DOSSIER

CHRONOLOGIE

1572.

Naissance à Londres, probablement l. juin. Benjamin Jonson, connu sous le nom de Ben Jonson, est donc de huit ans le cadet de Shakespeare. Son père, clergyman protestant, est mort un mois avant sa naissance. Le jeune Jonson est élevé pauvrement par sa mère, remariée à un maître-maçon. Il passe néanmoins plusieurs années au collège de Westminster grâce à l’intervention d’un ami de la famille. Il y reçoit l’enseignement de William Camden, grand historien, auteur de Britannia, qui lui donne le goût de l’étude et de l’érudition. Contrairement à la plupart des dramaturges contemporains (mais comme Shakespeare), il ne fréquentera ni Oxford ni Cambridge.

1588.

Il est retiré de l’école et mis en apprentissage pour devenir maçon comme son beau-père, ce qu’il ne peut supporter.

1590.

Il préfère s’engager dans l’armée anglaise, alors en guerre aux Pays-Bas contre les Espagnols. Ce conflit languissant l’ennuie ; il défie donc un ennemi en combat singulier et le tue face à l’armée.

1594.

De retour en Angleterre, il épouse Ann Lewis. Leur union donnera naissance à deux enfants, Benjamin ( ?1596-1603) et Mary, née en 1598 et morte à six mois. Un troisième fils, appelé lui aussi Benjamin, naît en 1608 et meurt en 1611.

1597.

On trouve Jonson inscrit, à la date d. juillet, sur le Registre de Philip Henslowe, alors propriétaire de plusieurs théâtres londoniens. Sa carrière d’acteur a probablement commencé plus tôt, dans une troupe ambulante où il joue le rôle de Hieronimo dans la très populaire Tragédie espagnole (The Spanish Tragedy) de Kyd.

D’août à octobre, il est en prison pour avoir collaboré à une comédie satirique commencée par Thomas Nashe, L’Île des chiens (The Isle of Dogs). Cette pièce, jugée subversive par le Conseil privé, est aujourd’hui perdue.

1598.

Jonson est suffisamment connu pour que son nom figure, aux côtés de ceux de Kyd et Shakespeare, dans la liste des meilleurs auteurs de tragédies publiée par Francis Meres dans son Palladis Tamia. Ses œuvres de jeunesse ont disparu. Sa première pièce recensée est en fait une comédie, Chaque homme dans son humeur (Everyman in His Humour), qui connaît le succès en septembre, avec Shakespeare dans le rôle principal. Mais, le 22 du même mois, Jonson se querelle avec un autre acteur, Gabriel Harvey, le provoque en duel et le tue. Il est de nouveau emprisonné et risque cette fois la peine capitale mais, grâce au privilège qui permet aux lettrés d’éviter la potence, il s’en tire avec des biens confisqués et un pouce marqué au fer rouge. Pendant son emprisonnement, il se convertit au catholicisme.

1600-1601.

Le dramaturge participe activement, notamment avec Chaque homme hors de son humeur (Everyman out of His Humour, 1600), à la guerre des théâtres. Celle-ci voit s’affronter, par pièces interposées, divers dramaturges employés par des théâtres rivaux, mais règle aussi des divergences artistiques auxquelles les talents de satiriste de Jonson donnent un ton agressif et personnel. Ainsi, dans Le Poétereau (The Poetaster, 1601) il suggère d’administrer de l’hellébore à son collègue Marston pour lui faire vomir sa rhétorique.

1602.

Les inimitiés qu’il suscite alors chez les autres dramaturges expliquent peut-être son retrait de la vie théâtrale londonienne pendant cinq ans ; abandonnant femme et enfant, il se retire du monde pour se consacrer à l’étude et devient le protégé du Lord d’Aubigny chez qui il séjourne. Il lui dédiera, l’année suivante, sa tragédie romaine Séjan (Sejanus), qui est néanmoins un échec.

1603.

Mort d’Elizabeth Ire. Jacques VI d’Écosse accède au trône d’Angleterre sous le nom de Jacques Ier.

1604.

Jonson est à nouveau emprisonné pour avoir collaboré à la comédie Cap à l’est ! (Eastward Ho !), qui se moque des Écossais et même du nouveau roi. Pourtant, une fois libéré, il se met à écrire pour la Cour des Stuart des masques dont le célèbre architecte Inigo Jones construit les décors. La nouvelle reine est friande de ces divertissements spectaculaires et le roi Jacques Ier, lui-même érudit, apprécie la culture de Jonson.

1605-1614.

C’est la décennie la plus productive de Jonson, pendant laquelle il compose à la fois des masques pour les fêtes à la Cour (à l’occasion des mariages, investitures, ou même de Noël) et ses pièces les plus notoires pour les théâtres publics (la plupart sont jouées au Globe par la troupe de Shakespeare). Ces comédies, que l’on qualifie souvent de citadines, sont des pièces satiriques qui ridiculisent des travers contemporains : Volpone (1606) et L’Alchimiste (The Alchemist, 1610) sont écrites en vers, Épicène, ou la Femme silencieuse (Epicoene, or The Silent Woman, 1609-1610) et La Foire de la Saint-Barthélemy (Bartholmew Fair, 1614) en prose. Une nouvelle tragédie romaine, Catilina (Catiline, 1611), connaît en revanche le même échec que Séjan.

1606.

Après la Conspiration des poudres, le 5 novembre 1605, la répression des catholiques s’intensifie et, l. avril 1606, Jonson et sa femme sont convoqués par les autorités religieuses qui veillent sur l’observance de la religion anglicane. Ils ne seront néanmoins pas poursuivis et Jonson ne renoncera au catholicisme que quelques années plus tard.

1612.

Jonson fait un bref séjour en France comme tuteur du fils de Sir Walter Raleigh.

1616.

Publication en in-folio et, sous sa direction, du premier volume de ses œuvres complètes sur lequel il a commencé à travailler en 1612. Jonson, pénétré de la lecture des Classiques, est le seul dramaturge de sa génération à se préoccuper de transmettre lui-même ses œuvres à la postérité. Ainsi, il soumet Chaque homme dans son humeur à des révisions importantes : l’action est transportée d’Italie à Londres et la langue devient familière et enlevée. L’échec de ses tragédies romaines suscite sa colère ; il les publie avec des notes et d’abondantes références à ses sources latines et annexe deux préfaces à son Catilina, l’une pour le lecteur ordinaire, dont les réactions, écrit-il, ne sauraient l’affecter, l’autre pour le lecteur extraordinaire qui seul a droit à ses égards.

Sa comédie Le diable est un âne (The Devil is an Ass) paraît la même année. Il reçoit désormais une pension royale de 100 marks par an.

1618-1619.

Voyage à pied de Londres jusqu’en Écosse (400 miles). Jonson s’achète une nouvelle paire de chaussures à mi-parcours. Il est fêté à Édimbourg, puis se rend dans une localité voisine, à Hawthornden, où il séjourne chez le poète William Drummond d’Hawthornden. Les quelques semaines qu’il y passe donneront naissance, à partir des notes prises par son ami, aux Conversations avec William Drummond d’Hawthornden, ouvrage qui nous renseigne sur la vie, les intérêts, et aussi sur la pensée critique du dramaturge.

1619.

Au retour, Jonson est fait « Master of Arts » de l’université d’Oxford, honneur rarement conféré à qui n’y a pas étudié. Le poète est à l’apogée de sa renommée, sa réputation reposant sur ses comédies aussi bien que sur ses épigrammes, élégies et chansons. Il règne sur le monde des Lettres, rencontre l’essayiste Bacon, fréquente le poète Donne, et des dramaturges comme Beaumont et Fletcher. Il est entouré de nombreux disciples plus jeunes, connus comme « la tribu de Ben ». Ils tiennent des discussions littéraires dans les tavernes londoniennes (comme la célèbre « Sirène ») qui sont très fréquentées par Ben Jonson, bon vivant et corpulent.

