SOMMAIRE
NOTIONS ET DONNÉES À MAÎTRISER
En 2009, le gouvernement Fillon a ramené le taux de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) sur la restauration du taux normal (alors 19,6 %) au taux réduit de 5,5 %, afin de soutenir ce secteur économique. En 2012, sans remettre en cause le principe de cet avantage fiscal, le même gouvernement a transformé le taux réduit dont bénéficiait la restauration en un taux intermédiaire de 7 %. Le gouvernement Ayrault a relevé ce même taux à 10 % en 2014. On constate là une hésitation entre le choix d’une fiscalité sur la consommation incitative, destinée à soutenir l’emploi, et la volonté de reporter sur la consommation une partie croissante des prélèvements obligatoires.
La TVA est un impôt sur la consommation qui, nonobstant son incidence potentielle sur la marge des entreprises, est économiquement à la charge des consommateurs qui acquièrent les biens taxés, c’est-à-dire des ménages (cf. chapitre 21). Cet impôt d’invention française a été conçu par Maurice Lauré, alors directeur général adjoint des impôts, et institué en France en 19541 dans le but d’alléger les impositions pesant sur les entreprises en remplacement de l’ancienne taxe de 15 % sur la production ainsi que d’une cascade de petites taxes nationales et locales pesant sur le chiffre d’affaires. Il s’agit d’un impôt à très fort rendement, soit 153 Md€ en 2015 toutes APU confondues. Ses 142 Md€ de recettes versées au budget général de l’État en font de loin le premier impôt, puisqu’il représente la moitié des recettes fiscales de l’État (50,6 % en 2015).
La TVA n’est cependant pas la seule imposition sur la consommation. On compte également dans cette catégorie, aussi appelée fiscalité sur les transactions, les accises et diverses taxes portant sur des transactions. Les accises sont des prélèvements spécifiques frappant la consommation de produits déterminés (énergie, alcool, tabac…), en général à raison d’un tarif assis sur une quantité (le tarif n’est donc pas proportionnel au prix de vente). Enfin, on peut citer les taxes sur les transactions de biens mobiliers et immobiliers (taxe sur les transactions financières et DMTO) et les taxes spécifiques sur le chiffre d’affaires, tels les prélèvements sur les jeux d’argent et de hasard.
À l’inverse, les droits de douane et assimilés (droits agricoles et cotisations sur le sucre) sont des PO qui ne sont pas classifiés comme des impôts et qui sont aujourd’hui devenus marginaux.
Ces deux types de prélèvements, fiscalité sur la consommation et droits de douane, ont en commun de peser in fine sur le consommateur et de faire l’objet, à des degrés divers, d’une harmonisation européenne. En outre, TVA et droits de douane se rejoignent dans l’objectif de compétitivité du « fabriqué en France ». Pourtant, la TVA apparaît comme un impôt massif et d’avenir, alors que les droits de douane sont marginaux et en voie de disparition, ce qui préjuge d’une efficacité différente dans l’atteinte d’un tel objectif de compétitivité.
Bien que techniquement très différents, la TVA, les accises et les droits de douane ont pour commun de porter sur la consommation et d’être largement harmonisés au niveau européen.
La TVA est assise sur la consommation finale et la formation brute de capital fixe des ménages ainsi que des administrations publiques, c’est-à-dire des agents économiques qui ne sont pas assujettis à la TVA. Le paradoxe est en effet que les personnes assujetties à la TVA n’en supportent pas le poids sur leurs dépenses.
Les opérateurs assujettis sont les entreprises produisant des biens et des services. Ils sont redevables de la TVA sur leurs ventes (chiffre d’affaires) mais ils imputent la TVA acquittée sur leurs propres achats (consommations intermédiaires) sur la TVA qu’ils collectent ensuite sur les ventes : ils bénéficient d’un droit à déduction.
Pour ces opérateurs, la neutralité comptable de la TVA est donc assurée, d’autant plus que, dans l’hypothèse où la TVA collectée est inférieure à la TVA acquittée, les opérateurs assujettis bénéficient d’un remboursement de la différence (crédit de TVA). Cette situation peut notamment se présenter lorsque les produits vendus sont soumis au taux réduit alors que les produits achetés sont soumis au taux normal. Cependant, l’existence des crédits de TVA peut aussi alimenter la fraude.
