3.3.

La surface et les signes


3.3.1. L’espace scripturaire

CONSTANTES

Traiter de la représentation en termes d’« écriture » revient à poser la question du système qui sous-tend le procès figuratif et des constantes à partir desquelles celui-ci se laisse décrire et analyser. Mais la référence à l’écriture n’implique pas que cette question doive logiquement se résoudre en la mise au jour d’un répertoire fini d’éléments et en l’inventaire exhaustif de leurs possibilités combinatoires. Là même où l’écriture sous ses espèces phonétiques, syllabique ou alphabétique, apparaît comme le simple redoublement d’une parole dont elle dérive et de laquelle elle offre une manière d’analyse plus ou moins poussée, elle ne se laisse pas ramener à une série finie de procédés de notation. Avant même de connaître de la lettre d’un texte écrit, la lecture s’oriente sur un ensemble de marques qui manifestent l’appartenance de ce texte à l’espace où il s’inscrit et que cette inscription constitue, produit au titre d’espace scripturaire. Parmi ces marques, il en est — la succession, l’espacement des lettres et la séparation des mots qui en résulte1, la ponctuation même — qui sont dans la dépendance, directe ou indirecte, du système de la notation phonétique et qui ressortissent comme telles à l’ordre du signe ; d’autres correspondent à l’ordre de l’inscription proprement dit, lequel n’est pas seulement linéaire : la disposition des mots sur la page, l’ordonnance des lignes et éventuellement des paragraphes, les marges, etc., — pour ne rien dire de traits qui peuvent être qualifiés d’extérieurs, comme c’est le cas pour la qualité de la graphie, la nature du support, son format, son grain, etc., et pour cela encore qui demande à être lu « entre les lignes ».

Il reste que l’écriture phonétique, dans la mesure où elle forme système, a sa raison en dehors d’elle : pour fugitive que soit la parole qu’elle immobilise, c’est cette parole qui fournit le texte qu’elle a pour fonction de fixer ; et si elle se laisse déchiffrer, c’est par référence à l’ordre linguistique, à une langue (ou à un type de langue) dont il se peut qu’elle livre l’accès. L’histoire de cette écriture, pour jalonnée qu’elle soit par une suite de progrès (dans le sens de la simplification), est aussi celle d’une déchéance : de moyen d’expression autonome, l’écriture est tombée au rang de simple substitut de la parole2, le modèle phonétique n’ayant en définitive d’autre privilège que celui de l’efficacité, et d’une transparence proche de l’effacement. L’écriture picturale, au contraire, fût-ce sous l’espèce représentative, ne vise pas nécessairement à la simplicité, et moins encore à l’effacement. Et quant à l’efficacité, les effets auxquels elle prétend ne sont pas ceux du langage : comment le seraient-ils, alors que cette écriture, au même titre que celle du rêve, ne dispose en toute rigueur que de moyens visuels pour rendre les concepts et les relations que la langue sait exprimer par des mots, des désinences, des flexions, etc. ? Là même où les figures paraissent ordonnées à un texte, à un récit, et où le « sujet » de l’image se laisse développer et expliquer selon les voies du discours, cette image, ces figures ne sont ni le double ni l’ornement d’une parole préalable. Le récit pictural a ses lois, il obéit à ses principes propres ; mais en dehors de toute perspective narrative, la grammaire qui régit l’organisation des éléments figuratifs sur une surface à deux dimensions n’emprunte pas davantage aux mécanismes du langage par le moyen duquel l’interprète tâche à rendre compte de l’image de peinture, à la décrire, à l’analyser. Et l’on ne voit pas, encore une fois, qu’une approche systématique du fait pictural implique comme sa condition ou sa fin nécessaire la production d’un code. L’interprète est ici dans une situation voisine de celle de l’analyste auauel il appartient de découvrir la grammaire du rêve à mesure qu’il progresse dans son déchiffrement, et sans pouvoir espérer exhiber à aucun moment le système à partir duquel le rêve se laisserait ensuite lire et traduire sans reste3. Mais là où l’analyste connaît d’une « écriture » qui ressortit à l’ordre anhistorique de l’inconscient, on ne saurait feindre d’ignorer la diversité, l’hétérogénéité des mécanismes syntaxiques en vertu desquels une interprétation sémantique aura été associée, historiquement parlant, à des complexes de signes iconiques. L’écriture picturale, à la différence de celle du rêve, a une histoire : le problème, pour la théorie, est de ne pas céder à la tyrannie d’un humanisme qui ne voudrait connaître des produits et des époques de l’art — comme de tout autre fait humain — que dans leur singularité, leur individualité, et qui tiendrait pour illégitime, voire inadmissible, la recherche des invariants, des constantes historiques et/ou transhistoriques à partir desquelles le fait plastique se laisserait définir dans sa généralité, sa structure fondamentale, et dont la production théorique apparaît comme la condition d’une histoire de l’art rigoureuse, sinon scientifique.

PERSPECTIVES

La question du lieu de l’expérience picturale, ou pour mieux dire de l’écriture picturale dans sa relation à son support, et des signes qu’elle met en jeu dans leur rapport à l’espace qu’ils instituent de par leur arrangement, leur succession, leur disposition, cette question ressortit de toute évidence à une problématique généralisée : l’écriture picturale produit, positivement ou négativement, son support — soit qu’elle appelle la toile, le panneau, le mur à fonctionner au titre de composante médiate ou immédiate de l’image, comme c’est le cas dans les arts prétendus « de la surface » ; soit qu’elle les nie dans leur substantialité, dans leur matérialité même, en substituant à la perception d’un plan celle d’un espace illusionniste à trois dimensions : on dira alors que la peinture « troue » le mur, qu’une coupole « ouvre » sur le ciel, etc. Dans les deux cas — dont chacun prête à des variations qui peuvent différer radicalement dans leur principe autant que par leurs effets — le traitement de l’espace pictural répond, par-delà toute visée décorative ou illusionniste, à des fonctions proprement syntaxiques : soit — encore — que le support accueille des figures et des signes apparemment hétérogènes, mais dont la réunion sur une même surface obéit, jusque dans ses modalités stylistiques, à des impératifs de nature sémiotique, ou que l’espace feint, suggéré ou construit par les moyens de la peinture et/ou d’une géométrie, apparaisse comme le réceptacle des êtres et des objets qui le peuplent et dont la disposition, l’espacement, les relations sont apparemment réglés par une légalité elle-même illusionniste, conçue à l’imitation de la légalité naturelle.

Formulée en ces termes, la question semble devoir exclure toute recherche comparative portant sur les disjecta membra de systèmes dont la théorie ne ferait que postuler l’existence, sans jamais les produire explicitement. A l’inverse, s’agissant de systèmes non finis, non clos, et peut-être non systématiques, mais qui paraissent néanmoins obéir à un certain nombre de constantes, les unes particulières et qui garantiraient l’identité d’un système historique donné à travers la diversité de ses manifestations, les autres générales, constitutives du fait pictural en tant que tel, et dont la mise au jour assurerait au projet d’une histoire scientifique de la peinture le fondement qui lui fait défaut, la théorie, au moins dans un stade préliminaire, doit s’assigner pour tâche de travailler à éliminer le particularisme des concepts qui constitue l’écueil principal d’une histoire de l’art purement descriptive et conçue sur le modèle d’une philologie. Ce particularisme peut se traduire de bien des façons, revêtir des formes diverses, quand ne l’oblitère pas telle généralisation abusive, qui intervient le plus souvent à l’étage du « style » (comme on le voit par l’extension très lâche des concepts de « baroque » ou de « maniérisme » dans le discours de l’histoire de l’art). Mais sur un plan plus strictement formel, la confusion n’est pas moins grande. Pour nous en tenir à un seul exemple, il est vrai topique à ce point du développement, il aura fallu à Panofsky un travail considérable (et dont les résultats sont loin d’être acquis) pour démontrer que la notion classique de perspective linéaire à point de fuite unique ne suffit pas à rendre compte des avatars historiques d’une forme symbolique (Symbolische Form, dans le langage de Cassirer) qui répond à une définition beaucoup plus générale : étant admise « la possibilité de figurer (Darzustellen) plusieurs objets, en même temps que la portion d’espace où ils se trouvent, de telle façon que la représentation (Vorstellung) du support matériel de l’image soit remplacée par celle d’un plan transparent à travers lequel nous croyons apercevoir ces mêmes objets disposés en succession apparente dans un espace imaginaire qui n’est pas limité, mais délimité par les bords du tableau4 », la perspective apparaît comme « l’une des formes symboliques à travers lesquelles un contenu spirituel se lie à un signe sensible concret (an eines konkretes sinnliches Zeichen) jusqu’à s’identifier à lui. Dans ce sens, il devient essentiel, s’agissant des différentes époques et provinces de l’art, de décider non seulement si elles ont connu la perspective, mais encore quelle sorte de perspective elles ont connue5 ».