1623.

Cette année marque la fin de la période faste. Un incendie ravage sa bibliothèque et détruit ses manuscrits, en particulier la grammaire anglaise qu’il était en train d’écrire. Il en fait le sujet d’un poème, The Execration upon Vulcan (Imprécation contre Vulcain), autre document sur la vie du poète qui désormais, se consacre plus à l’étude qu’au théâtre.

1625.

Mort de Jacques Ier et accession au trône de son fils, Charles Ier. Le nouveau roi, moins érudit que son père, n’a pas la même admiration pour Jonson, et les goûts délicats de la reine Henriette s’accordent mal avec le tempérament bouillant du dramaturge. Inigo Jones, avec qui la collaboration était de plus en plus tendue depuis une décennie, le supplante à la Cour.

1626.

Jonson revient à la scène, mais sa veine d’invention comique s’est tarie. Ses dernières pièces, The Staple of News (La Boutique aux nouvelles), The New Inn (La Nouvelle Auberge, 1629), The Magnetic Lady (La Dame magnétique, 1632) et, enfin, The Tale of a Tub (Le Conte du tonneau, 1633), sont mal accueillies par le public comme par la Cour. Dryden, dramaturge et critique de la Restauration, les qualifiera cruellement de « radotages ».

1628.

Jonson est frappé de paralysie et ne sort plus de sa chambre, ce qui ne met toutefois pas fin à sa vie sociale.

1630.

Sa pension annuelle est augmentée de moitié, passant de 100 marks à 100 livres ; une allocation supplémentaire de neuf gallons (une bonne quarantaine de litres) de vin des Canaries satisfait son penchant pour la boisson. Le dramaturge déclinant s’enfonce néanmoins dans la pauvreté.

1637.

Ben Jonson meurt pauvre et couvert de dettes, mais la foule de ses admirateurs accompagne sa dépouille jusqu’à l’abbaye de Westminster. Le monument et la statue un moment prévus ne s’étant jamais concrétisés, Jonson y repose désormais dans le Coin des Poètes, avec pour seule épitaphe : « O rare Ben Jonson ! ».

1640.

Publication posthume du second volume des œuvres de Jonson, entamée par lui-même en 1630. On y trouve un autre document biographique précieux, Timber or Discoveries (Fragments ou Découvertes), collection de notes et réflexions critiques, le fruit de ses années de réclusion.

NOTICE

DATE ET ACCUEIL

La page de garde de l’édition in-folio indique que la pièce fut jouée en 1605 (Acted in the Yeere 1605) mais, comme le remarquent les derniers éditeurs*1, il est probable que la date indiquée se conforme à l’ancien calendrier julien (Old Style) qui faisait débuter l’année a. mars, et que donc la pièce fut en fait écrite et jouée pour la première fois au tout début de l’année 1606. En effet, dans la discussion entre Sir Jacasse et Pèlerin qui ouvre l’acte II, l’allusion à l’apparition dans la Tamise d’une baleine et de marsoins évoque des événements inhabituels qui se sont effectivement produits à Londres en janvier 1606. Si l’on se souvient que Jonson se glorifie dans son Prologue d’avoir composé sa pièce en cinq semaines, la première représentation pourrait se situer vers le mois de mars. La pièce fut alors jouée au théâtre du Globe par les Comédiens du Roi, avec John Lowin dans le rôle de Volpone et Richard Burbage, acteur fétiche de Shakespeare, dans celui de Mosca. Certains critiques pensent que Nano a pu être joué par Robert Armin, par ailleurs spécialisé dans les rôles de bouffon shakespearien.

L’année suivante, Volpone fut très bien reçu à Oxford et à Cambridge, dans les grandes salles des universités, ce qui explique la dédicace de l’Épître qui sert de préface à l’in-quarto, et que nous reproduisons ci-dessous. Ben Jonson a soin de ne pas nourrir la rivalité entre les deux universités en l’adressant « Aux Sœurs très nobles et très égales  ».

Le dramaturge vise ici le lecteur plus que le spectateur ; il affirme ses aspirations humanistes, tient à se distinguer des auteurs contemporains et de leurs excès et se pose en garant de la dignité de l’art dramatique. Étant donné ses démêlés avec la censure lors de la représentation de Séjan, et son emprisonnement après celle de Cap à l’Est, l’Épître peut aussi se lire comme un plaidoyer pro domo auprès des autorités.

L’ÉPÎTRE

Jamais personne, Sœurs très égales, n’a joui d’un talent si immédiat qu’il pût se former seul, sans le soutien d’un sujet, de circonstances, d’appuis et de protecteurs. Si cela est vrai, et le sort de tous les écrivains le confirme quotidiennement, il appartient aux prudents de s’assurer des soutiens et, les ayant acquis, de défendre jalousement cet aspect de leur réputation qui sert aussi les intérêts d’un ami. C’est pourquoi j’exprime maintenant toute ma gratitude en m’efforçant de justifier votre générosité : quoique votre fonction suffise à l’expliquer, nous vivons pourtant une époque où la Poésie et ceux qui la pratiquent sont tellement décriés de toutes parts qu’il faut chercher une explication dans le sujet lui-même. Il est certain — qui songerait sérieusement à le nier ? — que la licence excessive des poétereaux a récemment beaucoup dénaturé leur maîtresse ; il ne se passe pas de jour que leur ignorance manifeste et multiforme ne lui vaille des reproches injustifiés. Mais il serait profondément injuste que, par suite de leur insolence, les lettrés aient à souffrir, ou que cet art divin (qu’il ne faudrait aborder que les mains propres) tombe dans le discrédit. Car si l’on veut bien observer avec impartialité et sans préjugé, la fonction et la mission du Poète, on verra clairement qu’il est impossible à quiconque d’être bon Poète sans être d’abord un homme bon. Celui dont on dit qu’il est capable de former les jeunes à toutes les bonnes disciplines, d’enthousiasmer les adultes pour toutes les grandes vertus, de maintenir les vieillards dans la meilleure des conditions ou, lorsqu’ils retombent en enfance, de leur faire recouvrer leurs forces originelles ; celui qui apparaît comme l’interprète et l’arbitre de la nature, maître de la morale, qui enseigne le divin tout autant que l’humain ; celui qui, seul ou presque, sait accomplir les idéaux humains, celui-là ne devrait pas, selon moi, être livré à la rhétorique persifleuse des orgueilleux et des ignorants. Mais, s’empresseront de répondre certains, les écrivains d’aujourd’hui sont tout autre chose : non seulement leur comportement mais leur nature est l’inverse de ce qu’on attend et il ne leur reste rien de la dignité du Poète que le titre, qu’ils maltraitent, et que le moindre écrivailleur usurpe ; et de nos jours, surtout lorsqu’il s’agit de poésie dramatique (ou pour le théâtre, comme ils disent), on ne trouve que paillardise, propos impies, blasphème et total irrespect envers Dieu et envers les hommes. Je n’ose (et je le regrette) nier grand-chose de tout cela, qui n’est que trop patent dans les créations malvenues de certains, dont je déplore qu’elles aient jamais vu le jour. Toutefois, il serait très peu charitable de penser et encore plus calomnieux de dire que tous sont embarqués pour cet intrépide voyage vers l’enfer. En ce qui me concerne, je peux affirmer, la conscience en paix, que j’ai toujours tremblé à l’idée du moindre sacrilège et que j’ai répugné à utiliser cette grossièreté obscène et inconvenante qui est devenue l’ordinaire du théâtre. Et, bien que je ne puisse échapper à l’accusation de méchanceté de la part de certains qui diront que je m’enorgueillis et me délecte d’être mordant et qu’il n’est pas jusqu’à mon dernier-né*2 qui ne soit venu au monde avec toutes ses dents, je demande à ces politiques sourcilleux quelle nation, quelle société, quel ordre ou quel État*3 j’ai bien pu heurter ? Ou quel personnage public ? Et si je n’ai pas plutôt, dans tous ces cas, protégé leur dignité et ma propre personne ? Mes œuvres sont lues et autorisées (je parle de celles que j’ai écrites seul*4). Étudiez-les : ai-je jamais eu recours aux critiques outrancières, aux attaques personnelles ? Ai-je jamais critiqué des individus, sauf peut-être quelque plagiaire, imposteur, maquereau ou bouffon — toutes créatures qui méritent d’être censurées pour leurs débordements ? Et encore, lequel aurais-je si précisément visé qu’il n’ait pu soit avouer candidement soit camoufler perfidement son mal ? Mais ce n’est pas la rumeur qui peut décider de la culpabilité, ni surtout m’attribuer à moi, les fautes des autres. D’aussi bonne foi que les œuvres soient écrites et exécutées, elles sont sujettes, je le sais bien, à des interprétations malveillantes. Mais tant que je peux me prévaloir de ma bonne foi, je ne les crains pas. L’exégèse est maintenant devenue une occupation pour beaucoup, et il en est qui prétendent posséder des clés pour tout déchiffrer. Mais que les personnes raisonnables et honnêtes se gardent d’un excès de crédulité ou de laisser leurs réputations aux mains de ces exégètes fouineurs qui, souvent, faussent habilement les propos les plus anodins de leurs contemporains pour faire circuler leur propre malveillance injurieuse. Quant à ceux qui, en révélant des vices que les hommes charitables passent sous silence ou dont les braves gens ne parlent pas, se font un nom auprès de la multitude, ou qui, pour obtenir ses applaudissements vulgaires et grossiers, se soucient peu de savoir quel vivant ils défigurent avec leur écrits blessants, ceux-là ne trouveront jamais en moi un rival. Je préfère me cloîtrer dans l’obscurité que de partager avec eux une célébrité aussi perverse. Et je ne puis reprocher à certains compatriotes exigeants et plus raisonnables, de souhaiter, face aux ravages que ces esprits outranciers peuvent faire dans un État, voir réapparaître les bouffons, les démons et les restes désuets de la barbarie, avec tous les autres vices qui étaient ridiculisés et hués*5, plutôt que d’assister au spectacle des blessures infligées aux particuliers, aux princes et aux nations. Car, comme Horace le fait dire à Trebatius, parmi ceux-ci :

