Voie lactée ô sœur lumineuse

Des blancs ruisseaux de Chanaan

Et des corps blancs des amoureuses

Nageurs morts suivrons-nous d’ahan

180 Ton cours vers d’autres nébuleuses

 

Les démons du hasard selon

Le chant du firmament nous mènent

À sons perdus leurs violons

Font danser notre race humaine

185 Sur la descente à reculons63

 

Destins destins impénétrables

Rois secoués par la folie

Et ces grelottantes étoiles

De fausses femmes dans vos lits

190 Aux déserts que l’histoire accable

 

Luitpold le vieux prince régent

Tuteur de deux royautés folles64

Sanglote-t-il en y songeant

Quand vacillent les lucioles

195 Mouches dorées de la Saint-Jean

 

Près d’un château sans châtelaine

La barque aux barcarols chantants65

Sur un lac blanc et sous l’haleine

Des vents qui tremblent au printemps

200 Voguait cygne mourant sirène

 

Un jour le roi dans l’eau d’argent

Se noya puis la bouche ouverte

Il s’en revint en surnageant

Sur la rive dormir inerte

205 Face tournée au ciel changeant66

 

Juin ton soleil ardente lyre

Brûle mes doigts endoloris

Triste et mélodieux délire

J’erre à travers mon beau Paris

210 Sans avoir le cœur d’y mourir

 

Les dimanches s’y éternisent

Et les orgues de Barbarie

Y sanglotent dans les cours grises

Les fleurs aux balcons de Paris

215 Penchent comme la tour de Pise

 

Soirs de Paris ivres du gin

Flambant de l’électricité

Les tramways feux verts sur l’échine

Musiquent au long des portées

220 De rails leur folie de machines

 

Les cafés gonflés de fumée

Crient tout l’amour de leurs tziganes

De tous leurs siphons enrhumés

De leurs garçons vêtus d’un pagne67

225 Vers toi toi que j’ai tant aimée

 

Moi qui sais des lais pour les reines

Les complaintes de mes années

Des hymnes d’esclave aux murènes

La romance du mal aimé

230 Et des chansons pour les sirènes

1 Pré-originale : Mercure de France, no 285, 1er mai 1909, sans la dédicace, sans l’épigraphe, la « Réponse des Cosaques Zaporogues au sultan de Constantinople » ne comportant que la première strophe. Le néologisme « mal-aimé » est forgé sur l’expression figée « bien-aimé ». Dans la pré-originale, le poème porte la date de 1903. Est-ce à dire que la composition date de 1903 ? C’est peu probable. On peut considérer que la version publiée en 1909 est achevée en avril 1905, quand Apollinaire annonce la parution de Le Vent du Rhin, suivi de « La Chanson du mal-aimé », dans La Revue immoraliste. Il existe deux ensembles manuscrits du poème : le premier, qui porte le titre « Le Violon à l’âme en peine », remplacé par « La Chanson du mal-aimé », comprend l’« Aubade » (qui était à l’origine un poème indépendant), la « Réponse des Cosaques Zaporogues », « Les sept épées », et la partie centrale du présent poème ; manquent l’épisode de Londres et l’épisode final de Paris, qui appartiennent à un autre manuscrit intitulé « La fausse bien-aimée ». Apollinaire a fondu les deux projets de poème en un seul, le premier étant centré sur les souvenirs et le désespoir de ne pouvoir oublier, l’autre sur la fausseté et sur la persistance de l’amour. Le récit donné par le poème diffère des événements réels, comme l’a montré parfaitement Michel Décaudin (Apollinaire, Le Livre de Poche, coll. « Références », 2002, « Le vrai roman d’Annie et de Wilhelm », p. 108-110). Après son retour d’Allemagne en août 1902, Apollinaire revoit Annie Playden à Londres en novembre 1903, puis en mai 1904, où il est attendu par la jeune femme qui lui a envoyé ce que l’on peut considérer comme une invitation. La séparation a pourtant lieu : Annie Playden invoque un départ pour l’Amérique, qu’elle rend effectif ensuite. Se rattachent à ce contexte le poème « Annie » (voir p. 139) et « L’émigrant de Landor Road » (voir p. 233). Conscient de la dureté et des excès de son poème, Apollinaire écrit à Madeleine Pagès le 30 juillet 1915 : « La Chanson du mal-aimé qui datant de 1903 commémore mon premier amour à vingt ans, une Anglaise rencontrée en Allemagne, ça dura un an, nous dûmes retourner chacun chez nous, puis nous ne nous écrivîmes plus. Et bien des expressions de ce poème sont trop sévères et injurieuses pour une fille qui ne comprenait rien à moi et qui m’aima puis fut déconcertée d’aimer un poète être fantasque ; je l’aimai charnellement mais nos esprits étaient loin l’un de l’autre. Elle était fine et gaie cependant. J’en fus jaloux sans raison et par l’absence vivement ressentie, ma poésie qui peint bien cependant mon état d’âme d’alors, poète inconnu au milieu d’autres poètes inconnus, elle loin et ne pouvant venir à Paris. Je fus la voir deux fois à Londres, mais le mariage était impossible et tout s’arrangea par son départ à l’Amérique, mais j’en souffris beaucoup, témoin ce poème où je me croyais mal-aimé tandis que c’était moi qui aimais mal […] » (Tendre comme le souvenir, p. 70).

