CHAPITRE 6

Les principes budgétaires

NOTIONS À MAÎTRISER

Les différents principes budgétaires

Loi organique relative aux lois de finances

Loi de finances initiale, loi de finances rectificative, loi de règlement

Décrets d’avance

AE / CP

Le droit et la pratique budgétaires sont irrigués et encadrés par de grands principes, lesquels ont su s’adapter aux besoins des finances publiques et à leur complexité croissante. Les principes classiques ont été complétés par des principes récents. L’objectif est que l’État dispose d’un budget voté chaque année, présenté certes dans un document clair mais présentant néanmoins tous les crédits et débits à des fins de transparence. En effet, c’est ainsi que les citoyens peuvent contrôler l’usage des deniers publics, lesquels permettent la mise en œuvre des politiques publiques. Afin de rendre l’usage des deniers plus efficient, des marges de gestion sont accordées à l’administration. En contrepartie, les principes d’équilibre et de sincérité ont accru les exigences à l’endroit de l’administration, laquelle doit se conformer à des conventions conservatoires et fonder ses réflexions sur des hypothèses crédibles.

1 Les principes classiques

1.1 Le principe d’annualité

Il s’agit du principe le plus controversé. Les premiers parlements, et notamment l’anglais, sont nés du besoin d’un consentement à l’impôt (« no taxation without representation »1). Il est proclamé à l’article 14 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : « Tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée ». Au pouvoir parlementaire de contrôler l’impôt et les dépenses du pouvoir exécutif. Ainsi le premier article de chaque loi de finances initiale doit autoriser la perception de l’impôt. Ce rythme est rigide dans la mesure où l’horizon de l’action publique est de moyen ou long terme (ou devrait l’être) et que le calendrier électoral le contrarie. L’équilibre à trouver consiste en le respect du principe d’annualité et le bénéfice d’une conception et exécution pluriannuelles.

b La loi organique relative aux lois de finances aménage le principe d’annualité

Avec la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), le législateur organique a installé une logique pluriannuelle. L’idée est d’aménager des marges de manœuvre au pouvoir exécutif qui élabore et exécute les lois de finances, en échange de vrais moyens pour la discussion et le contrôle par le pouvoir législatif, atténuant d’autant le parlementarisme rationalisé.

Aménageant, en partie, le principe d’annualité, une loi de finances peut désormais être modifiée en cours d’année, par le Parlement, notamment pour l’adapter à la conjoncture et aux réalités de l’exécution. Cela est permis par les lois de finances rectificatives prévues à l’article 35 LOLF. La crise, débutée en 2008, ses effets peu prévisibles et la nécessité de réagir rapidement ont montré tout l’intérêt d’un tel dispositif. Il est également utile dans les cas d’un changement de majorité en cours d’année, d’un changement de Premier ministre avec la même majorité voire d’un « simple » changement de cap.

Les décrets d’avance (art. 13 LOLF) permettent directement au pouvoir exécutif de modifier la loi de finances en cours d’exécution. Il faut néanmoins un cas d’urgence et nécessité impérieuse, et une validation parlementaire ultérieure (ratification).

Enfin, la solution alternative aux douzièmes provisoires est l’article 47 de la Constitution de la Ve République et l’article 45 de la LOLF, lesquels autorisent le gouvernement à mettre en vigueur par ordonnance son projet de loi de finances initiale si le Parlement ne l’a pas voté dans les délais qui lui sont impartis. À l’inverse, si la loi de finances initiale n’est pas adoptée avant le début de l’exercice budgétaire du fait d’un dépôt tardif du gouvernement ou d’une censure du Conseil constitutionnel, le gouvernement demande l’autorisation au Parlement, par une loi spéciale, de continuer à percevoir les impôts et prend des décrets ouvrant les crédits applicables aux seuls « services votés » de l’année précédente – soit un système équivalant aux douzièmes provisoires et également prévu sous l’empire de l’ordonnance organique du 2 janvier 1959 par son article 44.

En ce qui concerne la pluriannualité, l’ordonnance organique de 1959 prévoyait les autorisations de programmes qui fixaient un plafond de crédits à engager par un ministère sur plusieurs années pour des investissements. Chaque année, les crédits nécessaires à l’engagement pluriannuel étaient votés. La LOLF permet, elle, une fongibilité des crédits au sein d’un programme. Ainsi, si des priorités changent ou ont été mal évaluées, les crédits (dont les plafonds ne peuvent être dépassés) peuvent être redéployés. Les autorisations d’engagement (AE) fixent le plafond de la dépense engagée dans l’année. Les crédits de paiement (CP) fixent le plafond des dépenses pouvant être ordonnancées pendant l’année pour répondre aux engagements en AE (qui peuvent, pour partie, être antérieures à l’année d’exécution nonobstant les dépenses de personnels pour lesquelles AE = CP chaque année).