 

Sibi quisque timet, quanquam est intactus and odit*6.

 

Et chacun peut à juste titre considérer que ces attaques, si elles se poursuivent, servent de divertissement à l’auteur. Quel est l’homme lettré ou éclairé qui n’abhorre pas déjà la montée de cette licence et tout ce que nous montre présentement la scène, avec ses interludes divers et variés ? On n’y rencontre rien d’autre que la fange de notre époque, traduite par des tournures si malséantes, tant de solécismes, une telle pauvreté de sens, des prolepses si audacieuses, des métaphores si éculées, une grossièreté qui choquerait les oreilles d’un païen et des blasphèmes qui retourneraient les sangs d’un chrétien. Ce n’est qu’avec gravité que je peux aborder une cause de cette nature, où mon renom et la réputation de divers hommes d’honneur et d’esprit sont mis en question ; où un grand nom*7, chargé d’autorité, d’ancienneté et du plus grand prestige se trouve, par leur insolence, soumis au mépris de notre époque et où ceux qui, jadis, étaient sujets d’étude pour les rois et les monarques les plus fortunés, sont livrés aux outrances des orateurs les plus vils. C’est cet état de fait qui non seulement suscite ma présente indignation, mais m’a encouragé jusqu’ici à étudier et à me distinguer d’eux par tous mes actes. Cela apparaîtra surtout dans cette dernière œuvre (qu’en très savants arbitres, vous avez toutes deux, vue, jugée, et approuvée pour mon plus grand honneur). Je m’y suis efforcé, dans le but d’instruire et d’amender le public, de restaurer non seulement les anciennes formes mais les coutumes de la scène, le naturel, la bienséance, l’innocence et enfin la morale, qui est le but essentiel de la poésie, de manière à enseigner aux hommes le meilleur art de vivre. Et, bien que mon dénouement puisse, si l’on applique rigoureusement les règles de la comédie, être censuré comme ne respectant pas mes engagements, je demande au critique savant et charitable de me faire l’honneur de croire qu’il est délibéré. Je pourrais montrer à quel point il eût été facile de le modifier pour le rendre plus conforme, si je ne craignais de paraître présomptueux. Mais mon but essentiel étant de clore le bec à ceux qui clament que le vice reste impuni dans nos interludes, je n’en ai pris que plus de liberté, non sans suivre quelques exemples, tirés des Anciens eux-mêmes, dont les dénouements de comédies ne sont pas toujours heureux, mais où souvent maquereaux, serviteurs et rivaux, voire les maîtres eux-mêmes, sont punis ; à juste titre, car c’est la tâche du poète comique que d’imiter la justice et d’enseigner la vie, ainsi que la pureté de la langue, ou encore d’éveiller des émotions mesurées. De tout cela, j’aurai l’occasion de reparler ailleurs*8. Pour le moment, Sœurs très vénérées, comme j’ai eu ici le souci de vous remercier pour vos bontés passées, et de donner aux lecteurs éclairés quelques raisons qui expliquent vos faveurs, je ne désespère pas de les voir se manifester à nouveau lorsque de plus dignes fruits de mon labeur auront mûri ; à cette occasion, si mes Muses me sont fidèles, j’agirai pour qu’à nouveau la Poésie puisse relever sa tête méprisée et, la dépouillant des infâmes haillons sous lesquels notre époque a camouflé ses formes, je lui restituerai sa robe, ses traits et sa majesté originelles pour la rendre digne de l’étreinte et des baisers de tous les grands esprits qui mènent le monde. Quant aux êtres vils ou paresseux, qui n’ont jamais eu de goût pour les belles œuvres ou qui sont si habitués à leurs vices naturels qu’ils la craignent à juste titre et jugent de haute politique de lui manifester leur mépris à coup de rhétorique et de vides invectives, mue à l’égard de ceux-là par une rage légitime, elle incitera ses serviteurs (qui sont genus irritabile) à leur cracher au visage une encre qui rongera, par-delà leur moelle, jusqu’à leur réputation. Même Cinnamus le barbier*9 sera incapable, malgré tout son art, d’en effacer les marques, mais elles survivront et seront lues jusqu’à ce que ces misérables périssent, discrédités à leurs propres yeux comme aux yeux du monde.

 

Depuis ma maison de Blackfriars, ce 11 février 1607*10.

