représentation » et d’encadrement institutionnel ou associatifs des communautés islamiques y compris en Grande-Bretagne, en Allemagne, ou encore en Espagne. Pour en avoir un exemple, il suffit de rappeler que la référence « spirituelle » et juridique suprême des Frères dans le monde et en Europe, Youssef al-Qardaoui, pourtant auteurs de fatwas appelant à tuer les Juifs, les homosexuels et les apostats, a été officiellement salarié de la mairie de Londres… Et qu’il a pu mettre sur pied en France, en Irlande et en Grande-Bretagne des institutions panislamistes « européennes » comme l’Université Saint Léger du Fourgeret à Château-Chinon, qui forme les « imams européens », ou le Conseil européen de la fatwa , qui régit les comportements que doivent avoir les musulmans afin de vivre selon la charià… (voir chapitre II ). Cette incohérence est essentiellement due au fait que les Ikhwan ont réussi à se faire passer pour des « islamistes modérés », mythe que cet ouvrage a pour but de déconstruire.
Les Ikhwan , chantres du rétablissement du Califat
En dépit de toutes les tentatives d’édulcoration et de dissimulation, le thème hautement totalitaire du Califat demeure tout aussi central chez les Frères musulmans que chez les islamistes sunnites les plus terroristes/jihadistes. On rappellera seulement que dès la création de La Confrérie 11 par Al-Banna en 1928, la nécessité de « rétablir » le Califat* islamique a été l’objectif majeur à long terme, une fois la charià elle-même rétablie dans tous les pays musulmans. Les écrits et discours de Banna sur l’obligation de reconstituer ce Califat – après avoir lutté contre toute forme de nationalisme ethnolinguistique qui « diviserait la Oumma  » – sont très clairs et reviennent souvent sur ce but. Dans sa célèbre épitre Da’watuna (« notre appel »), Hasssan al-Banna accuse les nationalistes du monde arabo-musulman d’être coupables du péché de « division » de la Oumma , et donc «  d’être derrière la plupart des dissensions sur les terres d’Islam  » 12  : «  Ils veulent, avec leur patriotisme, diviser la Oumma* en différentes communautés qui s’entrégorgent, se haïssent, échangent des insultes, s’accusent mutuellement et se trahissent les unes les autres … » 13 . À cette « mécréance », le grand-père de Tariq Ramadan oppose le «  patriotisme des principes  » et la notion de «  fraternité islamique  » selon laquelle «  le musulman considère que chaque parcelle de la terre où un Frère professe la religion du Coran est de fait un terrain appartenant à la vaste terre de l’Islam pour laquelle l’Islam exige de ses fidèles qu’ils luttent pour la protéger et lui offrir le bonheur. Ainsi s’ouvrent grands les horizons de la patrie musulmane, au-delà des frontières géographiques et de la nationalité du sang  » 14 .
Hassan al-Banna rappelle aussi dans plusieurs textes que l’impératif de « réunion des musulmans » autour d’une grande nation musulmane ( Oumma al-islamiyya ) institutionnalisée dans un Califat, fait partie des « obligations » de l’Islam : «  Le califat est le symbole de l’unité des musulmans et la réalisation de l’union entre les pays islamiques. C’est là un étendard de l’Islam qui impose aux musulmans d’y prêter attention et de s’en préoccuper : le califat est au cœur d’un grand nombre de prescriptions islamiques… C’est pourquoi les Frères musulmans placent la pensée du califat et l’action à mener pour sa restauration au sommet de leur programme et ils pensent que cela nécessite un nombre conséquent de préparatifs qui tous sont impératifs. Les étapes qui permettront de restaurer le califat sont les suivantes : Une solidarité totale au niveau culturel, social et économique entre tous les peuples islamiques est nécessaire. Il faut établir les liens, signer des contrats, organiser des réunions et des congrès entre ces pays (…). Il faudra ensuite créer une ligue des États islamiques : si nous parvenons à cela, l’union sera réalisée et il sera possible de désigner l’Imâm » 15 . «  C’est donc autour d’un califat que les musulmans du monde entier doivent se réunir et non pas autour « d’États nations » ou de fédérations « arabe », « berbère », « africaine » ou « celte » mais autour d’un seul état Islamique, sans frontières et sans distinctions d’origines  » 16 .
