CHAPITRE 9

La préparation et l’adoption du budget de l’État

Le budget constitue le document comptable retraçant l’ensemble des prévisions de recettes et de dépenses, alors que la loi de finances (LF) est l’acte juridique par lequel le Parlement autorise la levée de l’impôt et l’exécution de la dépense. Sous la Ve République, sa préparation et son dépôt demeurent le monopole du gouvernement. Avec la LOLF (2001), le Parlement a toutefois été davantage intégré. La procédure budgétaire est caractérisée par la préparation du projet de loi de finances (PLF) par le gouvernement sous l’autorité du Premier ministre (art. 38 LOLF) et sa discussion puis son adoption par le Parlement.

1 Les phases politiques et administratives de l’élaboration des lois de finances

Phases politiques et administratives sont indissociablement liées.

1.1 Le rôle du pouvoir exécutif dans l’élaboration des lois de finances

Le pouvoir exécutif a une maîtrise complète de la préparation du PLF : « Sous l’autorité du Premier ministre, le ministre chargé des finances prépare les projets de loi de finances qui sont délibérés en Conseil des ministres » (art. 38 LOLF). Le contexte actuel fait de l’élaboration du PLF un moteur de recherche de performance, d’économies et de répartition de l’effort budgétaire.

a Les ministères négocient la hauteur de leurs moyens…

En janvier, un séminaire gouvernemental élabore la stratégie budgétaire générale pour l’année suivante. En parallèle, les ministères recensent et évaluent leurs besoins pour le prochain budget (la stratégie ministérielle de réforme).

En outre, pour chaque ministère, la direction du budget réalise ses propres estimations afin de garantir la soutenabilité de la prévision à moyen terme (PMT, sur trois ans). Après synthèse de ces travaux, le Premier ministre adresse en mars ou avril les lettres de cadrage individualisées aux ministres leur précisant les orientations qu’ils doivent suivre pour élaborer leurs budgets et imposant la norme de dépense.

Chaque ministère doit, entre février et avril, étudier, avec le ministère chargé du budget, les réformes structurelles relatives à son administration (par exemple en termes de redéploiement de personnels ou de réorganisation territoriale du réseau le cas échéant). En parallèle, la direction du budget rencontre les directions financières des ministères techniques afin d’étudier, au cours de conférences, leurs demandes de crédits et d’effectifs, lesquelles doivent être cohérentes avec le cadrage budgétaire global. À la fin de cette période, les conseillers du Premier ministre organisent des réunions afin de traduire en réformes les économies structurelles identifiées.

Afin de respecter la démarche de performance, la direction du budget et les ministères techniques élaborent, en avril, les objectifs et les indicateurs de performance qui seront présentés lors du débat d’orientation des finances publiques et qui constitueront le socle des projets annuels de performance.

En mai sont présentées au ministre chargé du budget les propositions budgétaires, résultats des réunions entre ses services et ceux des ministères techniques. Le Premier ministre s’appuie sur ces restitutions pour adresser, à chaque ministre, en juin, une lettre plafond qui arrête le montant maximum des crédits par mission, les plafonds d’emplois ainsi que les réformes à mettre en œuvre.

b … ainsi que leur ventilation conformément à la nomenclature budgétaire

Entre juin et septembre se tiennent les conférences de répartition entre les ministères techniques et la direction du budget. Le but est de répartir les crédits des missions entre leurs différents programmes (pour mémoire, une mission peut être pluri-ministérielle alors que le programme est mono-ministériel) tout en vérifiant la soutenabilité et la sincérité des répartitions proposées par les ministères. Les responsables de programme précisent leurs stratégies et les objectifs à atteindre. Aussi, les documents budgétaires, et notamment les projets annuels de performances (les « bleus », cf. encadré 2) et la justification au premier euro des crédits, peuvent être terminés pendant l’été. À ce stade, étant donné la contrainte temporelle, les responsables de programme n’ont guère la possibilité d’échanger avec leurs responsables de budgets opérationnels de programme ou les préfets, lesquels seront pourtant chargés de l’exécution.