L’application stricte du principe d’annualité en fin d’année conduit à des dépenses précipitées, les ministères ne souhaitant pas « perdre » ce qui leur a été octroyé par les lois de finances de l’année. Les crédits de reports prévus à l’art. 15 LOLF sont les crédits accordés à un ministère et non consommés en fin d’année qui peuvent s’ajouter à la dotation de l’année suivante à la suite d’un arrêté conjoint du ministre chargé des finances et du ministre concerné pris avant le 31 mars de l’année N+1. Les AE ne sont reportables que sur le même programme ou un programme qui poursuit des objectifs identiques. Toutefois, les AE des dépenses de personnel (titre 2) ne peuvent être reportées. Les CP, eux, ne peuvent être reportés que dans la limite de 3 % des crédits initiaux, plafond qui peut être majoré par la loi de finances sauf pour les dépenses de personnel. Enfin, les crédits des fonds de concours sont obligatoirement reportés. La période complémentaire de 20 jours en début d’année permet, quant à elle, les opérations de régularisation. Il s’agit d’opérations ordonnancées et comptabilisées au-delà de l’année et qui sont prévues dans la loi de finances rectificative de fin d’année.

Enfin, la régulation budgétaire est un instrument de maîtrise de l’exécution des dépenses utilisé par le gouvernement pour prévenir une détérioration de l’équilibre budgétaire, il permet de mettre en œuvre des mises en réserve et des annulations de crédits (art. 14 LOLF) (cf. chapitre 10).

c Le principe d’annualité n’est pas incompatible avec la pluriannualité

La LOLF adopte une démarche prospective, héritière des lois d’orientation. Cette démarche appelle une information du Parlement relative à l’environnement pluriannuel. C’est le rôle du rapport économique, social et financier de l’art. 50 LOLF, lequel « présente et explicite les perspectives d’évolution, pour au moins les quatre années suivant celle du dépôt du projet de loi de finances, des recettes, des dépenses et du solde de l’ensemble des administrations publiques ». En parallèle, la Cour des comptes, indépendante, remet au Parlement, avant le débat d’orientation budgétaire, un « rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques ».

Le cadre européen des finances publiques et sa traduction en droit national (cf. chapitre 4) appellent également une forte organisation pluriannuelle. Les programmes de stabilité et de convergence, dans le cadre du semestre européen, et les programmes nationaux de réforme, sont nécessairement pluriannuels puisqu’ils ont pour objet le retour à l’équilibre budgétaire à moyen terme. Leurs présentations en avril intègrent, a minima, les trois années suivantes. En juillet, le Conseil de l’Union européenne formule ses observations spécifiques. Ce n’est qu’ensuite que le PLF peut être finalisé en intégrant les prévisions (le cas échéant revues) à moyen terme. Par ailleurs, le Haut Conseil des finances publiques, en cas d’écart important entre l’exécution du budget et la loi de programmation des finances publiques (LPFP) – qui intègre le périmètre de toutes les administrations publiques –, peut proposer une trajectoire corrective qui devra être déclinée dans le cadre de la LPFP en N+1 par les pouvoirs publics.

1.2 Le principe d’unité

b De la fragmentation du budget

Le principe d’unité a été, notamment au sortir de la Seconde Guerre mondiale qui appelait d’importants efforts de reconstruction, mis à mal par l’interventionnisme de l’État, qui s’est traduit par la création de comptes spéciaux du Trésor (aujourd’hui appelés comptes du Trésor). À l’origine, les comptes spéciaux du Trésor (CST) retraçaient de simples mouvements de fonds provisoires. Toutefois, la souplesse de leur utilisation conduisit à l’inflation du nombre de CST (400 en 1947, un simple règlement était alors nécessaire à leur création). La LOLF limite les comptes du Trésor à quatre catégories.

La première catégorie est le compte d’affectation spéciale (CAS) pour les opérations à caractère définitif qui « retracent des opérations budgétaires financées au moyen de recettes particulières qui sont, par nature, en relation directe avec les dépenses concernées » (art. 21 LOLF), comme la gestion du patrimoine immobilier de l’État qui vise à financer la modernisation du parc immobilier par le produit des cessions d’actifs tout en contribuant au désendettement de l’État (434 M€ en AE pour 2017), et les pensions (60 milliards d’euros en AE et en CP prévus pour 2017).

La deuxième catégorie (art. 22 LOLF) est le compte de commerce qui retrace les opérations à caractère industriel et commercial effectuées à titre accessoire par des services de l’État non dotés de la personnalité juridique, comme l’approvisionnement en produits pétroliers ou la gestion de la dette et de la trésorerie de l’État.

La troisième catégorie est le compte d’opération monétaire et notamment celui des opérations avec le Fonds monétaire international (FMI).

La quatrième catégorie est le compte de concours financier, comme les comptes de prêts à d’autres États dans le cadre de l’aide au développement, les comptes d’avance pour les collectivités territoriales, les organismes ou des entités privées.

Les budgets annexes, nombreux par le passé, ont été définis strictement par la LOLF : « des budgets annexes peuvent retracer les opérations des services de l’État non dotés de la personnalité morale résultant de leur activité de production de biens ou de prestation de services donnant lieu au paiement de redevances, lorsqu’elles sont effectuées à titre principal par lesdits services » (article 18).