À l’inverse, les opérateurs non-assujettis ne peuvent pas déduire la TVA sur leurs achats et en supportent par conséquent la charge. Il s’agit essentiellement des ménages et des administrations publiques2. Sont également dans cette situation les organismes sans but lucratif (notamment les associations exerçant des activités non lucratives) et le secteur financier, qui n’est pas assujetti à la TVA car ses activités sont peu adaptées à ce mode de taxation3. De même, certains produits sont hors du champ de la TVA, tels les biens immobiliers anciens (assujettis aux DMTO) et les loyers des logements, sachant que les biens immobiliers neufs ont déjà été soumis à la TVA sur leur prix de vente.
Du fait de ces limites du champ de la TVA, on constate un phénomène de rémanence de TVA : les opérateurs non assujettis la payent sur leurs consommations intermédiaires mais ne peuvent la déduire, ce qui se traduit par une charge fiscale implicite (pour les opérateurs et/ou leurs clients), qui n’est pas formellement prévue par le système fiscal.
À l’inverse, les opérateurs assujettis à la TVA dans les départements d’outre-mer de La Réunion, la Martinique et la Guadeloupe4 bénéficient du système de la TVA « non perçue récupérable », qui leur permet de bénéficier d’une forme de subvention. En effet, les biens d’investissement neufs importés ou livrés sur place sont exonérés de TVA mais donnent lieu, pour l’opérateur assujetti domien qui les acquiert, à déduction de la TVA comme s’il avait effectivement acquitté la TVA sur cette acquisition. Cette aide d’État est destinée à tenir compte de l’incidence de l’isolement des DOM sur le coût des biens.
Il existe en France plusieurs taux de TVA : quatre en métropole, auxquels s’ajoutent des taux spécifiques à la Corse et aux départements d’outre-mer, plus faibles. Le taux normal, qui est le taux de droit commun, s’élève à 20 % depuis le 1er janvier 2014. Le taux intermédiaire est un taux incitatif, destiné à encourager certains secteurs économiques. Il s’élève à 10 % depuis 2014 et s’applique par exemple aux travaux de rénovation des logements anciens, à l’hôtellerie et à la restauration ou encore, sous certaines conditions, au logement intermédiaire. Le taux réduit de 5,5 % est en principe réservé aux biens de première nécessité, à savoir l’eau, les produits alimentaires, l’électricité et le gaz… Son bénéfice a cependant été étendu aux livres et spectacles (depuis 2013), ainsi qu’au cinéma, au logement social et aux travaux de rénovation énergétique du logement social (depuis 2014). Enfin, un ancien taux super-réduit de 2,1 %, antérieur à l’harmonisation européenne des taux, s’applique à la presse, aux médicaments remboursés par la sécurité sociale et aux 120 premières représentations de spectacle.
Moduler les taux de TVA a une incidence forte sur les recettes de l’État. La valeur d’un point de TVA, tous taux confondus, est en effet estimée à environ 10 Md€, dont 6,3 Md€ pour le seul taux normal.
Le recouvrement de la TVA repose sur les entreprises. Elle est déclarée et versée spontanément, en général mensuellement, par près de 3,7 millions d’entreprises assujetties. Pour l’administration fiscale, la TVA présente de ce fait un coût de gestion inférieur aux impôts directs. Pour les entreprises, le système est relativement complexe, dans la mesure où le calcul de la TVA à reverser à l’administration se réalise opération par opération et non par agrégat global. Ainsi, suite à l’introduction du taux intermédiaire en 2012, les boulangers doivent distinguer les recettes provenant de produits prêts à la consommation (tels les sandwiches, qui sont soumis au taux intermédiaire) et ceux considérés comme des biens de première nécessité (telle la baguette, qui bénéficie du taux réduit).
La fiscalité sur la consommation est complétée par des taxes aussi nombreuses que diverses de par leurs caractéristiques et objectifs. Les accises constituent l’ensemble le plus cohérent : elles sont recouvrées par la direction générale des douanes et des droits indirects (DGDDI) et sont dues sur certains produits particuliers qui ont pour caractéristiques d’être largement consommés et dont les consommateurs ne peuvent pas toujours se passer (leur demande est donc peu élastique aux prix). À cet égard, les accises sont les dignes descendantes de la gabelle (impôt sur le sel).
