CHŒUR
Maraudeur étranger malheureux malhabile
Voleur voleur que ne demandais-tu ces fruits
Mais puisque tu as faim que tu es en exil
4 Il pleure il est barbare2 et bon pardonnez-lui
LARRON
Je confesse le vol des fruits doux des fruits mûrs
Mais ce n’est pas l’exil que je viens simuler
Et sachez que j’attends de moyennes tortures
8 Injustes si je rends tout ce que j’ai volé
VIEILLARD
Issu de l’écume des mers comme Aphrodite3
Sois docile puisque tu es beau Naufragé
Vois les sages te font des gestes socratiques4
12 Vous parlerez d’amour quand il aura mangé
CHŒUR
Maraudeur étranger malhabile et malade
Ton père fut un sphinx et ta mère une nuit5
Qui charma de lueurs Zacinthe et les Cyclades6
16 As-tu feint d’avoir faim quand tu volas les fruits
Possesseurs de fruits mûrs que dirai-je aux insultes
Ouïr ta voix ligure en nénie ô maman
Puisqu’ils n’eurent enfin la pubère et l’adulte
20 De prétexte sinon de s’aimer nuitamment7
Il y avait des fruits tout ronds comme des âmes
Et des amandes de pomme de pin jonchaient
Votre jardin marin où j’ai laissé mes rames
24 Et mon couteau punique au pied de ce pêcher
Les citrons couleur d’huile et à saveur d’eau froide
Pendaient parmi les fleurs des citronniers tordus8
Les oiseaux de leur bec ont blessé vos grenades
28 Et presque toutes les figues étaient fendues9
L’ACTEUR
Il entra dans la salle aux fresques qui figurent
L’inceste solaire et nocturne dans les nues
Assieds-toi là pour mieux ouïr les voix ligures
32 Au son des cinyres10 des Lydiennes nues
Or les hommes ayant des masques de théâtre
Et les femmes ayant des colliers où pendait
La pierre prise au foie d’un vieux coq de Tanagre11
36 Parlaient entre eux le langage de la Chaldée12
Les autans langoureux dehors feignaient l’automne
Les convives c’étaient tant de couples d’amants
Qui dirent tour à tour Voleur je te pardonne
40 Reçois d’abord le sel puis le pain de froment
Le brouet13 qui froidit sera fade à tes lèvres
Mais l’outre en peau de bouc maintient frais le vin blanc
Par ironie veux-tu qu’on serve un plat de fèves14
44 Ou des beignets de fleurs trempés dans du miel blond
Une femme lui dit Tu n’invoques personne
Crois-tu donc au hasard qui coule au sablier
Voleur connais-tu mieux les lois malgré les hommes
48 Veux-tu le talisman heureux de mon collier
Larron des fruits tourne vers moi tes yeux lyriques
Emplissez de noix la besace du héros15
Il est plus noble que le paon pythagorique16
52 Le dauphin la vipère mâle ou le taureau
Qui donc es-tu toi qui nous vins grâce au vent scythe17
Il en est tant venu par la route ou la mer18
Conquérants égarés qui s’éloignaient trop vite19
56 Colonnes de clins d’yeux qui fuyaient aux éclairs
CHŒUR
Un homme bègue ayant au front deux jets de flammes
Passa menant un peuple infime pour l’orgueil
De manger chaque jour les cailles et la manne
60 Et d’avoir vu la mer ouverte comme un œil20
Les puiseurs d’eau barbus coiffés de bandelettes
Noires et blanches contre les maux et les sorts
Revenaient de l’Euphrate21 et les yeux des chouettes
64 Attiraient quelquefois les chercheurs de trésors
Cet insecte jaseur ô poète barbare
Regagnait chastement à l’heure d’y mourir
La forêt précieuse aux oiseaux gemmipares22
68 Aux crapauds que l’azur et les sources mûrirent23
Un triomphe passait gémir sous l’arc-en-ciel
Avec de blêmes laurés debout dans les chars
Les statues suant les scurriles24 les agnelles
72 Et l’angoisse rauque des paonnes et des jars
Les veuves précédaient en égrenant des grappes
Les évêques noirs révérant sans le savoir
Au triangle isocèle ouvert au mors des chapes25
76 Pallas et chantaient l’hymne à la belle mais noire26
Les chevaucheurs nous jetèrent dans l’avenir
Les alcancies27 pleines de cendre ou bien de fleurs
Nous aurons des baisers florentins28 sans le dire