Le PLF est ensuite examiné par le Conseil d’État et adopté en Conseil des ministres dans la seconde quinzaine du mois de septembre. La LOLF n’impose au gouvernement qu’une obligation de résultat : le délai imposé par l’article 39 : « Le projet de loi de finances de l’année, y compris les documents prévus aux articles 50 et 51, est déposé et distribué au plus tard le premier mardi d’octobre de l’année qui précède celle de l’exécution du budget. »

ENCADRÉ 1 : LA « CHROMATOLOGIE » BUDGÉTAIRE

Les « jaunes » sont des annexes générales, prévues à l’article 51 – 7° de la LOLF mais définies par les lois et règlements. Ils doivent être déposés devant le Parlement avant la discussion des opérations auxquelles ils se rattachent : ce sont des fiches récapitulant les efforts financiers en faveur ou en provenance de certains secteurs tels que l’Union européenne, la gestion de certains organismes tels que les agences de l’eau, le bilan de certains secteurs d’activité telle la formation professionnelle et les éléments importants de la gestion publique telle la politique de l’État actionnaire. Leur but est de replacer ces activités dans un contexte pluriannuel et de les analyser afin de dresser un bilan des actions menées lors des exercices précédents. Le nombre avait considérablement augmenté pour dépasser les 30 au début des années 2000, ce qui entraîna une réduction de leur nombre par souci de visibilité. Ainsi, le PLF pour 2008 était accompagné de 18 jaunes. Le choix d’une information la plus exhaustive des parlementaires conduisit le PLF pour 2017 à en présenter 28.

Parmi les documents annexés les plus importants figurent les annexes explicatives, dites « bleus budgétaires ». Ceux-ci sont accompagnés des projets annuels de performance (PAP). Le but de ces documents est d’expliquer précisément chaque article du projet de loi de finances déposé par le gouvernement, de telle sorte que le Parlement puisse apprécier la justification, la pertinence et les perspectives des mesures envisagées, assurant ainsi un contrôle effectif des finances publiques.

Les « oranges » sont apparus avec la loi de finances pour 2005 et sont aussi nommés documents de politique transversale (DPT). Il s’agit de documents qui, pour chaque politique concernée (par exemple, la politique immobilière de l’État), développent la stratégie mise en œuvre, les crédits, les objectifs et indicateurs y concourant. Ils approfondissent la vision d’ensemble des politiques publiques déjà offerte par les jaunes en se concentrant notamment sur les actions interministérielles recouvrant plusieurs missions, demandant un effort supplémentaire de coordination et une explication adaptée. Leur objectif affiché est d’améliorer la coordination par un ministre chef de file d’actions de l’État relevant de plusieurs ministères et de plusieurs programmes qui concourent à une politique interministérielle et de favoriser l’obtention de résultats socio-économiques communs (circulaire du 29 mars 2007). Chaque orange comprend trois parties : la première présente les différentes politiques transversales en listant les programmes concernés ; la deuxième partie envisage une présentation stratégique des politiques transversales étudiées ; la troisième partie est constituée d’annexes explicatives.

1.2 Le débat d’orientation des finances publiques permet au Parlement de jouer un rôle actif

Afin que le Parlement puisse, par la suite, examiner de manière avertie le PLF qui lui sera soumis, un débat d’orientation des finances publiques (DOFP) est prévu en amont, fin juin. Il s’agit de l’institutionnalisation du débat d’orientation budgétaire (DOB) qui était systématique depuis 1998. L’article 48 de la LOLF prévoit que le rapport d’orientation soumis par le gouvernement aux assemblées précise la liste des missions, programmes et indicateurs de performance associés figurant dans le PLF de l’année à venir. Il présente les perspectives économiques, les grandes orientations politiques, budgétaires et économiques, ainsi qu’une évaluation à moyen terme des ressources et des charges de l’État ventilées par grandes fonctions. Cette présentation peut faire l’objet d’un débat, lequel peut également porter sur le contenu de la nomenclature budgétaire.

Dans le cadre du DOFP, le Parlement et, plus particulièrement, les commissions des finances des deux assemblées peuvent faire part de leur sentiment et de leurs préférences sur les grandes lignes du budget et sur sa structuration. En pratique, un dialogue politique s’engage entre les rapporteurs généraux des commissions des finances et le ministre chargé du budget. Ainsi, le PLF déposé en octobre pourra tenir compte, par avance, des souhaits des représentants de la Nation.