Leur rendement n’est pas négligeable (données 2015) : 26,3 Md€ pour la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE), qui porte sur les produits pétroliers et le gaz naturel et est partagée entre l’État et les collectivités territoriales, 12,2 Md€ pour les droits de consommation sur les tabacs et 4,4 Md€ pour les droits sur les boissons, essentiellement au bénéfice des ASSO… Les accises représentent la plus grande part de la fiscalité environnementale (cf. infra).
Enfin, on peut encore citer la contribution au service public de l’électricité (CSPE), qui est due par le consommateur final d’électricité à hauteur de 6,7 Md€, et les prélèvements sur les jeux de hasard et d’argent (ensemble 5 Md€5). Plus récemment, en 2012, une taxe sur les transactions financières (TTF) a été instituée en France, qui pourrait se fondre dans une taxe européenne (cf. infra).
L’assiette des droits de douane était large à l’origine mais a été extrêmement réduite par l’intégration européenne et l’ouverture internationale. Elle est constituée potentiellement de l’ensemble des importations et même des exportations, qu’il est possible de taxer également. Aujourd’hui, elle est réduite aux importations ne provenant pas de pays avec lesquels un accord de libre-échange total a été conclu et est devenu effectif.
Les taux des tarifs douaniers sont bas : en moyenne 1,3 %6.
En conséquence, leur rendement est très faible. La France a recouvré en 2015 environ 2,1 Md€ de droits de douane, qu’elle reverse à l’Union européenne mais dont elle conserve 20 %7 au titre des frais d’assiette et de recouvrement (444 M€ prévus en 2017).
Le recouvrement est effectué par la DGDDI, qui a fait des efforts de modernisation : les procédures déclaratives sont réduites au minimum et les douanes développent une politique partenariale avec les importateurs. Il faut néanmoins savoir que la nomenclature internationale douanière comporte plus de 10 000 « positions tarifaires » : pour un importateur comme pour l’administration, il peut aisément y avoir un doute sur la position correspondant au produit importé, d’où la nécessité d’entretenir un dialogue entre administration et importateurs afin de ne pas contrôler l’ensemble des marchandises.
La fiscalité indirecte a été un champ privilégié de l’harmonisation fiscale dans l’Union européenne car son harmonisation est un corollaire du marché unique. Dans un marché unique, les différences de fiscalité indirecte peuvent nuire à la libre circulation des biens et des services et introduire des distorsions de concurrence. L’harmonisation de la fiscalité indirecte a donc été prévue dès le traité de Rome et est aujourd’hui inscrite à l’article 113 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE). Quant aux droits de douane, le traité de Rome prévoyait leur unification complète (cf. actuels articles 28 et suivants du TFUE).
La TVA est l’impôt le plus fortement harmonisé à l’échelle européenne. Cette harmonisation a été progressive, sur la base de directives successives. En 1967, la TVA a été rendue obligatoire dans l’ensemble des États membres. En 1977 a été adoptée la « 6e directive TVA », remplacée en 2006 par une directive refondue, sur laquelle repose le droit de l’UE en la matière. Cette directive de 1977 a interdit toute taxe générale sur le chiffre d’affaires8 autre que la TVA, harmonisé l’assiette, unifié les règles d’assujettissement et d’activité taxable et créé la ressource TVA du budget européen.
Après cette première étape de création d’une TVA répondant aux mêmes règles, la deuxième étape a consisté en la suppression des frontières fiscales entre États membres. Suite à l’Acte unique de 1985, il a été décidé de trouver une solution pour que la TVA ne soit pas payée par l’exportateur lorsque des biens franchissent une frontière interne à l’UE. La Commission a proposé que ces biens soient taxés dans le pays d’origine du bien. Finalement, un régime dit transitoire est entré en vigueur en 1993, il est toujours appliqué : les biens exportés dans un autre État membre sont taxés dans le pays de destination du bien mais la TVA est payée par l’entreprise importatrice – et non par l’entreprise exportatrice au moment du franchissement de la frontière (cf. encadré 1).
ENCADRÉ 1 : LA TVA ET LES ÉCHANGES COMMUNAUTAIRES ET INTERNATIONAUX
Les exportations (« livraisons ») de marchandises sont exonérées et les importations (« acquisitions ») supportent la TVA selon le « principe de destination » (la TVA est payée dans le pays de destination, i.e. de consommation, du bien ou du service, par opposition à son pays d’origine, i.e. de production).