80 Mais au jardin ce soir tu vins sage et voleur
Ceux de ta secte adorent-ils un signe obscène
Belphégor le soleil le silence ou le chien
Cette furtive ardeur des serpents qui s’entr’aiment29
L’ACTEUR
84 Et le larron des fruits cria Je suis chrétien
CHŒUR
Ah ! Ah ! les colliers tinteront cherront30 les masques
Va-t’en va-t’en contre le feu l’ombre prévaut
Ah ! Ah ! le larron de gauche dans la bourrasque31
88 Rira de toi comme hennissent les chevaux
Larron des fruits tourne vers moi tes yeux lyriques
Emplissez de noix la besace du héros
Il est plus noble que le paon pythagorique
92 Le dauphin la vipère mâle ou le taureau
CHŒUR
Ah ! Ah ! nous secouerons toute la nuit les sistres32
La voix ligure était-ce donc un talisman
Et si tu n’es pas de droite tu es sinistre33
96 Comme une tache grise ou le pressentiment
Puisque l’absolu choit la chute est une preuve34
Qui double devient triple avant d’avoir été35
Nous avouons que les grossesses nous émeuvent
100 Les ventres pourront seuls nier l’aséité36
Vois les vases sont pleins d’humides fleurs morales
Va-t’en mais dénudé puisque tout est à nous
Ouïs du chœur des vents les cadences plagales
104 Et prends l’arc pour tuer l’unicorne ou le gnou37
L’ombre équivoque et tendre est le deuil de ta chair
Et sombre elle est humaine et puis la nôtre aussi
Va-t’en le crépuscule a des lueurs légères
108 Et puis aucun de nous ne croirait tes récits
Il brillait et attirait comme la pantaure38
Que n’avait-il la voix et les jupes d’Orphée
Et les femmes la nuit feignant d’être des taures
112 L’eussent aimé comme on l’aima puisqu’en effet
Il était pâle il était beau comme un roi ladre39
Que n’avait-il la voix et les jupes d’Orphée
La pierre prise au foie d’un vieux coq de Tanagre
116 Au lieu du roseau triste et du funèbre faix40
Que n’alla-t-il vivre à la cour du roi d’Édesse41
Maigre et magique il eût scruté le firmament
Pâle et magique il eût aimé des poétesses
120 Juste et magique il eût épargné les démons
Va-t’en errer crédule et roux avec ton ombre
Soit ! la triade42 est mâle et tu es vierge et froid
Le tact est relatif mais la vue est oblongue43
124 Tu n’as de signe que le signe de la croix44
1 Pré-originale : La Plume, n° 343-344, 1er-15 août 1903 (2e supplément poétique), sans les indications de personnages ; Vers et prose, t. XXXI, octobre-novembre-décembre 1912 (avec « Dans le palais de Rosemonde » [« Palais »], « La porte », « Marie », « L’adieu », « La dame »), sans ponctuation ni tirets, sans les indications de personnages. C’est dans la version d’Alcools qu’Apollinaire introduit les indications des personnages et rend visible la structure dramatique du poème ; dans cette version, il supprime le dernier quatrain des deux états précédents : « Vouons le vol à Sparte et l’inceste à Ninive. / Nous rentrerons demain à l’école d’Élée. / Qu’on souffle les flambeaux à cause des convives / Qui se fiant au Bègue ont peur d’être brûlés. » Le titre fait référence à la Passion du Christ, crucifié entre deux larrons : « L’un des malfaiteurs suspendus à la croix l’injuriait : “N’es-tu pas le Christ ? Sauve-toi toi-même, et nous aussi.” Mais l’autre, le reprenant, déclara : “Tu n’as même pas crainte de Dieu, alors que tu subis la même peine ! Pour nous, c’est justice, nous payons nos actes : mais lui n’a rien fait de mal.” Et il disait : “Jésus, souviens-toi de moi lorsque tu viendras avec ton Royaume.” Et il lui dit : “En vérité, je te le dis, aujourd’hui tu seras avec moi dans le Paradis” » (Luc, 23, 39-43) ; sur les deux larrons, voir Po, p. 330 « Tierce rime pour votre âme ». Le présent poème est l’un des plus érudits, et donc des plus hermétiques, du recueil, par sa forme et par les références aux cultures grecque, hellénistique