LE TEXTE DE LA PIÈCE

Deux textes de Volpone furent publiés du vivant de Jonson : la pièce fut d’abord publiée en 1607, en format in-quarto, puis elle fut intégrée, en 1616, à l’édition in-folio des Œuvres supervisée par le dramaturge. La signature de l’Épître qui préface l’in-quarto atteste de sa date : « Depuis ma maison de Blackfriars, c. février 1607. » Ce texte, publié par Thomas Thorpe qui fut l’éditeur de Jonson de 1605 à 1608, est préfacé d’épigrammes dédicatoires attribuées à Francis Beaumont, George Chapman ou encore John Fletcher. Il n’apparaît dans le Registre des Libraires qu’à la date du 3 octobre 1610, en même temps que celui de Séjan. Le texte de l’in-folio de 1616 fut imprimé par William Stanby, à partir d’un exemplaire de l’in-quarto soigneusement corrigé. Les différences entre les deux textes (qui marquent, l’un comme l’autre, la division en actes et en scènes) sont minimes, ce qui semblerait indiquer que l’auteur était, dans l’ensemble, satisfait de l’in-quarto, sauf pour la ponctuation que l’in-folio enrichit de nombre de tirets et de parenthèses. Les ajouts au texte de l’in-folio sont néanmoins signifiants. Ainsi, l’indication « La scène se passe à Venise », n’apparaît qu’en 1616, alors que dans le texte précédent le lieu de l’action ne devenait évident qu’au deuxième acte, lorsque l’Anglais, Sir Jacasse Politique, mentionne qu’il est à Venise. Comme le remarquent les derniers éditeurs de la pièce, le premier texte prépare d’autant plus le spectateur à lire Londres à travers Venise. Par ailleurs, alors que l’édition in-quarto ne comporte aucune didascalie, l’in-folio de 1616 en intègre vingt-neuf, inscrites dans la marge du texte, soulignant par exemple qu’à la fin du boniment de Volpone déguisé en charlatan (II, II), « Celia, à la fenêtre, jette son mouchoir » ; ou que, pendant que Mosca nargue les dupes en faisant l’inventaire de son héritage, « Volpone jette un coup d’œil de derrière une tenture » (V, III).

La plupart des éditeurs critiques doutent que ces rajouts soient imputables au dramaturge, mais ils les intègrent dans leur texte, arguant que Jonson, qui supervisa la publication de l’in-folio, aurait pu les supprimer s’il les avait désapprouvées. Ils établissent leur texte, selon l’usage de la fin du XXe siècle, à partir des deux textes d’origine ; néanmoins, ils se réfèrent aussi, pour moderniser l’orthographe et ajouter les entrées et les sorties de personnages, à l’édition in-folio posthume de 1640, ou à une édition établie par William Gifford en 1816. De nos jours, beaucoup d’éditeurs préfèrent retourner au texte premier, c’est-à-dire à l’in-quarto, texte prévu pour être joué. C’est l’option retenue par la Cambridge Edition, les éditeurs remarquant que si les deux textes disponibles furent l’un comme l’autre cautionnés par l’auteur, la publication de 1616 est clairement destinée au lecteur et non au spectateur.

LE TEXTE DE LA TRADUCTION

La traduction française reprise dans ce volume fut d’abord publiée en 2009, c’est-à-dire avant la parution de l’édition publiée à Cambridge en 2012. Elle suit, pour l’essentiel, l’édition établie par Philip Brockbank pour les « New Mermaids » (Londres, Ernest Benn, 1968, réed. 1994) et se réfère, lorsque nécessaire, à l’édition des œuvres complètes de Ben Jonson due à Charles H. Herford et Percy & Evelyn Simpson (Oxford, Clarendon Press. vol., 1925-1952, réed. 1965), Volpone se trouvant dans le t. V*11. Il arrive, très ponctuellement, qu’elle s’écarte des options de Brockbank pour choisir la leçon de l’in-folio préférée par Herford and Simpson. Ainsi, dans l’invocation de Volpone à son or (I, I, 10), Brockbank lit « sun of Sol », arguant que l’alchimie considérait que l’or était l’enfant du Soleil. Or, comme, précisément, les dramaturges de l’époque jouent constamment sur l’homophonie sun / son, il semble logique de suivre plutôt le choix « son of Sol » de Herford and Simpson et de traduire par « fils de Sol ».

Dans un autre cas, la leçon de l’in-folio (préférée cette fois par Brockbank) a été retenue : lors du premier procès (IV, v, 130) Corvino se justifie d’accuser sa femme en ces termes : « Et ne puis-je pas dire que j’espère qu’elle est en route / Pour la damnation, s’il y a pire enfer / Que d’être femme et putain ; un bon catholique pourrait en douter. » Dans l’in-quarto, publié lorsque Jonson était encore catholique (c’est-à-dire considéré comme hérétique), il préférait attribuer ce doute, de manière plus générale, à « un bon chrétien ». L’option choisie par l’in-folio est aussi mieux adaptée à la scène vénitienne.

Par ailleurs, les additions à l’édition d’époque adoptée comme texte de référence (comme certaines didascalies ou mentions d’acte et de scène) sont signalées par l’usage de crochets.

LES SOURCES

S’il n’y a pas de source directe pour l’intrigue de Volpone, on trouve bien des précédents antiques ou médiévaux au motif des chasseurs d’héritage dupés, ainsi qu’aux fables qui mettent en scène des animaux, depuis Horace qui combine les deux dans ses Satires (II, V), jusqu’au Roman de Reynard (Reynard the Fox), en passant par les Fables d’Ésope ou le Satiricon. Ben Jonson, nourri de culture classique, puise aussi, pour le divertissement imaginé par Mosca (I, II, 1-62), dans Le Songe ou le Coq de Lucien, dialogue entre un savetier et un coq qui travestit la doctrine de la métempsycose de Pythagore, et dans L’Éloge de la folie d’Érasme qui lui inspire la chanson de Nano (« Les bouffons, voilà la nation, / Digne d’envie, d’admiration… » (I, II, 67-82).

Parfois accusé de plagiat pour certains passages, le dramaturge fait en réalité son miel à partir de son immense culture et des idées qui parcouraient son époque. Le personnage de Volpone a quelque rapport avec le captator moqué par Horace ou Juvenal, celui de Mosca a des liens plus évidents avec le serviteur / parasite de la comédie classique qui finit par se jouer de son maître. Le Prince de Machiavel, à qui il est recommandé d’associer les qualités du lion et du renard, est sans doute à intégrer dans la liste des intertextes qui affleurent çà et là. Jonson puise aussi dans la tradition de la commedia dell’arte pour le déguisement de Volpone en charlatan (II, II). Historiquement, Scoto de Mantoue, dont il usurpe l’identité, était responsable d’une troupe de comédiens reconnus par le duc de Mantoue, et il s’était produit à la cour d’Angleterre devant la reine Élisabeth en 1576. Il est donc logique que les réactions de Corvino au boniment du prétendu charlatan fassent référence à divers personnages de la commedia dell’arte, Flaminio, Franciscina et Pantalone (voir, dans les Notes, p. 93, n. 1).

Après l’échec de Séjan et de sa Rome antique, Jonson choisit de situer Volpone dans l’Italie moderne, d’autant que la réputation sulfureuse de Venise lui permet d’explorer les excès contemporains sans les associer directement avec Londres : la Conspiration des poudres étant encore dans tous les esprits, le dramaturge exploite le motif du complot, mais sur le mode comique et vu de l’étranger, à travers les projets et conspirations cocasses de Sir Jacasse Politique, Anglais émigré à Venise. Les critiques ont suggéré divers modèles contemporains pour ce personnage, parfois comparé à Sir Henry Wotton, ambassadeur à Venise de 1604 à 1612. Les noms du voyageur Sir Anthony Shirley, connu pour son excentricité, et de Robert Cecil, homme d’État important sous les règnes d’Élisabeth Ire et de son successeur, ont aussi été avancés. L’impression que Volpone pouvait fonctionner comme une pièce à clefs pour les spectateurs de l’époque fut encouragée par la remarque de John Aubrey (1626-1697) dans la courte biographie qu’il consacre, dans ses Vies brèves, à Thomas Sutton (richissime contemporain de Jonson) : « ‘Twas from him that B. Johnson took his hint of the Fox and by Seigneur Volpone is meant Sutton » (« C’est lui qui inspira à Jonson l’idée du renard et derrière le seigneur Volpone se cache Sutton*12 »). Les critiques n’accordent désormais que peu de crédit à la proposition d’Aubrey, qui reste invérifiable.