Taxation à l’entrée du territoire national.
Lorsque le produit est livré à une entreprise : l’entreprise importatrice calcule la TVA due sur ses importations, la mentionne sur sa déclaration (elle autoliquide la TVA), puis la déduit. Dès lors que l’entreprise est un opérateur assujetti, la TVA acquittée est comptablement neutre.
Lorsque le produit est livré à un particulier : par exception au principe de destination, la TVA est facturée dans l’État membre d’origine. Des exceptions sont néanmoins prévues pour éviter que la concurrence soit distordue par les différentiels de taux de TVA : pour l’acquisition de moyens de transport neufs ou encore la vente par correspondance au-dessus d’un seuil, la TVA due est celle du pays de destination.
Exemple : un particulier résidant en France achète un disque sur la boutique en ligne Amazon, auprès d’un vendeur établi dans un autre État membre, par exemple aux Pays-Bas ; si le chiffre d’affaires du vendeur dépasse le seuil de 35 000 € applicable pour la vente par correspondance vers la France, la TVA française est applicable ; en deçà de ce seuil, la TVA néerlandaise s’applique.
Les prestations de services rendues à des assujettis (« B2B ») sont imposées dans le pays d’établissement de l’assujetti (respect du principe du pays de destination).
Exemple : une entreprise établie en France acquiert une prestation de conseil juridique auprès d’une entreprise établie au Belgique. La prestation est imposée en France.
Les prestations rendues à des non-assujettis (« B2C ») sont imposées dans le pays d’établissement du prestataire (exception au principe du pays de destination). Toutefois, depuis 2015, les services de télécommunication, de radiodiffusion et de télévision et les services fournis par voie électronique sont imposées dans le pays du preneur (principe du pays de destination).
Exemple : un particulier résidant en France achète un livre électronique auprès d’Amazon au Luxembourg. Depuis 2015, la TVA française est applicable (au lieu de la TVA luxembourgeoise auparavant).
Références utiles : site de la DG TAXUD, qui comporte notamment un cours électronique sur la TVA : http://ec.europa.eu/taxation_customs/common/elearning/vat/index_fr.htm
La structure des taux de TVA est également harmonisée. Au-delà du taux normal, les États membres ont la faculté de se doter d’un ou deux taux réduits pour des activités limitativement énumérées en annexe de la directive TVA. Le taux normal ne peut être inférieur à 15 % et les taux réduits doivent se situer entre 5 et 15 %. En outre, un engagement politique formulé lors d’un Conseil européen, sans valeur normative, prévoit un plafond de 25 % pour le taux normal.
Par ailleurs, une clause « grand-père » a autorisé les États membres à conserver les taux super-réduits qui étaient d’ores et déjà appliqués, mais à la condition qu’ils soient gelés : il n’est pas possible d’étendre leur champ, pas plus que de créer d’autres taux super-réduits ou, à l’inverse, de créer des taux majorés.
On observe dans l’UE une grande disparité des taux de TVA. Certains pays n’appliquent aucun taux réduit, comme le Danemark, dont le taux normal est élevé (25 %). Le taux normal s’échelonne de 17 % (Luxembourg) à 27 % (Hongrie), sa moyenne non pondérée étant de 21,5 % au 1er janvier 2017. Par ailleurs certains pays possèdent même des taux nuls sur un spectre large de produits de première nécessité, comme le Royaume-Uni.
Les accises ont été harmonisées plus tardivement et moins profondément que la TVA. Là aussi, il a été procédé par voie de directives : une directive du 25 février 1992 relative au régime général, à la détention, la circulation et les contrôles des produits soumis à accises définit les principes généraux de cette harmonisation et est complétée par des directives spécifiques à chaque catégorie de produits : tabacs, alcools, bières et vins, produits pétroliers.
Le premier principe énoncé par ces directives est que la taxation a lieu lors de la mise à la consommation, c’est-à-dire que l’on taxe le professionnel qui se procure le produit pour le mettre sur le marché de la consommation.
