Chapitre 6 Fonctions du Cœur

Le Cœur est considéré comme l’organe le plus important de tous. On le décrit comme le « monarque », le « maître » de tous les autres organes. Au chapitre 8 des « Questions simples », il est dit : « Le Cœur est tel un monarque et il gouverne l’Esprit (Shen) … ».1 Au chapitre 71 de « L’axe spirituel », on lit : « Le Cœur est le Monarque des cinq organes Yin et des six organes Yang, et il fournit un logis à l’Esprit (Shen).2

FONCTIONS

Les principales fonctions du Cœur sont de gouverner le Sang et les vaisseaux sanguins et d’abriter l’Esprit (Shen). Les autres fonctions sont répertoriées dans le cadre 6.1.

Le Cœur gouverne le Sang

Le Cœur gouverne le Sang de deux façons :

Il est essentiel que le Cœur soit en bonne santé pour assurer à tous les tissus du corps un approvisionnement correct en Sang. Lorsque les fonctions du Cœur sont perturbées, par exemple, en cas de vide de Sang du Cœur, la circulation du Sang est faible et les mains ont tendance à être froides.

Les relations entre le Cœur et le Sang sont également importantes dans la mesure où elles déterminent la force constitutionnelle de l’individu.

Bien que la constitution soit principalement associée à l’Essence et au Rein, elle est aussi partiellement déterminée par la force constitutionnelle relative du Cœur et du Sang. Si le Cœur est vigoureux, la quantité de Sang est importante et sa circulation est bonne ; l’individu est alors plein de vigueur et jouit d’une constitution forte. Si le Cœur est constitutionnellement faible et le Sang insuffisant, l’individu est de constitution faible et il n’a pas de force. Une faiblesse constitutionnelle du Cœur se traduit par une longue fissure superficielle au centre de la langue, et par un pouls du Cœur et un pouls du Rein faibles tous les deux (Fig. 6.1).

Le Sang du Cœur a aussi une influence indirecte sur la menstruation. Bien que ce soit le Sang du Foie qui soit le plus important dans la fonction de menstruation, le Sang du Cœur y joue aussi un rôle car c’est le Cœur qui contrôle l’écoulement du sang pendant les menstruations ; autrement dit, bien que ce soit le Sang du Foie qui soit stocké dans l’Utérus, c’est le sang du Cœur qui contrôle le mouvement de descente du Qi et du Sang, responsable du déclenchement des menstruations.

Comme nous l’avons dit précédemment, l’une des fonctions les plus importantes du Sang du Cœur est « d’abriter » l’Esprit (Shen). Au chapitre 10 des « Questions simples », il est dit : « Le Sang est lié au Cœur ».3

Le cadre 6.2 résume ces différents points.

Le Cœur contrôle les vaisseaux sanguins

Comme le Cœur contrôle le Sang, il est naturel qu’il contrôle également les vaisseaux sanguins. L’état de l’énergie du Cœur se reflète dans l’état des vaisseaux sanguins. Les vaisseaux sanguins dépendent du Qi du Cœur et du Sang. Si le Qi du Cœur est vigoureux, les vaisseaux sanguins sont en bon état, le pouls est plein et régulier. Si le Cœur est faible, le pouls est faible et irrégulier. Au chapitre 44 des « Questions simples », on trouve : « Le Cœur gouverne les vaisseaux sanguins ».4 Si le Sang du Cœur est abondant, le pouls est plein et régulier ; si le Sang du Cœur est insuffisant, le pouls est Rugueux ; si le Sang du Cœur présente des stases, les vaisseaux sanguins sont durs au toucher et ces stases peuvent entraîner de l’artériosclérose.

Les « vaisseaux sanguins » ont aussi une autre signification en médecine chinoise dans la mesure où ils représentent une couche énergétique, tout comme la peau, les muscles, les tendons et les os. Les couches énergétiques, par ordre de profondeur croissante, sont répertoriées ci-dessous.

Par exemple, une classification du Syndrome d’Obstruction Douloureuse (Bi) du « Classique de médecine interne de l’Empereur Jaune » repose sur ces cinq couches énergétiques associées à cinq formes de syndromes Bi (c’est-à-dire le syndrome Bi de la Peau, le syndrome Bi des Muscles, etc.). Les cinq couches énergétiques constituées par la peau, les muscles, les tendons, les vaisseaux sanguins et les os servent aussi dans le diagnostic par le pouls, car le niveau superficiel du pouls reflète l’état de la peau et des muscles (le Poumon et la Rate), le niveau intermédiaire reflète les tendons et les vaisseaux sanguins (le Foie et le Cœur) et le niveau profond reflète les os (le Rein).