L’invocation du mythe fondateur et unificateur du Califat est en fait commune à tous les islamistes sunnites, lesquels ont quasiment tous été influencés, de près ou de loin, par l’idéologie des Ikhwan . Ces derniers ont en effet donné le ton, tant aux actuels salafistes-jihadistes qu’à des partis islamistes « de gouvernement » plus « respectables », en Turquie, au Pakistan et dans le monde arabe, qui pleurent tous eux aussi l’abolition (par Atätürk, en 1924) du Califat, et appellent à sa « résurrection ». Cela explique d’ailleurs le ralliement d’ex-mouvements fréristes et de groupes salafistes-terroristes au Califat proclamé en juin 2014 par l’État islamique d’Al- Bagdadi. La nécessité de recréer ce Califat mythifié n’est donc pas propre aux seuls jihadistes de Daech, loin de là. Et c’est pour cela que le monde libre a du souci à se faire, comme l’a annoncé l’ex-porte-parole de l’État islamique, Al-Adnani, qui affirmait (peu avant d’être abattu) que l’islamisme radical, même s’il perd des territoires face aux bombardements « lâches » des « croisés », demeure vainqueur tant que le Coran, la charià et la Califat progressent dans le cœur des musulmans, un but commun aux jihadistes « non-fréquentables » et aux islamistes frérises « bon-teint ».
Avec l’impératif universel de la charià , la nécessité de reconstituer un empire panislamique devant dominer à terme toutes les Nations, de gré ou de force, est un point de convergence idéologique fondamental entre les islamistes sunnites du monde entier, qu’il s’agisse de la tendance terroriste ou de la tendance de l’islam politique, plus modérée, représentée notamment par le mouvement Ennahda en Tunisie 17 , l’ex-Parti de la Justice et de la Liberté en Égypte (PJL), le parti de la Justice et du développement au Maroc (PJD), ou leur modèle le plus abouti, celui du Parti de la Justice et du Développement turc (AKP) du président Recep Taiyyp Erdogan, lui-même grand protecteur des Frères musulmans et nostalgique du Califat islamique ottoman. Le président-néo-Sultan turc a même publiquement appelé à le « rétablir en 2024 », un siècle après son abolition par « l’apostat Atätürk », coupable d’avoir acculturé/désislamisé la Turquie. On se souvient également de l’ancien Premier ministre tunisien Hamadi Jebali, membre d’Ennahda (Frères musulmans) qui, à la suite des premières élections libres remportées en 2011, lors d’un meeting prononcé 18  à Tunis le 15 novembre 2011, appela de ses vœux l’établissement futur du « sixième califat islamique » 19 . Le mythe du Califat et de la Oumma islamique est également inscrit noir sur blanc au cœur de la Charte du mouvement islamiste-terroriste palestinien Hamas 20 , lui-même officiellement issu des Frères musulmans.
Pour comprendre l’état d’esprit conquérant et irrédentiste de ces islamistes « modérés » que prétendent être les Ikhwan qui affirment être différents des jihadistes-salafistes du fait qu’ils condamnent le terrorisme en Occident (jugé ici « contre-productif »), il suffit de suivre les propos de leur plus grand « savant » de référence, Youssef al-Qardaoui, survivant de la tendance « canal-historique » qui a côtoyé le fondateur Al-Banna. Cette véritable star mondiale de l’islamo-téléprédication, qui a animé durant des années sur la chaîne qatarie Al- Jazeera l’émission «  La charia et la vie  », déclarait ainsi, le 6 décembre 2002  : « L’islam va retourner en Europe comme un conquérant et un vainqueur après en avoir été expulsé à deux reprises, une fois au sud en Andalousie [Espagne – 1492] et une seconde fois à l’est quand il frappa à plusieurs reprises aux portes d’Athènes [1830]. […] Cette fois-ci, je maintiens que la conquête ne se fera pas par l’épée mais grâce au prosélytisme et à l’idéologie  ».
Apologie du Jihad et du martyr…
Bien avant les actuels « jihadistes-salafistes », La Confrérie a revendiqué haut et fort le martyr pour ses partisans comme idéal. Depuis, elle n’a jamais renié, ni même amendé ses textes fondateurs qui prônent le jihad guerrier au nom d’un islam qui devrait conquérir toute portion de territoire où vivent des musulmans avant de dominer, dans un second temps, la Terre entière, cela au terme d’une véritable stratégie de conquête « par étapes » qui passe aussi par le « jihad du verbe », via les médias, l’éducation, la formation, l’action politique partisane, et dont le modus operandi est le double discours subversif. Dans les faits, les objectifs de l’État islamique découlent en partie de ceux des Frères musulmans originels et de leurs différentes succursales et dissidences qui ont inventé les slogans et inauguré la « révolution islamique mondiale » à l’époque du fondateur Al-Banna et du grand théoricien frériste du jihadisme, Saiyyd Qutb, sur lequel nous reviendrons au cours du chapitre suivant.