et romaine, mésopotamienne, égyptienne, confrontées au christianisme naissant. Comme dans « Merlin et la vieille femme » et comme dans « La porte », le jeune poète, à la recherche de son identité, est à un « carrefour » au moment du choix. Il ne faut donc pas négliger les résonances personnelles du poème ni sa violence païenne, libertaire, sceptique et immoraliste, qui est propre à la poésie depuis le Parnasse. Cet exotisme antique, repris par Apollinaire dans « L’ermite », comparable à l’exotisme du roman breton dans « Merlin et la vieille femme », situe « Le larron » dans la tradition des récits et poèmes où sont confrontées les civilisations : poèmes de Leconte de Lisle ou de Léon Dierx, Salammbô ou La Tentation de saint Antoine de Flaubert, Thaïs d’Anatole France, tradition que reprend à sa manière Apollinaire dans La Fin de Babylone. C’est aussi la critique savante des religions qui est sollicitée, en particulier le dernier volume de l’Histoire des origines du christianisme de Renan : Marc Aurèle et la fin du monde antique (Calmann-Lévy, 1883, chap. XIX, XXI, XXII, XXIX), une des sources principales du « Larron » : pour les ennemis du christianisme, selon Renan qui cite constamment les auteurs antiques – Lucien, Minucius Felix, par exemple –, le chrétien était un larron appartenant à un « monde de bohémiens, impudents, ignorants, insolents, levant des tributs véritables sous prétexte d’aumône, austères en paroles, au fond débauchés, séducteurs de femmes, ennemis des Muses, gens au visage pâle et à la tête rasée, partisans des orgies infâmes » ; les chrétiens, qui se considéraient comme des exilés, souffraient « de la misère, du froid, de la fatigue, de la faim ». « Le larron », « L’ermite » sont des poèmes parodiques et blasphématoires, puisqu’ils contestent la morale chrétienne et placent au centre de l’existence humaine la sexualité et la condition incarnée. Ils relèvent d’un immoralisme nietzschéen : Apollinaire parle à propos du « Larron » d’« immoralisme attendri et compatissant » (Toussaint-Luca, « Guillaume Apollinaire », Pan, septembre-octobre 1908). Quant à la structure, elle peut s’inspirer de poèmes dialogués, comme le « Prologue » d’Une belle dame passa d’Adolphe Retté, qui fait dialoguer un chœur et l’aventurier, ou comme le « Prologue », intitulé « L’aventurier », de L’Archipel en fleurs du même Retté, qui comprend un chœur et un coryphée dialoguant avec l’aventurier qui arrive de la mer dans un palais avec le désir de partir en quête d’autres îles bienheureuses : on trouverait bien des similitudes, lexicales, allégoriques, culturelles (p. 23-28). « Le larron » est constitué d’une partie narrative, dite par l’acteur, et de dialogues entre divers personnages, le larron, un vieillard, une femme, le chœur ; on notera que les dialogues sont inclus dans le récit fait par l’acteur. Apollinaire reprend la forme du dithyrambe grec ; outre Le Crépuscule des idoles (1899), il possédait dans sa bibliothèque L’Origine de la tragédie (1901) de Nietzsche, où la question du dithyrambe est centrale, indissociable du dionysiaque.
2 À l’origine, le barbare est celui qui appartient à une autre civilisation et qui parle une autre langue.
3 Aphros signifie en grec « écume » ; dans la Théogonie d’Hésiode, Aphrodite, déesse de l’amour, naît de la mer qu’a fécondée le sexe d’Ouranos, tranché par Cronos. Mais Apollinaire reprend aussi l’épisode du naufragé déposé sur une côte inconnue (voir par exemple, dans l’Odyssée, l’arrivée d’Ulysse chez les Phéaciens). On notera que le thème de l’arrivée, inopinée ou attendue, d’un voyageur venant de la mer se retrouve dans la poésie symboliste d’Adolphe Retté, « L’aventurier » précédemment cité, ou « La vigile des grèves ».