2 C’est Paul Léautaud, secrétaire de rédaction du Mercure de France, qui a permis la parution, en 1909, du poème envoyé depuis plusieurs années à la revue par Apollinaire. Marcel Adéma a publié son récit en mars 1954 dans Le Flâneur des deux rives : « À un moment je [Léautaud] lui [Apollinaire] demandai pourquoi il n’envoyait pas de vers au Mercure. Il me répondit qu’il y avait pas mal de temps qu’il en avait envoyé et qu’il n’en avait aucune nouvelle. / Le lendemain matin, en arrivant au Mercure, monté chez Vallette pour prendre les papiers de mon service, je cherchai tout de suite dans le carton des manuscrits. Je trouvai celui d’Apollinaire : La Chanson du Mal Aimé. Je lus, je lus deux fois, trois fois, je fus transporté, émerveillé, ravi, touché. Cette mélancolie, ce ton évocatoire, ce bohémianisme, cette errance d’esprit, ce côté un peu tzigane et l’absence de cette abomination de la poésie habituelle : la rime riche. Je dis de loin à Vallette [directeur du Mercure], assis à son bureau, à l’autre bout de la grande pièce : “Vous savez qu’il y a des vers d’Apollinaire remarquables.” Il me répondit sans plus : “Mettez-les dans la case des manuscrits acceptés.” J’écrivis à Apollinaire : “Vos vers sont acceptés, ils paraîtront prochainement.” »

3 L’amour qui meurt est l’amour pour Annie Playden ; l’amour qui renaît est l’amour pour Marie Laurencin. Il y a donc au moins deux moments d’écriture : l’un en 1903, pour le poème ; l’autre en 1912, au moment de la publication en recueil, où sont opérés les ajouts à la « Réponse » et où est introduite l’épigraphe.

