NOTIONS À MAÎTRISER
L’expression de fiscalité locale désigne l’ensemble des impôts ou fractions d’impôt affectés aux APUL, que ces dernières disposent ou non du droit d’en moduler le rendement. Il s’agit d’un ensemble composite, qui ne se résume pas aux impôts directs locaux que sont les « trois vieilles » (taxe d’habitation – TH, taxe foncière sur les propriétés bâties – TFPB, taxe foncière sur les propriétés non bâties – TFPNB), la contribution économique territoriale (CET) et leurs impôts additionnels. Il comprend aussi des impôts indirects, parfois partagés avec l’État.
La fiscalité locale est devenue au fil du temps assez peu lisible pour les contribuables voire pour les collectivités locales elles-mêmes. Les règles se sont complexifiées, en particulier du fait de l’intercommunalité. L’État a instauré des allégements de fiscalité qu’il prend en tout ou partie à sa charge, la responsabilité des collectivités en matière fiscale est parfois brouillée. S’agissant plus particulièrement de la fiscalité directe locale, son assiette (les valeurs locatives cadastrales, VLC) est calculée selon des références anciennes et devenues inéquitables. Autant de défauts qui persistent malgré les réformes récentes, notamment celle consécutive à la suppression de la taxe professionnelle (TP) en 2010, et qu’il serait opportun de corriger pour améliorer la lisibilité et l’équité de la fiscalité locale.
Globalement, les recettes de fiscalité directe et indirecte de l’ensemble des collectivités (cf. tableau 1) sont dynamiques. Elles s’élèvent à 134 Md€ en 2015, en hausse de 4,3 % par rapport à l’année précédente. Cette progression provient notamment des transferts de recettes fiscales et des impôts directs locaux, lesquels augmentent sensiblement du fait d’un effet base (les VLC sont indexées chaque année sur la prévision d’inflation souvent surestimée, et sont augmentées par la construction de nouveaux locaux) et d’un effet taux (les collectivités tendent à augmenter leur taux). Les recettes liées aux autres impôts et taxes sont moins importantes et restent habituellement globalement stables, sauf les années de transferts supplémentaires de fiscalité de l’État vers les collectivités. Dans l’ensemble, la fiscalité représente 100,4 % des dépenses de fonctionnement.
Tableau 1 : Les recettes fiscales des collectivités territoriales1
Impôt | Produit 2014 (en Md€) | Affectataires |
---|---|---|
20,6 | Communes2 | |
29,3 | Communes et départements | |
1 | Communes | |
7,0 | Communes | |
15,9 | Communes, départements et régions | |
1,4 | Communes, départements et régions | |
0,7 | Communes | |
6,4 | Communes | |
7,2 | Communes et syndicat des transports d’Île-de-France | |
Contribution au développement de l’apprentissage | 1,4 | Régions |
Autres (taxes affectées aux chambres consulaires, taxes spéciales d’équipement, taxe de balayage, taxe sur les pylônes, taxe sur les remontées mécaniques, redevance des mines) | 2 | Chambres d’agriculture, de commerce et d’industrie, de métiers et d’artisanat, établissements publics fonciers, communes et départements |
Ensemble de la fiscalité directe | 92,9 | |
DMTO | 9,9 | Communes et départements |
TICPE | 11,4 | Départements et régions |
Taxe sur la consommation finale d’électricité | 2,2 | Communes |
6,7 | Départements | |
0,26 | Communes | |
Taxes d’urbanisme | 1,4 | Communes, départements et région Île-de-France |
Taxe sur les certificats d’immatriculation | 2,1 | Régions |
Taxe sur les permis de conduire | 0,003 | Régions |
Impôts et taxes outre-mer | 1,6 | Communes, départements et régions dans les départements d’outre-mer |
Ensemble de la fiscalité indirecte | 35,6 | |
Ensemble de la fiscalité locale | 128,5 |
Les ressources fiscales locales relèvent de différentes catégories, dont les collectivités ont une maîtrise inégale.