Rappelons que le même Youssef al-Qardaoui, cité plus haut, a autorisé officiellement, par ses fatwas , les attentats-suicides commis (hors d’Europe) par des hommes, des enfants ou même des femmes kamikazes. Considéré à tort comme un « islamiste modéré », notamment par ses amis comme l’ex-maire de Londres, Ken Livingstone, Qardaoui a été notamment l’organisateur de la collecte du Hamas terroriste palestinien en Europe, via un réseau d’associations implantées sur le continent européen et en France, notamment le CBSP, le « Comité de bienfaisance et de secours aux Palestiniens ». Tout cela à la barbe des autorités occidentales qui ont longtemps toléré les agissements et enseignements fanatiques de ce protégé de l’émirat du Qatar. Malgré sa généalogie totalitaire, sa dangerosité subversive, ses liens avec des groupes jihadistes palestiniens, syriens, libyens, égyptiens ou autres, son antisémitisme virulent et son profond anti-occidentalisme, attesté par plusieurs textes officiels de Hassan al-Banna et de ses disciples, cette organisation, dont les membres ont été des alliés des régimes d’ Hitler et de Mussolini dans les années 1930 et 1940 (voir chapitre I ), est aujourd’hui présente « dans plus de 70 pays », selon les termes même de son vice-guide Mohamed Habib 21 – que nous avions interviewé en 2007 – notamment en France, en Espagne, en Belgique, en Allemagne, en Angleterre, aux États-Unis, au Canada, pays où elle a pénétré les universités, les grandes entreprises, les écoles privées religieuses, les mosquées, les entreprises de nourriture halal et, bien sûr, le monde associatif, médiatique et politique.
Des questions légitimes et vitales pour les démocraties
Quels États se cachent derrière cette Confrérie ? Quelle est sa stratégie de conquête ? Qui sont ses penseurs, ses cadres et ses alliés ? Pourquoi nos politiques la laissent-ils prospérer pratiquement sans entraves dans nos démocraties, le plus souvent sous forme d’associations culturelles, comme c’est le cas en France avec l’Union des Organisations Islamiques de France ( chapitre II )? À toutes ces questions, ce livre a pour objectif d’apporter des réponses précises, fondées et argumentées sur la base d’analyses, d’interviews, d’enquêtes de terrain et de décryptages géopolitiques que nous avons réalisés durant près de quinze ans au Moyen-Orient et en Europe.
Si nous nous accordons sur le fait que les rives orientales de la Méditerranée comme celles du Golfe Persique et les confins du Moyen-Orient rassemblent un tissu de cultures aussi diverses que remarquables, nous sommes convaincus que nos sociétés démocratiques ne doivent pas confondre « ouverture » et naïveté, car le fait d’encourager ou tolérer un islamisme totalitaire importé depuis l’étranger – et à qui l’on donne en pâture les jeunes citoyens européens de confession musulmane – n’est pas la marque de la tolérance mais le symptôme d’une pathologie collective qui confine à l’autodestruction. Donner une caution et une force de représentation institutionnelle aux Frères musulmans et aux autres pôles de l’islamisme radical en Europe constitue non seulement une atteinte aux valeurs du Monde libre, mais aussi à la dignité des musulmans d’Occident que l’on assigne à l’obscurantisme, comme si l’apport des Lumières et de la laïcité, constitutives de nos systèmes, ne leur était pas accessible.
Ce postulat anti-intégrationniste, foncièrement relativiste, anti-universaliste, différencialiste, constitue en réalité le vrai « racisme » caché par la rhétorique victimiste des pseudo- « antiracistes », lesquels défendent les projets des islamistes sous couvert de pluralisme et de « multiculturalisme ». Car les parents de ces jeunes musulmans « réislamisés » par les prédateurs ayant pignon sur rue ont souvent quitté un monde liberticide et totalitaire, et c’est bien souvent déconcertés qu’ils assistent, impuissants, à la récupération de leurs enfants par ceux qui veulent leur « désassimilation », au terme d’une stratégie de séparatisme qui ne peut pas avoir, à terme, une issue positive ou pacifique.