4 Des gestes qui signifient un amour pédérastique, d’un homme adulte pour un jeune garçon.
5 Origine énigmatique des parents du naufragé, où Marie-Jeanne Durry et Michel Décaudin ont vu une allusion du poète à ses propres origines mystérieuses. L’union de la nuit et d’un sphinx renvoie aussi aux mythologies de la création du monde.
6 Île de Zacynthe (aujourd’hui Zante), dans la mer Ionienne ; îles grecques des Cyclades, en mer Égée méridionale.
7 « Nénie » : chant funèbre à la louange d’un personnage de marque, exécuté chez les Romains par des pleureuses à gages ; lamentation funèbre, chant triste. Le peuple des Ligures s’était établi dans l’Antiquité sur les côtes du sud-est de la Gaule et du nord-ouest de l’Italie. On verra dans ces vers une probable allusion aux origines d’Apollinaire (voir p. 459 la Chronologie). « Pubère » désigne ici une jeune fille à peine nubile. Cette allégorie des origines est à rapprocher de « L’ignorance » (Po, p. 345) et de « Retourne à l’Aréthuse… » (Po, p. 718).
8 Voir p. 241 « Le brasier » (1) et voir p. 289 « Les fiançailles » (1). Ces citrons sont une possible allusion à la chanson de Mignon dans le Wilhelm Meister de Goethe (livre III, chap. I) : « Connais-tu la contrée où les citronniers fleurissent ? Dans le sombre feuillage brillent les pommes d’or ; un doux vent souffle du ciel bleu ; le myrte discret s’élève auprès du superbe laurier… La connais-tu ? / “C’est là, c’est là, ô mon bien-aimé, que je voudrais aller avec toi.” / Connais-tu la maison ? Son toit repose sur des colonnes ; la salle brille, les chambres resplendissent, et les figures de marbre se dressent et me regardent. “Que vous a-t-on fait, pauvre enfant ?” La connais-tu ? / “C’est là, c’est là, ô mon protecteur, que je voudrais aller avec toi.” / Connais-tu la montagne et son sentier dans les nuages ? La mule cherche sa route dans le brouillard ; dans les cavernes habite l’antique race des dragons ; le rocher se précipite et, après lui, le torrent. La connais-tu ? / “C’est là, c’est là que passe notre chemin : ô mon père, partons !” » Théophile Gautier, dans La Comédie de la mort, « La chanson de Mignon », en a donné une adaptation (1833). Les citrons renvoient à une Italie idéale pour un amour pur.
9 La description de ce jardin méditerranéen est proche de celle du jardin de l’enfance à Monaco qu’on trouve dans les « Anecdotiques » (août 1914). Rappelons que le motif du jardin, en particulier le jardin des Hespérides, a des connotations érotiques dans les Lettres à Lou (Gallimard, coll. « L’Imaginaire », 1990, p. 16, 33, 50, 52, 191…) et les Poèmes à Lou (XXX, Train militaire, Po, p. 421), et dans les Poèmes à Madeleine, « Le deuxième poème secret », Po, p. 622). Les grenades ont une signification chrétienne (la charité répandue par le sang) et païenne (force sexuelle, renaissance). Les figues ont une signification sexuelle : « Tes seins ont le goût pâle des kakis et des figues de barbarie / Hanches fruits confits je les aime ma chérie » (Po, p. 387) ; « Ô figue mûre et secrète que je désire dont j’ai faim » (Poèmes à Madeleine, « Le troisième poème secret », Po, p. 624). Sur les grenades, voir Po, p. 421.
10 Harpe grecque à dix cordes. On retrouve le motif du banquet, qui rappelle autant le dialogue homonyme de Platon, puisqu’on y parle d’amour, que les banquets propres à Apollinaire, celui de « Palais » (voir p. 127 s.), du « Roi-Lune » (Pr, 1, p. 305-306) ou de La Femme assise (Pr, 1, p. 466-469).
11 Voir Renan, Marc Aurèle et la fin du monde antique, chap. XXI, qui cite Celse selon qui l’histoire d’un coq de Tanagra guéri par Esculape illustrait la crédulité populaire.
12 Dans l’Antiquité, région située entre les cours inférieurs de l’Euphrate et du Tigre. Nabuchodonosor était d’origine chaldéenne. Sur la grandeur de ce royaume où le peuple juif vécut en exil, voir La Fin de Babylone. Dans le livre de Daniel, le terme « Chaldéens » désigne les savants babyloniens : prêtres, astronomes, astrologues et magiciens qui formaient une sorte de caste.