L’État a confié dès la Révolution française des impôts aux collectivités territoriales. Ce mouvement s’est poursuivi jusqu’en 1948, avec le transfert des contributions foncières. Tous les impôts directs locaux sont dotés d’une base locale, c’est-à-dire que l’assiette est localisée sur le territoire de la collectivité qui vote l’impôt. Cette assiette est essentiellement de nature foncière : il s’agit des locaux bâtis et des terrains non bâtis, dont la valeur est appréciée d’après leur valeur locative résultant de leur classement cadastral.
La valeur locative annuelle s’entend des revenus (les loyers) que le bien est susceptible de procurer à son propriétaire pendant un an de location. Cette valeur locative est calculée par l’administration, laquelle se réfère à des moyennes par commune en fonction de catégories de locaux ou de terrains : il ne s’agit donc pas du loyer effectivement perçu pour le bien en question, qui peut du reste être inexistant. On parle de VLC ou encore de valeurs locatives foncières.
Les VLC sont l’assiette de la TH, due par l’occupant d’un local d’habitation, de la cotisation foncière des entreprises (CFE), due par l’occupant d’un local professionnel, de la TFPNB, due par le propriétaire d’un terrain non bâti, de la TFPB, due par le propriétaire de tout local bâti, et de la taxe d’enlèvement des ordures ménagères (TEOM), qui, en tant que taxe annexe à la TFPB, est due par le propriétaire mais peut être refacturée au locataire. La CFE est l’une des deux composantes de la CET. L’autre composante est la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), dont l’assiette est, comme son nom l’indique, la valeur ajoutée de l’entreprise. Il existe encore des taxes additionnelles à ces impôts locaux, notamment les taxes spéciales d’équipement affectées aux établissements publics fonciers et les taxes affectées aux chambres consulaires.
À part la CVAE, qui est partagée entre les trois échelons territoriaux, les impôts directs locaux sont désormais, depuis la suppression de la TP, principalement perçus par le bloc communal. Ce dernier perçoit la TH, la CFE, la TFPNB, une part de la TFPB et la TEOM. Au sein de ce bloc, les EPCI à fiscalité propre sont souvent affectataires de l’ensemble de la CFE, voire de la TEOM, et d’une fraction de la TH et des deux taxes foncières. Les départements perçoivent une autre part de la TFPB. Les régions ne bénéficient d’aucun impôt direct local assis sur les VLC3(cf. infra).
À l’occasion de la suppression de la TP par la LFI 2010, un nouvel impôt a été institué au bénéfice des collectivités territoriales des trois échelons. L’imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux (IFER) est une taxe sur les immobilisations détenues par des entreprises industrielles ou de réseau. Elle est composée de neuf cédules (trains, canalisations de transport d’hydrocarbures et de produits chimiques, centrales nucléaires et thermiques, transformateurs électriques, éoliennes…). Parallèlement, l’État a transféré en 2011 au bloc communal la taxe sur les surfaces commerciales (TASCOM), due par les grandes surfaces.
En outre, les communes (ou EPCI), les départements et la région Île-de-France bénéficient des taxes d’urbanisme, dues une unique fois à raison de la valeur forfaitaire des constructions ou aménagements de bâtiments sur le territoire de la collectivité. Par ailleurs, les communes et la région Île-de-France perçoivent le versement transport, qui est une taxe assise sur les salaires. Enfin, les communes peuvent instituer la taxe locale sur les enseignes et publicités extérieures (TLPE), la taxe sur les pylônes supportant des lignes à haute tension, ou encore la taxe de balayage (notamment levée à Paris auprès des propriétaires riverains des voies publiques) pour financer le service du même nom. Cette liste n’est pas exhaustive.
Le phénomène selon lequel des impôts d’État sont transférés aux APUL n’est pas récent puisque c’est à l’origine également le cas des impôts directs précités. Il a toutefois connu d’importants développements depuis 1982, puisque les lois de décentralisation des 2 mars 1982 et 7 janvier 1983 ont prévu le transfert de ressources fiscales de l’État aux collectivités territoriales pour que celles-ci puissent assumer les nouvelles compétences qui leur étaient parallèlement confiées. Chose nouvelle, parmi les recettes fiscales transférées, on compte des fractions d’impôts, des taxes sur lesquelles les collectivités ne disposent d’aucune marge de manœuvre voire dont l’assiette n’est pas territorialisée.