*1. The Cambridge Edition of the Works of Ben Jonson, qui fait maintenant autorité, a été publiée à Cambridge en 2012 (voir la bibliographie).

*2. Allusion à Séjan (Sejanus), sa tragédie romaine, qui venait de lui valoir une accusation de trahison. La formulation rappelle la description de la naissance du futur Richard III, dans 3 Henry VI (V, VI, 75).

*3. Jonson avait été, en particulier, accusé de ridiculiser les Écossais et le roi Jacques Ier dans Cap à l’est ! (Eastward Ho !).

*4. Contrairement aux œuvres écrites en collaboration qui l’envoyèrent en prison, Séjan et Cap à l’est !

*5. Allusion aux Moralités médiévales.

*6. « Dans les satires, chacun, même s’il n’est pas atteint, se plaint / Comme s’il était touché, et exècre des traits aussi blessants » (Horace, Satires, II, I, 23, traduit par Jonson dans son Poétereau (The Pœtaster, III, V, 41).

*7. Celui de la Poésie.

*8. C’est ce qu’il fit probablement dans son commentaire sur l’Art poétique d’Horace, qu’il annonce aussi dans sa présentation aux lecteurs de Séjan, mais qui semble avoir été perdu.

*9. Célébré par Martial (Épigrammes, VI, LXIV, 26) pour sa capacité à faire disparaître les stigmates.

*10. Traduction de Michèle Willems.

*11. Notre traduction reproduit, avec quelques changements, celle publiée en 2009 dans Théâtre élisabéthain (Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 2 volumes), vol. 2, p. 1-182.

*12. Aubrey’s Brief Lives, Olivier Lawson Dick éd., Londres, Secker et Warburg, 1958, p. 291.

HISTORIQUE DE LA MISE EN SCÈNE

VOLPONE SUR LES SCÈNES ANGLAISES :
DE LA COMÉDIE SATIRIQUE
À LA FARCE NOIRE

Après les premières représentations (voir la Notice, p. 234), Volpone fut certainement joué à la Cour en 1624, 1630 et 1638, et régulièrement à la ville jusqu’à la fermeture des théâtres en 1642. Après leur réouverture en 1660, la pièce fait partie du répertoire des Comédiens du Roi, au Theatre Royal de Drury Lane où le diariste Samuel Pepys la voit plusieurs fois avec plaisir (« a most excellent play », écrit-il l. janvier 1665). À partir de 1727, Volpone sera plus souvent représenté dans les théâtres de Lincoln’s Inn Fields et de Covent Garden. Sa popularité atteint son apogée pendant l’année 1733, avec douze représentations par les deux troupes. Le 2 janvier 1734, elle est même jouée simultanément dans les deux théâtres. C’est l’époque où les comédies satiriques, de facture classique, sont préférées aux comédies romanesques de Shakespeare alors qu’à partir de 1750 la popularité de Jonson faiblit à mesure que celle de Shakespeare augmente. Après 1753, et à part une brève apparition en 1771 dans une adaptation raccourcie et édulcorée que l’on doit à George Colman, la pièce disparaît des scènes londoniennes pour près de deux siècles.

 

En 1921 la reprise de Volpone au Lyric Hammersmith, quoique éphémère, est saluée à la fois par T. S. Eliot qui y voit l’événement théâtral de l’année et par le poète Yeats, qui en apprécie le dénouement implacable. Ce n’est néanmoins qu’en 1938 que la pièce entre durablement au répertoire, grâce au célèbre acteur et metteur en scène Donald Wolfit, qui assure d’abord le rôle-titre, puis, de 1940 à 1953, se charge aussi de la mise en scène. Créée lors du Festival des Arts à Cambridge, la pièce entame, après Londres, une tournée triomphale en province, puis au Canada, aux USA et même en Égypte. En 1947, la production se taille un succès à Broadway malgré la concurrence de l’adaptation de Stefan Zweig et, en 1959, elle est diffusée par la BBC. Interprété par Wolfit, Volpone est un personnage plus comique que méchant ; mis en scène par le même Wolfit, il se taille la part du lion. Mosca (joué par une succession d’acteurs tombés dans l’oubli) devient un faire-valoir, au rôle réduit par de nombreuses coupures. En revanche, le couple Jacasse se trouve parfois réintégré avec un acteur masculin dans le rôle de Lady Jacasse. Les choix de Wolfit annoncent les problèmes auxquels se trouveront confrontés les metteurs en scène qui lui succéderont. Comment conserver l’intrigue secondaire ? Comment équilibrer les rôles de Volpone et de Mosca ? Comment rendre crédibles ces personnages falots que sont Celia et Bonario ? Surtout, comment réconcilier la gravité du dénouement et l’esprit de la comédie ?

En réaction au one-man show de Wolfit, George Devine fait appel, dès 1952, à Stratford, à des acteurs renommés, pour le duo central, comme pour l’intrigue secondaire : le rôle de Sir Jacasse est tenu par Michael Hordern et Anthony Quayle incarne un Mosca obséquieux mais sourdement menaçant face à Ralph Richardson qui fait apparaître la fragilité de Volpone. En 1977, au National Theatre à Londres, Peter Hall ira jusqu’à confier le rôle de Sir Jacasse au célèbre acteur shakespearien, John Gielgud, Volpone étant interprété par Paul Scofield et Mosca par Ben Kingsley.

En 1968, avec le même National Theatre (alors domicilié à l’Old Vic), Tyrone Guthrie avait plutôt fait le choix de souligner la référence à la fable en travestissant les personnages en animaux dont les acteurs étaient allés jusqu’à observer le comportement au zoo : Volpone (Colin Bakeley) apparaissait ainsi logiquement en renard, Mosca (Frank Wylie) plus métaphoriquement en serpent, Voltore et Corbaccio en divers oiseaux de proie, et Corvino en taureau. Le procédé fut généralement perçu comme trop explicite.

Dans les années 1980, l’ouverture de divers petits théâtres à Stratford accroît la présence des contemporains de Shakespeare dans le répertoire de la Royal Shakespeare Society. Les mises en scène de Bill Alexander pour The Other Place en 1983 et de Lindsay Posner pour le Swan Theatre en 1999 exploitent la flexibilité de petits lieux théâtraux pour combiner l’efficacité du rythme comique et de la farce bouffonne des intrigues secondaires, avec la vision d’une humanité désespérément corrompue. Ces deux mises en scène suggéraient très tôt la duplicité de Mosca et la vulnérabilité de Volpone. En 1983, Miles Anderson réprimait à peine des sourires de mépris face à un Richard Griffith fragilisé dès qu’il sortait de chez lui : son boniment de charlatan s’étirait sous les quolibets de la foule avant que Celia se manifeste enfin ; plus tard, il formait un tableau pathétique avec ses trois bouffons mis à la rue comme lui. En 1999, la perte de contrôle de Malcolm Storry assailli par l’encombrante Lady Jacasse préfigurait la suprématie d’un Guy Henry dont l’agilité et la vélocité annonçaient très tôt la victoire. La sollicitude manifestée par Celia (Julie Peasgood) à l’égard d’un Corvino (John Dicks) effrayant dans sa jalousie, mais hagard au second procès, donnait au personnage une épaisseur inhabituelle. Au National Theatre, en 1995, Matthew Warchus utilisait dès l’abord un plateau tournant (qui permettait ensuite un rythme comique étourdissant), pour un prologue en forme de cauchemar prémonitoire où Michael Gambon était poursuivi par ses dupes. Le jeu de Mosca (Simon Russell Beale) sous-entendait une relation homosexuelle entre maître et serviteur. Le décor de la plupart de ces farces noires (ici, bric-à-brac où l’or du butin côtoyait un squelette armé d’un sablier) et leur humour sardonique complétaient la peinture d’un monde décadent, aveuglé par sa cupidité et sa quête du profit.