4 Alors que les plus anciens poèmes du recueil sont composés en quatrains d’alexandrins (« Le larron », « L’ermite », « Merlin et la vieille femme » ; et par ailleurs Po, p. 320 « Les dicts d’amour à Linda », Po, p. 323 « La force du miroir », Po, p. 332 « Adieux » et voir Po, p. 344 « L’ignorance »), c’est avec « Les sapins » (daté de 1901), puis « La Chanson du mal-aimé », puis un poème intitulé « 1904 », qui évoque le carnaval de Strasbourg, et « Marizibill », qu’Apollinaire recourt au quintil d’octosyllabes, que l’on retrouvera dans « Lul de Faltenin », « Le brasier » (1), et plus tard dans « Les collines » (Po, p. 171). Ce sont bien des quintils qui apparaissent sur le manuscrit du Fonds Doucet (no 7213-19) avec le schéma de rimes ABABA. Apollinaire avait fait un usage exceptionnel de cette forme du quintil dans ses premiers poèmes, « L’amour », daté du séjour de Stavelot (Po, p. 509). Dans les Poèmes à Yvonne, de 1903, « Vous dont je ne sais pas… » est composé de quintils d’alexandrins (Po, p. 543).

5 Exode, 14, 5-25.

6 La femme aimée est, par exemple chez Adolphe Retté (Une belle dame passa, « Soir trinitaire », V), « l’Unique » (Œuvres complètes, t. I, Bibliothèque artistique et littéraire, 1898, p. 148), et aussi le « mensonge amer de la réalité » (ibid., p. 150).

7 Anachronisme, puisque « lisse » (ou « lice ») désigne un tapis confectionné sur un métier de haute lisse, les lisses désignant des fils de trame où passe le fil de chaîne.

8 Odyssée, chant XVII, où le vieux chien Argos reconnaît son maître Ulysse avant de mourir. Pour différer sa réponse aux prétendants, Pénélope tisse sur le métier un grand voile, et leur déclare qu’elle ne peut contracter un nouveau mariage avant d’avoir achevé cette tapisserie destinée à envelopper le corps de son beau-père Laërte quand il viendra à mourir. Dans l’attente du retour d’Ulysse, elle défait la nuit ce qu’elle a fait le jour.

9 Répudiée par son époux le roi Douchmanta, la reine Sakuntala retrouva par la suite son affection. Elle vivait retirée dans une forêt, ayant sous sa protection une gazelle. Théophile Gautier a rédigé un livret de ballet, L’Anneau de Çakountala (1858), d’après le récit de Kalidasa (le poème « Sakountala », Po, p. 853).

10 Voir « Adieux » (1901), poème à Linda, où se trouve un état proche de ce vers : « Et des pauvres fameux pour vous vendraient leur ombre » (Po, p. 332). Dans La Merveilleuse Histoire de Peter Schlemihl, de Chamisso, le héros vend son ombre au diable.

11 Ville de Petite Arménie, où quarante soldats romains convertis au christianisme subirent le martyre en 320, condamnés à mourir sur un étang gelé.

12 Sur la métaphore du navire de la mémoire, voir p. 245 « Le brasier » (2).

13 Apollinaire renouvelle le cliché de « l’onde amère ». Quant à la navigation de la mémoire, elle reprend une métaphore présente dans la poésie symboliste, par exemple chez Henri de Régnier qui, dans Tel qu’en songe, écrit : « Et j’ai traversé l’eau du lac de ma mémoire / Sans la Nixe entrevue au cristal incertain » (Mercure de France, 1897, p. 127).

14 En 1902.

15 Allusions à la mythologie grecque, selon laquelle la Voie lactée aurait pour origine le lait échappé du sein d’Héra allaitant Héraclès, et à l’Ancien Testament, où Chanaan est le « pays où coulent le lait et le miel » (Exode, 3, 17 ; 13, 5). « Ahan », archaïsme, signifie effort pénible, et aussi respiration bruyante ; « d’ahan » est une locution figée signifiant avec effort pénible (« Les bacs », Po, p. 536). Le motif du noyé et de la noyade hante le recueil Alcools, par exemple « Nuit rhénane », « L’émigrant de Landor Road ». Dans la tradition populaire, la Voie lactée est le chemin de Saint-Jacques, suivi par les navigateurs en route vers le Nouveau Monde. Y aurait-il, enfin, une réminiscence des Rois mages (« Étoile », Po, p. 662) ?