Contrairement au budget général, ils doivent être divisés en deux sections : la section des opérations courantes, qui regroupe les produits et les coûts de production, et la section des opérations en capital, qui retrace les dépenses d’investissement et la variation de l’endettement. L’objectif est d’isoler les opérations pour pouvoir calculer le coût des prestations fournies et préparer une éventuelle séparation juridique (en établissement public le plus souvent). Il ne reste plus que deux budgets annexes : contrôle et exploitation aériens, et publications officielles et information administrative.

c Les débudgétisations et la régulation budgétaire sont encadrées

Une autre atteinte au principe d’unité est les débudgétisations qui sont des transferts, à d’autres personnes morales que l’État, à des comptes spéciaux ou à la caisse des dépôts et consignations (CDC), de financements auparavant assurés par l’État (et retracés dans son budget), comme, par exemple, la création du fonds de solidarité vieillesse (FSV) en 1993. La décision du Conseil constitutionnel du 29 décembre 1994 limite les possibilités de débudgétisation en confirmant que des dépenses permanentes ne peuvent être prises en charge par un organisme autonome2 car cela nuirait à la sincérité d’ensemble de la présentation du PLF. Cette jurisprudence est toutefois à nuancer au regard de la multiplication des opérateurs de l’État et surtout des agences appartenant à la catégorie des organismes divers d’administration centrale (ODAC) en comptabilité nationale.

La régulation budgétaire – qui est un instrument de maîtrise de dépenses anticipant les possibles non-respects de plafonds du budget général – semble déroger à la règle de l’unicité puisqu’elle modifie la loi de finances mais est autorisée par l’article 14 de la LOLF pour garantir l’équilibre budgétaire défini par la dernière loi de finances. L’article 51 alinéa 4 bis précise que, dès la loi de finances initiale, le Parlement doit être informé des mesures envisagées (de mises en réserve notamment). Le Conseil constitutionnel accepte la régulation budgétaire dans la mesure où des erreurs de prévisions, et donc une réorientation de l’exécution, ne sont pas évitables. Toutefois, le gouvernement doit présenter, dans le plus prochain projet de loi de finances rectificative (PLFR), les mesures de régulation budgétaire décidées. Le PLFR lui-même peut sembler contrevenir à la règle de l’unicité lorsque les mesures envisagées auraient en fait pu être inscrites dans le PLF initial.

e Vers une consolidation complète des comptes publics

Un prochain aboutissement du principe d’unité budgétaire pourrait être la consolidation des comptes publics toutes administrations publiques confondues, à commencer par ceux des opérateurs de l’État, puis à terme avec les collectivités territoriales, les organismes de sécurité sociale (OSS), voire les entreprises publiques, dont la consolidation est certes à ce stade partielle en comptabilité nationale mais absente en comptabilité budgétaire. Un lourd chantier d’identification et de fiabilisation des opérations réciproques (dettes et créances) entre l’État et ses opérateurs ou entre l’État et les OSS est mené depuis plusieurs années par la direction générale des finances publiques (DGFiP) sous le contrôle de la Cour des comptes.

Le développement de la certification des comptes du régime général de la sécurité sociale (que la LOLFSS de 2005 confie à la Cour des comptes) et le projet de certification des comptes des principales collectivités territoriales devraient permettre la consolidation des comptes publics, aboutissement moderne du principe d’unité budgétaire. La Cour des comptes assumerait le rôle d’un grand organisme d’audit.

En outre, sur le plan comptable, le principe d’unité budgétaire se double du principe d’unité de trésorerie, lequel se traduit, pour les collectivités territoriales, par une obligation de centralisation de leurs fonds auprès du Trésor.

1.3 Le principe de spécialité

a Une forte emprise du pouvoir législatif

L’autorisation budgétaire ne doit pas consister à donner à l’exécutif un blanc-seing pour dépenser l’argent public. Sous la Restauration se développa la spécialité des crédits : le budget, d’abord voté par ministère (loi du 25 mars 1817), puis par section de ministère (ordonnance du 1er septembre 1827), puis par chapitre (loi du 29 janvier 1831 : « le budget des dépenses de chaque ministère sera, à l’avenir, divisé en chapitres. Les sommes affectées par la loi, à chacun de ces chapitres, ne pourront être appliquées à des chapitres différents »). Cette loi de 1831 établit la règle fondamentale de la spécialisation par chapitre qui sera reprise dans l’ordonnance organique de 1959.

Sous la IIIe République, le budget était composé de quelque 850 chapitres, ce qui étendit au maximum le pouvoir de contrôle (et donc d’obstruction) du Parlement. Or, s’il peut sembler légitime de contraindre l’exécutif, il convient de ne pas priver l’administration de marges de manœuvre. Si le droit budgétaire français n’a jamais défini précisément le chapitre, l’article 7 précité proposait deux critères pour l’application du principe de spécialité : le critère de la nature de la dépense, qui s’appliquait aux moyens à mettre en œuvre (e.g. une dépense de personnel), et le critère de la destination de la dépense, qui renvoyait à l’objectif à atteindre (e.g. l’aménagement du territoire).

Tous les chapitres n’étaient pas spécialisés : il existait des crédits globaux appelés « chapitres-réservoirs » par la Cour des comptes, à l’égard desquels le Parlement ne pouvait exercer que difficilement son pouvoir de contrôle. L’article 7 de l’ordonnance organique de 1959 prévoyait expressément l’existence de crédits globaux pour faire face à des dépenses éventuelles. De plus, la spécialité originaire pouvait toujours être modifiée en cours d’exécution du budget, au moyen de virements de crédits (qui modifiaient la nature de la dépense, virements qui étaient toutefois soumis à des conditions restrictives). Enfin, la pratique des « services votés » affaiblissait la spécialisation du vote parlementaire : 95 % des crédits étaient votés en une seule fois sans examen détaillé.

b Vers la responsabilisation du gestionnaire et donc une réforme du principe de spécialité

Selon le principe de spécialité, l’objet des dépenses publiques doit être clairement spécifié. Cela comprend l’indication de la personne bénéficiaire et de celle responsable de la dépense, de la nature économique de la dépense (les titres, notamment fonctionnement, personnel, investissement), de la finalité poursuivie et de la nouvelle classification fonctionnelle (nouveauté issue de la LOLF). L’ensemble constitue la « nomenclature matricielle ». Est recherché l’équilibre entre le respect de l’autorisation accordée par une assemblée et la souplesse nécessaire à une action publique efficace.