Comédie satirique ou farce noire, Volpone, au XXe siècle, confirme sa popularité à travers diverses transpositions : en 1964, une comédie musicale, The Fox, joue à Broadway sur le thème de la ruée vers l’or ; en 1969, un film de Joseph L. Mankiewicz, The Honey Pot (Guêpier pour trois abeilles), transpose la comédie de la chasse à l’héritage en film policier, le millionnaire Cecil Fox (Rex Harrison), flanqué de son secrétaire William McFly (Cliff Robertson), faisant croire à trois riches maîtresses qu’il est mourant. Plus récemment, en 2009, le Wolf Trap Opera de New York obtint tant de succès avec The Fox, opéra-comique très proche de Volpone, qu’il faillit être récompensé par un prestigieux « Grammy ».

Tout en restant plus près du texte, la scène britannique récente se plaît à souligner que le monde de Volpone n’est pas très différent du nôtre. Déjà en 1990, The English Stage Company, troupe itinérante en rupture avec le style jacobéen de la RSC, optait pour un décor résolument moderne

Et tout récemment, pendant la saison 2015 de la Royal Shakespeare Company*1, la mise en scène de Trevor Nunn transportait la pièce dans un monde dominé par le cours des marchés (fébrilement consulté par les trois charognards en costume trois-pièces) et par la religion du profit pratiquée par un escroc. Henry Goodman, servi par un Mosca à l’obséquiosité asiatique, entouré de marginaux très contemporains et poursuivi par une Lady Jacasse avide de selfies, campait un prédateur fasciné par ses propres talents d’acteur (son charlatan italien était d’un comique irrésistible). Dans sa modernité, le Volpone du Swan était bien une farce noire mais, suivant la morale de Jonson, la cupidité financière n’y restait pas impunie.

VOLPONE EN FRANCE :
JULES ROMAINS REMPLACE BEN JONSON

Alors que les productions anglo-saxonnes révèlent la modernité d’une comédie écrite il y a plus de cinq siècles sans occulter la sévérité de son dénouement, Volpone, tel qu’il fut écrit par Ben Jonson, n’a jamais été représenté sur une scène française. L’adaptation de Jules Romains fut créée à Paris, au théâtre de l’Atelier, l. novembre 1928, par Charles Dullin qui tenait lui-même le rôle principal. Elle connut un succès immédiat, et fut représentée près de cinq cents fois dans les années suivantes. En 1931, Jean-Louis Barrault y obtint l’un de ses tous premiers rôles, celui d’un domestique. Salué par certains comme le frère du Shylock de Shakespeare, par d’autres comme celui du Gobseck de Balzac, Volpone, interprété par Dullin, était un avare cruel, obsédé par l’argent, qui devait sans doute beaucoup à l’avare de Molière, autre rôle fétiche de l’acteur.

Mais c’est surtout le film de Maurice Tourneur qui fit connaître Volpone en France. Tourné en 1941, dans les studios de Billancourt, il reprend, après quelques séquences qui reconstituent la genèse du chantage à l’héritage, la mise en scène de Dullin et, moyennant quelques coupures, le texte de l’adaptation. La distribution est éblouissante : Harry Baur campe un Volpone oriental exubérant, parfois cabotin ; Charles Dullin interprète un Corbaccio inquiétant de rapacité et de cynisme, et Louis Jouvet un Mosca aussi mémorable que son Knock : coiffé d’un surprenant chapeau qui tient du bicorne, il berne et manipule, visage toujours impassible et élocution sèche, l’intraitable usurier Corbaccio, le marchand Corvino (Fernand Ledoux, retors et obséquieux) et l’avocat Voltore (Jean Témerson). Tant que l’intrigue reste proche de l’original jonsonien, c’est-à-dire jusqu’au procès, la satire de la cupidité cible efficacement aussi bien les chasseurs d’héritage et leurs rivalités que l’avare Volpone palpant ses richesses (le film est sous-titré : ou l’Amour de l’or) ; d’autant que les moyens propres au cinéma (reconstitution d’une Venise de carte postale avec canaux, gondoles et somptueux palais, et surtout possibilité de gros plans sur les visages avides penchés sur le lit du mourant) compensent le minimalisme des répliques. Mais le cinéma, qui suppose la crédibilité psychologique de ses personnages (d’ailleurs ici soutenue par les premières séquences qui construisent un Volpone animé d’un désir de vengeance), souligne en revanche l’incohérence d’un dénouement qui exonère et dédommage les rapaces, alors que Volpone, rebaptisé le Levantin*2, est jeté à la rue par un Mosca soudain devenu justicier, qui envoie par la fenêtre des pièces d’or à la foule.

Dans les dernières décennies du XXe siècle, divers metteurs en scène, secondés par des duos comiques confirmés, ont imprimé à l’intrigue simplifiée par Jules Romains un rythme de farce : ainsi, à Lyon en 1976, Jean Meyer avec Jean Le Poulain en Volpone et Michel Duchaussoy en Mosca ; ou, au théâtre de la Ville, en 1985, Jean Mercure assurant lui-même le rôle-titre face à Robin Renucci, Michel Etcheverry interprétant l’unique juge de l’adaptation ; ou encore, à la Porte-Saint-Martin, en 1991, Robert Fortune, avec Guy Tréjean et Francis Perrin. Il est significatif qu’en 1978 Jean Meyer ait repris sa propre mise en scène pour la télévision, dans le cadre du programme de Pierre Sabbagh « Au théâtre ce soir », généralement consacré au théâtre de boulevard.

Loin de retourner à l’original, notre siècle a jusqu’à présent produit de nouvelles adaptations. Celle de Jean Collette et Toni Cecchinato, d’abord présentée en 2001 au Festival d’Anjou, dans une mise en scène de Francis Perrin (jouant de nouveau Mosca, face au Volpone de Bernard Haller), a donné lieu à un DVD qui se proclame « proche de l’original ». Pourtant, outre que la répétition de « Politic, Politic, où es-tu Politic ? » y signale l’absence de l’intrigue secondaire, Mosca, qui oblige Volpone à reconnaître officiellement sa mort, puis se présente comme « la vertu reconnue et récompensée » y est traité en protagoniste et prononce l’épilogue. Le même texte sera utilisé en 2012 au théâtre de Ranelagh, dans une mise en scène de Céline Morin interprétant un(e) Mosca recyclée en personnage féminin qui fournit Volpone en plaisirs divers.

Intitulé lui aussi Volpone, le téléfilm diffusé par TF1 en 2003, pour les fêtes de Noël, était encore plus éloigné de l’original. Éric-Emmanuel Schmitt avait conçu un rôle sur mesure pour Gérard Dépardieu et, jugeant que « le Volpone de 1605, continuellement à faire le même numéro dans son lit est statique*3 », il l’avait doublé d’un demi-frère « jouisseur », Balduccio, qui, aidé de Mosca (Daniel Prévost), dilapidait les richesses arrachées par le prétendu mourant à l’avare Voltore (Robert Hirsch), au marchand Corbaccio (Jean-François Stévenin) et au notaire Grappione (Gérard Jugnot). Après avoir dépouillé leurs victimes, les deux compères échappaient aux poursuites à travers une série d’aventures picaresques qui se concluaient par la découverte de la femme de Corbaccio [sic] dans un des coffres contenant leurs richesses*4.