13 Le brouet est la nourriture donnée à Sparte, aliment semi-liquide très simple.
14 Les fèves étaient interdites dans la secte de Pythagore. Diogène Laërce écrit dans sa Vie de Pythagore (VIII, 1) : « À propos des fèves, Aristote dit que Pythagore les proscrivait soit parce qu’elles ont la forme de testicules, soit parce qu’elles ressemblent aux portes de l’enfer : en effet, seules elles n’ont pas de gonds ; soit encore parce qu’elles corrompent, ou parce qu’elles ressemblent à la nature de l’univers, ou encore parce qu’elles sont le symbole d’un État oligarchique. En effet, elles servent pour le tirage au sort. » Dans L’Enchanteur pourrissant, on se moque d’Apollonius de Tyane : « Ô puceau philosophe, abstiens-toi de fèves » (Pr, 1, p. 61).
15 Dans « Signe », les noix sont des baisers (voir p. 283).
16 Allusion à la théorie de la métempsychose de Pythagore qui, selon Ennius, dans un fragment, ou selon Pindare (Olympiques, 2, 56 suiv.), se serait antérieurement incarné sous les formes d’un paon, puis du guerrier troyen Euphorbe, puis d’Homère.
17 Vent du nord (le territoire des Scythes s’étendait dans l’Antiquité au nord de la Grèce et de l’Asie Mineure).
18 Voir Henri de Régnier, « La vigile des grèves » : « Ils sont venus pendant les siècles de nos larmes / […] / Les marchands […] / Les ânes roux […] / Puis ce furent des bouffons et des astrologues, / […] / Les grands chevaliers […], des pèlerins […], des apôtres […], / Et des Barbares » ; à chaque occurrence correspond un quatrain d’alexandrins (Poèmes anciens et romanesques, Paris, Mercure de France, 1897, p. 18).
19 La version de La Plume (1903) est différente : « Des conquérants fictifs rués pour la vindicte ».
20 Allusion à Moïse et à divers passages du livre de l’Exode (4, 10 : Moïse bègue ; 34, 29-35 : le rayonnement de son visage ; 16, 4-35 : les Hébreux miraculeusement nourris dans le désert ; 14, 21-29 : la traversée de la mer Rouge).
21 L’Euphrate baigne avec le Tigre la Mésopotamie.
22 « Gemmipare » : qui se reproduit par des gemmes, éléments reproducteurs d’un végétal ou de certains polypes. Mais Apollinaire donne un autre sens à « gemme », celui de pierre précieuse, si bien que l’adjectif signifie ici « qui produit des pierres précieuses ». Allusion possible à Henri de Régnier, « Le songe de la forêt » : « J’entendis sur l’étang chanter votre oiseau d’or. / Le bois clair se gemma de pierreries / De voix de diamant, de voix de rubis, de voix de saphir, / Et le chant s’exhala plus riche à se fleurir / Et l’oiseau semblait crier des pierreries » (Poèmes anciens et romanesques, Tel qu’en songe, augmentés de plusieurs poèmes, Mercure de France, 1897, p. 97) ; cet oiseau d’or devient oiseau bleu (p. 99).
23 La version de La Plume (1903) est différente : « Effrayants et fardés, les poètes barbares, / Troupe lâche, cherchaient pour y chaste mourir, / La forêt précieuse aux oiseaux gemmipares / Où des fruits doux et vénéneux pour eux mûrirent. »
24 Adjectif rare, qui signifie « de mauvais goût, grotesque, bouffon ».
25 La chape est un long manteau de cérémonie agrafé par-devant au moyen du « mors », composé de deux plaques fixées sur les bords. Apollinaire identifie l’angle formé par l’ouverture de la chape agrafée à un triangle isocèle. Cette figure géométrique est assimilée enfin à Pallas, déesse des arts et des sciences. Le « triangle isocèle » désigne aussi, par exemple dans le « Deuxième poème secret » à Madeleine, la « toison insolente » féminine (Po, p. 623).