La réforme des modalités d’application du principe de spécialité budgétaire est l’une des innovations majeures de la LOLF. Selon l’article 7 de la LOLF, les crédits sont ventilés en missions. Chaque mission, qui est l’unité de vote des parlementaires, correspond à une politique publique et peut relever de plusieurs départements ministériels. Le PLF pour 2017 compte 31 missions au budget général. Une mission comprend l’ensemble des programmes concourant à la politique définie. Les programmes, au nombre de 172 dans le PLF pour 2017, sont monoministériels afin de faciliter la gestion et les responsabilités. Enfin, les programmes sont ventilés en actions pour le besoin du suivi budgétaire. Chaque budget annexe et chaque compte du Trésor constituent une mission supplémentaire.

Après la présentation des crédits en fonction de l’objet, chaque programme les ventile par nature à l’aide des titres. Le maintien de la traditionnelle ventilation par titre permet de suivre des agrégats essentiels et de contrôler la règle de la fongibilité asymétrique et donc les crédits de personnels. Selon cette règle, il n’est pas possible d’accroître les dépenses de personnel (titre 2) en transférant des fonds d’autres titres. Les transferts de crédits entre les autres titres ou issus du titre 2 et à destination des autres titres sont possibles à des fins de gestion plus fine et de responsabilisation des gestionnaires (responsables de programme ou RPROG, responsables de budget opérationnel de programme ou RBOP, responsables d’unité opérationnelle ou RUO), qui bénéficient en effet d’un budget global et peuvent ainsi allouer au mieux les crédits en fonction de leurs objectifs. Les autres titres sont : dotations aux pouvoirs publics (titre 1), dépenses de fonctionnement (titre 3), charges de la dette (titre 4), dépenses d’investissement (titre 5), dépenses d’intervention (titre 6), dépenses d’opérations financières (prêts, avances, participations) (titre 7).

Il convient de noter que le principe de spécialité ne s’applique pas aux recettes. Pour le budget général, il est fait distinction entre les recettes fiscales, non fiscales, les fonds de concours et les prélèvements sur recettes (qui viennent en déduction).

c Les exceptions au principe de spécialité sont peu nombreuses

Les fonds spéciaux sont l’apanage des services de renseignement, notamment pour des actions de contre-espionnage. Ils font partie de la mission « direction de l’action du gouvernement » mais sont soustraits aux règles de la procédure budgétaire et de la comptabilité publique. Jusqu’en 2001, le Premier ministre disposait librement de ces fonds (environ 60 millions d’euros annuels) sans aucun contrôle. Un rapport d’octobre 2001 sur les fonds spéciaux demandé par le Premier ministre3 a donné lieu à un amendement gouvernemental à la loi de finances pour 2002 qui réserve les fonds spéciaux aux seules opérations des services de renseignement et instaure une commission de vérification chargée de s’assurer que les crédits sont utilisés conformément à leur destination. Leur montant est aujourd’hui de l’ordre de 50 millions d’euros4.

L’Assemblée nationale et le Sénat bénéficient du principe d’autonomie financière pour leurs budgets en vertu de l’ordonnance de 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires. La raison est notamment la séparation des pouvoirs (décision du Conseil constitutionnel du 27 décembre 2001 relative à l’article 115 de la loi de finances pour 2002). Ce sont les commissions des questeurs des assemblées qui préparent les propositions relatives aux crédits nécessaires au fonctionnement des assemblées. Si les propositions sont séparées pour l’Assemblée nationale et le Sénat, c’est une commission commune qui les arrête. Elle est composée de sénateurs, de députés et de deux magistrats de la Cour des comptes qui ont une voix seulement consultative. S’il n’y avait jusqu’à peu aucun contrôle autre que parlementaire, depuis le budget 2014, l’Assemblée nationale et le Sénat ont décidé librement de soumettre l’exécution de leurs comptes au contrôle de la Cour des comptes. Il existe un engagement moral à la publication de ces deux rapports.

Une autre exception concerne deux programmes de dotation regroupés au sein de la mission « crédits non répartis » : la dotation « provision relative aux rémunérations publiques », destinée à financer d’éventuelles dépenses de personnel non ou insuffisamment budgétées, et la dotation « dépenses accidentelles et imprévisibles ». Cette dernière est destinée à faire face à des calamités et aux dépenses imprévisibles (241 M€ en CP et 324 M€ en AE, PLF pour 2017). La répartition par programme des mesures générales en matière de rémunération n’est pas déterminée au moment du vote des crédits (0 euro au PLF pour 2017). Les crédits de ces deux dotations peuvent ensuite être répartis par programme, par décret pour la première, par arrêté du ministre des finances pour la seconde (art. 11 LOLF).