La mise en scène de Nicolas Briançon, en 2012, connut elle aussi un grand succès au théâtre de La Madeleine, puis, en tournée, avec Roland Bertin salué dans le rôle-titre, et Briançon lui-même en Mosca. Bien que présenté sur les affiches comme « de Ben Jonson » (et le jugement porté sur la pièce dans le programme donnait à penser que le metteur en scène avait effectivement lu l’original), ce Volpone renouait pourtant avec celui de Jules Romains ; et, comme nombre de ses prédécesseurs, il visait surtout à divertir le spectateur, clins d’œil au public et allusions à l’actualité à l’appui, dans la pure tradition du théâtre de boulevard. Ainsi Canina, opportunément rebaptisée « La Saumure », évoquait la situation difficile des catins de Venise : « Tu verras un jour, on mettra des amendes aux clients. »

 

En France, comme en Angleterre, Volpone attire les grands acteurs et séduit le grand public. Mais en dépit du titre, ce n’est pas la même pièce que l’on joue des deux côtés de la Manche. Il n’est peut-être pas trop tard pour qu’un metteur en scène offre enfin à la France, dans une traduction adaptée et moyennant coupures, un Volpone effectivement de Ben Jonson, dont le public pourrait apprécier la modernité.

*1. Représentation vue à Stratford le 8 juillet 2015.

*2. Dans leur excellent article « Nationalizing Volpone in French Cinema » (voir la Bibliographie), Sarah Hatchuel et Nathalie Vienne-Guerrin soulignent que cette exclusion prenait une signification particulière dans la France de l’Occupation, d’autant qu’Harry Baur était juif.

*3. Interview dans Paris-Normandie. décembre 2004. Pour une analyse approfondie de ce téléfilm, voir l’article cité ci-dessus.

*4. Sarah Hatchuel et Nathalie Vienne-Guerrin inscrivent le couple Depardieu-Prévost dans la lignée des duos comiques comme Louis de Funès et Bourvil dans La Grande Vadrouille, ou Louis de Funès et Yves Montand dans La Folie des grandeurs.

BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE

ÉTUDES CRITIQUES SUR VOLPONE
Par ordre alphabétique

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WELCH, James M., « Shades of Ben Jonson and Stefan Zweig : Volpone on Film », South Atlantic Bulletin, 39, 4, 1974, p. 43-50.

NOTES

1. « Simul et incunda et idonea dicere vitae » : cet exergue est d’Horace, Art poétique, v. 334 (« [La poésie veut instruire ou plaire ; / parfois] son objet est de plaire et d’instruire en même temps »).

PERSONNAGES
Page 35. 

1. Les noms de personnages, parfois simples raisons sociales (Notario, Avocatori, Mercatori…) ou descriptifs (Nano, Castrone, Androgyno…), ne sont pas traduits dès lors qu’ils figurent en italien dans le texte d’origine. — Volpone signifie « renard » en italien ; l’épithète de « Magnifico », au sens ancien de « généreux », « munificent », est donnée ironiquement à cet avare obsédé par l’or. — Mosca signifie « mouche ». — Les noms des trois clients évoquent ceux d’oiseaux de proie, souvent explicitement évoqués dans la pièce (voir en particulier V, II, 64) : corbaccio signifie « corbeau » avec une nuance péjorative, et Corvino vient de l’adjectif corvino : « couleur aile de corbeau » ou « propre corbeau ». — Quant à Voltore, dont le nom est souvent précédé du pseudo-italien signior (au lieu de signor), il évoque le vautour en latin (vultur ou voltur). — Bonario signifie « bienveillant », « affable », « débonnaire ». — À l’inverse, il est important de trouver un équivalent au nom-étiquette de Sir Politic Would-Be. Sa traduction par « Sir Jacasse Politique » tente de souligner les aspirations et les certitudes suggérées par la désignation anglaise de ce personnage tout en surface. Elle permet aussi d’introduire le diminutif Sir Jacquot, qui, comme en anglais (Sir Pol. / Polly), évoque le perroquet (voir II, I, 101). — Le nom de Pèlerin traduit l’anglais Peregrine, qui désigne le « faucon-pèlerin ». — Signalons enfin que nous corrigeons la graphie fautive (Commendadori) donnée par l’in-folio pour Commendatori, dans la mesure où la graphie est correcte à la fois ailleurs dans la pièce et dans l’in-quarto.

1. L’argument, en forme d’acrostiche (utilisé aussi pour L’Alchimiste), est une imitation de Plaute, dont pratiquement toutes les pièces débutent de la sorte.

1. Le prologue, au style contourné et à la versification curieuse qui alterne tétramètres et pentamètres souvent irréguliers, révèle certaines priorités de Ben Jonson dans ses comédies (en particulier le désir, hérité d’Horace, d’instruire et de plaire à la fois) ; il fait aussi allusion à ses querelles avec des collègues comme Marston, ou encore à la production, courante à l’époque, de pièces fondées sur la collaboration, pratique expérimentée par Jonson lui-même pour Cap à l’est !.

2. « La tarte à la crème » évoque celle qui ornait la table du maire de Londres lors des célébrations civiques, dans laquelle le bouffon finissait par sauter. En même temps, la « crème », surtout associée, en anglais, à l’adjectif « tremblant », désigne souvent un couard.

Page 40.

1. Le « sel » piquant de la satire est une allusion à Horace (Satires, I, X, 3) qui permet la boutade finale.

ACTE I
Scène I
Page 41.

1. « Les ténèbres refluèrent / Vers le centre du monde » : au premier jour de la Création (Genèse, I, 2-4).

Page 42.

1. La pièce est située à Venise, déjà renommée pour ses « verres délicats ».

Scène II
Page 44.

1. L’histoire de la transmigration de « l’âme de Pythagore » est racontée par Lucien dans Le Songe ou le Coq, dialogue entre un savetier et un coq en qui s’est réincarné le philosophe. Des allusions à la métempsycose apparaissent aussi dans le Faust de Marlowe et dans La Nuit des rois de Shakespeare.

2. Le « cocu de Sparte » est une allusion à Ménélas qui tua Euphorbe, lequel avait blessé Patrocle (Iliade, XVI, 806-815 et XVII, 9-6).

3. « Hermotime » est un penseur grec du VIIe siècle av. J.-C., peut-être légendaire.

4. « Comme le coq du savetier » : c’est le coq qui raconte l’histoire dans le dialogue de Lucien.

5. Pythagore était surnommé « chrysomère » (« à cuisse d’or ») parce que les prêtres égyptiens lui avaient appliqué sur la cuisse le disque d’or de Râ ; sa philosophie voyait dans les nombres les principes de toutes choses et dans le « trigone », ou triangle, le symbole de l’harmonie cosmique.

Page 45.

1. L’allusion aux convertis à la « Réforme » vise les puritains (Jonson était encore catholique en 1606).

2. Le poisson et les haricots étaient des « mets proscrits » pour les Pythagoriciens.

3. « Entre deux bouchées de pudding de la Nativité » : « Nativité » est ici une équivalence de Christmas, terme non prononcé par les puritains parce qu’il contenait le mot mass, la « messe ». Precise, traduit par « pur » trois vers plus haut, et qui signifie « de stricte obédience religieuse », était aussi un adjectif codé.

1. Cette « chanson », apologie du bouffon en vers de mirliton, peut être chantée par Mosca et les trois monstres. Elle est très inspirée par l’Éloge de la folie d’Érasme (1509-1511).

Page 48.

1. L’allusion à la fable du « corbeau », qui poursuit les métaphores animales, est utilisée de la même manière par Horace dans ses Satires (II, v, 55).

Page 49.

1. L’âne qui passe « pour un docteur en divinité » apparaît dans l’ouvrage d’Érasme où Folie raconte comment se camoufle la bêtise.

Page 50.

1. L’allusion aux « harpies », monstres fabuleux à tête de femme, corps d’oiseau et griffes acérées, vient compléter le bestiaire et la mise en place de la thématique de la rapacité.

Scène III
Page 54.