On ne saurait formuler plus clairement la relation qui unit la théorie à ses applications concrètes, ni mieux mettre en lumière la fonction taxinomique du concept : la définition de la perspective au titre de forme symbolique conduit à distinguer entre les époques et les provinces de l’art qui l’ont ignorée et celles qui l’ont pratiquée sous l’une ou l’autre de ses espèces. Encore une telle distinction est-elle moins fondée théoriquement qu’historiquement, marquée qu’elle est, dans son énoncé, au sceau d’un préjugé culturel qui veut que des systèmes picturaux aussi étrangers qu’on voudra à l’espace idéologique de la Renaissance occidentale des XVe et XVIe siècles reçoivent d’entrée de jeu une caractérisation négative, fondée sur l’absence de tout lien avec un ordre perspectif, quel qu’il soit, au lieu que les systèmes où ce lien est attesté s’ordonneraient suivant les voies d’une progression qui irait des premières esquisses d’une profondeur illusionniste, à l’époque hellénistique, jusqu’à la méthode de construction géométrique de l’espace représentatif, mise au point par les contemporains de Brunelleschi et d’Alberti. Les constantes dont la théorie aurait à connaître, ces constantes seraient d’ordre essentiellement historique, et liées à la lente conquête, à la naissance et à la re-naissance, après l’intervalle médiéval, d’un espace projectif à trois dimensions qui aurait trouvé sa définition la plus achevée dans l’œuvre d’un Paolo Uccello ou d’un Jan van Eyck. Une vision pareillement téléologique se justifierait sans doute mieux si, plutôt que de subordonner les développements de l’art occidental au progrès des techniques de réduction planimétrique et aux accomplissements des perspectivistes des XVIe et XVIIe siècles (accomplissements souvent paradoxaux, sinon aberrants, comme en témoignent quantité d’anamorphoses et autres « perspectives curieuses » — on y reviendra), elle trouvait à s’articuler dialectiquement à partir d’une problématique beaucoup plus générale : celle-là de la figure et du fond, de l’espace scripturaire où les signes s’ordonnent. La peinture hellénistique aurait alors en commun avec celle de la Renaissance de substituer à la visée du plan pictural, dans sa réalité matérielle, celle d’une profondeur feinte où s’abolirait toute référence à la surface sur laquelle s’enlèvent les figures, référence qui apparaît au contraire décisive dans l’art byzantin et l’art médiéval (au moins jusqu’au point où le vitrail aura commencé de supplanter le mur : le vitrail, c’est-à-dire, à la lettre, une première « fenêtre » de peinture, qui n’était à vrai dire pas conçue pour laisser la vue se porter au-delà, mais pour jouer, pour disposer de la lumière qui la traversait).

3.3.2. Syntaxes

ANTIQUITÉ DU PROCÉDÉ

Qu’ils aient emporté ou non l’institution d’un ordre perspectif et la négation du support matériel des signes iconiques, les différents systèmes d’écriture picturale qui furent en honneur, à une époque ou une autre, dans l’Occident chrétien, ont fait place, sous des espèces diverses et dans une mesure plus ou moins étendue, à des unités figuratives que l’analyse, procédant selon les voies du langage articulé, épingle du mot nuage. L’imposition d’un nom ne suffit certes pas à garantir l’identité des unités dénotées ; on y a déjà insisté : pour identiques qu’elles soient du point de vue de l’analyse du texte pictural en ses constituants iconiques, les unités dénotées nuages constituent, au regard de leur texture formelle aussi bien que des fonctions qu’elles assument dans les divers contextes et aux différents niveaux considérés, autant d’objets distincts. Et cependant, par-delà les délimitations qu’introduit une périodisation conçue en termes strictement stylistiques, par-delà la différenciation des niveaux qu’impose l’analyse, l’occurrence de ces unités répond, au moins dans le registre des signifiés, à une donnée commune : le nuage intervient dans le texte figuratif là où il est question non seulement des rapports entre la terre et le ciel, mais entre l’ici-bas et l’au-delà, entre un monde qui obéit à ses lois propres et l’espace divin dont nulle science ne saurait connaître. On a vu à quelles fonctions syntaxiques le nuage satisfait dans l’écriture giottesque, et comment le peintre d’Assise aura eu recours à ce signe pour soustraire le saint à l’espace commun et l’introduire dans celui de la contemplation, du ravissement mystique. Mais de semblables emplois du nuage sont attestés à une époque très reculée : étudiant les mosaïques de la nef de Sainte-Marie-Maieure à Rome — lesquelles datent du règne de Sixte III (432-440) —, André Grabar a vu l’intérêt qui s’attache à l’utilisation qui en est faite dans certains panneaux illustrant les épisodes les plus saillants des histoires d’Abraham et Jacob et de Moïse et Josué. C’est dans la Vision d’Abraham et la Lapidation de Moïse, Caleb et Nun que l’on noterait pour la première fois l’occurrence de la nuée divine accompagnant une théophanie et celle du nuage qui dérobe un personnage à la vue et aux coups de ses adversaires. Si Grabar croit devoir observer que « cette façon […] de faire comprendre le caractère providentiel de l’histoire est antique quant à la forme mais n’a connu le succès que dans l’iconographie chrétienne », il n’y voit pas moins une « retouche » apportée par les mosaïstes romains aux modes hellénistiques de représentation d’une épopée6. Retouche peut-être, mais qui témoigne de la prise en compte d’une discontinuité radicale et — tout à la fois — de la possibilité d’une communication entre le monde humain et l’ordre divin, et de la nécessité qui en découle pour le peintre d’élaborer des mécanismes figuratifs qui puissent servir à représenter l’intervention de personnages célestes dans les affaires humaines.

Le nuage n’apparaîtrait-il dans l’écriture giottesque qu’à titre d’archaïsme, de survivance7 ? S’agissant de l’Extase d’Assise et de la Lapidation de Rome, les signifiés sont parfaitement superposables : dans les deux cas, la nuée est l’instrument d’une soustraction ; dans les deux cas, elle introduit dans le champ pictural une différenciation, quelque chose comme une faille, une rupture qui manifeste figurativement la précarité de l’ordre humain, constamment exposé à la déchirure du miracle. Mais ce signifié ne suffit pas à rendre compte des fonctions d’un élément qui assume dans l’un et l’autre contexte une valeur sensiblement différente. A Sainte-Marie-Majeure comme à l’église supérieure d’Assise, l’imagerie prend le mur pour support. Mais là où, à Rome, on a d’abord affaire à un décor qui, loin de nier la paroi, l’enrichit au contraire de son éclat, à une suite d’illustrations dont l’ordonnance générale obéit à des principes ornementaux, et qui n’ont d’autre unité que celle que leur confère le compartimentage où elles s’inscrivent, le récit d’Assise emporte, jusque dans son cadre d’architecture en trompe l’œil, la définition d’un espace autonome et unifié, où il trouve à déployer ses figures. Chaque scène a son unité. Mais cette unité s’accroît de la cohérence de l’ensemble, telle qu’elle se manifeste d’emblée par l’intensité de la couleur, l’échelle des figures, l’élan de la narration et — plus secrètement — par la rigueur et l’homogénéité des principes dramatiques. Pour les mosaïstes de la Rome du Ve siècle, la nuée n’est rien qu’un signe de ponctuation (une façon de parenthèse) qui emprunte son sens de la position qu’il occupe dans une séquence linéaire. Avec le peintre d’Assise, elle accède au rang d’un outil proprement syntaxique dont la valeur est liée aux structures spatiales du champ où elle s’inscrit, et par le moyen duquel les mesures humaines du drame sont localement suspendues.