26 La fiancée du Cantique des cantiques est belle et noire (1, 5).
27 Boules de terre, creuses et légères, contenant des cendres ou des pétales de fleurs et que l’on jetait dans certaines fêtes au Moyen Âge. Apollinaire utilise ce mot dans le portrait de Jean Royère (voir p. 442 le Dossier).
28 Baisers linguaux.
29 La version de La Plume (1903) est différente : « Ceux de ta secte adorent-ils la vie obscène : / Belphégor le soleil le silence ou le chien, / Parce qu’il est bien d’être obscènes quand on s’aime ? » « Belphégor » : Baal Pe’or (Nombres, 25, 3 ; Deutéronome, 4, 3 ; Osée, 9, 10), un des dieux des filles de Moab qui entraînent à la débauche et à l’idolâtrie le peuple juif. « Le soleil » : peut-être le dieu solaire égyptien Rê, assimilé au dieu Amon, dieu créateur des pharaons ; le chien est également présent dans le panthéon égyptien, sous les formes d’Anubis, de Seth, d’Oupaout ou Oupouaout ; le silence est associé dans la même mythologie à Merertseger, représentée sous les traits d’un cobra royal, qui veille sur les tombes et les morts. Quant aux serpents qui s’entr’aiment, peut-être est-ce une allusion à l’ouroboros, le serpent qui se mord la queue, dont le culte est attesté en Mésopotamie et en Égypte, et qui est représenté sur les pyramides ; symbole alchimique, représentation du cycle de la vie et de la mort et de l’éternelle unité du grand Tout.
30 Futur simple du verbe « choir ».
31 Allusion aux deux larrons crucifiés en même temps que Jésus (Luc, 23, 39-44).
32 Instruments à percussion, formés d’un cadre en fer à cheval traversé de trois ou quatre tiges métalliques et sonores, parfois garnies de rondelles ou de sonnailles, que l’on agitait pour célébrer le culte des déesses Hathor et Isis.
33 Le bon larron est à droite, le mauvais larron est à gauche (sinister en latin), donc « sinistre ».
34 Allusion à la chute du Christ (« l’absolu ») pendant la Passion (stations 3, 7 et 9 du chemin de croix).
35 Allusion ironique à la Trinité : le Père engendre le Fils et de leur amour est engendré le Saint-Esprit. Renan présente ce dogme comme bien affirmé au IIe siècle (Marc Aurèle et la fin du monde antique, chap. XXVIII).
36 Terme de théologie scolastique : propriété caractéristique de l’Être qui existe par soi et à l’exclusion de toute dépendance causale et de toute origine. S’il y a grossesse, il n’y a pas aséité du Christ ; c’est donc le dogme de la Vierge Marie qui est rejeté.
37 La licorne. Quant au gnou, c’est un ruminant d’Afrique australe, du genre antilope, dont la taille, la crinière et la queue rappellent celles du cheval, et les cornes recourbées celles du bœuf.
38 Mot énigmatique, où Scott Bates a vu une déformation de « pantasbe », nom d’une pierre magnétique découverte par Apollonius de Tyane, qui attire l’or.
39 Lépreux.
40 Le roseau, sceptre dérisoire que les soldats remettent au Christ, et la croix qu’ils lui font porter.
41 Au chapitre XXIV de Marc Aurèle et la fin du monde antique, Renan parle de l’école d’Édesse, et de Bardesane, « un homme du monde, riche, aimable, libéral, instruit, bien posé à la cour », proche du roi d’Édesse Abgar VIII bar Manou (176-213), qui tenta de concilier le christianisme et l’héritage de la pensée chaldéenne, qui fut poète, et que les chrétiens rejetèrent parce qu’il était séducteur de femmes et faisait « œuvre de magie ».
42 La Trinité. Sur la signification charnelle de la triade, voir « La déclamation du premier druide » (Po, p. 695).
43 Voir p. 217, v. 45 « Lul de Faltenin ».
44 Dans Marc Aurèle et la fin du monde antique, Renan écrit : « La croix elle-même n’était jamais représentée, ni dans les églises ni dans les maisons ; au contraire, le signe de la croix fait en portant la main au front était fréquemment répété » (chap. XIX). Quant à la croix du Christ, elle était associée par les païens au « dernier supplice » (selon Minucius Felix, cité par Renan, ibid.) et « l’ignominie de la croix » constituait « un grand scandale pour les païens » (chap. XXIX).