1.4 Le principe d’universalité

a Les règles de non-contraction et non-affectation assurent une information complète et sincère du Parlement

La bonne information des parlementaires implique l’inscription au budget de toutes les dépenses et recettes selon leur montant brut, sans compensation, sans solde net. Aussi, toute dépense ou recette doit être mentionnée dans la loi de finances. Le principe d’universalité a été affirmé à l’article 18 de l’ordonnance organique de 1959, réaffirmé par la jurisprudence constitutionnelle : interdiction d’affecter une recette déterminée à une dépense déterminée (décision du 29 décembre 1982 relative à la loi de finances pour 1983).

La règle de non-contraction permet au Parlement d’assurer un contrôle réel sur l’ensemble des dépenses en obligeant l’État à présenter, dans son projet de loi de finances, l’ensemble des dépenses et des recettes qualifiées d’opérations budgétaires. Ainsi, si pour la perception d’une recette de 100 000 euros, 20 000 euros de frais de recouvrement ont été engagés, la règle de non-contraction interdit que les deux opérations soient comptabilisées une seule fois en 80 000 euros de recettes nettes. Le principe de non-contraction exige que les 100 000 euros et les 20 000 soient inscrits séparément en recettes et en dépenses. En définitive, le principe de non-contraction empêche que des dépenses indues soient dissimulées aux yeux de la représentation nationale : à cet égard, l’exigence d’universalité budgétaire peut s’évaluer en rapport avec le principe de sincérité budgétaire, destiné à garantir la transparence des comptes publics.

L’affectation des recettes limiterait considérablement les pouvoirs du Parlement qui n’aurait, chaque année, qu’à approuver à nouveau le budget prévu l’année passée ou à l’amender à la marge pour changer l’affectation de certaines recettes à d’autres dépenses. L’idée d’intérêt général confère à toutes les dépenses publiques une importance égale, de sorte qu’il n’est pas possible de mettre en péril le financement d’une dépense en l’associant de façon rigide à une recette. En effet, la diminution ou la disparition de cette recette menacerait voire empêcherait la réalisation des dépenses liées qui peuvent se révéler d’un intérêt national impératif.

Le principe de non-affectation permet au Parlement d’opérer un arbitrage global conforme à l’intérêt général et de s’interroger régulièrement sur la pertinence de chaque dépense. En effet, si sous le régime de l’ordonnance de 1959, seulement 6 % des crédits faisaient l’objet de votes détaillés lors du débat budgétaire, avec la LOLF la totalité des crédits est discutée au parlement (vote par mission) et fait l’objet d’une « justification au premier euro ». Cette justification et la connaissance des dépenses de l’État sont à même d’améliorer le consentement à l’impôt. À l’extrême, le consentement serait davantage facilité si les contribuables choisissaient l’emploi de leur contribution, comme ils peuvent d’une certaine manière le faire lorsqu’ils bénéficient d’une réduction d’impôt, au taux de 66 % ou de 75 % selon les dépenses financées, en contrepartie de dons à des œuvres d’intérêt général5.

Cette réduction d’impôt constitue cependant aussi une manière d’orienter les dépenses des particuliers vers des dépenses qui auraient éventuellement pu être prises en charge par la puissance publique, ce qui peut conduire à les voir comme une exception au principe d’universalité, ces dépenses d’intérêt général s’imputant pour partie sur les recettes fiscales. Il est également possible de considérer que la puissance publique laisse jouer l’arbitrage microéconomique des contribuables qui répartissent ces dépenses plus efficacement que n’aurait pu le faire la puissance publique suivant leurs propres affinités électives et sous leur contrôle. L’atteinte est donc limitée et guidée par un principe de simplification administrative.

b À des fins de simplification administrative, les législateurs organique et constitutionnel ont aménagé des exceptions

Les fonds de concours constituent une procédure ancienne qui a connu une extension progressive en alimentant les recettes du budget de l’État pour plus de 3 milliards d’euros. Ils sont essentiellement constitués de la participation par les collectivités territoriales à la réalisation de dépenses d’intérêt général et d’abondement de la part de l’Union européenne dans le cadre des fonds structurels. Dans une décision du 15 décembre 2005, le Conseil constitutionnel a indiqué que ces fonds de concours devraient désormais être fondés sur le volontariat. Cette décision a pour objectif la diminution de ces fonds afin de renforcer le principe d’universalité.

La procédure d’attribution de produits est également une dérogation au principe d’universalité et permet d’affecter à un service de l’État le produit des recettes tirées de prestations de services qu’il facture à des tiers, comme les redevances aériennes facturées par les services de la navigation aérienne de la direction générale de l’aviation civile (DGAC). Elle permet d’inciter les administrations à utiliser les possibilités qu’elles ont de générer des recettes et décourage l’inertie administrative.

Enfin, la procédure de rétablissement de crédit permet de restituer à un service donné les crédits consommés de façon erronée (comme le versement indu d’un salaire à un fonctionnaire), les dépenses provisoires et les cessions entre services de l’État.