1. « Les hommes de votre noble profession » : la satire des avocats, présentée sous forme d’éloge, comme celle des médecins dans la scène suivante, a son original chez Heinrich Cornelius Agrippa von Nettesheim (1486-1535), De incertitutine et vanitate scientiarum et artium (1530), texte très célèbre et traduit dans plusieurs langues au XVIe siècle.

Scène IV
Page 60.

1. La « scotomie » ou vertigo est un mot ancien pour désigner un vertige accompagné d’éblouissement.

Page 61.

1. « L’aurum potabile » (« or potable »), potion contenant des particules d’or, était considéré comme un remède à tous les maux.

Page 66.

1. « Va te faire pigeonner, corbeau » : l’original anglais joue sur les deux sens de rook (« se faire berner » et « corneille ») et multiplie ainsi les références aux oiseaux.

2. Le fils de Corbaccio, déshérité, sera privé de la « bénédiction du père », allusion à la manière dont Jacob bafoue les droits de son aîné Ésaü (Genèse, XXVII).

Page 67.

1. Le début du discours sur les « vieillards » est largement inspiré de Pline l’Ancien (Histoire naturelle, VII, LI [L], 2).

Page 68.

1. « Éson », père de Jason, retrouva la jeunesse grâce à la magie de Médée.

Scène V
Page 70.

1. Les rires des héritiers « camouflés » en larmes sont encore un écho d’Horace (Satires, II, v, 103).

1. « Comme dans un brouillard » est une équivalence de l’original anglais (No more than a blind harper : « pas plus qu’un harpiste aveugle ») qui est proverbial et n’a pas d’équivalent en français.

Page 75.

1. « Tudieu, je m’étonne de l’intrépidité / De ces téméraires Anglais » : les Italiens, qui avaient la réputation de cloîtrer leurs épouses — voir l’ouvrage du voyageur anglais Coryat (Coryats Crudities [« Morceaux sans apprêt »], 1611) —, étaient censés s’étonner de la liberté que les Anglais accordaient aux leurs.

ACTE II
Scène I
Page 78.

1. « Notre ambassadeur » : Sir Henry Wotton fut en poste à Venise, en particulier de 1604 à 1612, et certains critiques voient en lui l’original de Sir Politic Would-Be (Sir Jacasse Politique).

2. « Le pigeon » fait ici écho au corbeau pour rendre le jeu de mots raven / gull (« mouette », mais aussi « dupe »).

Page 79.

1. « Lionceau », etc. : ces événements sont rapportés par l’historien John Stow (1525 ?-1605) dans ses Annales aux dates du 5 août 1604 et d. février 1605.

2. L’« étoile » fut découverte par Kepler en 1604 dans la constellation du Serpent. Les allusions qui précèdent et qui suivent, souvent sorties des Annales de Stow, exploitent les superstitions contemporaines et permettent aussi de dater la pièce.

1. La flotte marchande anglaise avait été déplacée depuis Hambourg jusqu’à ce port de « Stode » ou Stade, situé à l’embouchure de l’Elbe.

2. « Ambrogio Spinola » (1569-1630) commanda l’armée espagnole aux Pays-Bas à partir de 1604.

3. « Stone, le bouffon » était connu pour avoir traité le Lord Admiral de sot au printemps de 1605, ce pour quoi il fut fouetté.

Page 81.

1. « Alors Stone est bien mort » : l’expression anglaise stone dead joue sur le nom du bouffon et sur l’expression qui signifie « raide mort » (nous tâchons de compenser la perte au début du vers suivant).

2. « Huîtres » et « coques » étaient des mets particulièrement prisés à la Cour.

Page 82.

1. « Mamuluchi » : ce pluriel italianisé fait référence aux mamelouks, d’abord milice d’élite au service des califes, puis dynastie de sultans d’Égypte de 1250 à 1517 ; ils sont ici comiquement transportés près de la Chine et assimilés à des babouins.

2. « Notre Jacquot » : traduction de « Sir Pol » ; voir la note sur les personnages (p. 35, n. 1).

Scène II
Page 84.

1. L’origine étymologique de « saltimbanque » (saltimbanco, de salta et banco) explique le lien qui existe en anglais entre le charlatan (mountebank) et le « banc » ou « l’estrade » qu’il installe (to mount a bank).

Page 85.

1. « Scoto de Mantoue », aussi appelé le Mantouan, acteur responsable de la troupe du duc de Mantoue, était connu comme jongleur en Angleterre, où il s’était produit à la cour d’Élisabeth Ire en 1576.

Page 86.

1. « A sforzato » signifie « de force », dans un italien un peu approximatif.

2. « La… le cuisinier du cardinal Bembo » : dans le texte anglais, Volpone insinue par une pause qu’il s’agissait de la maîtresse du cardinal. On racontait que Scoto avait été envoyé aux galères pour avoir offensé Pietro Bembo (1470-1547), cardinal et humaniste, natif de Venise.

3. « Tabarin » (1584-1633), de son vrai nom Antoine Girard, bateleur et comédien admiré par Molière.

4. « Ces voyoux merdeux-affreux-hideux-pouilleux-miteux-péteux » : certains critiques ont trouvé des kyrielles d’insultes similaires chez Aristophane.

Page 87.

1. « Scartoccios » : petits sacs de papier utilisés par les apothicaires.

1. « Zan Fritada » : le nom de ce clown célèbre à l’époque a aussi des résonances alimentaires.

2. « Hugh Broughton » (1549-1612), savant et puritain, est aussi raillé dans l’autre célèbre comédie de Jonson, L’Alchimiste (1610).

3. « L’élixir de Lulle » : au XIVe siècle, un vaste corpus alchimique (aujourd’hui considéré comme apocryphe) fut attribué à Raymond Lulle (1235-1315), philosophe et mystique chrétien né à Majorque ; on lui prêtait ainsi la découverte de l’élixir de longue vie, thème qui reviendra dans L’Alchimiste.

4. « Le Danois Gonswart » reste non identifié.

5. On racontait que « Paracelse » (1493-1541), médecin et alchimiste suisse, conservait ses élixirs dans le pommeau de son épée.

Page 91.

1. Le « gazet » est une menue monnaie vénitienne, comme l’indique la remarque de Pèlerin ; c’est ce que désignent aussi « moccenigo » et « bagatine » dans la réplique suivante de Volpone.

1. « Signior Flaminio » : Flaminio Scala (mort après 1620) était, à Venise, un acteur renommé de la commedia dell’arte à laquelle tout ce discours fait allusion à travers « Franciscina », personnage de servante, et « Pantalone di Besogniosi » (dei bisognosi — « des nécessiteux » —, en italien moderne) : vieillard en pantoufles souvent présenté comme le prototype du cocu.

Scène IV
Page 95.

1. « Le foie » était alors considéré comme le siège de la passion.

Page 96.

1. « Couronne » : jeu de mots courant qui fait allusion à la fois à la pièce de monnaie et au couronnement de ses espoirs.

Scène V
Page 97.

1. L’utérus fut très longtemps considéré comme le siège de l’« hystérie » ; il y a aussi un sous-entendu sexuel en anglais à fricace for the mother, où le dernier terme désigne à la fois la « mère » et l’« utérus ».

Page 98.

1. « Madame Vanité » : personnage des Moralités médiévales.

1. « Derrière » : la frénésie injustifiée de Corvino, traduite en anglais par la répétition de backwards (« en arrière », « vers l’arrière »), débouche sur un sous-entendu salace inconscient qui concourt à ridiculiser le mari jaloux.

Page 101.

1. « Chercher immédiatement une jeune femme / Gaillarde et pleine de sève, pour coucher avec lui » : voir l’histoire de David, réchauffé, dans sa vieillesse, par la jeune Abishag (I Rois, I).