Sans quitter le terrain romain (qui constitue un champ de référence privilégié du fait qu’il est le seul où la continuité de l’art chrétien soit attestée depuis la fin de l’Antiquité jusqu’à l’époque moderne), on peut voir le nuage fonctionner dans des conditions très différentes. Tel est le cas des nuages dont étaient semées les mosaïques qui ornent les absides et les arcs des basiliques romaines antérieures à l’an mil. A l’église des Saints-Cosme-et-Damien (VIe siècle, planche IVA), comme à Sainte-Praxède (IXe siècle), le Christ est isolé d’un fond bleu sur lequel il s’enlève par une manière d’écran, de grille discontinue, composée de petits strato-cumulus bleus et rouges, nettement délinéés et régulièrement alignés. On retrouve ces mêmes nuages sur l’arc des Saints-Nérée-et-Achille (VIIIe siècle), où le Christ triomphant est flanqué de deux groupes de fidèles en prière. A Sainte-Agnès-hors-les-murs (VIIe siècle) et à Sainte-Praxède, ils entourent la main du Créateur qui apparaît au sommet de la voûte à l’intérieur d’une suite d’anneaux concentriques, conformément à un schéma symbolique traditionnel qu’on retrouvera encore au XIIe siècle dans l’abside de Saint-Clément ou à Sainte-Marie-du-Trastevere. Dira-t-on que les mosaïstes romains ne se sont pas souciés d’établir leurs figures dans un lieu imaginaire et qu’ils se sont contentés d’organiser les surfaces qui leur étaient données à couvrir, d’y définir des zones qualitativement différenciées où inscrire les effigies sacrées (comme s’ils avaient entendu affirmer, par le refus de tout illusionnisme, la valeur spirituelle de l’image en tant que telle — surface peinte ou décorée — alors que se déchaînait à Byzance la fureur iconoclaste) ? Il est sûr que l’ordonnance de ces icônes obéit à des règles avant tout conceptuelles et décoratives : le nuage n’y est point utilisé pour sa valeur pittoresque mais à titre de marque, de déterminatif conventionnel.

Panofsky a bien dit comment, dans le premier art chrétien et plus encore dans l’art byzantin (qui n’a jamais réussi à se couper tout à fait de la tradition antique), le lieu où s’inscrivent les figures, loin qu’il se réduise à une surface opaque, négative, apparaît plutôt comme un film lumineux qui dénote — mais ne « reproduit » pas — un environnement spatial8. Les nuages qui isolent la figure du Christ d’un fond uniformément bleu introduisent une modulation dans la profondeur colorée : la figure s’établit devant eux, en deçà de l’écran transparent au-delà duquel la couleur (la lumière) règne sans partage. Le nuage — ou la nuée de lumière qui remplit les mêmes fonctions9 — marque comme théophanie l’icône divine qu’il isole du reste de l’image, et du « ciel » sur lequel elle s’enlève autant que du « sol » où sont établis les témoins dont la médiation paraît indispensable à la manifestation du sacré. Déjà, à Sainte-Marie-Majeure, l’un des trois visiteurs célestes que reçoit Abraham est entouré d’un ovale lumineux, tandis que quelques nuées les séparent, dans le sens horizontal, du patriarche qui les accueille ; dans la Rencontre d’Abraham et de Melchisédech, au-dessus du groupe de cavaliers à la rencontre desquels s’avance le prêtre, une figure — celle du Dieu de l’Ancien Testament10 ? — émerge à mi-corps d’un rang de nuages, le clivage entre les deux registres étant souligné par l’opposition du fond or, qui correspond au niveau humain du récit, et du fond bleu où s’inscrit la figure divine, laquelle est ici en position de témoin. Mais ces représentations procèdent en fait d’un tour très élémentaire, et qui remonte aux premiers siècles de l’ère chrétienne : à Doura-Europos, la main de Dieu associée à un petit nuage intervient dans la représentation du sacrifice d’Abraham, comme elle le fera encore, quelques siècles plus tard, à Saint-Vital de Ravenne11. Le même tour se retrouvera régulièrement, sous des espèces non moins élémentaires, à travers tout le Moyen Age, chez Giotto, et bien au-delà : mais il prendra alors la valeur d’un archaïsme délibéré et sans conséquence au niveau du système, dont il fera au contraire ressortir les coordonnées, au lieu que les fonctions assignées au /nuage/, considéré comme outil syntaxique, connaîtront un retentissement toujours plus considérable.

MASOLINO

Un petit panneau de Masolino conservé au musée de Naples offre un bon point de repère, à la fois historique et systématique. Par la référence qu’il implique à un édifice dont le décor marque un jalon important dans le développement de l’iconographie chrétienne et même, comme on l’a vu, dans celle de la problématique du /nuage/, le titre de ce panneau manifeste la continuité de la tradition culturelle où il s’inscrit : la Fondation de Sainte-Marie-Majeure (planche V) illustre la légende selon laquelle la Vierge serait apparue au pape Libère pour lui ordonner de fonder une église sur l’Esquilin, en un lieu que l’on trouverait couvert de neige. La partie inférieure de la composition montre, entre deux rangs d’édifices disposés en perspective accélérée, à la façon d’un décor de théâtre, le pape traçant sur le sol le plan, lui-même figuré en fort raccourci, de la future basilique. Faisant écho à la fuite très prononcée des lignes architecturales, une suite de nuages régulièrement distribués, et qui vont en diminuant vers l’horizon, sépare de cette scène le registre supérieur où le Christ et la Vierge sont représentés dans un médaillon, en buste et à une échelle plus grande que les autres personnages. Mis en perspective, mais traités de manière assez peu « réaliste », les nuages participent à la fois des deux registres, l’un descriptif et illusionniste, l’autre frappé d’une effigie sacrée12 : ils n’assurent pas tellement une transition entre les deux étages de la composition qu’ils ne partagent celle-ci en deux zones distinctes et dont chacune obéit à des principes figuratifs différents. Le Christ et la Vierge, dans leur médaillon, se présentent moins comme une apparition (aucun des personnages de la scène principale ne dirige ses regards vers eux) que comme un sceau, une estampille qui confirme le caractère miraculeux de l’événement. Le Christ qui montre la scène du doigt est ici en position de témoin : la composition est donc analogue, dans son principe, à celle de la Rencontre d’Abraham et de Melchisédech, évoquée plus haut, à ceci près qu’elle satisfait de façon presque outrancière, dans son registre inférieur, aux principes du régime perspectif, pour les ignorer, non moins ouvertement, dans le registre supérieur. Cette opposition dénote, par son excès même, le miracle qui aura été à l’origine de la fondation de la basilique. Mais elle ne prend figure d’opposition que par l’introduction, à la jointure des deux registres, d’un élément-charnière qui en assure l’articulation. Qu’on supprime par la pensée l’amas de nuées qui partage le panneau en deux zones à peu près égales : l’image perd une bonne part de sa profondeur, au sens propre comme au sens figuré. Car ces nuées, d’une part, dessinent, dans leur fuite réglée, une manière de « toit », de couverture qui renforce l’effet perspectif recherché dans le registre inférieur, et, d’autre part, elles font que le message littéral, dénoté par le titre dont l’image s’accompagne, peut servir de support à un sens second, connoté, de nature théorique. L’opposition modulée par le nuage signifie bien autre chose que ce qu’elle dénote : elle emporte une série de questions sur le statut du « code » perspectif et les exclusions qu’il commande, la contradiction — peut-être — qui fait son ressort.

3.3.3. L’histoire et la géométrie

L’OFFICE DU PEINTRE

Le régime perspectif se prête-t-il à la représentation de phénomènes qui déchirent les mesures ordinaires de l’ordre humain ? Ou encore : les interventions divines, l’ouverture de ce monde-ci sur l’au-delà et, plus généralement, les échanges mystiques — voire seulement physiques — entre la terre et le ciel fournissent-ils matière à représentation alors que la figuration paraît s’assujettir à un principe d’organisation du champ pictural qui impliquerait comme son corollaire que l’espace illusionniste construit par les moyens de la géométrie soit régi par des règles analogues aux lois qui ont cours dans l’univers empirique : soumission des corps et des objets à la pesanteur, limitations imposées par celle-ci à leurs déplacements, etc. ? De telles représentations ont-elles même leur place dans ce système, sauf pour les manifestations surnaturelles ou les événements miraculeux à se laisser réduire aux normes communes de la perception, de la vision ? Le Della Pittura d’Alberti, ce livre — comme l’écrit son auteur — qui n’est pas une histoire mais un art — une théorie — de la peinture, le premier du genre13, énonce que le peintre ne doit s’attacher à feindre que cela qui se voit : des choses que l’on ne peut voir, il n’en est aucune qui soit de son ressort, (Delle chose quali non possiamo vedere, niungo nega nulla apartenersene al pictore. Solo studia il pictore fingiere quello si vede, I, p. 55). Son office consiste à « circonscrire (descrivere) avec des lignes et à teindre (tigniere) avec des couleurs, sur le mur ou sur le panneau qui lui est offert, les surfaces apparentes d’un corps quelconque, sous une certaine distance et dans une position donnée du point centrique, de telle façon qu’elles paraîtront être en relief et très semblables aux corps réels14 ».