L’exception des opérations de trésorerie se justifie par un souci de lisibilité et d’efficacité de présentation des comptes au contrôle parlementaire. Les très nombreuses opérations courantes réalisées par l’Agence France Trésor ne sont pas toutes consignées dans le projet de loi de finances mais les parlementaires sont informés par la situation mensuelle de l’État (SME). Outre les informations de caractère budgétaire et celles relatives à la dette financière, la SME présente en effet la trésorerie de l’État, sous la forme d’un tableau des flux de trésorerie. Ces flux y sont ventilés par nature précise, selon trois grandes catégories : flux d’activité, d’investissement et de financement. L’existence des comptes spéciaux, des prélèvements sur recettes et des budgets annexes, qui fait exception au principe d’unité (cf. supra) est également dérogatoire au principe d’universalité.

Enfin, des procédures particulières facilitent la bonne destination des fonds. Il s’agit de ressources mises à disposition de l’État, qui doivent être dépensées selon l’intention de la personne qui les versent. Leur versement est conditionné à leur affectation à une opération déterminée.

2 Les principes récents

L’accumulation de déficits importants, les engagements européens, la crise économique et le rôle des agences de notation ont contribué à installer durablement de nouveaux principes budgétaires. Deux principes budgétaires supplémentaires ont notamment vocation à lutter en faveur de l’assainissement des finances publiques : les principes d’équilibre et de sincérité.

2.1 Le principe d’équilibre

a De l’équilibre strict à l’inscription au sein d’une réalité économique

Les économistes classiques voyaient en le principe d’équilibre une stricte égalité entre les recettes et les dépenses, sans déficit ni excédent. La pensée de Keynes a remis en cause le dogme de l’équilibre budgétaire en période de crise en introduisant la notion d’équilibre économique global : à moyen terme, la relance doit permettre au déficit d’être remboursé par l’excédent budgétaire. À partir des années 1960, ce raisonnement va faire l’objet de critiques. Pour les monétaristes, le déficit budgétaire constitue soit un impôt différé, soit une source d’inflation.

Souhaitable dans l’absolu, l’équilibre budgétaire n’est appréciable qu’en fonction de la situation économique globale et de l’ensemble des équilibres qui la composent (équilibre monétaire sur le marché des biens et des services, sur le marché de l’emploi, du commerce extérieur). Le budget aurait vocation à maintenir ces équilibres, le cas non échéant, à les favoriser. Aussi, des situations temporaires d’excédent et de déficit ne s’opposent pas nécessairement au principe d’équilibre. En effet, la croissance n’est pas continue, dans la mesure où il est possible de distinguer des cycles économiques. Ils sont, selon les auteurs, plus ou moins longs (de trois à quatre ans pour le cycle de Kitchin à 40-60 ans pour le cycle Kondratieff) et voient se répéter quatre phases : le démarrage (la reprise le cas échéant), l’expansion, la surchauffe et la récession.

De toutes les façons, une loi de finances initiale (LFI) ne serait pas en état d’assurer l’équilibre strict dans la mesure où elle ne reflète pas toujours la réalité. En effet, certaines recettes et dépenses sont difficiles à évaluer. Les lois de finances ne reflètent pas plus précisément la réalité de la situation financière de l’État, comme vu pour les principes d’unité et d’universalité, du fait des reports de crédits, des débudgétisations… Il demeure que le rôle de la loi de finances n’est pas de fixer un objectif d’égalité entre les ressources et les charges de l’État, mais de faire la clarté sur le montant et la combinaison choisis pour leurs grandes composantes.

L’équilibre retenu au plan juridique est l’équilibre budgétaire, c’est-à-dire correspondant à une comptabilité de caisse (enregistrant les encaissements et les décaissements). L’appréciation de l’équilibre est tout autre dans le cadre de la comptabilité générale de l’État (cf. chapitre 11), laquelle intègre les engagements (ce qui est dû, par exemple suite à la passation d’un marché) et la situation patrimoniale de l’État (par exemple ses terrains, ses immeubles, ses créances) ; un bilan peut ainsi être dressé, dont l’équilibre prend en compte l’actif et le passif de l’État sur le modèle de la comptabilité générale des entreprises. Par conséquent, en comptabilité générale de l’État, les dépenses d’investissement ne dégradent pas l’équilibre comptable du bilan de l’État dans la mesure où il détient un bien ou la promesse d’un même montant. Par exemple, l’achat d’un immeuble est compensé par la détention dudit immeuble. La comptabilité budgétaire enregistre, elle, exclusivement un déficit correspondant au prix de l’immeuble.

Depuis 1965, seuls quatre budgets ont été exécutés en équilibre (1970, 1972, 1973, 1974). Il faut en effet distinguer deux équilibres : l’équilibre de présentation (ou prévisionnel) qui ne figure que dans la loi de finances initiale, qui est discuté par les parlementaires et corrigé par une loi de finance rectificative, et l’équilibre d’exécution qui est l’équilibre constaté par la loi de règlement (LR) une fois l’année écoulée et le budget exécuté.

b L’ambition d’équilibre contraint toujours davantage les lois de finances

Le premier alinéa de l’article 1er de la LOLF dispose : « les lois de finances déterminent, pour un exercice, la nature, le montant et l’affectation des ressources et des charges de l’État, ainsi que l’équilibre budgétaire et financier qui en résulte. Elles tiennent compte d’un équilibre économique défini, ainsi que des objectifs et des résultats des programmes qu’elles déterminent ». Cet équilibre budgétaire et financier s’entend factuellement de celui qui résulte des ressources et des dépenses : il ne suppose pas un solde budgétaire nul ou positif, comme le montre l’article d’équilibre de la loi de finances.

