Les actions sont séparées dans le présent et ne sont réunies que dans l’avenir, trop tard, comme interprétation. Elles peuvent l’être dans le présent par les esprits puissants mais à grand risque, car leur simple révélation devient une action d’opposition à une conspiration patiente. J’ai tenté dans « Du populisme en littérature » de réunir des actions qui vont ensemble mais que le cahot du présent rend invisibles à la plupart. Nous sommes des billes traversant des atomes. Il faut s’arrêter et regarder. En matière de mœurs, pour employer ce mot faux, qui aurait cru possibles en 2007 les hystéries homophobes des députés de droite ? En matière littéraire, c’est le même asservissement aux forces de la violence, qui veulent que tout soit conflit, mais pas avant qu’elles n’aient suffisamment réuni d’atouts.
Dans Transfuge, Vincent Jaury organise un dossier « La littérature française est-elle devenue rétrograde ? » faisant suite à ma tribune. Il est manifeste à certaines réponses que quelques-uns voient que ça tangue et essaient de sauver ce qui est sauvable. Quelques réponses intéressantes, dont mon éditeur allant à la défense d’un auteur dont il n’était pas question dans ma tribune, mais qui a dû chouiner. Il est de l’espèce Mâle. Ça veut bien cogner les autres, mais si par hasard ils croient qu’on les griffe ils s’indignent et ululent.
Je me fais injurier pour cette tribune, elle a dû toucher quelque chose. Ce qui se passe sans doute, c’est que j’ai désigné des faits, et les forces obscures préfèrent l’hypocrisie. Dans Le Monde, Michel Crépu, le directeur de La Revue des Deux Mondes, me répond : « Le journalisme est l’honneur de la littérature. » Il ferait mieux d’être l’honneur du journalisme. Si tant est que l’honneur ait à voir dans l’affaire. Encore un de ces mots d’intimidation importés dans l’esthétique.
Beigbeder me répond dans Le Monde. Je ne sais pas pourquoi, je parlais littérature. Dans ma tribune, il est question d’esthétique. Il répond boutique. À la dégradation de l’idée de forme en littérature, il objecte prix littéraires, pourquoi ? Je n’ai compris qu’en lisant ses lignes qu’il s’était senti visé, bien à tort. C’est lui qui me vise, régulièrement ; chaque fois qu’il écrit un éloge d’un de mes livres, il ne peut s’empêcher de finir par un potin, un persiflage, je ne sais quelle chatterie. Au Salon du livre où il m’a croisé, le jour de la publication de ma tribune, il m’en avait dit : « J’adore ! »
Chronique de Dany Laferrière sur Radio Canada :
« Du populisme en littérature » est un essai brillant et iconoclaste publié par Charles Dantzig qui soulève des questions si importantes sur la manière de voir la littérature et même la vie qu’il est juste qu’on en parle. […] Les romans réalistes ne survivent pas à leurs auteurs […]. Une lecture qui garde les lecteurs dans leur zone de confort. Ce qu’ils lisent ressemblent à ce qui se déroule sous leurs yeux. […] Dantzig s’est sûrement fait des ennemis après une pareille sortie, mais il n’est pas du genre à se laisser intimider par des fier-à-bras de la copie. Le feu n’est pas près de s’éteindre.
Traduction de ma tribune dans le Corriere della Sera. Ils titrent sur l’affreux qu’ils connaissent le mieux : « Sulle orme del peggior Céline. »
Chouineur a chouiné. Cet écrivain primé mais obscur, au lieu de me répondre, a, en bon auteur fonctionnant en employé de son éditeur, envoyé au sien qui se trouve être le mien et me le montre un mail de dénonciation de ma « méchanceté ». Dites à la méchanceté qu’elle est méchante, elle vous accuse d’être méchant. Les anciens révolutionnaires ont beau être passés à la réaction, ils ont gardé les manières de leur bienveillant passé. Son nom n’est pas utile.
L’esthétique est essentielle aux hommes, ils ne le savent pas. Quand elle est rejetée, la politique la plus brutale s’insinue.
La revue Chutzpah de Pékin décide de traduire ma tribune. Le populisme en littérature, on en souffre depuis Mao, dans ce pays ; il a assassiné la littérature, les milliards règnent.
L’usage, à défaut de la courtoisie, veut que, quand on se connaît, on prévienne l’autre qu’on va publier sur lui des choses déplaisantes. Beigbeder ne l’a pas fait, mais il m’envoie un SMS d’excuses. Il doit croire qu’on peut calomnier un homme dans un journal à 300 000 exemplaires et que ce sera excusé par un message qui ne sera vu que par lui. Ah, l’espiègle. Un volume posthume a publié une lettre de Mauriac à Philippe Bainville s’excusant s’il l’a blessé en attaquant son père l’historien Jacques Bainville dans un journal (Correspondance intime, 2012). Mauriac était le spécialiste de ces saloperies écrites en public suivies de lettres d’excuses privées que personne ne voyait.
La Presse de Montréal revient sur l’affaire et publie ma tribune.
Quel curieux pays, cette France où un grand journal donne une page à un écrivain pour parler de littérature ! C’est notre singularité, sans doute. Nous avons réussi à persuader le monde qu’une occupation qui intéresse deux mille personnes est essentielle. À chaque pays son inutilité indispensable pour empêcher les brutes de régner. L’Italie, c’est la chanson. Berlusconi étant président du Conseil a enregistré un disque ; le fils du supposé héritier du royaume a participé à un concours de chansons ; on s’est moqué d’eux, on a eu bien tort. Pour la littérature, il y avait aussi la Chine, mais elle semble avoir renoncé. À nous, autres pays ! Faut pas que ça cède.
« De la vulgarité de Proust », réponse à Crépu dans Le Magazine littéraire1.
« Dernières nouvelles des salauds », suite réponse dans Le Magazine littéraire2.
Mail de Chine :
Chutzpah a traduit votre tribune. Je ne sais ce qu’ils attendent pour la publier. Le contexte politique était très difficile ces dernières semaines (renouvellement des chefs). Tout le monde marche sur des œufs. Votre tribune pourrait être lue comme une dénonciation de l’art au service de la société – qui reste malgré tout la doxa communiste chinoise.
Et voilà les régimes totalitaires. Ils contrôlent positivement tout ou créent les conditions du contrôle de tout par leurs sujets mêmes (on ne peut les appeler citoyens). « Du populisme en littérature » pourrait être instrumentalisé, c’est un pays et ce sont des régimes où les plus violentes vagues d’assassinats ont été lancées sur des détails latéraux. Non que je considère ce que j’ai écrit comme un détail latéral, mais eux jugent la littérature ainsi. Et ma tribune est exactement contre l’art au service de la société.
J’espère qu’on ne parlera jamais plus de cette tribune dans l’avenir. Cela voudra dire que nous aurons réussi à arrêter cette saleté et que, ayant eu de l’effet, elle aura perdu sa nécessité. On ne parle de prescience que quand le mal est advenu, et tant mieux si ce qui s’est fait de bien est oublié, cela veut dire qu’on a gagné.