Le cadre 6.3 résume ces différents points.

Le Cœur abrite l’Esprit

En médecine chinoise, le Cœur est le lieu de résidence de l’Esprit (Shen). Le mot Shen peut avoir différents sens et, en médecine chinoise, il est au moins utilisé dans deux contextes différents.

Tout d’abord, Shen, au sens strict, évoque l’ensemble des facultés mentales qui sont dites « résider au Cœur ». Dans cette acception du terme, Shen correspond à l’Esprit et entretient une relation spécifique avec le Cœur.

Ensuite, au sens large, le mot Shen sert à désigner la totalité de la sphère des aspects mentaux et spirituels de l’être humain. Dans cette acception du terme, il est non seulement lié au Cœur, mais englobe aussi les phénomènes mentaux et spirituels de tous les autres or ganes, notamment des organes Yin, c’est-à-dire l’Âme Éthérée (Hun), l’Âme Corporelle (Po), l’Intellect (Yi), la Volonté (Zhi) et l’Esprit (Shen) lui-même.

L’Esprit du Cœur

Voyons maintenant la nature et les fonctions de l’Esprit, pris dans le premier sens évoqué ci-dessus.

Selon la médecine chinoise, l’activité mentale et la conscience « résident » au Cœur, ce qui signifie que l’état du Cœur (et du Sang) a des répercussions sur les activités mentales, y compris sur l’état émotionnel de l’individu. Cinq fonctions sont plus particulièrement affectées par l’état du Cœur (Cadre 6.5).

Si le Cœur est vigoureux et le Sang abondant, l’activité mentale est normale, la vie émotionnelle équilibrée, la conscience claire, la mémoire bonne, la pensée vive et le sommeil bon. Un Cœur faible et un Sang insuffisant entraînent des problèmes mentaux (comme la dépression), une mauvaise mémoire, une pensée émoussée, des insomnies ou de la somnolence, et dans les cas extrêmes, des pertes de connaissance. Au chapitre 9 des « Questions simples », on trouve : « Le Cœur a le contrôle de l’Esprit ».7 Au chapitre 71 de « L’axe spirituel », il est dit : « Le Cœur … est la résidence de l’Esprit ».8

Comme le Cœur contrôle toutes les activités mentales de l’Esprit et qu’il est responsable de la connaissance de soi et de la cognition, contrairement aux autres organes, c’est une raison supplémentaire pour dire que le Cœur est « l’empereur » des autres Organes Internes. C’est pourquoi le Cœur s’appelle aussi la « racine de la vie », comme on peut le lire au chapitre 9 des « Questions simples » : « Le Cœur est la racine de la vie et l’origine de l’activité mentale ».9

La fonction qu’a le Cœur d’abriter l’Esprit dépend d’une nutrition correcte du Sang et réciproquement, la fonction qu’il a de gouverner le Sang dépend de l’Esprit. Ainsi, il existe une relation de dépendance mutuelle entre la fonction qui consiste à gouverner le Sang et celle qui consiste à abriter l’Esprit (Fig. 6.2). Le Sang est la racine de l’Esprit. Ce concept a son importance en pratique clinique car, comme le Sang du Cœur est la racine de l’Esprit, celui-ci le contient et le stabilise, de sorte que l’Esprit peut alors être calme et heureux. Si le Sang du Cœur est insuffisant et ne peut stabiliser l’Esprit, on voit apparaître de l’agitation mentale, de la dépression, de l’anxiété et de l’insomnie. Inversement, l’agitation mentale, les problèmes émotionnels et la tristesse peuvent entraîner un vide de Sang du Cœur avec palpitations, teint pâle, pouls faible et irrégulier. Si le Sang du Cœur souffre de Chaleur, la personne est agitée, nerveuse et ne dort pas bien.

En plus de cet aspect de l’activité mentale, l’Esprit a aussi une influence sur l’état émotionnel de l’individu. Si le Cœur est vigoureux, l’Esprit l’est aussi et l’individu est heureux. Si le Cœur est faible, l’Esprit manque de vitalité et l’individu est triste, déprimé et n’a goût à rien. Si le Cœur souffre de plénitude, l’Esprit en est affecté et l’individu peut présenter des signes de maladie mentale, comme par exemple, des signes d’un état maniacodépressif. Bien entendu, tout ceci est schématique et simplifié, car l’état émotionnel d’une personne est aussi en relation avec l’état de tous les autres organes.