Il importe de souligner d’entrée de jeu que la peinture, ainsi entendue, n’a de sens que par rapport à l’istoria, laquelle est la grande affaire du peintre (summa opera del pittore, III, p. 111). L’istoria, c’est-à-dire la composition des corps qui lui sont ordonnés par la grandeur et la fonction, à quoi se résume le génie du peintre15. Celui-ci ne saurait apporter trop de soin à la mise en place de chaque chose, chacune en son lieu (a suo luoghi, II, p. 91). Dans l’istoria, ce qui frappe et plaît d’emblée, c’est l’abondance et la variété des personnages, des animaux, des objets, des édifices, des paysages mêmes dont elle est peuplée16. Mais l’on n’en doit pas moins blâmer les peintres qui ne savent pas ménager de vides dans leurs compositions et qui les remplissent de figures en si grand nombre, et dans une telle confusion, que l’istoria, livrée qu’elle est au tumulte, n’a plus la dignité d’une action17. La remarque a son importance, dans la mesure où elle implique que l’on ne saurait définir l’économie de l’espace pictural en termes seulement géométriques : l’espace a une qualité dramatique, qui veut que le cadre scénique n’apparaisse pas comme le simple réceptacle des corps mais qu’il naisse, aussi bien, de leur composition, de leur disposition, de leurs relations, de leur jeu (de l’intervalle qui les sépare et qui joue en tant qu’articulation sans signification intrinsèque, condition négative de la permutation des figures, de leur surgissement même, mais qui acquiert, dans le contexte d’une représentation illusionniste unitaire, une valeur positive). La peinture est affaire de vides autant que de pleins (et la théorie doit être à même de rendre compte des uns et des autres, et trouver à les définir, dans leur statut respectif, sur un pied d’égalité18) ; mais elle est aussi affaire de pondération. Chaque figure joue en son lieu (a suo luoghi), auquel elle doit être proportionnée19, et il convient que ce lieu soit en rapport avec sa nature autant qu’avec sa situation. La diversité des gestes et des attitudes, la variété des mouvements du corps sont l’un des agréments majeurs de l’istoria. Mais si les mouvements visibles — les seuls dont le peintre ait à connaître20 — se définissent par rapport à un lieu et se ramènent à un déplacement (dont il existe sept espèces = a. vers le haut, b. vers le bas, c. à droite, d. à gauche, e. en s’éloignant, f. en s’approchant, g. en tournant en rond), il en est qui passent toute raison21, c’est-à-dire qui transgressent la règle qui veut que toute figure satisfasse par l’équilibre de ses parties, et toute position acrobatique étant exclue22, à des impératifs analogues à ceux de la pesanteur dans l’univers empirique. Une nuance donne, cependant, par contraste, plus de relief encore à la légalité dont le système porte la marque : on doit dans chaque mouvement rechercher la grâce et la beauté. Or les mouvements de tous les plus agréables et les plus vivants sont les mouvements de bas en haut, vers l’air, c’est-à-dire ceux qui contredisent à la pesanteur et manifestent la liberté des corps23. Et de même encore pour les cheveux, simile alle fiamme, et pour les vêtements, que leur poids entraîne cependant naturellement vers le sol, vers le bas : il sera bon que le vent les soulève et les agite, le vent qui souffle à travers les nuages (che soffi fra le nuvole24).

PERSPECTIVE ET RÉPÉTITION

L’impression d’apesanteur (et l’on songe ici à la Vénus et aux figures du Printemps de Botticelli, autant qu’à la Salomé de Lippi, etc.) peut avoir, en peinture, son charme. Elle n’existe, en tant qu’effet, qu’à proportion de son fondement illusionniste et du rapport sensible, « visible », entre le corps et l’espace où il se meut. C’est assez dire que la composition des corps, en quoi consiste l’istoria, présuppose la construction géométrique de l’espace. La perspective linéaire est un moyen au service de l’istoria, un moyen dont celle-ci ne saurait faire l’économie, qu’elle ne saurait prétendre à supplanter. Si fort que soit l’accent qu’Alberti fait porter sur l’istoria, summa opere dell’ pittore, on ne trouve pas trace, dans le Della Pittura, de la « perspective humaniste » que devait définir à Padoue, au début du XVIe siècle, le De Sculptura de Pomponius Gauricus. Le Della Pittura procède suivant les termes de l’optique (médiévale) : Alberti enseigne à construire un sol en échiquier, un volume en perspective, avant de traiter du raccourci et de la composition des surfaces et des corps. Chez Gauricus, au contraire, la perspective n’enseigne plus à peindre la scène, mais, d’emblée, à composer une histoire. Au même titre que la vraisemblance aristotélicienne, dont Robert Klein la rapproche à bon droit, elle apparaît moins comme un principe d’illusion que comme une règle d’unité, d’évidence (de lisibilité) : la clarté de l’istoria ne dépend pas seulement des intervalles entre les figures, mais de la quantité des figures qui les déterminent, de leur disposition25. Prétendre, comme le fait Gauricus, que le nombre des figures ressortit à la perspective26, n’est-ce pas substituer à la perspective illusionniste une perspective dramatique et, réaffirmant, par-delà le Quattrocento, la priorité du drame sur la scène où il s’inscrit, refuser de poser la question de la représentation par rapport au lieu, à la scène où elle prend place et qui la définit dans sa structure fondamentale, pour la réduire à un problème d’expression, sinon de direction d’acteurs (les « interprètes » du drame et ses « figurants ») ?

La distinction qu’introduit le Della Pittura entre géométrie et histoire a une tout autre portée. La règle à suivre dans la construction d’un sol en échiquier et des parois verticales correspondantes, cette règle a rapport à la composition27 : elle est le préalable indispensable à l’istoria. Préalable « pratique » (la construction perspective fournit la mesure du raccourci des figures) mais surtout préalable théorique : dans le texte d’Alberti, la condamnation de la méthode artisanale qui permettait de déterminer l’échelonnement des lignes transversales du pavement par diminution mécanique des intervalles vient immédiatement à la suite de la définition du plan figuratif comme fenêtre ouverte, à travers laquelle le peintre est censé voir ce qu’il va peindre28. Mais cette définition présuppose elle-même celle de la peinture comme représentation, sur une surface donnée, de l’intersegatione de la pyramide visuelle sous une distance déterminée de l’œil et dans une position calculée du point centrique29. Le peintre doit donner à ses figures l’apparence de la réalité qu’il prétend imiter : encore faut-il qu’il soit équipé pour cette tâche. C’est à quoi aura visé la méthode de construction perspective dont l’architecte Filipo Brunelleschi est traditionnellement présenté comme l’inventeur. Or cette méthode n’a, dans son principe, rien d’empirique, ni même d’expérimental — sauf à concevoir l’expérimentation comme une interrogation systématique : la coupure qu’elle aura introduit dans le développement de l’art (et dont les contemporains ont eu la conscience la plus nette), cette coupure est de nature essentiellement théorique30. Comme le fera Galilée pour la science de son temps, Brunelleschi a doté les peintres du Quattrocento d’un « langage » qui devait leur permettre d’interroger la nature, le monde extérieur, et d’en interpréter les réponses31. Ce langage, ou, si l’on veut, ce « modèle » (au sens épistémologique du terme) où l’office du peintre tel que le définit Alberti trouve sa condition, n’est autre que celui de la perspectiva artificialis (la perspective des peintres, par opposition à la perspectiva naturalis de l’optique médiévale) telle que l’instituèrent, au début du siècle, les fameuses machines optiques de Brunelleschi où le principe du nouveau système, par la coïncidence qu’il impose du point de fuite avec le point de vue, aura trouvé sa première illustration théorique : dans la première des deux expériences que relate la Vita de Brunelleschi attribuée au mathématicien Manetti, l’observateur était censé placer son œil au revers d’un panneau où étaient figurés en perspective le Baptistère de Florence et la place qui l’entoure, en un point correspondant au point de fuite de la construction, et regarder à travers un trou pratiqué à cet endroit le reflet de cette image dans un miroir disposé parallèlement au plan du panneau, à distance convenable, obtenant ainsi une vue analogue à celle qu’il aurait pu avoir de la place depuis la porte de la cathédrale, soit le lieu même où Brunelleschi s’était placé, au moins idéalement, pour établir son épure32.