2 Les règles et modalités d’adoption des lois de finances par le Parlement

Après son dépôt à l’Assemblée nationale, au plus tard le 1er mardi d’octobre (art. 39 LOLF), l’examen du budget contenu dans le PLF est caractérisé par un calendrier strictement déterminé par la Constitution et un rôle prépondérant des commissions des finances ; un vote en deux temps par un Parlement au pouvoir d’amendement renforcé par la LOLF vient clore le débat budgétaire.

2.1 L’examen du PLF est soumis à des délais stricts et à l’intervention des commissions des finances

L’adoption du PLF est soumise à un calendrier fixé par la Constitution qui prévoit un rôle prépondérant des commissions des finances des deux assemblées.

a Les délais d’examen du PLF sont encadrés par l’article 47 de la Constitution

L’adoption de la LF se déroule globalement selon la procédure législative classique issue de l’article 45 de la Constitution. Pour que la France dispose d’un budget au début de l’année civile, l’article 47 de la Constitution accorde 70 jours au Parlement pour l’examen du texte. La jurisprudence du Conseil constitutionnel est à cet égard conciliante avec le pouvoir législatif car elle retient comme point de départ des délais constitutionnels le dépôt de la totalité des annexes explicatives du PLF.

Durant cette période, l’Assemblée nationale doit se prononcer en première lecture sous 40 jours. Le Sénat dispose ensuite de 20 jours. À l’issue du 60e jour, les débats sont rythmés par la navette parlementaire (cf. infra).

Si le délai fixé par l’art. 47 de la Constitution est dépassé, et si le retard est imputable aux assemblées, elles en assumeront les conséquences puisque le projet du gouvernement, sans amendement parlementaire, sera promulgué par ordonnance. Si le retard n’est pas du fait du Parlement, l’Assemblée nationale ayant été dissoute, comme en 1962, ou à la suite d’une invalidation de la LF par le Conseil constitutionnel, comme en 1979, le gouvernement n’est qu’en mesure de demander au Parlement l’autorisation de continuer à percevoir les impôts et reconduit le budget de l’année précédente, sans les modifications contenues dans le PLF : il ouvre par décrets les crédits afférents aux « services votés », en attendant l’adoption de la LFI en début d’année (art. 45 LOLF).

b Les commissions des finances des assemblées occupent une place centrale dans l’examen du PLF

Le PLF de l’année est renvoyé de droit aux commissions des finances des deux assemblées (art. 39 LOLF). Les autres commissions permanentes se saisissent seulement pour avis des fascicules budgétaires relevant de leurs compétences. Les bleus adoptent une présentation par mission et sont instruits par des rapporteurs spéciaux, membres de la commission des finances, chargés de proposer une position à la commission et, éventuellement, des amendements.

Chaque rapporteur présente un commentaire du projet de budget qui éclaire la demande de crédits qui figure dans le bleu et l’exécution du budget pour l’année en cours. Comme l’expliqueront les chapitres 10 et 12, la LOLF accroît également leur pouvoir de contrôle de l’exécution du budget durant l’année (notamment art. 58 LOLF) tout en améliorant leur information (art. 51 LOLF). Le rapporteur général assure la coordination des travaux de la commission des finances. Cette dernière est saisie au fond de tous les amendements déposés. Il lui revient également de défendre sa position sur tous les amendements en séance publique.

Toutefois, contrairement à la procédure législative de droit commun, le texte examiné par l’Assemblée en séance publique est celui du gouvernement et non celui tel que modifié par les amendements de la commission des finances. La procédure budgétaire demeure ainsi profondément marquée par le parlementarisme rationalisé de 1958 et a été relativement épargnée par la réforme constitutionnelle de 2008 qui visait à le réduire.

