Le paysage urbain dublinois renvoie à l’âge de la ville, avec des pans visibles de son architecture remontant au Moyen Âge. Certes, la capitale est plus ancienne encore, mais nulle trace ne demeure de ses origines vikings et votre exploration architecturale débutera au XIIe siècle, avec la construction du château et des deux cathédrales. Les plus beaux édifices furent toutefois bâtis bien plus tard, durant ce siècle d’or connu désormais sous le nom de période georgienne.
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Il ne reste rien du Dublin viking, pour l’essentiel construit en bois. L’empreinte normande est davantage visible, mais même les édifices les plus impressionnants de ce temps ont largement été remaniés depuis. Le Dublin Castle – ou à tout le moins l’ensemble appelé ainsi – n’a gardé que bien peu de la forteresse érigée par les Anglo-Normands au début du XIIIe siècle et évoque davantage le style néoclassique du XVIIe siècle. Des éléments de sa partie inférieure d’origine peuvent toutefois se découvrir à la faveur d’un circuit organisé.
Les cathédrales de Christ Church et St Patrick’s, bâties au XIIe siècle, furent pour bonne part reconstruites à l’époque victorienne, mais il en reste quelques éléments originaux, notamment la crypte de Christ Church, avec sa porte romane du XIIe siècle. La plus ancienne des deux églises de St Audœn date de 1190 et arbore aussi quelques touches normandes, notamment une porte de la même période.
Après la Restauration de Charles II en 1660, Dublin vécut quasiment un siècle et demi d’un développement sans précédent et fut en lice pour devenir la deuxième ville la plus importante de l’Empire britannique. Les plus beaux fleurons de cette époque sont le Royal Hospital Kilmainham (1680), conçu par William Robinson et abritant aujourd’hui l’Irish Museum of Modern Art, et les Royal Barracks (désormais appelés Collins Barracks ; 1701) édifiés par Thomas Burgh et dans lesquels est aménagée une annexee du National Museum of Ireland.
L’apogée architecturale de Dublin correspond peu ou prou aux règnes successifs des quatre George anglais, de l’accession au trône de George Ier en 1714 à la mort de George IV en 1830. Les Wide Street Commission (“commissions des rues larges”), nommés en 1757, ont laissé leur marque à Dublin. Responsables de la conception des espaces publics et du tracé des nouveaux quartiers de la ville, ils jouèrent un grand rôle dans sa configuration actuelle : sans eux, Dublin n’aurait pas de jolies places georgiennes ni de grands boulevards. Aux efforts de cette institution s’ajoutèrent ceux de la petite noblesse anglo-irlandaise protestante de Dublin qui, forte d’une richesse nouvelle, se consacra corps et âme à l’amélioration de la cité.
L’inspiration initiale vint du travail de l’architecte italien Andrea Palladio (1508-1580), qui maîtrisait parfaitement la symétrie et l’harmonie du style classique. Lorsque son pendant palladien arriva en Irlande dans les années 1720, les architectes d’alors se l’approprièrent et l’agrémentèrent de quelques “améliorations”, notamment des façades en brique et diverses touches décoratives qui, à l’exemple des portes colorées, des impostes et de la ferronnerie, cassaient l’uniformité parfois austère de cette mode de l’époque. Son “style georgien” gagna un certain renom à Dublin.
Derrière leurs superbes façades, nombre des plus belles maisons georgiennes de Dublin dissimulent des moulures en stuc de la plus grande délicatesse. Le travail fantastique de Michael Stapleton (1747-1801) peut être admiré à Trinity College, à Ely House près de St Stephen’s Green et à Belvedere House dans le nord de Dublin. Les frères LaFranchini, Paolo (1695-1776) et Filippo (1702-1779) ont réalisé les extraordinaires décorations de la Newman House dans St Stephen’s Green. Cependant, les stucs les plus célèbres de Dublin sont probablement ceux de la chapelle située au cœur du Rotunda Hospital. S’il est vrai que les hôpitaux ne sont jamais des lieux agréables à visiter, celui-ci mérite le détour pour découvrir les plâtres rococo du stucateur allemand Bartholomew Cramillion.
L’architecte à qui l’on attribue l’introduction du style georgien à Dublin est sir Edward Lovett Pearce (1699-1733), qui arriva dans la capitale pour la première fois en 1725 et fit sensation avec sa Parliament House (désormais la Bank of Ireland ; 1728-1739). Il s’agissait du premier édifice au monde destiné à accueillir un Parlement bicaméral, et la chambre principale, la House of Commons, est surmontée d’un gigantesque dôme évoquant celui du Panthéon.
Pearce créa également le prototype de la maison de ville georgienne, l’élément architectural le plus caractéristique de Dublin. La version locale est généralement une maison sur quatre niveaux, dont un sous-sol, avec des fenêtres disposées symétriquement et une imposante porte d’entrée, souvent peinte d’une couleur vive. Un escalier en granit mène à la porte, habituellement décorée d’une délicate imposte en verre cathédrale. Les exemples les plus célèbres sont situés au sud de la Liffey, en particulier autour de Merrion Sq et Fitzwilliam Sq, mais la rive nord compte aussi quelques rues magnifiques, au nombre desquelles North Great George’s St et Henrietta St. Cette dernière, qui reste la plus homogène des rues georgiennes de Dublin, s’enorgueillit de deux réalisations originales de Pearce (aux nos 9 et 10). Mountjoy Sq, l’adresse la plus huppée de Dublin au XVIIIe siècle, est actuellement en rénovation, après un siècle de négligence.