Le Della Pittura passe sous silence la décision, le véritable coup de force intellectuel qui fait le fond de la révolution théorique à laquelle est attaché le nom de Brunelleschi (la coïncidence affirmée, sur le mode spéculaire, entre point de fuite et point de vue). Mais la définition qu’il donne de l’office du peintre n’a de sens qu’au regard de cette révolution. Le peintre a pour fonction de délinéer et de color(i)er les surfaces, les superficies qu’il construit à l’imitation de celles des corps vus à une distance et sous un point de vue déterminés : c’est assez dire que la conception autant que l’exécution de l’istoria sont dans la dépendance directe du système représentatif dont Brunelleschi a produit la théorie. Et le miroir, s’il est pour le peintre un si bon guide, s’il l’aide à juger des qualités et des défauts d’une peinture33, c’est dans la mesure où il introduit entre l’œil et l’image peinte (comme déjà le faisait la machine de Brunelleschi) la distance d’un redoublement, d’une répétition. Mais le redoublement qui est au principe de la représentation n’est pas seulement spéculaire : il prend, chez Alberti, figure et valeur de redoublement scénique : par une façon de repetitio rerum, le peintre commence par construire la scène où l’histoire, ensuite, viendra s’inscrire et où chaque chose trouvera sa place34.

3.3.4. Intarsia II

« La prospettiva è di tale natura ch’ella fa parere il piano rilievo e’l rilievo piano. » LÉONARD DE VINCI, A., 38b

(RICHTER, no 41, t. I, p. 126).

LE PARADIGME DE LÉCRITURE

On comprend alors l’importance reconnue à la géométrie dans la formation du peintre aussi bien que la place (la première) assignée au dessin — assimilé à la délinéation — parmi les parties de la peinture. Celui qui ne sera pas versé dans la géométrie n’entendra rien aux éléments de la peinture, pas plus qu’il n’en comprendra les règles. Le peintre ne veut connaître que des choses visibles, c’est-à-dire de celles qui occupent un lieu35. S’il fait référence à l’optique scientifique, c’est pour lui emprunter les concepts nécessaires à ses démonstrations : peu lui importent le mécanisme de la vision, le rôle et la nature de l’œil, etc.36. Le « je parle en tant que peintre » (Parlo come pittore) doit être pris à la lettre : pour le peintre, dont les raisons ne sont pas celles du mathématicien, le champ du visible équivaut à ce qui peut s’inscrire (être projeté) sur un plan et se laisse ramener à un jeu, à une construction réglée de surfaces saisies sous des angles divers, dont chacune est définie, dé-signée par son contour, et qui s’articulent les unes aux autres en fonction du point de vue adopté pour composer des figures et des scènes, à la façon dont les lettres s’ordonnent pour former des mots et des phrases37. Le travail de peinture est travail d’inscription, et son apprentissage n’est pas sans rapport avec celui de l’écriture : « Je veux que les jeunes gens qui débutent aujourd’hui dans la peinture observent ce qu’on voit faire aux maîtres en matière d’écriture. Ceux-ci commencent par enseigner séparément la forme des lettres, que les Anciens appelaient éléments ; puis ils enseignent les syllabes, et enfin à composer les mots. Que les nôtres suivent cette règle pour apprendre à peindre. Et d’abord qu’ils apprennent à bien dessiner les contours des surfaces et qu’ils s’y exercent comme si c’étaient là les premiers éléments de la peinture38. »

POINT/SIGNE/SURFACE

L’introduction du paradigme de l’écriture phonétique est ici décisive : elle établit la représentation (le visible étant assimilé au représentable) dans la dépendance directe du langage, le même langage qui donne aux choses leurs noms et dans lequel se « récitent » les histoires ; le langage, encore, tel que la tradition occidentale le lie en général à la voix, à l’ouïe, à la parole, et par rapport auquel l’écriture n’a qu’une fonction dérivée, — dérivée parce que représentative39. Et il en est, en fait, du modèle perspectif comme du modèle phonétique : modèle, comme y insiste Jacques Derrida, plutôt que structure ; car « il ne s’agit pas d’un système construit et fonctionnant parfaitement, mais d’un idéal dirigeant explicitement un fonctionnement qui en fait n’est jamais de part en part phonétique40 », pas plus qu’il n’est jamais de part en part « perspectif ». Il faudrait ici montrer comment le paradigme de l’écriture phonétique, loin qu’il ait seulement une valeur pédagogique, commande en fait toute la culture picturale de la Renaissance, et cela jusque dans les développements symboliques que l’âge classique inscrira sous les rubriques de l’Emblématique ou de l’Iconologie. La référence au modèle hiéroglyphique — référence qui est déjà au travail dans le texte d’Alberti, mais sans qu’elle implique, bien au contraire, aucune rupture avec le modèle phonétique41 — ne correspond pas, en fait comme en théorie, à un remaniement, et moins encore à un bouleversement des structures fondamentales de la représentation ; elle connote seulement un niveau d’articulation supplémentaire, celui-là où la peinture opère quand elle prétend signifier, selon la formule de Ripa, une chose différente de celle qu’elle donne à voir. Mais l’Iconologie, dans sa référence même au modèle hiéroglyphique, ne rompt pas davantage avec la notion strictement représentative du signe scriptural qu’impose le modèle phonétique : il appartient au peintre de former une figure dont les parties correspondent terme à terme à celles de la chose signifiée, et qui soient disposées dans un ordre conforme à celui des éléments de la représentation (cf. 2.2.2.). Dans leur articulation visible, l’allégorie, la métaphore figuratives demeurent solidaires de la syntaxe picturale dont Alberti aura produit les éléments.

Il est révélateur, à cet égard, que le Della Pittura traite des contours des surfaces — ces mêmes contours auxquels les débutants devront s’exercer « comme si c’étaient là les premiers éléments de la peinture » — sous la rubrique du signe. « J’appelle ici signe toute chose qui tient à la surface de telle façon que l’œil puisse la voir » (Segnio qui appello qualunque cosa stia alla superficie per modo che l’occhio possa vederla, liv. I, p. 55). On définira le point un signe qui ne se laisse pas diviser en parties ; la ligne, un signe qui peut être partagé dans sa longueur mais qui est trop fin pour l’être selon sa largeur42. Mais la surface (ou superficie) ? Elle est cette partie la plus superficielle d’un corps qui ne se connaît pas par sa profondeur, mais par sa seule longueur et sa seule largeur, et qui est déterminée par la juxtaposition de plusieurs lignes disposées comme les fils d’une toile (Più linee, quasi come nella tela più fili accostati, fanno superficie et è superficie certa parte estrema del corpo quale si conosce non per sua alcuna profondità ma solo per sua longitudina et latitudina et per sue ancora qualità, ibid., p. 56). Proposition de grande conséquence, puisqu’elle implique qu’il n’y a, pour le peintre, de surfaces que projectives : le tracé, la composition des surfaces sur le plan visent à donner l’illusion de corps réels vus à une certaine distance et d’un certain point de vue (définition, il faut le noter, qui rejoint celle que Peirce donne du signe, ou representamen : « Le signe, ou representamen, est ce qui remplace quelque chose pour quelqu’un dans un certain aspect ou position »). Plusieurs surfaces assemblées composent un corps. Mais la composition des corps, à son tour, suppose que soient ménagés entre ceux-ci des intervalles, des vides. Qu’en sera-t-il de ceux-ci au regard de la problématique du signe et de la surface visible du tableau où ils s’inscrivent ? Cette question, le peintre peut choisir de l’ignorer et feindre qu’il regarde à travers (per-spicere) l’écran sur lequel il travaille, lui déniant toute réalité, toute valeur propre. L’intervalle ne ferait problème que si le contour n’était rien qu’une limite entre le plein et le vide, et qui n’appartiendrait ni à la figure ni au fond43. Or Alberti déclare expressément que le contour est le bord, la limite extrême de la surface qu’il clôture, et à laquelle il appartient44. La ligne qui les enserre fournit la raison des surfaces qu’elle dé-signe45 et qui empruntent d’elle, pour partie, leur nom46, comme elle fournit celle des couleurs et de la composition elle-même. Mais si l’istoria est ainsi tissée de lignes, encore faudra-t-il, comme on l’a dit plus haut, que celles-ci ne soient pas trop appuyées, faute de quoi l’image paraîtra se morceler en une constellation de fragments juxtaposés (cf. 1.4.1.).