2.2 Un pouvoir d’amendement renforcé nonobstant la persistance d’une rationalisation du parlementarisme

La discussion du PLF en séance publique permet, depuis la LOLF, l’affirmation d’un pouvoir du Parlement au cours d’un débat budgétaire maîtrisé par le gouvernement.

a Le vote en séance publique est organisé en deux temps

L’article 43 de la LOLF définit les règles de vote, consacrant la mission comme unité de vote des dépenses et prévoyant un vote d’ensemble pour les évaluations de recettes. C’est la conférence des présidents qui arrête le déroulement de l’examen du PLF. Dans un premier temps, la discussion générale est l’occasion d’un débat entre représentants des groupes politiques et le gouvernement sur les grandes orientations du PLF. La discussion de la première partie, essentiellement l’autorisation de percevoir les impôts et les dispositions fiscales qui affectent l’équilibre budgétaire de l’année à venir, se clôt par le vote de l’article d’équilibre (cf. chapitre 8).

La seconde partie, comprenant les crédits présentés dans les bleus et des mesures n’ayant pas d’effet sur l’équilibre budgétaire de l’année à venir, ne peut être examinée avant le vote de la première partie (art. 42 LOLF). La discussion de la seconde partie est plus longue, si bien que les assemblées ont essayé d’en limiter la durée par des procédures en commission élargie à l’Assemblée nationale ou une procédure interactive de « questions - réponses » au Sénat. Après une première lecture du PLF par chacune des assemblées et en cas d’absence d’accord sur tous les articles, notamment suite aux amendements, une commission mixte paritaire (CMP) se réunit pour s’accorder sur un texte commun. En cas d’échec de la CMP, fréquent lorsque la majorité du Sénat est différente de celle de l’Assemblée nationale, et après une seconde lecture du texte par les deux assemblées, l’Assemblée nationale a le dernier mot si persistance du désaccord il y a.

b Le Parlement voit ses prérogatives renforcées par la LOLF mais demeure encadré par les compétences gouvernementales

L’art. 40 de la Constitution rend irrecevables les amendements parlementaires qui conduiraient à une diminution des ressources ou à l’augmentation des charges publiques.

Cependant, l’interdiction de diminuer les ressources est contournée par la technique du gage : est recevable un amendement qui, globalement, ne diminue pas les ressources publiques, fût-ce en gageant une diminution d’impôt par l’augmentation d’un autre impôt. Toutefois, seul le gouvernement peut « lever le gage », c’est-à-dire supprimer le volet de l’amendement prévoyant de manière formelle une hausse d’impôt (généralement, les droits sur les tabacs) qui se révélerait peu praticable si elle devait être votée.

La LOLF offre également la possibilité de contourner l’interdiction d’augmenter les dépenses grâce à son article 47 selon lequel est recevable un amendement parlementaire qui modifie, au sein d’une mission, la répartition des crédits entre programmes à condition de respecter le plafond de crédits attribués à la mission concernée : il est donc possible d’augmenter les crédits d’un programme.

Le Parlement peut également créer, modifier ou supprimer un programme. Il demeure que le droit d’amendement élargi est encadré : l’amendement « doit être motivé et accompagné des développements des moyens qui le justifient » (art. 47 LOLF) ; le droit d’amendement ne peut avoir pour conséquence de rendre une mission « mono programme » (art. 7 de la LOLF et décision no 2005-530 DC du 29 décembre 2005).

Par ailleurs, des dispositions constitutionnelles, issues du parlementarisme rationalisé voulu par les constituants de 1958, permettent au gouvernement d’écarter des amendements qui ne reçoivent pas son assentiment. Le gouvernement peut s’opposer à des amendements qui n’auraient pas été soumis à la commission des finances (art. 44 al. 2), engager la procédure dite du « vote bloqué »1 (art. 44 al. 3) ou sa responsabilité (art. 49 al. 3 Constitution). Les « cavaliers budgétaires », qui sont des dispositions inscrites dans une loi de finances alors qu’elles n’ont aucun caractère financier, sont également interdits.

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En définitive, la procédure d’adoption du budget est caractérisée par la primauté donnée à l’Assemblée nationale lors d’un débat aux délais courts et impératifs. La mise en œuvre de la LOLF renforce le pouvoir d’amendement du Parlement lors de cette procédure. Néanmoins, cette réforme n’a eu que peu de conséquence sur les budgets adoptés depuis son application en 2006. Il faut également remarquer que, par rapport aux ambitions de la LOLF, la performance n’occupe qu’une place réduite lors de l’examen du PLF.