16 En latin, « réjouis-toi » ; nom donné au quatrième dimanche de carême. Ce chant d’allégresse chrétien devient un chant d’amour païen.

17 Le dieu de la guerre, qui a donné son nom au premier mois du printemps, et la déesse de l’amour : couple d’amants terribles de la mythologie antique.

18 Fréquentatif de « feuillir », l’archaïsme « feuilloler » signifie « se garnir de feuilles » ou « voler comme des feuilles ». Apollinaire l’utilise dans « Lul de Faltenin », « L’émigrant de Landor Road », « Les fiançailles », ou encore L’Enchanteur pourrissant.

19 Pan est le dieu sauvage des bergers et des troupeaux, symbole de la force de vie et de l’univers.

20 Voir p. 127, v. 6 « Palais ».

21 Plutarque rapporte que, sous le règne de Tibère, un pilote égyptien, Thasmos, au large des îles de Paxos, entendit une voix lui ordonner d’annoncer : « Le Grand Pan est mort. » On fit de ce message un signe de la fin des dieux antiques provoquée par le Christ et le message christique. Le motif est fréquent dès la Renaissance, et se retrouve chez Verhaeren (Les Forces tumultueuses, 1902). Apollinaire consacre à Pan un sonnet qui a cette signification (« Mort de Pan », Po, p. 707). Rappelons que Georges Clemenceau a rédigé un ouvrage intitulé Le Grand Pan.

22 Le Romain Vedius Pollion, aristocrate contemporain de l’empereur Auguste, selon une tradition latine, punissait ses serviteurs en les faisant jeter dans les viviers où il élevait des murènes, qui sont carnivores. L’anecdote se trouve chez Victor Hugo dans l’ode « L’homme heureux » (Odes et ballades, IV, 8). Apollinaire reprend deux vers qui se trouvent dans le poème « Je vis un soir la zézayante » (1900) : « Moi, qui sais des lais pour les reines / Et des chansons pour les sirènes, / Ce bayement long m’éluda » (Po, p. 327).

23 Artémise II, reine d’Halicarnasse, en Asie Mineure, fit construire le Mausolée en mémoire de son époux (IVe siècle av. J.-C.).

24 Population du sud de la Russie, les Cosaques zaporogues, fidèles à l’orthodoxie chrétienne du Décalogue, ont résisté aux invasions turques. À partir du XVIIe siècle circulent des lettres, probablement apocryphes, des Cosaques au sultan de Constantinople, reprises dans la revue La Russie d’antan en 1872-1873 ou dans des ouvrages. Le texte d’Apollinaire est très proche d’une version de la lettre mise en circulation. De même, la scène de la rédaction de la lettre a été illustrée par le peintre russe Répine à plusieurs reprises entre 1878 et 1891 (reproduction dans En Petite Russie, Nilsson, 1903). On y voit des Cosaques hilares groupés autour de l’un d’eux qui écrit à la lueur d’une chandelle. Apollinaire aurait trouvé cet épisode dans les Kryptadia, série de neuf volumes du folklore érotique européen (Scott Bates, Petit glossaire des mots libres d’Apollinaire).

25 Emprisonné à Jérusalem, Barrabas fut, à la demande du peuple juif, libéré par Ponce Pilate de préférence au Christ le jour de la Passion.

26 Ville de Macédoine, sous domination turque depuis 1430, qui fut rattachée à la Grèce en 1913.

27 Région d’Ukraine, au nord des Carpates et au sud de la Volhynie, qui fut envahie par les Turcs sous le règne du roi Michel Wisniowiecki, ce qui rendait la Pologne vulnérable aux attaques des Turcs. Jean Sobieski, à la bataille de Chokzim (1674), délivra la Pologne de cette dépendance et du tribut que le pays versait à l’empire ottoman.