Sur le plan émotionnel, l’état du Cœur détermine la capacité d’une personne à entretenir des relations humaines positives. Un Cœur et un Esprit vigoureux ont une influence bénéfique sur notre capacité à entretenir de bonnes relations avec les autres et, inversement, des problèmes émotionnels dus à des difficultés relationnelles peuvent affaiblir le Cœur et l’Esprit.

La médecine chinoise considère que l’Esprit entretient des liens très étroits avec le corps. L’Essence et le Qi fournissent une base matérielle à l’Esprit. Si l’Essence est florissante et le Qi vigoureux, l’Esprit est heureux et calme. Inversement, si l’Essence est faible et le Qi insuffisant, l’Esprit souffre. C’est pourquoi l’éclat des yeux reflète à la fois l’état de l’Essence et celui de l’Esprit. L’Essence, le Qi et l’Esprit sont appelés les « Trois Trésors » (voir ch. 3).

Les cinq aspects spirituels

Nous pouvons maintenant envisager le deuxième sens que l’on donne au mot Shen, autrement dit non plus l’Esprit qui réside au Cœur, mais l’ensemble des aspects émotionnels, mentaux et spirituels de l’être humain. Dans ce sens, le Shen n’est pas uniquement associé au Cœur, mais il englobe les aspects mentaux et spirituels associés aux autres organes, et plus particulièrement aux organes Yin. Il serait donc faux de limiter notre vie psychique et spirituelle à son identification avec le Cœur. Les cinq organes Yin influencent les émotions, l’Esprit et la pensée d’une façon ou d’une autre.

Chacun des cinq organes Yin est associé à un aspect mental précis :

Au chapitre 23 des « Questions simples », il est dit : « Le Cœur abrite l’Esprit (Shen), le Poumon abrite l’Âme Corporelle (Po), Le Foie abrite l’Âme Éthérée (Hun), la Rate abrite la Pensée (Yi) et le Rein abrite la Volonté (Zhi) ».10 Au chapitre 9, on lit : « Le Cœur est la racine de la vie et l’origine de l’activité mentale … le Poumon est la racine du Qi et la résidence de l’Âme Corporelle … le Rein est la racine de l’entrepôt scellé (l’Essence) et la résidence de la Volonté … le Foie est la racine de l’équilibre et la résidence de l’Âme Éthérée ».11 Le commentaire, également inspiré par des extraits de « L’axe spirituel », ajoute : « L’Esprit est une transformation de l’Essence et du Qi ; les deux Essences [c’est-à-dire l’Essence du Ciel Antérieur et l’Essence du Ciel Postérieur] contribuent à la formation de l’Esprit. L’Âme Corporelle est l’assistante de l’Essence et du Qi : elle est fort proche de l’Essence, mais elle entre et sort. L’Âme Éthérée complète l’Esprit et le Qi ; elle est fort proche de l’Esprit, mais elle va et vient. La Pensée correspond à la mémoire ; c’est la mémoire qui dépend du Cœur. La Volonté est comme un Esprit qui aurait un but et une visée ; le Rein stocke l’Essence … et grâce à la Volonté il peut réaliser notre destinée ».12

Cet ensemble de cinq phénomènes mentaux et spirituels représente la façon dont la médecine chinoise conçoit le corps, l’esprit et le psychisme. Chacun de ces phénomènes sera détaillé dans le chapitre consacré à l’organe qui lui correspond.

C’est l’ensemble de ces cinq aspects qui forme le « Psychisme », parfois aussi appelé « Shen » ou même les « Cinq Shen » dans les textes anciens. Les cinq organes Yin sont les résidences du « Shen » (au sens large du terme, tel qu’il est défini plus haut), c’est-à-dire le Psychisme, et on les appelle aussi les « résidences des Cinq Shen » dans le chapitre 9 des « Questions simples ».13

Les cinq organes Yin constituent la base physiologique de l’Esprit. La relation indissoluble qui les lie est bien connue de tout acupuncteur. L’état du Qi et du Sang de chaque organe peut avoir une influence sur l’Esprit ou le Psychisme et, inversement, les perturbations de l’Esprit ou du Psychisme peuvent affecter un ou plusieurs Organes Internes (Fig. 6.3).