Le second principe est que des tarifs minimaux, révisables tous les deux ans, sont fixés pour chaque produit. Cette harmonisation des tarifs doit néanmoins être nuancée : d’une part, des régimes transitoires sont prévus pour les pays qui n’appliquent pas d’accises sur certains produits et, d’autre part, les minima sont faibles. Ainsi, au 1er janvier 2017, le tarif minimum pour le gazole consommé par les particuliers s’élève à 21 € pour 1 000 litres, sachant que les tarifs appliqués dans l’UE vont de zéro (Luxembourg, sous condition) à 484 € (Pays-Bas), en passant par 119 € en France.
Les droits de douane relèvent de la compétence de l’Union européenne et non plus des États membres : le traité de Rome prévoyait déjà la création d’une union douanière et le transfert des recettes des droits de douane et assimilés à la Communauté européenne, dont ils constituent les ressources propres traditionnelles (cf. chapitre 21).
Dans le cadre multilatéral de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et par des accords spécifiques (avec l’association européenne de libre-échange, AELE, ou encore avec les pays dits Afrique-Caraïbes-Pacifique, ACP), l’UE a procédé à un désarmement tarifaire. Par voie de conséquence, les ressources propres traditionnelles déclinent et ne représentent plus que 19 Md€ en 2015, soit 0,13 % du PIB de l’UE. Les règles auxquelles l’UE s’est contrainte l’empêchent de moduler librement ses droits de douane à des fins de politique économique.
Au niveau national, il est cependant possible d’attirer les importateurs afin qu’ils affranchissent leurs produits en France et non dans un autre État membre. À cette fin, il est nécessaire de se doter d’infrastructures portuaires compétitives et d’une politique douanière de service, ce qui peut toutefois présenter un risque de dérives (course au moins-disant). À cet égard, le rachat de ports grecs par des sociétés chinoises a alimenté des suspicions envers la douane grecque. À la clé de l’affranchissement des produits dans un État : outre les retombées économiques, ce dernier conserve 20 % des droits de douane.
Cette harmonisation européenne limite les possibilités d’exploitation, notamment, de la TVA et des droits de douane au service de la politique économique, alors même que les droits de douane apparaissent historiquement comme un instrument de politique économique par excellence.
Quoique les volontés d’approfondir l’harmonisation de la fiscalité indirecte n’aient pas abouti, l’institution d’une taxe sur les transactions financières permettrait a minima d’en étendre le champ.
Le régime transitoire précité de TVA est devenu pérenne. L’avènement d’un « régime définitif » de l’harmonisation de la TVA, qui aurait conduit à appliquer le principe du pays d’origine dans les échanges intracommunautaires, a été abandonné. En 2000, la Commission européenne a défini une nouvelle « stratégie visant à améliorer le fonctionnement du système de TVA dans le cadre du marché intérieur », soit une tactique des petits pas pour améliorer l’existant.
Une des avancées les plus visibles est l’adaptation de la directive TVA aux enjeux du commerce électronique. Depuis 2015, la TVA sur les prestations de service électroniques intracommunautaires à des particuliers est due dans le pays du preneur de la prestation et non plus dans le pays du prestataire de services (cf. encadré 1). À cette fin, un guichet unique dématérialisé a été mis en place dans chaque État membre afin que les entreprises prestataires de services puissent déclarer via ce guichet la TVA due dans les 27 autres États membres.
En matière d’accise, les avancées sont faibles. Exemplaire est la proposition de la Commission en 1992 visant à créer une écotaxe sur la consommation de produits énergétiques dans le cadre de la construction d’un marché intérieur de l’énergie, qui n’a abouti qu’à une harmonisation très lâche. En effet, chaque État membre a sa politique énergétique et ses sources d’énergie privilégiées : la France ne souhaite par exemple pas taxer lourdement l’électricité, essentiellement tirée du nucléaire, à l’inverse du Danemark, dont l’électricité provient largement du charbon.
Suite aux négociations tenues dans le cadre du G20 en 2009, la Commission européenne a proposé en 2011 l’institution d’une TTF – qui n’a pas fait consensus.
La proposition porte sur une taxe qui serait prélevée sur toutes les transactions sur instruments financiers entre institutions financières lorsqu’au moins une des parties à la transaction est située dans l’UE. L’échange d’actions et d’obligations serait taxé à un taux de 0,1 % et les contrats dérivés à un taux de 0,01 %. Selon l’estimation de la Commission, les recettes s’élèveraient à environ 57 Md€ par an (dont 10 Md€ générés en France) et pourraient être partagées entre l’Union et les États membres. Outre l’objectif budgétaire de la mesure, la Commission y voyait une opportunité de renforcer le marché unique, puisque la diversité des TTF nationales (cf. encadré 2 s’agissant de la TTF applicable en France) peut induire des distorsions de concurrence, et de renforcer la position de l’UE dans le cadre du G20.