28 La comparaison à signification érotique apparaît à l’époque romantique pour désigner des « mangeuses d’hommes ». Apollinaire la reprend dans sa correspondance (Tendre comme le souvenir, lettres du 19 novembre, du 22 novembre, du 16 décembre 1915) et dans sa poésie érotique (Poèmes à Madeleine, « Le deuxième poème secret » (Po, p. 622).

29 Baisers linguaux, « Adieux » (Po, p. 332) et voir p. 207, v. 79 « Le larron ».

30 Sur le motif des regards étoiles, voir p. 215, v. 21 « Lul de Faltenin », voir p. 285, v. 5 « Un soir » et Po, p. 414 « Faction » ; Poèmes à Madeleine, « Les neuf portes de ton corps » (Po, p. 619), « Le deuxième poème secret » (Po, p. 622). Apollinaire renouvelle une métaphore symboliste : voir par exemple Retté, L’Archipel en fleurs, « Fantôme » : « Ses yeux sombres, tantôt, seront la grande nuit / Où palpite indécis un mensonge d’étoiles » (éd. citée, p. 48) ; dans ce recueil, Retté déploie toute une thématique de l’amour charnel trompeur, par exemple dans « Dédicaces pour le paradoxe sur l’amour » (p. 49 suiv.).

31 Les cinquante filles de Danaos, poussées par leur père, tuèrent leurs époux la nuit de leurs noces, sauf une ; son mari tua les Danaïdes meurtrières, condamnées aux Enfers à remplir éternellement un tonneau sans fond.

32 Petite île des Antilles françaises, à l’est de la Guadeloupe, ainsi nommée par Christophe Colomb qui l’a découverte. Voir p. 247, v. 6 « Le brasier » (3).

33 Antoine Fongaro a rapproché ce rythme de celui de Théodore de Banville dans Les Cariatides (« Amours d’Élise ») : « Ô mon âme, ma voix pensive, / Ô mon trésor échevelé, / Mon myosotis de la rive, / Mon astre, mon rêve étoilé ! / Mon amour, ma blanche sirène, / Calice d’argent où je bois, / Ô ma jeune esclave, ô ma reine, / Mon poème à la douce voix ! » (1842).

34 Satyres : divinités champêtres ; égypans : divinités dont le corps est mi-humain, mi-caprin ; pyraustes : insectes nocturnes attirés par le feu, fréquents en été. Satyres et égypans sont aussi propres au registre de la poésie symboliste (voir, par exemple, Henri de Régnier, Poèmes anciens et romanesques, « Le fol automne » : « Et les ægypans blonds et les satyres roux / Ont gambadé devant toi comme des fous » (Mercure de France, 1897, p. 31).

35 « Fauste », en moyen français, signifie « heureux, fortuné » (du latin faustus).

36 Allusion à l’épisode, raconté par Froissart, des bourgeois qui, pour sauver Calais de la destruction, se livrèrent la corde au cou à Édouard III d’Angleterre qui assiégeait la ville (1347).

37 Animal fabuleux qui donne son nom au signe du zodiaque.

38 Unité de mesure représentant la longueur qui sépare les extrémités du pouce et du petit doigt quand l’ouverture de la main est maximale.

39 L’ombre est un motif cher à Apollinaire, voir p. 157 « Clotilde », voir p. 303, v. 3-4 « Les fiançailles », voir p. 283 « Signe », « Ombre » (Po, p. 217), et Le Poète assassiné, « Le départ de l’ombre » Pr, 1, p. 325.

40 Du grec argyros, « argent », et aspis, « bouclier » ; soldats d’élite de l’armée d’Alexandre le Grand, équipés d’un bouclier d’argent.

41 Esclaves ou artisans qui, dans les fêtes en l’honneur de Cybèle, au printemps, portaient de petits arbres (« Les poètes », Po, p. 721).