L’Âme Éthérée (Hun) qui est associée au Foie correspond, en gros, à notre concept occidental « d’âme ». Selon d’anciennes croyances chinoises, elle entre dans le corps peu de temps après la naissance. Elle est éthérée par nature, par opposition à l’Âme Corporelle qui est physique, et elle survit au corps après la mort. L’Âme Éthérée peut être décrite comme « cette partie de l’Âme qui [contrairement à l’Âme Corporelle] quitte le corps lorsqu’il meurt et prend alors une espèce de forme physique ».14 Ceci est fort proche de la conception qu’avaient les Grecs, dans l’Antiquité, de l’Esprit en tant que Pneuma (qui signifie « souffle») ou « d’âme » en tant que Psyché (qui signifie « vent » ou « souffle vital »).

L’Âme Corporelle (Po) peut se définir comme « cette partie de l’Âme qui [contrairement à l’Âme Éthérée] est indissolublement attachée au corps et retourne à la Terre avec lui après la mort ».15 L’Âme Corporelle est étroitement liée au corps et on pourrait dire qu’elle est l’expression de l’aspect somatique de l’Âme. Comme on le voit dans la citation ci-dessus, extraite des « Questions simples », l’Âme Corporelle est proche de l’Essence et du Qi. « Le Classique des catégories » (1624) dit : « L’Âme Corporelle bouge et agit et [lorsqu’elle est active] on peut ressentir de la douleur et des démangeaisons ».16 Cette citation souligne bien le côté physique de l’Âme Corporelle. C’est à elle que nous devons les sensations, le toucher, l’ouïe et la vue.

La Volonté (Zhi) réside au Rein ; c’est l’élan mental qui nous donne de la détermination et de la fermeté dans la poursuite de nos objectifs.

L’Intellect (Yi) réside à la Rate et correspond à notre capacité à penser, à étudier, à nous concentrer et à mémoriser. Bien que l’on dise que l’Intellect réside à la Rate, le Cœur exerce aussi une influence sur la pensée et la mémoire, comme nous l’avons vu plus haut dans la citation tirée des « Questions simples » (ch. 23).

Ainsi donc, alors que le Shen qui réside au Cœur correspond à l’Esprit, le Shen qui renvoie à l’ensemble des aspects mentaux et spirituels de l’être humain correspond plus précisément au « Psychisme ».

Le cadre 6.6 résume les cinq aspects spirituels.

Dans certains cas, le mot shen est utilisé, dans les classiques de la médecine chinoise, pour évoquer l’aspect extérieur de quelque chose. Par exemple, le shen du visage indique sa vitalité apparente. On dit qu’une langue a de « l’éclat » (shen) lorsqu’elle a l’air en bonne santé, qu’elle est brillante et resplendissante.

Avant de terminer ce paragraphe consacré à la relation entre le Cœur et l’Esprit, il faut mentionner une autre interprétation qui a vu le jour avec l’histoire du développement de la médecine chinoise.

Dès l’époque de la dynastie des Ming (1368-1644), un petit nombre de médecins attribuait l’intelligence et la mémoire au cerveau et non au Cœur, comme dans la médecine traditionnelle chinoise. Li Shi Zhen (1518-1593), phytothérapeute renommé de la dynastie des Ming, disait : « Le cerveau est la résidence de l’Esprit Originel ».17

Wang Qing Ren, au début de la dynastie des Qing (1644-1911), s’est longuement expliqué sur le rôle du cerveau dans l’intelligence et la mémoire. Il pensait que l’intelligence et la mémoire étaient des fonctions qui dépendaient du cerveau plutôt que du Cœur. Il disait : « L’intelligence et la mémoire résident au cerveau. La nourriture produit le Qi et le Sang … l’Essence pure est transformée en moelle ; elle monte le long de la colonne vertébrale, va jusqu’au cerveau et s’appelle la Moelle du Cerveau, ou Mer de la Moelle ».18

On voit bien, d’après ces citations, qu’à partir de la dynastie des Ming, une nouvelle théorie médicale s’est élaborée parallèlement à la théorie traditionnelle, théorie dans laquelle les fonctions intellectuelles étaient attribuées au cerveau plutôt qu’au Cœur. Il est intéressant de noter que cette nouvelle théorie a vu le jour avant l’introduction de la médecine occidentale en Chine.