S’il fallait au peintre construire son tableau pièce après pièce — comme semble l’y inviter le paradigme de l’écriture —, il lui en coûterait une peine infinie. Il est heureusement des voies de traverse : tel l’intersecteur, ce voile transparent qu’Alberti conseillait au peintre d’interposer entre lui et le spectacle qu’il voulait peindre, pour y reporter directement le contour des objets47. Le temps viendra où Vasari pourra écrire qu’il n’est pas bon pour le peintre de trop s’attarder aux choses de la perspective : celui qui s’y appliquera avec excès y perdra son « naturel » et, par trop de minutie, tombera dans une manière « captive », sèche et « pleine de profils » (una cattiva maniera… secca e piena di profili). Tel Paolo Uccello, lequel — à en croire Vasari — aurait pu être un peintre d’une originalité comparable à celle de Giotto si seulement il avait prêté autant d’attention au tracé des figures qu’à cet art, le plus difficile de tous, qui lui faisait mettre tout en perspective dans ses compositions, depuis le sol jusqu’aux tuiles des toits, per via del intersecare le linee48. Uccello, auquel son ami Donatello, qui le voyait passer son temps à dessiner sous les angles les plus variés le mazzocchio, des polyèdres en pointes de diamant et quantités d’autres « bizarreries », aurait souvent reproché de lâcher la proie pour l’ombre et de s’occuper à des choses qui n’étaient d’aucune utilité pour le peintre, et qui ne pouvaient servir qu’aux faiseurs de marqueterie49 (je souligne).

UN ESPACE SANS PROFONDEUR

L’office du peintre n’est cependant pas sans rapport avec le travail d’intarsia (auquel Alberti lui-même se sera adonné sur le plan monumental50). On sait la dette des marqueteurs envers les théoriciens de la perspective, et à l’égard de Piero della Francesca aussi bien, déjà, que de Brunelleschi51. Mais leur pratique ne faisait que porter à son terme le paradoxe de la perspective, révélant du même coup ce qu’il en est de la peinture, dans sa relation à l’espace, dès lors qu’elle s’inscrit dans la dépendance de la pensée du signe et participe de ses limitations, et des exclusions qu’elle commande. Le signe opère en surface et dans la linéarité ; il fonctionne d’abord en extension : sa valeur lui vient des relations qu’il entretient avec les autres signes auxquels il peut ou non être associé, avec lesquels il entre en composition ou en opposition52. Le peintre ne connaît que des choses qui occupent un lieu : en termes de peinture (dans les termes d’un art de la peinture assujetti à la pensée du signe), il ne connaît que des figures (superficies) qui s’enlèvent sur un fond (plan). Pour délinéer leur aire d’inscription, il se guide sur le contour que circonscrit, que signifie la ligne53. L’illusion de profondeur a pour condition un découpage, une articulation correcte du plan de projection. C’est dire qu’en toute rigueur la construction perspective implique, dans un premier temps, l’élimination de la profondeur — sous l’espèce, au premier chef, de la couleur — et la réduction de la représentation aux dimensions graphiques de la géométrie euclidienne. Simultanément, dans la mesure où la construction doit s’étendre aux limites du plan et l’articuler dans sa totalité, le découpage dont elle procède ne répond plus à des impératifs techniques (comme c’était le cas du découpage de l’intonaco, dans les fresques d’Assise) : il emporte d’emblée une articulation descriptive qui confère aux intervalles une valeur positive égale à celle des figures. On l’a vu par l’exemple de Giotto : le théâtre de la peinture (où la « scène » classique aura trouvé à s’instituer) est le lieu d’un oubli, d’une dénégation : oubli, dénégation d’une dimension — celle du corps et de la gestualité, celle de la couleur — où le théâtre s’affirme d’abord comme pratique et comme jeu, sans s’astreindre à la récitation d’une parole54. De l’espace, il ne propose d’un substitut, une épure sans volume que le peintre tâchera ensuite à animer par les moyens de l’« histoire » ou du récit. Tout ce qu’Alberti dit du mouvement (et des mouvements des corps comme expression, traduction visible des mouvements de l’âme), ce qu’il dit de la couleur, de la lumière et de l’ombre qui confèrent aux figures le relief55, ressortit à une rhétorique qui vise à compenser la réduction, l’aplatissement et la linéarité qui sont au principe de la représentation signifiante, de la représentation qui procède du signe et de ses opérations.

LE MYTHE DE NARCISSE

Tel est le paradoxe de la perspective, qu’elle prétend captiver l’œil et l’introduire à une profondeur illusoire par des moyens qui n’empruntent rien qu’à la surface et à la géométrie descriptive. Paradoxe en son fond spéculaire, comme le démontre encore l’expérience de Brunelleschi, laquelle manifeste l’équivalence du spectacle réel et de son representamen iconique au regard de leur reflet dans le miroir. Alberti avait coutume de dire que l’inventeur de la peinture, fiori d’ogni arte, ne fut autre que Narcisse, dont l’histoire vient ici à propos : « Qu’est-ce que peindre sinon embrasser à l’aide de l’art la surface (cette surface-là) de la source56 ? » La formule dénonce, en le nommant, le narcissisme formel sur lequel se fonde la représentation et prend en compte l’aplatissement (dont le caractère originaire est connoté par le mot source) qui en est le corollaire. Peindre, c’est étreindre, embrasser sans reste une surface, celle sur laquelle le peintre travaille (cette surface-) ou celle, aussi bien, du miroir qui lui sert de guide : la distinction est de peu d’importance dès lors que les deux surfaces forment système et sont prises dans une même structure de renvoi. La référence à Quintilien, qui fait suite à cette « définition » dans le texte d’Alberti, n’a pas seulement une résonance érudite : Alberti, encore une fois, n’écrit pas une histoire, mais un art de la peinture ; son propos est d’ordre théorique. Rappeler que les premiers peintres avaient coutume de délinéer les ombres produites sur le mur par la lumière du soleil, cet art s’étant ensuite accru, enrichi57, revient à inscrire le privilège formel reconnu au dessin dans la dépendance de la structure représentative (spéculaire). La saisie de la surface s’opère par le moyen de la ligne, la couleur ne jouant par rapport au dessin (qui en fournit la raison, qui en trace la limite) que comme un supplément. Mais cette structure commande encore d’autres exclusions, à partir desquelles la contradiction qui fait son ressort se découvrira plus clairement et qui, portant sur le « ciel » et les « nuages », et plus généralement sur l’élément aérien, sont en rapport direct avec la question que ce texte travaille à produire.

3.3.5. Le miroir aux nuages

L’image utilisée par Brunelleschi dans la première des expériences que relate la « Vie » de Manetti (rédigée postérieurement au Della Pittura d’Alberti, dont elle porte manifestement l’empreinte) présentait une particularité notable. Sur un petit panneau (tavoletta) d’environ une demi-brasse carrée, Brunelleschi avait fait une peinture à l’imitation (assimilitudine) du baptistère Saint-Jean, dont il avait figuré ce que l’œil pouvait en saisir en se plaçant en un point déterminé (l’embrasure de la porte principale de la cathédrale) ; apportant, souligne le texte, un tel soin à cette peinture, et tant d’exactitude dans le rendu de la mosaïque de marbres noirs et blancs qu’aucun miniaturiste n’aurait pu mieux faire.

Et Vasari de fournir ici quelques précisions d’importance : car s’il ne fait pas mention du miroir dans lequel la peinture se reflétait, ni du trou par lequel on devait la considérer, il insiste sur le fait que la perspective avait été établie conformément à la méthode de l’intersegatione, à partir d’un plan au sol et d’une vue en élévation (che fu il levarla con la pianta e profilo et per via del intersegatione), les compartiments de marbre étant traités en raccourci avec une grâce singulière (che diminuivano con una grazia singolare)58. Procédé de la plus grande ingéniosité, de l’avis de Vasari, fort utile pour l’art du disegno (cosa veramente ingegnisissima, ed utile al arte del disegno), et dont un Masaccio saura faire son profit. Mais, ajoute encore Vasari, Brunelleschi ne manqua pas de montrer ses constructions aux spécialistes de l’intarsia (définie comme l’art de combiner des bois de couleur) ; et il les stimula tant et si bien que ce fut là le point de départ des choses excellentes qui se firent par la suite à Florence en ce domaine59.