En assistant passivement à la banalisation progressive du « séparatisme islamiste », qui ne cesse d’envahir l’espace et le débat public français et européen, les dirigeants, intellectuels et les forces « progressistes » occidentales qui défendent les suprémacistes islamistes sous couvert de lutte contre la supposée « islamophobie de l’Occident », agissent en complices du nouveau totalitarisme vert. Cette « nouvelle trahison des Clercs » n’est ni plus acceptable ni moins dangereuse que l’ancienne. Et elle ne prépare pas des lendemains qui chantent. Pourtant, tout observateur ayant voyagé aux quatre coins du monde a pu constater, à chaque retour en terre démocratique occidentale, que les musulmans qui y vivent ont mille fois plus de liberté individuelle ou de pensée et de chances de réussite que dans la plupart des pays musulmans, y compris les plus riches (Golfe) et avancés. Il est par conséquent légitime de ne pas céder au chantage moral des islamistes qui cachent leurs doléances totalitaires derrière un discours victimaire et culpabilisateur qui trompe de moins en moins. Les militants islamistes sincères, leurs stratèges et leaders ( « coupeurs de langues » comme « coupeurs de têtes »), jouent pleinement leurs rôles en utilisant tous les moyens possibles pour avancer leurs positions et œuvrer au « règne de Dieu sur terre ». Toutefois, les partisans des sociétés libres et sécularisées ont le droit et le devoir de nommer l’idéologie totalitaire de l’islamisme puis de désocculter les plans et stratégies de conquête des partisans de la charià et du Califat, quels que soient leur degré de radicalité et de violence et quelles que soient leurs tactiques, parfois apparemment contradictoires et opposées – mais en réalité complémentaires. Georges Clémenceau disait que « la Révolution est un bloc ». L’islamisme, ceteris paribus, est un tout qu’il convient d’analyser dans sa globalité et son continuum idéologique.
Une stratégie de long terme
La stratégie d’édification, d’une contre-société islamiste commandée par une vision théocratique a été très intelligemment conçue et mise en œuvre depuis des décennies en France et plus largement en Occident par une multitude de structures associatives, cultuelles et culturelles islamistes dont les Frères musulmans sont à la fois les pionniers, la matrice et les mentors. Initialement conçue en Égypte par Hassan al-Banna et sa progéniture « réfugiée » dans le ventre mou européen, ce plan d’islamisation globale par étapes consiste essentiellement à masquer l’objectif suprémaciste néo-califal en instrumentalisant les valeurs pluralistes et « tolérantes » des démocraties, ainsi que l’a d’ailleurs assez honnêtement reconnu Ahmed Jaballah, cofondateur de l’ex-Union des organisations islamiques de France, qui déclarait dans les années 1990, que son entité «  est une fusée à deux étages. Le premier étage est démocratique, le second mettra en orbite une société islamique  » 22 .
Les auteurs du présent essai s’interrogent notamment sur le fait que la progression du séparatisme islamiste et l’appel des fréro-salafistes aux musulmans à se « désassimiler » via un repli confessionnel-identitaire, ont été banalisés dans notre société, alors même que dans le même temps, on empêche de plus en plus des maires, en France et ailleurs, d’installer des crèches de noël dans les mairies. Ils s’étonnent de la propension de l’establishment et des élites médiatiques à stigmatiser l’identité majoritairement judéo-chrétienne de la France et de l’Europe, à malmener leurs ancêtres et à renier ses racines, tout en étant sommés de valoriser l’identité particulière de descendants d’allochtones musulmans appelés quant à eux à se réislamiser. En somme, pendant que la bien-pensance disqualifie tout patriote républicain ou défenseur de l’identité occidentale en le stigmatisant comme un « dangereux identitaire », les adeptes d’une idéologie qui a pourtant fièrement flirté avec le nazisme (voir chapitre I ), et qui demeure ouvertement complotiste, foncièrement anti-occidentale, obscurantiste, néo-impérialiste – et donc hyper « identitaire » – progresse quant à elle tranquillement avec l’appui des forces « progressistes », des collectivités publiques et des vigiles « antifascistes » à l’indignation variable. Cinglante ironie de l’histoire du totalitarisme.