Le Cœur est en relation avec la joie

De toutes les émotions mentionnées par la médecine chinoise, la « joie » est la plus difficile à expliquer. De toute évidence, la joie n’est pas une cause de maladie ! En fait, une joie normale n’est pas en elle-même une cause de maladie ; au contraire, c’est un état mental bénéfique qui favorise le bon fonctionnement des Organes Internes et des facultés mentales qui leur sont associées. Les « Questions simples », au chapitre 39, disent : « La joie fait que l’Esprit est serein et détendu ; elle a des effets positifs sur le Qi Nourricier et le Qi Protecteur et grâce à elle, le Qi est détendu et ralenti ».19 D’un autre côté, au chapitre 2 des « Questions simples », on lit : « Le Cœur… contrôle la joie, la joie lèse le Cœur, la peur contrecarre la joie ».20

Ce à quoi on se réfère en parlant de la « joie » comme cause de la maladie n’est évidemment pas un état de contentement sain, mais un état d’excitation et de désirs excessifs qui peut léser le Cœur. On rencontre cet état chez des personnes qui vivent dans un état de stimulation mentale permanent (pour plaisant qu’il soit) ou d’excitation excessive ; autrement dit, qui vivent « à cent à l’heure ».

La « joie » s’apparente aussi à des désirs démesurés qui stimulent le Feu Ministre ; celui-ci monte alors et stimule l’Esprit à l’excès.

La joie, au sens large évoqué plus haut, agrandit le Cœur. Il en résulte un excès de stimulation du Cœur qui, au bout d’un certain temps, peut conduire à des signes et symptômes en relation avec le Cœur. Ces derniers peuvent s’éloigner quelque peu des tableaux pathologiques classiques du Cœur. Les principales manifestations en sont des palpitations, une excitabilité excessive, de l’insomnie, de l’agitation, des paroles abondantes et une pointe de la langue rouge.

La joie peut aussi être une cause de la maladie lorsqu’elle est soudaine ; c’est ce qui arrive lorsque, par exemple, quelqu’un apprend subitement une bonne nouvelle. Dans ce contexte, la « joie » est proche du « choc émotionnel ». Fei Bo Xiong (1800-1879) dans « Collection médicale de quatre familles de Meng He » dit : « La joie lèse le Cœur… elle [fait] flotter le Yang Qi et s’ouvrir à l’excès et se dilater les vaisseaux sanguins ».21 Dans ces cas de joie et d’excitation soudaines, le Cœur se dilate et ralentit, et le pouls devient Lent et légèrement Vaste, mais Vide. On peut mieux comprendre l’effet d’une joie soudaine lorsqu’on pense, par exemple, à une crise de migraine qui se déclenche à la suite de l’excitation provoquée par une bonne nouvelle. Un autre exemple d’une joie comme cause de la maladie est le rire soudain qui peut déclencher une crise cardiaque ; cet exemple confirme aussi le lien qui existe entre le Cœur et le rire.

Enfin, on peut aussi se faire une idée de la joie en tant qu’émotion ou surexcitation en regardant les enfants, chez qui la surexcitation finit généralement en larmes.

Le cadre 6.7 résume les relations qui existent entre la joie et le Cœur.

Le Cœur s’ouvre à la langue

La langue est considérée comme le « bourgeon » du Cœur. C’est le Cœur qui contrôle la couleur, la forme et l’apparence de la langue. Le Cœur est plus particulièrement en liaison avec la pointe de la langue. Il contrôle aussi la perception des saveurs. Si le Cœur est en bonne santé, la langue présente une couleur rouge pâle et les saveurs sont perçues normalement.

Si le Cœur souffre d’une atteinte par la Chaleur, la langue peut être sèche et rouge foncé, avec une pointe gonflée et plus rouge que le corps, et la personne peut avoir un goût amer dans la bouche. Si l’atteinte par la Chaleur est très importante, la langue peut présenter des ulcérations rouges et douloureuses. Si le Cœur est faible et le Sang insuffisant, la langue peut être pâle et mince. Au chapitre 17 de « L’axe spirituel », il est dit : « Le Qi du Cœur communique avec la langue ; si le Cœur est en bonne santé, alors la langue peut distinguer les cinq saveurs ».22

L’état du Cœur a aussi des répercussions sur la parole et certaines pathologies du Cœur peuvent engendrer le bégaiement et l’aphasie. Outre ces difficultés de parole elles-mêmes, le Cœur exerce aussi une influence sur la façon de parler et de rire. Souvent, un déséquilibre du Cœur (de type plénitude ou vide) peut faire que l’individu parle sans arrêt ou rit de façon inappropriée.