En janvier 2013, devant l’absence de consensus des États membres, du fait de l’opposition de pays tels le Royaume-Uni et le Luxembourg, le Conseil de l’UE a autorisé l’engagement d’une procédure de coopération renforcée pour aboutir à l’institution d’une TTF européenne. Onze États membres9, dont notamment la France et l’Allemagne, y participeraient. La proposition de directive établissant cette TTF suit la procédure législative (spéciale), mais les négociations se révèlent difficiles. Après un échec fin 2014 du fait notamment d’une divergence sur l’assiette de la taxe (la France souhaitant initialement exclure les produits dérivés, afin de protéger son industrie bancaire), les discussions ont repris en 2015 mais sans aboutir.
ENCADRÉ 2
La TTF instituée par la 1re LFR 2012 du 14 mars 2012 se distingue sur plusieurs points de la proposition de la Commission européenne.
Elle est limitée aux actions et exclut par conséquent les obligations et les produits dérivés. Les actions concernées sont celles des sociétés de plus d’un milliard d’euros de capitalisation dont le siège social est en France.
La territorialité de la TTF est définie par ce seul critère de lieu du siège de la société émettant les actions. Par conséquent, la TTF est due quels que soient le lieu de transaction et la localisation des parties à la transaction. Le projet européen en cours de négociation pourrait prévoir que la TTF soit due dès lors qu’une partie de la transaction est résidente dans un État ayant mis en place la taxe (principe de résidence) et/ou dès lors que l’objet de la transaction a été émis dans un des pays participants (principe du pays d’émission).
La TTF française repose sur l’acquéreur uniquement, alors que la TTF européenne serait due à la fois par l’acquéreur et le vendeur.
Son taux est de 0,3 % depuis le 1er janvier 2017 (0,2 % auparavant). Le taux envisagé pour la TTF européenne est proche (deux fois10 0,1 % pour les actions et obligations, deux fois 0,01 % pour les produits dérivés).
Son produit est de 1,1 Md€ en 2015, dont une fraction (140 M€) est affectée au fonds de solidarité pour le développement.
Eu égard aux limites des droits de douane, augmenter la TVA pour diminuer en contrepartie le coût du travail revient à mobiliser la fiscalité indirecte pour chercher à améliorer la compétitivité de la production française.
Un relèvement des droits de douane destiné à améliorer la compétitivité des produits français pourrait notamment prendre la forme d’une surtaxe pour les produits venant de pays ne respectant pas certaines normes sociales ou environnementales. La proposition d’une « taxe carbone aux frontières de l’UE » (ou mécanisme d’inclusion carbone) relève de cette logique, puisqu’elle conduirait à majorer le coût des produits fabriqués dans des pays très émissifs en gaz à effet de serre. Cette voie permettrait de rendre de facto moins compétitifs les biens importés de pays émergents, à l’origine du déficit de la balance commerciale de l’UE et serait sans doute une réponse efficace pour prévenir les délocalisations.
Sur le plan juridique, une telle solution pourrait être contestée au regard du droit de l’OMC. Cependant, la jurisprudence dite « tortues-crevettes » de l’OMC11 permettrait de la défendre.
Cependant, du point de vue français, le problème du coût élevé du travail ne serait pas résolu pour autant. Une part importante du déficit commercial français provient au demeurant de nos échanges internes à l’UE et notamment avec l’Allemagne. Une amélioration de la compétitivité-prix française par rapport à l’Allemagne peut venir de la TVA sociale mais non pas d’une politique douanière européenne.
La TVA « sociale » consiste en une baisse des cotisations sociales, compensée à due concurrence par une hausse de la TVA ou, par extension, d’autres impôts indirects. L’Allemagne a expérimenté cette solution en 2007 : la TVA a été relevée de trois points (de 16 % à 19 %), dont 1 point a financé l’assurance chômage en lieu et place de cotisations sociales. En France, à une échelle plus modeste, les cotisations sur les boissons sucrées et sur les boissons contenant des édulcorants, qui sont de nouvelles accises, ont été créées par la 2e LFR 2011 pour, notamment, compenser des allégements de charges dans le secteur agricole.