Les auteurs reviendront, à la fin de ce livre ( chapitre VII ), sur le formidable paradoxe des sociétés ouest-européennes complexées qui dénoncent en leur sein la paille identitaire-populiste – même quand elle n’existe pas ou est inoffensive –, mais exonèrent magistralement la poutre du panislamisme hyper-identitaire, bien plus violent, intolérant et appuyé par des forces étatiques et institutionnelles sans commune mesure. Ils s’interrogent ainsi sur le fait que des sympathisants de La Confrérie, qui prône pourtant dans ses textes fondateurs le retour au Califat et le culte du jihad, puissent avoir pignon sur rue dans nos contrées , quand par ailleurs certains adeptes d’une laïcité à sens unique veulent déboulonner des croix à l’entrée de villages. Les auteurs s’étonnent enfin tout autant du fait que les opposants à l’islamisme sont traités « d’islamophobes » par des alliés ignorants ou complaisants d’un totalitarisme vert qui a pourtant pour corollaire – là où il est pleinement appliqué – lapidations, attentats, misogynie, judéophobie, christianophobie, athéophobie, homophobie, etc. Un totalitarisme politico-religieux qui est véhiculé non pas par l’ensemble de nos concitoyens musulmans – souvent parfaitement intégrés à nos sociétés – mais par une minorité grandissante d’adeptes de l’idéologie fréro-salafiste qui condamnent au ghetto volontaire et intimident moralement tous ceux (taxés de « trahison ») qui désireraient s’assimiler et donc « ressembler » aux « Infidèles », perçus comme « pervers » et ennemis naturels des musulmans.
La bataille contre l’islamisme radical se joue en fait sur plusieurs fronts. Militaire, tout d’abord, comme en Syrie, en Irak, au Mali, en Libye ou en Afghanistan. Sur celui du renseignement, bien sûr, mais aussi et avant tout sur celui de l’éducation. Il va de soi que chaque religion, chaque culture, a le droit au respect et à l’épanouissement dans nos sociétés pluralistes – ce que les islamistes ne manquent jamais de rappeler dans le but d’instrumentaliser les valeurs de tolérance pour combattre de l’intérieur les pays « mécréants » – mais cela à condition de respecter les principes, les traditions et modèles qui fondent l’existence et la cohésion sociale de nos sociétés. Car celles-ci ne sont pas une «  terra nulius  » sans racines, donc vides et à conquérir, mais des terres façonnées par une civilisation judéo-gréco-latino-chrétienne et des traditions nationales fortement ancrées. Le respect des valeurs et racines de nos sociétés occidentales n’est pas discutable, même si l’idéologie islamiste qualifie d’ignorance barbare ( Jâhiliyya *) tout ce qui précède ou est étranger à l’islam. Force est pourtant de reconnaître que la stratégie d’intimidation victimiste qui consiste à retourner contre les Européens leur propension à l’auto-critique s’est avérée extrêmement efficace depuis des décennies. Elle constitue une arme de guerre plus redoutable encore que les bombes, les sous-marins nucléaires, les chars d’assauts et les avions de chasse, incapables de juguler une menace désormais essentiellement endogène. Elle a déjà permis aux islamistes de gagner d’immenses « parts de marché » dans tous les pays occidentaux où vivent des communautés musulmanes en pleine expansion démographique et alimentées par une immigration extra-européenne incontrôlée. Elle mine petit à petit la cohésion de nos sociétés piégées par un mythe « multiculturaliste » et une pensée relativiste qui sont les meilleurs alliés philosophiques des ennemis du monde « mécréant ».
Comme l’a prophétisé le grand dissident antisoviétique Soljenitsyne, les bombes atomiques et les missiles intercontinentaux des Occidentaux, à la pointe de la technologie, ne sont d’aucune utilité face aux ennemis asymétriques du Monde libre qu’étaient hier les partis communistes pro-Soviets – soi-disant « pacifistes » – et aujourd’hui les islamistes fréristes, qui masquent mal leur prosélytisme conquérant et théocratique derrière le masque orwellien de la liberté religieuse et de la « tolérance ». Chateaubriand disait que «  le péril s’évanouit quand on ose le regarder  ». Regarder la vérité, et la décrypter à l’aune du terrain, des rencontres et des textes fondateurs et contemporains de l’islam politique est le choix qu’ont donc fait les auteurs.
Pour plus de simplicité dans le choix de la narration, ces derniers, qui ont parfois enquêté ou interviewé certaines personnalités chacun de leur côté, ont décidé d’écrire ce livre à la première personne du pluriel, leurs travaux depuis 15 ans étant toujours liés.

1 . Les Ikhwan (« frères » en arabe) ainsi que « fréristes » s’entendent comme synonymes de Frères musulmans.
2 . Expression issue de l’italien buonista qui désigne la vision culpabilisatrice tant de la gauche sociale immigrationniste que de l’aile tiers-mondiste promigrants de l’Église catholique.