Le 24 décembre 1979, le Conseil constitutionnel avait qualifié l’équilibre de principe fondamental du droit public financier. Il en déduit le vote préalable de la première partie de la loi de finances. La mise en discussion de la seconde partie n’est pas possible en l’absence « de la disposition qui arrête en recettes et en dépenses les données générales de l’équilibre ». Le vote préalable de la première partie est repris à l’art. 42 LOLF. Le respect du principe d’équilibre conditionne le contenu de la seconde partie. Ainsi, l’adoption, en seconde partie, d’amendements modifiant les recettes ou les crédits prévus en première partie est possible dès lors que de telles modifications ne portent pas atteinte aux grandes lignes de l’équilibre préalablement défini et arrêté par le vote de la première partie, notamment au moyen de la règle du gage pour les dépenses supplémentaires6. Lorsqu’une disposition est annulée par le Conseil constitutionnel, elle est considérée comme séparable du reste de la loi de finances (et n’entraîne donc pas l’annulation de cette dernière) dans la mesure où elle ne remet pas en cause les données générales de l’équilibre budgétaire. Le gouvernement veille du reste, au cours de l’exécution, à déposer un projet de loi de finances rectificative lorsque les grandes lignes de l’équilibre économique et financier présentées en LFI sont bouleversées.

La notion d’équilibre inscrite dans notre Constitution relève d’une autre dimension puisqu’elle renvoie à une absence de déficit. La réforme constitutionnelle de 2008 a ainsi introduit à l’article 34 de la Constitution : « Les orientations pluriannuelles des finances publiques sont définies par des lois de programmation. Elles s’inscrivent dans l’objectif d’équilibre des comptes des administrations publiques. » Cet ajout consacre pleinement l’objectif d’équilibre. Il amène également à remplacer les anciennes « lois de programme à caractère économique et social par des lois de programmation ». Chaque loi de finances s’inscrit au sein d’une loi de programmation pluriannuelle des finances publiques (cf. chapitre 4).

c L’engagement européen de la France valorise le principe d’équilibre

Dès le traité de Maastricht (1992), le droit de l’Union européenne insiste sur l’équilibre. Il stipule notamment : « le caractère soutenable de la situation des finances publiques (…) ressortira d’une situation budgétaire qui n’accuse pas de déficit public excessif ». En ce sens, il a également été vu, dans le chapitre 4, les conséquences en droit interne du TSCG et son application.

L’enjeu actuel du principe d’équilibre est le pouvoir de contrôle, d’appréciation et de sanction et notamment celui du juge constitutionnel. Il devrait s’assurer que les lois de programmation des finances publiques respectent le principe (constitutionnel) d’équilibre. Une référence serait notamment la date prévue de retour à l’équilibre des finances publiques. Un pas supplémentaire serait que le Conseil constitutionnel vérifie que les lois de finances annuelles respectent les lois de programmation – ce que les lois de finances ne sont pas tenues de faire en l’état du droit – ou un principe constitutionnel d’équilibre. Or cela peut sembler difficile. En effet, le juge s’éloignerait d’une analyse juridique pure et devrait développer une expertise. Les décisions à prendre en faveur de finances publiques saines sont souvent politiques, constituent des choix gouvernementaux, de la majorité. Or le contrôle juridictionnel des choix politiques est généralement minimal. En outre, il est peu probable que le Conseil constitutionnel prenne le risque de censurer l’ensemble d’une loi de finances, privant la France de son budget dans les temps et affectant sa crédibilité sur les marchés financiers.

2.2 Le principe de sincérité

a Les parlementaires contrôlent l’exécution de la loi de finances et les hypothèses de son élaboration

Le principe de sincérité repose sur la nécessaire bonne et fiable information du Parlement. Le principe de sincérité s’inscrit dans l’obligation du consentement à l’impôt de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (art. XIV). Le principe d’universalité appelle un respect de la sincérité d’après le juge constitutionnel dans une décision de 1982 : « le principe de l’universalité budgétaire […] répond au double souci d’assurer la clarté des comptes de l’État et de permettre, par là même, un contrôle efficace du Parlement » (CC, décision no 82-154 DC du 29/12/1982, LFI 1983, cons. 20).

Après les nombreux textes budgétaires déférés par les parlementaires devant le juge constitutionnel au motif d’insincérité, la décision du 21 juin 1993 du Conseil constitutionnel fait de ce motif un élément d’appréciation de la constitutionnalité des lois de finances. En l’espèce, le Conseil constitutionnel a accepté de vérifier la sincérité des prévisions des recettes de privatisation.