Ainsi, pour financer de nouveaux transferts de compétences dans le cadre de l’acte II de la décentralisation en 2004-2005, l’approche privilégiée a été de fournir une compensation financière par l’attribution du produit d’impositions de toute nature selon des critères de répartition entre collectivités permettant d’assurer qu’aucune d’entre elles ne soit perdante. Le surcroît de dépenses transféré à chaque collectivité, évalué selon son coût historique et constaté par arrêté ministériel pris après avis de la commission consultative sur l’évaluation des charges (CCEC, notamment composée d’élus locaux), a été entièrement compensé. Dans cette perspective, l’affectation de ressources est similaire, en pratique, à une dotation budgétaire.
Des transferts complémentaires ont eu lieu en 2011, suite à la suppression de la TP, et plus indirectement en 2014, dans le cadre du pacte de confiance et de responsabilité entre l’État et les collectivités locales (transfert du produit correspondant à des frais de gestion sur les impôts directs locaux, cf. chapitre 13).
Les droits de mutation à titre onéreux (DMTO), notamment sur les ventes d’immeubles, ont ainsi été transférés en très large partie aux départements puis également aux communes, en plusieurs séquences. Cet impôt présente l’avantage de pouvoir être territorialisé puisqu’il porte essentiellement sur des biens immeubles, par définition localisés sur un territoire donné4.
Une fiscalité automobile a également été transférée aux régions en 1983 (la taxe sur les cartes grises, qui existe toujours) et aux départements en 1984 (la vignette automobile, jusqu’à sa suppression en 2006).
La taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) a été transférée pour partie à la fois aux départements et aux régions. La taxe spéciale sur les conventions d’assurance (TSCA), mise à part la fraction affectée à la caisse nationale d’assurance maladie, a été transférée aux départements. À l’exception de la part régionale de TICPE, les montants de recettes de ces impôts versées aux collectivités sont déterminés de manière à compenser les charges nées des transferts de compétences.
Les collectivités territoriales ont le choix d’appliquer ou non certains impôts sur leur territoire, comme la TEOM, à laquelle les élus locaux peuvent préférer la redevance d’enlèvement des ordures ménagères ou encore un financement du service d’enlèvement des ordures ménagères par les recettes du budget général. Elles ont également le choix d’appliquer certaines mesures particulières, telle la majoration facultative de TFPNB pour les terrains constructibles situés en zone de tension du marché du logement, et diverses exonérations.
Mais la marge de manœuvre la plus importante se situe la plupart du temps au niveau du taux, où elle est cependant encadrée. À noter qu’une telle marge n’existe pas pour la CVAE et les IFER, dont le taux et les tarifs sont nationaux.
S’agissant des impôts directs locaux, il existe des règles de plafonnement des taux votés et de liaison entre ces taux, afin d’éviter des disparités excessives de pression fiscale entre contribuables (selon leur statut de particulier ou de professionnel et selon leur localisation géographique) et de limiter le risque d’une trop forte croissance des taux d’imposition. Tout d’abord, lors de la fixation de certains taux, les élus locaux doivent prendre en compte l’évolution des taux des autres taxes. En particulier, les collectivités ne peuvent augmenter leur taux de CFE que dans la même proportion que l’augmentation de leur taux de taxe d’habitation (ou, si elle est moins élevée, de l’augmentation du taux moyen pondéré de la TH, de la TFPB et de la TFPNB). Ensuite, les élus sont tenus de prendre en compte les taux moyens nationaux. Pour la TH et les deux taxes foncières, les taux ne doivent pas dépasser un plafond égal à deux fois et demi la moyenne nationale de l’année précédente (ou, pour les communes, la moyenne départementale si celle-ci est plus élevée). Pour la CFE, le plafond est de deux fois le taux national et s’élève ainsi à 52,3 % pour le vote du taux de CFE en 2017.