L’impact attendu de la TVA sociale, qui est proche de celui d’une dévaluation, est triple.
1° Une meilleure compétitivité du travail en France : la baisse du coût du travail tend à éviter les délocalisations ou la substitution du capital au travail.
2° Une meilleure compétitivité des produits français à l’export : les exportations françaises, qui ne sont pas soumises à la TVA en France, diminuent leur coût de revient.
3° Un avantage pour les productions françaises sur le marché national : les produits importés subissent l’augmentation de leur prix toutes taxes comprises, alors que les produits français bénéficient d’un allégement du coût du travail qui leur permet de réduire leur prix hors taxe et/ou d’augmenter leur marge.
L’imposition accrue de la consommation peut cependant receler des effets pervers sur le plan économique. Premièrement, une hausse de la TVA, tout au moins si elle n’est pas compensée par une réduction d’autres prélèvements obligatoires, a potentiellement un effet inflationniste. Dans le contexte économique de faible croissance et de faible inflation que connaît l’Europe depuis 2009, cet inconvénient paraît cependant négligeable.
Deuxièmement, similaire dans ses effets à une dévaluation, elle ne sera pas suffisante pour compenser le différentiel de coût de production avec les pays à bas coûts salariaux et pourra éventuellement inciter les partenaires commerciaux proches à suivre la même stratégie, au risque d’annuler l’avantage compétitif initial (jeu non coopératif).
Troisièmement, l’imposition de la consommation est réputée régressive car la propension à consommer décroît avec le revenu, de sorte que la TVA acquittée rapportée au revenu est plus élevée pour un ménage modeste que pour un ménage aisé. Toutefois, la TVA est acquittée à proportion des dépenses de consommation, de sorte qu’un ménage aisé paye davantage de TVA qu’un ménage modeste. Surtout, la TVA n’est pas un impôt sur le revenu et ne pourrait poursuivre efficacement un objectif redistributif. Malgré la pluralité de ses taux, qui peut du reste être contestée en opportunité (le Danemark, pays égalitaire s’il en est, applique un taux unique de 25 %), la TVA a une fonction essentiellement budgétaire.
A contrario, les baisses ciblées de la TVA pour favoriser l’emploi, par exemple en faveur du secteur de la restauration, n’emportent pas la conviction. Elles sont considérées comme moins efficaces et efficientes que les baisses de charges (cf. CPO, 2015), qui peuvent précisément être financées par une hausse TVA.
Ces éléments expliquent qu’une mesure de TVA sociale ait été adoptée par le gouvernement Fillon par la 1re LFR 2012. Elle a cependant été annulée par le gouvernement Ayrault, qui y voyait une mesure anti-redistributive et a privilégié une solution proche dans ses effets mais différente dans sa forme. Le CICE (cf. chapitre 25) permet en effet de réduire le coût du travail et a été financé à hauteur de moitié (10 Md€) par la TVA (relèvement de 19,6 à 20 % du taux normal et de 7 à 10 % du taux intermédiaire) et, pour l’autre moitié, par des économies (7 Md€) et par une montée en puissance de la fiscalité écologique (3 Md€).
Selon une définition restrictive, la fiscalité environnementale est une fiscalité comportementale, inspirée de la « taxe pigouvienne » (cf. chapitre 1), dont le but est d’inciter à protéger l’environnement en internalisant dans les choix individuels les externalités négatives sur l’environnement.
Selon une définition extensive, le concept de fiscalité environnementale renvoie à toute mesure fiscale dont les paramètres, notamment l’assiette, induisent un lien entre l’impôt payé et les nuisances environnementales, de telle manière que le prix d’un comportement polluant soit augmenté. Or un comportement polluant à même d’être appréhendé fiscalement procède en général d’un acte de consommation, de sorte que la fiscalité environnementale relève assez largement de la fiscalité portant sur la consommation. Sont visées les taxes sur l’énergie (dont la TICPE), sur le transport (comme l’écotaxe poids lourds) et sur les ressources ou les pollutions (notamment la taxe générale sur les activités polluantes, TGAP). Il est possible d’y ajouter des mesures positives, comme le crédit d’impôt pour la transition énergétique (CITE), qui est accordé en contrepartie de travaux de rénovation énergétique dans son habitation principale.