L’architecte allemand Richard Cassels (ou Richard Castle ; 1690-1751) arriva dans la capitale en 1728. Ses travaux les plus impressionnants sont des maisons de campagne situées hors de Dublin, mais on lui doit aussi les nos85 et 86 de St Stephen’s Green (1738), lesquels furent solidarisés au XIXe siècle et rebaptisés Newman House, ainsi que le n°80 (1736), auquel fut ajouté ultérieurement le n°81 pour créer l’Iveagh House, qui abrite désormais le Department of Foreign Affairs (ministère des Affaires étrangères) ; on peut encore en visiter les paisibles jardins. En haut d’O’Connell St, le Rotunda Hospital (1748) est une autre réalisation de Cassels. Or, toutes splendides qu’elles soient, ces bâtisses semblent n’avoir été qu’un galop d’essai, en regard de la Leinster House (1745-1748), une magnifique résidence édifiée à l’origine en pleine campagne, mais qui trône désormais au cœur de l’ensemble gouvernemental.
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L’essor de Dublin attira d’éminents architectes, comme sir William Chambers (1723-1796), né en Suède, qui imagina certains des édifices les plus remarquables de la capitale, même s’il n’y séjourna pas. C’est la rive nord de la Liffey qui profita le plus de son génie : la sobre et élégante Charlemont House (désormais la Hugh Lane Gallery ; 1763) domine Parnell Sq, tandis que le Casino de Marino (1755-1779) est sa réalisation la plus époustouflante.
Vers la fin du XVIIIe siècle, les promoteurs de Dublin passèrent véritablement à la vitesse supérieure : la puissance et la confiance de l’aristocratie anglo-irlandaise semblaient sans limites. Parmi les grands architectes de l’époque, James Gandon (1743-1823) se démarqua et construisit deux des institutions néoclassiques les plus durables et les plus raffinées de Dublin : la Custom House (1781-1791) et les Four Courts (1786-1802). Toutes deux furent édifiées sur les quais afin de laisser suffisamment d’espace pour qu’on puisse les admirer.
Ces dernières années, plusieurs nouveaux ponts ont été jetés sur la Liffey, lesquels sont autant de bons exemples d’architecture moderne. Avec le James Joyce Bridge (2003), sur Usher’s Island, Santiago Calatrava a offert à la ville une première structure design portant la signature d’un “starchitecte” ; il a réitéré en 2009 avec le Samuel Beckett Bridge, en forme de harpe, au niveau de Spencer Dock. Entre ces deux ponts, on découvre une magnifique passerelle piétonnière, le Sean O’Casey Bridge (2005), conçu par Cyril O’Neill. Le dernier en date est le Rosie Hackett Bridge, qui relie Hawkins St et Marlborough St. Inauguré en 2014, il s’agit du seul pont de Dublin portant le nom d’une femme ; Rosie Hackett, grande figure du syndicalisme, participa au soulèvement de Pâques 1916.
Avec l’Acte d’Union (1801), Dublin perdit son prestige de capitale et fut relégué au rang de coin perdu de l’Empire : on y construisit donc peu pendant la majeure partie du XIXe siècle. Il y eut toutefois quelques exceptions, dont le General Post Office (GPO ; 1814), conçu par Francis Johnston (1760-1829), et les somptueuses serres aux lignes courbes des National Botanic Gardens, créées au milieu du siècle par le maître-ferronnier dublinois Richard Turner (1798-1881).
Après l’émancipation catholique de 1829, les églises poussèrent comme des champignons, et plus tard les deux grandes cathédrales protestantes, Christ Church et St Patrick’s, furent reconstruites. Un exemple de toute beauté : l’extravagante Newman University Church (1856), aux sublimes ornementations, fut édifiée dans le style byzantin par John Hungerford Pollen (1820-1902), au motif que le cardinal Newman n’appréciait guère le style néogothique alors en vogue.
La ville n’ayant pas subi de destruction massive ou de grand incendie, l’architecture du Dublin moderne a dû s’insérer entre les réalisations d’autres périodes, et les exemples d’édifices avant-gardistes répondant à des mouvements internationaux y sont rares.
On peut néanmoins mentionner quelques bâtiments modernistes comme la gare routière de Busáras (1953) de style moderniste international de Michael Scott et le Liberty Hall (1965), qui ont fortement divisé l’opinion, mais pas autant que l’audacieuse Berkeley Library (1967) de Paul Koralek, sur le campus de Trinity College.
Il fallut attendre la croissance fulgurante des années 1990 pour que le paysage urbain connaisse une réelle amélioration, même si certaines constructions – comme l’Irish Financial Services Centre (IFSC ; 1987) et le Waterways Visitor Centre (1994) – n’en imposent plus autant aujourd’hui qu’au moment de leur inauguration.
Les réhabilitations les plus remarquables du XXIe siècle ont été réalisées dans les Docklands. Ce secteur naguère quasiment en friche est ainsi devenu un exemple d’aménagement urbain contemporain. Les plus beaux édifices donnent sur Grand Canal Sq, dominé par l’élégant Bord Gáis Energy Theatre (2010) de Daniel Libeskind et le Marker Hotel (2011) de Manuel Aires Mateus. Tout aussi mémorable, la place elle-même a été imaginée par l’artiste paysagiste américaine Martha Schwartz en 2008.
La crise de 2008 a durement touché le secteur de la construction mais, en 2017, le signal est enfin passé au vert pour ce qui sera la plus grande tour de bureaux de Dublin. L’“Exo” – nommé en référence à sa structure de soutien externe, l’“exosquelette” – s’élèvera sur 74 m de hauteur. L’Exo devrait être achevé début 2020.