En revanche, l’évolution de la cotisation minimale de CFE n’est pas soumise à des règles similaires de lien ou de plafonnement en fonction de moyennes nationales : son encadrement repose sur un barème. Quelles que soient par ailleurs les VLC des locaux qu’ils occupent, chaque redevable de la CFE doit contribuer pour un montant minimum à la couverture des charges des collectivités locales. Cette cotisation minimale de CFE est différenciée en fonction du chiffre d’affaires de l’entreprise. Depuis 2015, le barème de la base minimum est composé de six tranches de chiffre d’affaires : les communes ou les EPCI peuvent déterminer pour chaque tranche le montant de cotisation minimale applicable, entre 214 et 510 € pour la première tranche (<10 000 €) et entre 214 et 6 625 € pour la dernière tranche (>500 000 €)5.
La TASCOM ne repose pas sur un taux mais sur un tarif national, défini en euros par mètre carré selon un barème dépendant du chiffre d’affaires. Après application du tarif, le montant de la taxe peut cependant être modulé par la commune ou l’EPCI, en lui appliquant un coefficient multiplicateur compris entre 0,8 et 1,2. D’une année sur l’autre, ce coefficient ne peut varier de plus de 0,05. À noter que la majoration de 30 ou 50 % de TASCOM sur les grandes surfaces (établissements de plus de 2 500 m²), applicable depuis 2015, est perçue au profit de l’État et ne relève donc pas de la fiscalité locale.
Certains impôts indirects sont assortis d’un pouvoir de taux. C’est le cas des DMTO, pour lesquels la marge de manœuvre des collectivités est réelle mais devenue théorique jusqu’à mars 2014. Depuis le taux maximum cumulé de DMTO de 5,81 % (contre 5,09 %) auparavant. Il se compose d’abord d’un taux départemental compris entre un taux plancher de 1,2 % et un taux plafond relevé à 4,5 % (au lieu de 3,8 %) pour soutenir les finances des départements, notamment de ceux en difficulté (cf. chapitre 13)6. Avant ce relèvement, l’ensemble des départements étaient au plafond.
Ensuite, le taux communal est de 1,2 % mais peut être réduit à 0,5 % par les communes qui en perçoivent directement le produit, c’est-à-dire celles de plus de 5 000 habitants ou classées comme stations de tourisme (les autres communes perçoivent le produit à travers un fonds de péréquation départemental). Toutefois, la quasi-totalité des communes sont au plafond.
Les règles entourant le tarif de la TICPE sont distinctes pour la fraction régionale et pour la fraction départementale. Grâce à une dérogation accordée par l’Union européenne au regard des principes applicables aux accises, les régions peuvent depuis 2007 moduler le tarif de TICPE perçue sur les carburants commercialisés sur leur territoire. Les tarifs applicables au gazole et aux supercarburants peuvent ainsi être augmentés de 2,5 c€ par litre. Toutes les régions sont à ce plafond, sauf la Corse qui n’a pas souhaité faire usage de cette modulation.
À l’inverse, la fraction de TICPE affectée aux départements est répartie entre ces derniers en fonction de critères budgétaires. Cette répartition a pour objet d’assurer la compensation budgétaire du transfert aux départements des dépenses de RSA.
Il en va de même pour la TSCA, sur laquelle les départements ne disposent d’aucune marge de manœuvre. Toutefois, les recettes de TSCA sont relativement dynamiques.
Les VLC des locaux bâtis ont été évaluées en 1970 et celles des terrains non-bâtis en 1960. Certes, elles sont revalorisées chaque année par un coefficient voté en loi de finances, en général égal à l’inflation prévisionnelle de l’année N. De même, les changements de consistance (agrandissements…) et d’affectation (transformation d’un magasin en logement par exemple) des locaux, dûment déclarés par leur propriétaire, sont pris en compte chaque année. Pour autant, c’est par rapport à l’état du marché locatif de 1970 que les VLC sont évaluées.