42 Habitante de Damas.

43 Aspérités qui subsistent sur le tranchant d’une lame avant que l’affilage ne les fasse disparaître. L’épée est un symbole du corps chez Apollinaire, par exemple dans La Femme assise, où « la jolie Corail, rousse aux yeux noisette », a « l’aspect d’une goutte de sang sur une épée » (chap. II, Pr, 1, p. 423).

44 Le culte de la Mater dolorosa et de Notre-Dame des Sept Douleurs se développe au XIIIe siècle, en Allemagne, puis en Italie. La fête de Notre-Dame des Douleurs est fixée au 15 septembre. Ce nom fait référence aux sept douleurs éprouvées par la Vierge Marie (Luc, 2, 34-35 : prophétie de Siméon ; Matthieu, 2, 13-21 : fuite en Égypte ; Luc, 2, 41-51 : disparition de Jésus au Temple pendant trois jours ; Luc, 23, 27-31 : rencontre de Jésus et de Marie sur le chemin de croix ; Jean, 19, 25-27 : Jésus crucifié ; Matthieu, 27, 57-59 : descente de croix ; Jean, 19, 40-42 : mise au tombeau). La dévotion se répand au XVe siècle sous la forme du chapelet et du scapulaire. L’iconographie et la statuaire illustrent ce motif en représentant la Vierge avec le cœur transpercé de sept glaives, poignards ou flèches. Les poètes du XIXe siècle, Leconte de Lisle, Baudelaire ou Jules Laforgue reprennent cette symbolique. Il existe une tradition d’exégèse et de méditation des Sept Douleurs, dans laquelle s’inscrit Claudel lorsqu’il compose, dans les années 1930, le commentaire L’Épée et le Miroir. Dans l’intermède des « Sept épées », le poème le plus hermétique du recueil, Apollinaire reprend le chiffre des sept glaives, qu’il énumère (une épée, un arc-en-ciel, un « chibriape », un fleuve, une quenouille, un ami, une femme), sans qu’il y ait de continuité explicite et sans que soit conservée la signification religieuse du symbole originel. On consultera la Bibliographie sur les interprétations alchimiques, érotiques, poétiques, et aussi religieuses, que ces sept quintils ont suscitées.

45 Le titre porté sur le manuscrit est : « Les sept épées qui sont mes sept douleurs ».

46 Diminutif de « pâle ».

47 Aux XIIe et XIIIe siècles, en Italie, sur la question du trône du Saint Empire romain germanique, les gibelins, partisans de la dynastie des Hohenstaufen, s’opposent aux guelfes, partisans de la famille des Welf et de la papauté. Apollinaire revient sur cette querelle dans « Vendémiaire » (voir p. 357, v. 98-112).

48 Le dieu Vulcain, dont les ateliers sont dans l’Etna, aussi appelé mont Gibel, forge les armes des dieux et des héros, par exemple celles d’Énée dans l’Énéide de Virgile. Mais il ne meurt jamais en forgeant. Faut-il voir ici une allusion à une chanson paillarde de carabins ?

49 Mot que l’on peut associer au latin nubere, « couvrir », « se voiler », « épouser », et à nubes, « nuage », « voile » ; on y retrouve « bosse », rondeur, et la syllabe nou présente dans « nouer, nœud ».

50 Mot créé par Apollinaire, à l’origine incertaine. On a proposé diverses interprétations : Berruyers, Berrichons connus pour être querelleurs ; bel-rieurs, gais lurons ; dérivation du provençal beriu, hérétique…

51 Opposée aux fées marraines, la fée Carabosse est vieille, laide, méchante et bossue. Elle apparaît dans La Belle au bois dormant, et dans des contes de Mme d’Aulnoy (La Biche au bois, La Princesse printanière).

52 Mot-valise, réunion de « chibre », sexe masculin, et de « Priape », divinité païenne de la fertilité.

53 Lul, en argot flamand, désigne le phallus ; « faltenin » dériverait, par calembour, de phallum tenens, « tenant son phallus » en latin.