Au regard de ce texte, la définition de la perspective, au sens moderne du mot, et la technique nouvelle de la marqueterie apparaissent comme logiquement contemporaines et comme strictement complémentaires, cette complémentarité, cette contemporanéité signalant à leur tour une articulation historique décisive60. L’autorité de la perspective brunelleschienne aura été liée à la structure parfaitement cohérente qu’elle conférait à l’espace pictural, dans la proportion où elle ramenait à un jeu d’éléments identifiables et substituables les formes qui y sont distribuées aussi bien que les intervalles qui les séparent. Réciproquement, la juxtaposition d’un certain nombre de figures de géométrie plane suffisait à imposer l’illusion d’une troisième dimension. Comme l’écrit André Chastel, « on découvrait ou redécouvrait — après les Anciens qui en avaient si volontiers tiré parti dans leurs “grecques” par exemple — que par un amusant [mais à s’« amuser » ainsi, ne risque-t-on pas de laisser échapper la signification théorique d’un tel paradoxe ? H.D.] effet d’illusion qui est l’origine même du trompe-l’œil, un jeu de surfaces articulées commande la profondeur. En somme, la fonction unifiante de la perspective exprime bien une pensée mathématique cohérente, mais le procédé d’analyse et de construction qui en résulte est la technique de la marqueterie61 ».

Et cependant le travail d’analyse, de construction, que commande la perspective, ce travail n’est pas sans reste. Alentour du baptistère, Brunelleschi avait figuré la partie de la place correspondant à l’angle de vue adopté, depuis la loggia dei Pescatori jusqu’au Canto alla Paglia. Jusque-là, rien que de parfaitement justifiable, dans les termes mêmes du Della Pittura. Il n’en va plus de même lorsque des édifices (et du sol où ils sont implantés) on passe au ciel sur lequel ils se détachent. On crédite souvent les peintres de la Renaissance de l’élimination des fonds d’or caractéristiques de la peinture médiévale, de l’abaissement de la ligne d’horizon et de l’ouverture de la composition perspective sur le ciel. Or ce ciel, Brunelleschi n’a pas prétendu le figurer, mais seulement le montrer (dimostrare) ; et il aura eu recours, à cette fin, à un subterfuge qui introduit dans le circuit représentatif une référence directe à la réalité extérieure, en même temps qu’un redoublement supplémentaire de la structure spéculaire sur laquelle l’expérience était fondée. L’observateur qui plaçait son œil au revers du panneau et visait, à travers le trou pratiqué au point de fuite de la composition, le reflet de l’image peinte dans un miroir placé à la distance appropriée, cet observateur n’apercevait, en fait de « ciel », que le reflet d’un reflet. Dans la mesure, en effet, où Brunelleschi avait à tenir compte, à faire état du lieu où s’imprimaient (stampassono) les murailles figurées en perspective, il avait recouvert la partie correspondante du panneau d’une surface d’argent bruni où se reflétaient l’air et les cieux réels, et de même les nuages qui s’y laissaient voir, poussés par le vent, quand celui-ci soufflait62.

Ce texte et l’expérience, tout à la fois d’optique et de scénographie qu’il relate, témoignent de la limitation impartie dès le principe au système perspectif, sous l’espèce théorique (car c’est bien de théorie qu’il s’agit, en l’occurrence, et non de « peinture »). La perspective n’a à connaître que des seules choses qu’elle peut ramener à son ordre, les choses qui occupent un lieu et dont le contour peut être défini par des lignes. Or le ciel n’occupe pas de lieu, il n’a pas de mesures ; et quant aux nuages, on n’en saurait fixer les contours, ni analyser les formes en termes de surfaces : le nuage ressortit à la classe des corps sans surface, telle que la définira Léonard de Vinci, des corps qui n’ont ni forme ni extrémités précises, et dont les limites s’interpénètrent63. Le procédé auquel Brunelleschi aura eu recours pour « montrer » le ciel, cette façon de miroir qu’il avait introduit dans le champ pictural comme une pièce de marqueterie et où se laissaient prendre le ciel et les nuages, ce miroir aura donc été beaucoup plus qu’un subterfuge64. Il a valeur d’emblème (au double sens de figure symbolique et de corps étranger, d’élément inséré, emboîté : ἔμϐλημα /ἐμϐολή/ συμϐολή) épistémologique, dans la mesure où il révèle les limitations du code perspectif dont l’expérience fournit la théorie complète. Il fait apparaître la perspective comme une structure d’exclusion, dont la cohérence se fonde sur une série de refus, et qui doit cependant faire place, comme au fond sur lequel elle s’imprime, à cela même qu’elle exclut de son ordre. Mais il a également une portée formelle, sinon stylistique, dans la mesure où il paraît emporter une notion limitative, strictement graphique, de l’espace pictural et des figures qui y trouvent place.


1.

Séparation qui n’est aucunement de règle dans l’écriture phonétique : les scribes grecs l’ignoraient, et leur pratique définissait un espace scripturaire très différent de celui du latin (cf. James Février, Histoire de l’écriture, Paris, 1959, p. 31).

2.

James Février, op. cit., p. 11.

3.

Cf. J. Derrida, « Freud et la scène de l’écriture », in L’Ecriture et la Différence, op. cit., p. 293-340.

4.

Erwin Panofsky, « Die Perspektive als “symbolische Form”, Aufsätze zu Grundfragen der Kunstwissenschaft, Berlin, 1964, p. 127, n. 5. Que le régime perspectif implique le refoulement, au sens analytique du terme, du support, c’est ce que le texte de Panofsky signifie avec une rigueur étonnante dans la terminologie, en jouant à l’instar du texte freudien, du clivage conceptuel que la langue allemande ménage entre Darstellung (présentation, représentation au sens d’une figuration, visuelle et/ou dramatique : soit, ici, la représentation des objets et de la portion d’espace qu’ils occupent) et Vorstellung, (re)-présentation sur le mode d’un pro-cès symbolique, soit — en termes freudiens — la reproduction fantasmatique d’une perception première sur laquelle porte le refoulement ; signe perdu que l’analyse travaille à rétablir en position de signifiant dans un enchaînement littéral (Lacan). C’est à partir du « manque à sa place » de ce « signe » que se constitue l’ordre perspectif dont le « code » perspectif assure la régulation. On reviendra ailleurs sur ce point décisif pour toute théorie de la représentation. Rappelons que ce texte fondamental de Panofsky (et dont on attend encore une traduction française) a été publié pour la première fois dans les Vorträge der Bibliothek Warburg. 1924-25.

5.

Ibid., p. 108.

6.

André Grabar, Le Haut Moyen Age, Genève, 1957, p. 35. Les mosaïques en question sont reproduites aux pages 34, 37 et 38. Cf. Carlo Cecchelli, I mosaici della basilica di S. Maria Maggiore, Turin, 1956.

7.

Le décor du registre supérieur de la basilique d’Assise, dont l’attribution à Giotto est discutée, comporte au revers de la façade une ascension dans laquelle le Christ est emporté sur une nuée vers un « paradis » figuré par une série de cercles concentriques, ainsi qu’une Pentecôte où la colombe descend dans une couronne de nuages.

8.

Panofsky, Early Neth. Paint., Introduction, t. I, p. 12.

9.

« Cloud of light » (nuage de lumière), comme la désigne André Grabar, lequel insiste sur la valeur temporelle autant que spatiale de la nuée : l’apparition est présentée comme exceptionnelle et momentanée (André Grabar, Christian Iconography. A Study of its Origins, Princeton, 1968, p. 116). On observera que la représentation du Christ procédant sur un tapis de nuages ne se sera imposée qu’à partir du VIe siècle. A l’abside de Sainte-Pudenzienne (IVe siècle, refaite au XVIe), le Christ trône sur terre parmi les Apôtres, tandis que la Croix et les symboles des Evangélistes s’inscrivent dans un ciel peuplé de petits nuages.

10.

Sur l’absence de caractérisation différentielle, à l’époque paléochrétienne, des deux premières personnes de la Trinité, cf. Grabar, op. cit., p. 118 s.

11.

Doura-Europos, synagogue, panneau supérieur de l’écran de la Tora (M. de Damas) ; cf. Grabar, op. cit., p. 20. Ravenne, Saint-Vital (mosaïques du chœur), Sacrifice d’Abel et de Melchisédech, Sacrifice d’Abraham, Moïse recevant les Tables de la loi.

12.

Cette double appartenance est soulignée par le hiatus entre les petits nuages qui s’échelonnent vers l’horizon, et la solide barre de nuées qui sert d’assise au médaillon.

13.

« Poi che noi non come Plinio recitiamo storie ma di nuovo fabrichiamo una arte di pittura della quale in questa hetà, quale io veggo, nulla si truova scritto. » Alberti, Della Pittura, liv. II, p. 78.

14.