Or la valeur locative dépend de la localisation des biens et de leurs caractéristiques (état, confort…). Le marché locatif évoluant au fil des ans, les grilles tarifaires peuvent se révéler inadaptées : tels logements sociaux ou résidences pavillonnaires, bien situés et modernes à l’époque, sont susceptibles d’être affectés d’une VLC plus élevée que des appartements situés dans le centre-ville de la même commune, dont la qualité et le prix de l’emplacement ont souvent augmenté nettement plus rapidement. Ensuite, les VLC de bâtiments construits postérieurement à 1970 ne peuvent pas, par construction, être déterminées d’après leur bail de 1970 : l’administration compare donc ces nouveaux bâtiments aux locaux-types, ce qui se révèle parfois difficile voire impossible s’agissant de locaux d’un nouveau type (complexes cinématographiques par exemple). En outre, les VLC ayant été évaluées au niveau communal, elles peuvent être sensiblement différentes au sein d’une commune fusionnée et entre communes d’une même intercommunalité et, a fortiori, d’un même département sans que ces différences ne se justifient encore aujourd’hui. Enfin, les établissements industriels sont évalués selon une méthode comptable, consistant à appliquer un taux de 8 % à la valeur des locaux inscrits à l’actif de l’entreprise, ce qui conduit certes à une valeur locative réaliste mais plus élevée que pour les autres locaux.
Il en résulte des inégalités de répartition des impôts directs locaux entre contribuables d’une même commune (soit notamment pour la TH et la TFPB) et, a fortiori, d’un même EPCI (soit en particulier pour la CFE) et d’un même département (part départementale de TFPB).
C’est pour remédier à cette iniquité et pour restaurer un cadre d’évaluation des VLC plus adapté au marché locatif actuel que la révision des valeurs locatives a été engagée, en deux temps après une première tentative avortée au début des années 1990.
Dans un premier temps, la révision des VLC des 3,3 millions de locaux professionnels a été expérimentée dans le cadre défini par l’article 34 de la 4e LFR 2010 (loi no 2010-1658) et sera effectivement appliquée, sur l’ensemble du territoire, pour les impositions 2017. D’une part, les VLC ont été calculées à partir des loyers réellement constatés dans chaque département en 2013, qui ont servi à concevoir des grilles tarifaires propres à chaque secteur géographique d’évaluation (caractérisé par un marché locatif homogène), préparées par l’administration et approuvées par des commissions départementales représentant les élus locaux et les contribuables. D’autre part, les VLC seront par la suite mises à jour de manière permanente à l’aide de déclarations remises chaque année par les propriétaires.
Globalement, les VLC des locaux professionnels vont augmenter. Pour autant, l’objectif de la révision n’étant pas d’augmenter le rendement budgétaire des impôts directs locaux, un coefficient de neutralisation sera appliqué pour neutraliser cette hausse d’assiette (la part dans le total des bases d’imposition des bases des locaux concernés par la révision restera ainsi inchangée après application du coefficient). En revanche, des effets redistributifs entre contribuables seront inévitablement constatés dès lors que la charge fiscale sera répartie plus équitablement entre eux – c’est du reste l’objectif de la réforme. Pour éviter de brutales évolutions, un lissage des hausses et des baisses des cotisations d’impôt sur dix ans, combiné à une limitation des variations de VLC appelée « planchonnement », a été prévu7.
Dans un second temps, la révision des valeurs locatives des locaux d’habitation a été expérimentée en 2014 et 2015, sur le fondement de l’article 74 de la LFR 2013 (loi no 2013-1279), selon des principes adaptés de la révision des VLC des locaux professionnels. La tâche s’annonce plus lourde pour les locaux d’habitation, qui représentent environ 90 % des 33 millions de locaux. Aucune date n’a été fixée pour une mise en œuvre généralisée de la révision.
La fiscalité locale souffre d’un double manque de transparence, sur le produit que perçoivent les collectivités et sur la charge qui pèse effectivement sur le contribuable.
En premier lieu, la fiscalité directe locale a longtemps souffert de la multiplicité des affectataires d’une même taxe, parfois partagée entre trois collectivités de niveaux différents. La réforme du schéma de financement des collectivités locales induite par la suppression de la taxe professionnelle a introduit davantage de spécialisation des impôts locaux, gage de la responsabilité de ceux qui en votent leur taux. En effet, lorsqu’une taxe résulte de l’addition de taux votés par différentes entités, le contribuable ne sait plus au juste qui est responsable de l’évolution de la pression fiscale.