54 Pré-originale : « Et que porte sur une nappe / Devant l’antipapesse, un nain ». Apollinaire joue peut-être sur le nom d’Hermès Trismégiste, « Hermès trois fois très grand », donné par les Grecs à un personnage mythique, assimilé au dieu égyptien Thot, à qui était attribuée la révélation de doctrines ésotériques répandues dans les premiers siècles du christianisme par divers traités réunis dans le Corpus Hermeticum, source de l’alchimie au Moyen Âge. Voir p. 135 « Crépuscule » et Po, p. 3 et 33, dans Le Bestiaire, « Orphée ».

55 Nom d’origine inconnue.

56 Sur l’épée fleuve, « Les collines » (Po, p. 171) et « À l’Italie » (Po, p. 274).

57 Comparer avec « Nuit rhénane » (voir p. 251). Le cinquième vers adapte un vers d’un sonnet ancien, « L’enfant d’or » (« La chanson des rameurs sur les vagues se traîne » ; Po, p. 577), dont une variante, « La fuite », a paru dans La Plume (no 374, 15 juin 1905).

58 Voir « Onirocritique », dans L’Enchanteur pourrissant, où Sainte-Fabeau est une langue de serpent (Pr, 1, p. 74-76). Le mot serait forgé à partir du latin fari, « dire », « parler », et de « beau ».

59 Sur les quenouilles, voir p. 127, v. 7 « Palais » : « les grenouilles / Elles ont envie des cyprès grandes quenouilles » ; également « Enfance » (Po, p. 651) ou « L’amoureuse » (Po, p. 848). La quenouille se retrouve dans les contes de fées, par exemple La Belle au bois dormant.

60 Voir p. 269 « Rhénane d’automne ».

61 Analogie fréquente entre la rose et la femme ; voir Lou ma rose (Po, p. 475).

62 Voir Jules Laforgue, Les Complaintes, « Complainte de la bonne défunte » : « Vrai, je ne l’ai jamais connue », et Adolphe Retté, Une belle dame passa, « Soir trinitaire », V : « Les colombes ont fui… je ne te connais pas ! / Adieu… » (Œuvres complètes, t. I, 1898, p. 148). Sur la porte, métaphore du poème, ouverture sur le passé ou fermeture au passé, voir p. 167, par exemple, « Le voyageur ».

63 Voir Baudelaire, Les Fleurs du Mal, « Au lecteur » : « C’est le Diable qui tient les fils qui nous remuent ! / […] / Chaque jour vers l’Enfer nous descendons d’un pas […]. » Sur les constellations qui mènent la vie humaine, voir p. 245 « Le brasier » (2).

64 Ces rois fous sont Louis II de Bavière (1845-1886) et son frère Othon Ier (1848-1916), qui lui succéda. Louis II était homosexuel. Luitpold, leur oncle, fut désigné régent de la Bavière à la déchéance de Louis II et demeura en fonction pendant le règne d’Othon Ier. Voir l’article d’Apollinaire du 1er avril 1911, « Anecdotiques » (Mercure de France).

65 L’italianisme « barcarol » désigne le gondolier.

66 Louis II s’est noyé, le 12 juin 1886, dans le lac du château de Berg, au sud de Munich. Rappelons qu’il est le Roi-Lune dans le conte qui porte ce titre (Pr, 1, p. 303-319). Apollinaire idéalise la mort puisque le roi vogue sur une barque qui rappelle la nef tirée par des cygnes dans Lohengrin (histoire du chevalier au cygne), l’opéra de Wagner dont Louis II fut le mécène. À Louis II est ici associée la figure d’Ophélie du Hamlet de Shakespeare, reprise par les symbolistes et Apollinaire lui-même, par exemple dans « Languissez languissez… » (Po, p. 567) et dans « Poème lu au mariage d’André Salmon » (voir p. 181).

67 Le tablier des garçons de café.