Cette dernière approche, sous réserve des mesures positives, est retenue par la Commission européenne, dont les statistiques font apparaître un niveau modéré de la fiscalité environnementale en France. À 2,1 %, le ratio français fiscalité environnementale/PIB place la France en 23e position dans l’Union européenne, la moyenne européenne pondérée étant de 2,5 %12.
La fiscalité environnementale fait l’objet de préconisations de l’Union européenne et de l’OCDE tendant à relever son poids dans la structure des prélèvements obligatoires français. Pour autant, un tel objectif quantitatif, budgétaire, n’est pas forcément cohérent avec un objectif strictement environnemental d’incitation à modifier les comportements : un objectif budgétaire peut conduire à privilégier une relative stabilité des comportements de consommation, au détriment de l’objectif comportemental.
La censure par le Conseil constitutionnel de la contribution climat énergie en 2009 et l’abandon de la taxe poids lourds en 2014 rappellent tant la difficulté technique que l’acceptabilité limitée de l’institution de nouvelles taxes, fussent-elles écologiques.
Plusieurs mesures récentes vont néanmoins dans le sens d’un développement et d’un verdissement de la fiscalité environnementale. Ainsi, la LFI 2014, s’inspirant de travaux législatifs menés dans le cadre de l’Union européenne, a introduit dans la TICPE, dont le tarif dépendait auparavant uniquement du volume du produit considéré, un élément lié à leur contenu carbone. Initialement fixée à 7 € en 2014, la valeur de la tonne de carbone a été progressivement relevée et atteint 30,5 € en 2017. Concrètement, les tarifs sont augmentés de manière progressive et proportionnée au contenu carbone des différents produits énergétiques et, par conséquent, aucun produit émetteur de dioxyde de carbone n’est plus soumis à un tarif nul. En 2014, seuls les produits qui bénéficiaient d’un tarif nul ont vu leur accise augmenter : le gaz naturel, le fuel lourd et le charbon. Ce verdissement de la taxe intérieure de consommation explique la hausse de son rendement.
De manière moins massive mais plus ciblée, la TGAP, qui est un impôt incitatif frappant différents types de produits polluants et dont le rendement total s’élève à 730 M€ en 2015, a vu son assiette et ses tarifs augmenter en 2013 et en 2014. À titre d’exemple, la TGAP « air », dont les tarifs avaient doublé en 2013, a été étendue à de nouvelles substances polluantes, tel le plomb.
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La fiscalité sur la consommation et sur les transactions a essentiellement une vocation budgétaire, y compris lors qu’elle est qualifiée d’environnementale. Elle peut néanmoins servir d’autres objectifs : un objectif comportemental, lorsque la fiscalité constitue un instrument plus efficace que d’autres (droits à polluer, normes…), mais aussi un objectif économique, soit de soutien de la demande dans un secteur particulier (baisse ciblée de TVA), soit de compétitivité-prix des produits français (TVA sociale). Enfin, sur le plan européen, l’harmonisation de la fiscalité indirecte a été une brique de la construction du marché unique. Elle a montré qu’il était possible d’avancer dans l’intégration européenne dans le domaine de la fiscalité, malgré le principe de l’unanimité, sans pour autant enclencher une dynamique d’harmonisation de la fiscalité au-delà de la fiscalité indirecte.
SUJETS D’EXAMEN ET DE CONCOURS
• La TVA est-elle un bon impôt ?
• Quels sont les avantages et inconvénients d’une TVA sociale ?
• Faut-il réformer la fiscalité indirecte ?
• La fiscalité environnementale
• La taxation des transactions financières
RÉFÉRENCES
OCDE, « Impôts sur la consommation : une solution d’avenir ? », Synthèses, octobre 2007.
CPO, La taxe sur la valeur ajoutée, décembre 2015.
Travaux du comité pour la fiscalité écologique (cf. notamment le rapport d’étape de juillet 2013) : http://www.developpement-durable.gouv.fr/Travaux-du-Comite-pour-la.html
OECD/Korea Institute of Public finance, The distributional effects of consumption taxes in OECD countries, OECD Tax policy studies, 2014, no22: http://www.keepeek.com/Digital-Asset-Management/oecd/taxation/the-distributional-effects-of-consumption-taxes-in-oecd-countries_9789264224520-en#page39