3 . A enseigné à l’Université de Genève, Constantine et Tunis et chercheur à l’Université de Londres/London School of Oriental Studies (SOAS/CISD).
4 . Zidane Meriboute « Printemps arabe : le poids des Frères musulmans – leur vision de l’État et de la finance islamiques », International Develeppement Policy Revue, p. 155-172.
5 . Zidane Meriboute « Printemps arabe : le poids des Frères musulmans… », idem.
6 . Voir sites des Frères musulmans : http://www.ikhwanonline.com (arabe) http://www.ikhwanweb.com (anglais).
7 . La sourate « mecquoise » (2 :256) « Nulle contrainte en religion ! » (la ikraha fil din ) a par exemple été abrogée par la sourate abrogente « médinoise » suivante : « Désirent-ils une autre religion que celle d’Allah, alors que se soumet à Lui, bon gré, mal gré, tout ce qui existe dans les cieux et sur terre, et que c’est vers Lui qu’ils seront ramenés  ? » (3,83,) et les autres sourates mecquoises tolérantes envers juifs et chrétiens sont abrogées par cette sourate médinoise supérieure : « Après que les mois sacrés expirent, tuez les associateurs où que vous les trouviez. Capturez-les, assiégez-les et guettez-les dans toute embuscade. Si ensuite ils se repentent, accomplissent la Salat et acquittent la Zakat, alors laissez-leur la voie libre, car Allah est Pardonneur et Miséricordieux  », (Sourate 9,5).
8 . Loup Besmond de Senneville, « L’UOIF devient ‘Musulmans de France’ », La Croix, 28 février 2017.
9 . « L’Union des organisations islamiques de France change de nom pour redorer son image », sur La Croix , 4 mars 2018.
10 . « Le ministère des affaires étrangères du Canada promeut Tariq Ramadan comme un visionnaire », 17 novembre 2014, http://pointdebasculecanada.ca/les-affaires-etrangeres-du-canada-promeut-tariq-ramadan-comme-un-visionnaire/ .
11 . In Ikhwan France, « Hassan Al Banna sur le racisme, le racialisme et le nationalisme », 1er juin 2015, Ihkwan France (revue et site français des Frères-musulmans), https://freresmusulmans.wordpress.com/2015/06/01/hassan-al-banna-sur-le-racisme-le-racialisme-et-le-nationalisme/ .
12 . In Ikhwan France, « Hassan Al Banna sur le racisme, le racialisme et le nationalisme », Op. cit.
13 . Risâlat da3watuna , pp. 20-21, cité in Ikhwan France (https://freresmusulmans.wordpress.com/ .
14 . Risâlat ilâ ay shay’ nad3u An-nâs p. 52, cité in Ikhwan France , Op. cit., (https://freresmusulmans.wordpress.com/ .
15 . Discours prononcé par Al-Banna lors du 5e  Congrès des Frères, voir « épitre » Mu’tamar al khâmis , pp.134-135.
16 . Ikhwan France, « Hassan Al Banna sur le racisme, le racialisme et le nationalisme », Op. cit.
17 . Cf. Haddad, Mezri, La face cachée de la révolution tunisienne. Islamisme et Occident, une alliance à haut risque , éd, Paris, Apopsix, 2011.
18 . « Mes frères, vous vivez un moment historique, un moment divin, une nouvelle étape civilisationnelle, si Dieu le veut, dans le sixième califat, une grande responsabilité nous attend », cité par Valentin Mbougueng, « On attendait Montesquieu, voici le sixième califat », Afrique-Asie, décembre 2011.
19 . L’allusion du Premier ministre était certes symbolique, d’autant qu’Ennahda n’a pas inscrit dans son programme politique le rétablissement du Califat, mais le propos inquiéta nombre de Tunisiens attachés aux acquis de la Tunisie de Bourguiba, père de l’indépendance en 1956 : droits des femmes, sécularisation, liberté de conscience, etc. Voir à ce propos l’ouvrage du philosophe et ex-ambassadeur tunisien Mezri Haddad, La Face cachée de la révolution tunisienne, Op. cit.
20 . Alexandre del Valle, « La vraie nature de Monsieur Erdogan », Politique internationale , article no  17, Op. cit.
21 . Dans une interview réalisée pour le compte du magazine Arte Reportage en 2008, Mohamed Habib, alors vice guide de La Confrérie égyptienne, expliquait que les Frères musulmans sont présents dans plus ou moins 70 pays.
22 . Fiammetta Venner, « La face cachée de l’UOIF », L’express.ff , 2 mai 2005.