Parmi les impôts dont les collectivités votent le taux, la TFPB et les DMTO demeurent partagés entre deux niveaux – le bloc communal et les départements. Une spécialisation de ces deux impôts pourrait être envisagée, par exemple par l’affectation exclusive de la TFPB aux communes et des DMTO aux départements, le solde étant compensé par un transfert de CVAE du bloc communal aux départements.
En outre, la perception d’une taxe par le bloc communal se traduit la plupart du temps par un double étage de vote de taux et d’affectation, notamment pour les taxes « ménages » (TH, TFPB et TFPNB), à l’exception des DMTO et de la CFE lorsqu’elle est perçue par des EPCI à fiscalité professionnelle unique. D’autres étages plus marginaux peuvent s’ajouter (taux additionnels des EPCI sans fiscalité propre, taxes spéciales d’équipement…). Bien que la caractéristique des EPCI à fiscalité propre (appelée « intercommunalité de projet » lors de leur promotion par la loi Chevènement de 1999) soit de percevoir en propre des recettes de fiscalité directe locale, la justification d’un tel financement pour de simples établissements publics ne constituant pas des collectivités territoriales n’est pas évidente. Sans même se prononcer sur le bilan de cette intercommunalité et, notamment, sur sa responsabilité dans la croissance des dépenses publiques locales (cf. chapitre 13), le schéma de financement actuel nuit à la lisibilité de l’impôt pour le contribuable et, plus largement, conduit à complexifier considérablement les règles de la fiscalité directe locale, qui n’en avaient pourtant pas besoin. Aussi pourrait-on sérieusement envisager de ne plus financer les EPCI que par les contributions financières de leurs communes membres.
Enfin, certaines taxes à faible rendement pourraient être supprimées, les collectivités concernées étant libres de recourir à leurs ressources de droit commun : taxes de balayage, sur les friches commerciales, de gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations…
En second lieu, l’État demeure le plus important contribuable local. Cette situation s’explique d’abord par la prise en charge de dégrèvements, notamment ceux accordés aux contribuables modestes, tel celui au titre du plafonnement de la TH en fonction du revenu, et le dégrèvement barémique de la CVAE (cf. chapitre 25). Elle s’explique ensuite par la compensation par voie budgétaire, généralement partielle, d’exonérations partielles ou totales d’impôts locaux. Au total, en 2015, l’État prend en charge 24 % de la TH et 3,5 % des taxes foncières, soit 4,8 Md€, ainsi que 21 % des impôts économiques (principalement la CET) pour 6,3 Md€.
S’il n’est pas illégitime que l’État prenne en charge les conséquences financières de mesures incitatives ou concourant à la réalisation de politiques publiques, il est moins naturel qu’il se substitue purement et simplement aux contribuables locaux pour compenser leurs moindres facultés contributives. Si ces dernières sont considérées comme trop faibles pour que le contribuable soit mis à contribution, aucun impôt ne devrait être perçu par les collectivités affectataires. Pour parvenir à ce régime cible sans mettre en difficulté les finances locales, l’économie budgétaire pour l’État devrait être recyclée en dotation budgétaire dont le montant serait gelé.
De manière plus radicale, d’autres schémas de financement des APUL sont envisageables. Un monde sans fiscalité locale pourrait constituer une solution alternative si la réforme de la fiscalité locale esquissée ci-dessus ne pouvait aboutir.
Les collectivités sont certes demandeuses de marges de manœuvre en matière fiscale mais aussi, simultanément et très paradoxalement, d’une plus grande sécurité de leurs recettes. L’État est ainsi invité à jouer un rôle d’assureur gratuit pour faire face aux fluctuations de recettes de fiscalité locale (DMTO, CVAE…), les collectivités arguant de la nécessité pour elles de financer leurs dépenses.
Or, si l’objectif est de financer les charges des collectivités, il serait plus efficace de le faire par l’intermédiaire de dotations budgétaires ou de recettes fiscales transférées dont le montant serait calculé objectivement en fonction desdites charges. Cette solution permettrait aussi d’éviter que les collectivités ne bénéficient d’un excès de recettes par rapport à leurs besoins réels.