Le cadre 6.8 résume les relations qui existent entre le Cœur et la langue.

Le Cœur contrôle la transpiration

Le Sang et les Liquides Organiques ont une origine commune. La sueur fait partie des Liquides Organiques et provient de l’espace compris entre la peau et les muscles. Comme nous l’avons vu, le Sang et les Liquides Organiques sont en interaction totale (Fig. 6.4). Lorsque le Sang est trop épais, les Liquides Organiques pénètrent dans les vaisseaux sanguins et le fluidifient. On lit, dans le « Classique de la lettre de jade du tombeau d’or » : « Les Liquides Organiques pénètrent dans les vaisseaux sanguins et se changent en Sang ».23

Comme le Cœur gouverne le Sang et que ce dernier est en interaction avec les Liquides Organiques, dont fait partie la transpiration, le Cœur est associé à la transpiration. Un vide de Qi du Cœur peut souvent entraîner des transpirations spontanées, alors qu’un vide de Yin du Cœur peut engendrer des transpirations nocturnes ; dans le premier cas, il faudra tonifier le Yang du Cœur et dans le deuxième le Yin du Cœur. Inversement, des transpirations excessives, comme lorsqu’il fait très chaud ou lorsqu’on vit dans un environnement très chaud, peuvent léser le Yang du Cœur.

En raison de cette interaction entre le Sang et les Liquides Organiques, il faut éviter de faire transpirer un malade qui a eu une hémorragie, ou de prescrire des plantes asséchantes à un malade qui présente des transpirations profuses. Dans un traitement par acupuncture, il est également exclu de faire saigner un malade qui transpire abondamment. Au chapitre 18 de « L’axe spirituel », on lit : « Saignements importants, ne pas faire transpirer ; transpirations profuses, ne pas faire saigner ».24

De plus, des transpirations profuses et continuelles chez un malade présentant un vide de Cœur doivent être traitées dans les meilleurs délais, car la transpiration représente en fait une perte de Liquides Organiques qui peut entraîner, à son tour, un vide de Sang en raison de la compensation continuelle qui s’opère entre le Sang et les Liquides Organiques.

Bien évidemment, il faut noter que des transpirations excessives peuvent aussi provenir d’organes autres que le Cœur. En particulier, un vide de Qi du Poumon peut engendrer des transpirations spontanées. Une transpiration excessive peut aussi être due à la Chaleur ou à la Chaleur-Humidité, surtout de l’Estomac. De façon générale, des transpirations excessives sont toujours liées au Cœur, surtout lorsque celles-ci sont associées à une tension émotionnelle (Cas clinique 6.1).

AUTRES LIENS CONCERNANT LE CŒUR

Nous présenterons les relations suivantes :

LES RÊVES

Comme le Cœur abrite l’Esprit, il est en relation étroite avec le sommeil. L’Esprit doit avoir son logis au Cœur et si le Cœur (et plus particulièrement le Sang du Cœur) est vigoureux, la personne s’endort facilement et son sommeil est profond. Si le Cœur est faible, l’Esprit n’a plus de logis et il va « flotter » pendant la nuit, ce qui se traduit par une impossibilité à trouver le sommeil, par un sommeil perturbé, ou encore par des rêves trop nombreux. Tous les rêves sont donc, dans un certain sens, liés au Cœur (comme nous le verrons plus loin, ils sont également liés à l’Âme Éthérée et au Foie). Certains rêves, toutefois, montrent plus précisément la présence d’un déséquilibre du Cœur.

Au chapitre 80 des « Questions simples », on lit : « Lorsque le Cœur est faible, la personne rêve de feux ; en été, elle rêve d’éruptions volcaniques ».25 Au chapitre 43 de « L’axe spirituel », il est écrit : « Lorsque le Cœur souffre de plénitude, la personne rêve qu’elle rit … quand le Cœur souffre de vide, la personne rêve de montagnes, de feu et de fumée ».26

EXPRESSIONS

Les expressions évoquées sont :

1. 1979 Le Classique de médecine Interne de l’Empereur JauneQuestions simples (Huang Ti Nei Jing Su Wenimage), People’s Health Publishing House, Beijing, p. 58.