La LOLF a consacré le principe de sincérité des lois de finances (art. 32) dégagé par le juge constitutionnel et prévoit également la sincérité en matière comptable (art. 27). Cette extension du principe de sincérité au domaine des comptes de l’État est une nouveauté et a été consacrée sur le plan constitutionnel par la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, qui a introduit la sincérité des comptes publics à l’art. 47-2 al. 2. Ces enrichissements sont cohérents avec le contexte actuel de modernisation de la gestion des finances publiques, lequel requiert plus de transparence et de performance. L’article 47-2 de la Constitution confie à la Cour des comptes le soin d’assister le Parlement et le gouvernement dans le contrôle de l’exécution des lois de finances. Elle doit contrôler que « les comptes des administrations publiques sont réguliers et sincères ». Cette disposition s’inscrit dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel du 25 juillet 2001 qui précise que le principe de sincérité s’entend comme « imposant l’exactitude des comptes » (décision no 2001-448 DC, LOLF, cons. 61). Le contrôle peut être qualifié d’objectif car il s’agit d’un constat de l’exactitude matérielle. Le principe de sincérité comptable est une transposition des règles s’appliquant aux entreprises et notamment de l’art. L 123-14 du code de commerce : « les comptes annuels doivent être réguliers, sincères et donner une image fidèle du patrimoine, de la situation financière et du résultat de l’entreprise » ; l’article 27 LOLF, dispose dans son dernier alinéa que « les comptes de l’État doivent être réguliers, sincères et donner une image fidèle de son patrimoine et de sa situation financière ». Le chapitre 11 traitera en détail de la certification des comptes.

La sincérité des lois de finances, prévue à l’article 32 de la LOLF, fait davantage appel à la subjectivité : « Les lois de finances présentent de façon sincère l’ensemble des ressources et des charges de l’État. » La sincérité concerne la loi de finances et notamment ses prévisions budgétaires, lesquelles se fondent sur les informations alors disponibles. Le cas échéant, l’insincérité ne viendrait pas de l’acte même mais de son auteur, lequel aurait manifestement l’intention de tromper. Dès sa décision du 25 juillet 2001, le Conseil constitutionnel indiquait que la sincérité se caractérisait également « par l’absence d’intention de fausser les grandes lignes déterminées par la loi de finances ». L’opposition politique utilise systématiquement l’insincérité au sujet de la loi de finances initiale à l’endroit du gouvernement. La responsabilité de la sincérité semblerait relever essentiellement du pouvoir exécutif.

b Le juge suprême n’est pas juge politique

Pour toutes ces raisons et notamment la délicate appréciation, le Conseil constitutionnel demeure prudent. Il ne se reconnaît pas compétent pour juger « les choix de gestion du gouvernement » (décision du 30 décembre 1996, loi de finances pour 1997). Si une loi de finances est insincère, c’est tout le projet qu’il faudrait revoir avec le risque qu’une année débute sans autorisation budgétaire. Il faudrait donc que l’atteinte soit suffisamment grave pour justifier la remise en cause de tout le calendrier budgétaire.

Le Conseil constitutionnel n’a jamais censuré la loi de finances pour insincérité, exerçant un contrôle limité à celui de l’erreur manifeste d’appréciation. L’exigence de la continuité de la vie nationale rend difficile une censure de la loi de finances. Il faudrait que le gouvernement ignorât délibérément les informations disponibles au moment de l’élaboration du projet de loi de finances. Le Conseil constitutionnel donne toute sa place à la loi de finances rectificative dans sa décision du 27 décembre 2001 : « si au cours de l’exercice 2002 les recouvrements de recettes constatés s’écartaient sensiblement des prévisions il appartiendrait au gouvernement de soumettre au Parlement un projet de loi de finances rectificative » (décision no 2001-456 DC, LFI 2002, cons. 4). Le Conseil constitutionnel admet avec constance ne pas disposer « d’un pouvoir général d’appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement » et ne pourrait par exemple rectifier soi-même des prévisions de recettes et de dépenses qu’il estimerait erronées.

c Vers une nouvelle organisation de l’élaboration des lois de finances

Un enrichissement de la mise en œuvre du principe de sincérité consisterait en un assouplissement du monopole gouvernemental pour l’élaboration des lois de finances. À ce stade, l’élaboration est strictement gouvernementale, à savoir confiée à l’administration du ministère chargé des finances, nonobstant la communication d’informations aux commissions des finances (depuis la LOLF). Il conviendrait que l’élaboration en elle-même fût ouverte aux parlementaires, y compris ceux de l’opposition. La participation active des parlementaires à cette « coproduction » du budget réduirait les possibilités de recours pour insincérité ou, à tout le moins, réduirait leur portée et renforcerait le niveau des informations disponibles et l’enrichissement des rapports annexés (élasticités des recettes, des dépenses, cadrage macroéconomique, éléments de chiffrage contradictoires, etc.).

Davantage de place a d’ores et déjà été ménagée au principe de sincérité grâce au rôle plus important donné à la Cour des comptes en matière de sincérité des prévisions budgétaires. Si son rôle historique est le contrôle des comptes, et donc de l’exécution (art. 57 et 58 LOLF et 47-2 de la Constitution), il devenait indispensable de l’impliquer également dans la préparation du budget. C’est ce qui est, en partie fait, avec le Haut Conseil des finances publiques vu au chapitre 4.

SUJETS D’EXAMEN ET DE CONCOURS

• Le principe de sincérité budgétaire

• Le principe d’universalité

• L’équilibre des finances publiques

• Le principe d’annualité budgétaire

• Le principe d’unité budgétaire

• Le principe de spécialité budgétaire

• Les principes budgétaires sont-ils adaptés à une gestion moderne des finances publiques ?

• Le Conseil constitutionnel et les lois de finances

RÉFÉRENCES

Laurent Pancrazi, Le principe de sincérité budgétaire, Paris, L’Harmattan, 2012.

William Gilles, Les principes budgétaires et comptables publics, Paris, LGDJ, 2009.