Autre avantage, à cette fin, il serait possible de recourir à des impôts nationaux dont le coût de gestion est moindre que celui des impôts directs locaux. C’est du reste cette voie qui a été poursuivie avec les transferts de TICPE et de TSCA. À l’inverse, il serait contre-productif de créer de nouveaux impôts directs locaux, tel un impôt sur le revenu local (dans le cadre de la TH ou en dehors), qui procurerait aux collectivités au tissu fiscal le plus riche des recettes dont elles n’ont pas besoin et aggraverait ainsi les inégalités financières entre territoires (sauf à renforcer la péréquation horizontale, ce qui ne contribuerait pas à alléger les coûts de gestion).
En régime cible, les impôts directs locaux pourraient être supprimés, le financement s’appuyant sur d’autres outils – dotations, transferts d’impôts nationaux, redevances… Si le maintien d’un impôt direct local était néanmoins souhaité, à titre complémentaire, mais que la révision des VLC n’était pas menée à bien, des voies alternatives, plus simples et rudimentaires, pourraient être explorées. Il pourrait s’agir par exemple d’un impôt inspiré de la capitation (impôt par tête ou par foyer mais pouvant être modulé en fonction de divers critères), semblable à la contribution à l’audiovisuel public (due par chaque foyer sous réserve de détenir une télévision et d’être dans le champ de la TH) ou encore à la cotisation minimale de CFE. Un tel impôt serait sans doute inéquitable mais un tel inconvénient n’est manifestement pas un obstacle dirimant puisque l’ensemble des impôts directs locaux sont aujourd’hui inéquitables du fait du caractère suranné de leurs bases.
Le modèle allemand de fiscalité locale repose précisément, à côté d’impôts spécifiquement locaux (notamment de nature foncière), sur le partage d’assiettes fiscales entre les échelons locaux et l’échelon fédéral.
C’est le cas pour l’impôt sur le revenu, dont les règles sont définies au niveau fédéral et dont le produit est partagé entre le Bund (État fédéral) (42,5 %), les Länder (42,5 %) et les communes (15 %). Les entités locales reçoivent ainsi le produit afférent à l’impôt acquitté par les foyers qui résident sur leur territoire. Parallèlement est organisée une importante péréquation entre Länder pour rapprocher les recettes des charges.
Le partage de l’imposition des bénéfices se fait d’une autre manière, via deux impôts différents, puisque l’impôt fédéral (équivalent de notre impôt sur les sociétés) est distinct de la taxe professionnelle levée au niveau communal (Gewerbesteuer). Cette dernière, qui ressemblait naguère à la TP française, est désormais assimilée à un impôt sur les bénéfices, son assiette reposant sur le bénéfice retenu pour l’IS modulo plusieurs corrections positives et négatives. Dans le cas de la taxe professionnelle, les communes allemandes disposent du pouvoir de fixer le taux. La pression fiscale qu’elles exercent est clairement identifiée.
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La fiscalité locale est une expression qui induit en erreur : à l’exception des collectivités d’outre-mer et contrairement à ce que souhaiteraient certaines collectivités, les collectivités territoriales ne jouissent pas de l’autonomie fiscale et perçoivent voire modulent des impôts dans le cadre défini par la loi. Il est certes légitime que les collectivités bénéficient d’un socle de marges de manœuvre pour adapter leurs recettes fiscales à leurs besoins mais à condition d’éviter l’écueil d’une dérive des finances locales et de veiller à l’équité de la fiscalité locale.
À cet égard, la révision des valeurs locatives est une réforme nécessaire – sauf à réformer profondément la fiscalité directe locale, de sorte à ne plus avoir recours aux impôts fonciers assis sur les VLC. Davantage de lisibilité et de simplicité sont aussi à rechercher, par des réformes remettant en cause ou non le cadre général de la fiscalité locale. Des considérations d’efficacité et d’efficience plaident pour s’appuyer davantage sur des impôts nationaux et moins sur des impôts locaux.
SUJETS D’EXAMEN ET DE CONCOURS
• Les impôts locaux
• La fiscalité directe locale
• Faut-il réformer la fiscalité locale ?
• Comment lutter contre les inégalités générées par la fiscalité locale ?
RÉFÉRENCES
Rapport du gouvernement au Parlement sur les conséquences de la réforme de la fiscalité directe locale induite par la suppression de la taxe professionnelle, novembre 2012.