2. 1981 L’axe spirituel,(Ling Shu Jingimage) People’s Health Publishing House, Beijing, première édition environ 100 AEC, p. 128.

3. Questions simples, p. 72.

4. Ibid., p. 246.

5. Ibid., p. 70.

6. J’ai traduit le mot « Shen » par « Esprit », car ses fonctions, telles que les décrivent les anciens textes médicaux chinois, correspondent pour une très grande part aux activités mentales (y compris les émotions) qui sont attribuées à « l’Esprit » en psychologie occidentale. Le mot « Shen » a différents sens. Pour obtenir une idée plus précise du sens réel de ce mot, on peut se reporter aux dictionnaires d’avant 1949, qui n’ont pas subi l’influence de la philosophie marxiste et matérialiste. Le « Chinese-English Dictionary » de H. Giles (Kelley and Walsh Ltd, p. 1194), paru en 1912, donne les possibilités de traduction suivantes pour le mot Shen : « Esprits ; dieux (utilisé par certaines sectes protestantes pour « Dieu ») ; divin ; supranaturel ; mystérieux ; spirituel (par opposition à matériel) ; âme ; intellect ; esprits animaux ; inspiration ; génie ; force (du langage) ; expression ». Aussi, comme cela apparaît clairement dans cette citation, la traduction de Shen par le simple terme « Esprit » (opposé à la composante matérielle du corps) résulte de l’influence des missionnaires chrétiens occidentaux qui étaient en Chine dans la deuxième moitié du 19e siècle. Dans l’optique de la philosophie chrétienne, le mot Shen signifie « l’Esprit » (voire même « Dieu ») par opposition au « corps », ce qui traduit une attitude dualiste typiquement occidentale qui oppose la Matière et l’Esprit, concepts totalement étrangers à la philosophie chinoise. Bien que le mot Shen puisse avoir le sens « Spirituel », dans les classiques médicaux chinois il est toujours utilisé pour indiquer les facultés mentales attribuées au Cœur, c’est-à-dire à l’Esprit. Le mot Xin (qui veut dire « Cœur ») est lui-même souvent utilisé comme synonyme « d’Esprit » dans les classiques médicaux chinois. Ce problème n’est pas uniquement sémantique car il peut avoir des conséquences sur le diagnostic et le traitement. L’acupuncture occidentale s’est entièrement concentrée sur le rôle du Cœur dans les phénomènes mentaux et spirituels, en partant de l’idée que « le Cœur abrite l’Esprit ». Cette approche reste partielle car, d’un côté elle ignore le rôle du Cœur dans les facultés de pensée et de mémoire et, d’un autre côté, elle ignore le rôle que jouent d’autres organes Yin dans le domaine mental et spirituel.

7. Questions simples, p. 67.

8. L’axe spirituel, p. 128.

9. Questions simples, p. 67.

10. Ibid., p. 153.

11. Ibid., p. 67-68.

12. ibid., p. 153.

13. Ibid., p. 63.

14. Giles, H., Chinese-English Dictionary, Kelly and Walsh, Shanghai, 1912, p. 650.

15. Chinese-English Dictionary, p. 1144.

16. Cité dans 1980 Concise Dictionary of Chinese Medicine (Jian Ming Zhong Yi Ci Dianimage) People’s Health Publishing House, Beijing, p. 953.

17. Cité dans 1983 Selected Historical Theories in Chinese Medicine (Zhong Yi Li Dai Yi Lun Xuanimage), Jiangsu Scientific Publishing House, Nanjing, p. 31.

18. Correction of the Mistakes of the Medical Forest (Yi Lin Gai Cuoimage), de Wang Qing Ren, 1830, cité dans Selected Historical Theories in Chinese Medicine, p. 30.

19. Questions simples, p. 221.

20. Ibid., p. 38.

21. Fei Bo Xiong et al. 1985 Collection médicale de quatre familles de Meng He (Meng He Si Jia Yi Jiimage), Jiangsu Science Publishing House, Nanjing, p. 40.

22. L’axe spirituel, p. 50.

23. Classique de la lettre de jade du tombeau d’or (Jin Gui Yu Hang Jingimage), dynastie des Song, cité dans Fundamentals of Chinese Medicine (Zhong Yi Ji Chu Xueimage), Shandong Scientific Publishing House, Jinan, 1978, p. 35.

24. L’axe spirituel, p. 52.

25. Questions simples, p. 569.

26. L’axe spirituel, p. 84-85.