« Dico l’oficio del pittore essere cosi : descrivere con linea et tigniere con colori, in qual sia datoli tavola o parete, simile vedute superficie di qualunque corpo che quelle, ad una cierta distanzia et ad una cierta positione di cientro, paiano rilevata et molto simili avere i corpi. » Id., ibid., liv. III, p. 103. Définition qui s’accorde avec celle de Piero : « La pictura non e se non dimostrationi de superficie e de corpi degradati o accresciuti nel termine. » Piero della Francesca, De Prospectiva Pigendi, éd. Fasola, Florence, 1942, liv. III, p. 128.

15.

« Seguita la compositione de corpi nella quale ogni lode et ingegnio del pittore consiste… Conviensi che i corpi insieme si confacciano in istoria con grandezza et con adoperarsi… Adunque tutti i corpi per grandezza et suo officio s’aconfaranno a quello che ivi nella storia si facci. » Alberti, liv. II, p. 91.

16.

« Quello che prima da voluptà nelle storia viene della copia et varietà delle cose. » Id., liv. II, p. 91.

17.

« Biasimo io quelli pittori quali, dove vogliono parere copiosi nulla lassando vacuo, ivi non compositione ma dissoluta confusione disseminano ; pertanto non pare la storia facci qualche cosa degnia ma sia in tumulto aviluppata. » Id., liv. II, p. 92.

18.

On connaît le mot de Braque : « Je ne peins pas les choses, mais l’espace entre les choses. »

19.

C’est une erreur, écrit Alberti, que d’inscrire un personnage dans un édifice si petit qu’il peut à peine y tenir assis (« Et sarebbe vitio se…, quello che spesse volte veggo, ivi fusse huomo alcuno nello hedeficio quasi come in uno scrignio inchiuso, dove apena sedendo vi si assetti. » Ibid., liv. II, p. 91).

20.

Conformément au principe énoncé d’entrée de jeu, le peintre ne peut exprimer les affections de l’âme autrement que par ce qu’en révèlent à la vue les mouvements du corps qui se ramènent à un déplacement (« Ma noi dipintori i quali volliamo coi movimenti della membra mostrare i movimenti dell’animo, solo riferiamo di quel movimento si fa mutando el luogo. » Ibid., liv. II, p. 95). Sur la conception du mouvement qu’implique cette réserve, cf. ci-dessous, 4.2.4.

21.

« Ma perché talora in questi movimenti si truova chi passa ogni ragione, mi piace qui de posari et de movimenti raccontare alcune cose quali ò raccolte dalla natura onde bene intenderemo con che moderatione si debbano usare. » Ibid., liv. II, p. 95-96.

22.

Si le peintre veut représenter une figure se tenant en équilibre sur un pied, il faudra que celui-ci soit à l’aplomb de la tête, « quasi come base d’una colonna. » (liv. II, p. 96.)

23.

« Adunque il pittore volendo exprimere nelle cose vita farà ogni sua parte in moti. Ma in ciascuno modo terrà venustà et gratia ; sono gratissimi i movimenti et ben vivaci quelli e quali si muovano in alto verso l’aëre. » Ibid., liv. II, p. 90.

24.

« Ma dove cosi vogliamo ad i panni suoi movimenti, sendo i panni di natura gravi et continuo cadendo a terra per questo starà bene in la pittura porvi la faccia del vento zeffiro o austro che soffi fra le nuvole onde i panni ventoleggiono. » Ibid., liv. II, p. 98. Sur le fait que le vent, en lui-même invisible, ne devrait être représenté que par le détour des choses qu’il emporte, cf. 4.1.2. Curieusement, Alberti s’en tiendra sur ce point à une position tout allégorique et littéraire : « Il sera bon de placer dans la peinture la figure (faccia) du vent zéphir ou austral, qui souffle à travers les nuages (che soffi fra le nuvole). » Ibid., liv. II, p. 98. Sur la chevelure dénouée, flottante comme marque de fabrique et trait distinctif de la maniera antica au Quattrocento, cf. Erwin Panofsky, « Albrecht Dürer and Classical Antiquity », in Meaning in the Visual Arts, Garden City, 1955, p. 243-244, n. 23, trad. française, L’Œuvre d’art et ses Significations, Paris, 1969, p. 209, n. 23.

25.

Cf. Robert Klein, « Pomponius Gauricus on Perspective », Art Bull., vol. XLIII (1961), p. 211-230 ; trad. française in La Forme et l’Intelligible, Paris, 1969, p. 237-277.

26.

« Constat enim tota hec in universum perspectiva dispositione, ut intelligamus… Quot necessariae sint ad illam rem significandum personae, ne aut numero confundatur, aut raritate deficiat intellectio. » Pomponius Gauricus, De Sculptura, éd. Brockhaus, Leipzig, 1886, cit. par Klein, op. cit., p. 244.

27.

« Questo ragione di dividere il pavimento s’appartiene ad quella parte quale al suo luogho chiamereno compositione. » Alberti, Della Pittura, liv. I, p. 74.

28.

« Principio dove io debbo dipigniere. Scrivo uno quadrangolo di retti angoli quanto grande io voglio, el quale reputo essere una finestra aperta per donde io miro quello che quivi sarà dipinto. » Ibid., p. 70.

29.

« Adunque chi mira una pictura vede certa intersegatione d’una pirramide. Sarà adunque pictura non altro che intersegatione della pirramide visiva secondo data distantia, posto il centro e constituiti i lumi in una certa superficie con linee et colori artificiose rappresentata. » Ibid., p. 65.

30.

Le voyage que Dürer fera à Bologne, en 1506, pour s’initier à l’art de la perspective secrète (Kunst in heimlicher Perspectiva) témoigne, selon Panofsky, du désir où était ce peintre de connaître le fondement théorique de procédés qu’il avait d’ores et déjà parfaitement maîtrisés sur le plan technique (cf. Erwin Panofsky, The Life and Works of Albrecht Dürer. Princeton, 3éd., 1948, t. 1 ; p. 248).

31.

Cf. Alexandre Koyré, Etudes galiléennes, Paris, 1966, p. 13.

32.

Cf. Alessandro Parronchi, « Le due tavole prospettiche del Brunelleschi », Paragone, 107 (nov. 1958), p. 3-32, et 109 (janv. 1959), p. 3-31 ; repris in Studi su la « dolce » prospettiva, Milan, 1964, p. 226-295.

33.

« Et saratti ad conoscere buono giudicie lo specchio né se come le cose ben dipinte molto abbino nello specchio gratio ; cosa maravigliosa come ogni vitio della pittura si manifesti diforme nello specchio. » Alberti, Della Pitt., liv. III, p. 100.

34.

L’office du peintre, tel que le conçoit Alberti, n’est pas sans rapport, d’un point de vue structural, avec celui que Georges Dumézil attribue aux prêtres des Hymnes védiques, lesquels avaient pour fonction d’ouvrir au roi les perspectives (je souligne) d’une souveraineté assurée, et aux fetiales romains dont la charge consistait à ouvrir mystiquement, par leurs opérations rituelles, l’espace où l’armée devait ensuite s’avancer, protégée par les dieux. Dans les deux cas on a affaire à une repetitio rerum qui définit a priori le champ de l’histoire, qui en étaye — suivant le beau mot des Hymnes — la scène (cf. Georges Dumézil, « Ius Fetiale », in Idées romaines, Paris, 1969, p. 63-78).

35.

« Principio, vedendo quai cosa, diciamo queste essere cosa quale occupa uno luogo. » Ibid., p. 81.

36.

La circunscrittione, cioè il modo del disegnare », Alberti, op. cit., liv. II, p. 87.

37.

Au XVIIe siècle encore, le débat d’Abraham Bosse (inspiré par le mathématicien Desargues) avec l’Académie tournera autour de l’affirmation de Bosse selon laquelle le but de la perspective est de représenter les choses « non telles que l’œil les voit ou croit les voir, mais telles que les lois de la perspective les imposent à notre raison » (cf. La Méthode universelle de mettre en perspective les objets donnés réellement ou en devis, Paris, 1636).

38.

« Voglio che i giovanni quali ora nuovi si danno a dipigniere, cosi facciano quanto veggo di chi inpara a scrivere. Questi in prima sepato insegniano tutte le forme delle lettere, quali li antiqui chiamano helementi, poi insegniano le silabe, poi apresso insegniano componere tutte le dizzioni. Con questa ragione ancora seguitino i nostri a dipigniere. Inprima inparino ben disegniore li orli delle superficie et qui si exercitino quasi come ne primi helementi della pittura. » Alberti, op. cit., liv. III, p. 106.

39.

« Langage et écriture sont deux systèmes de signes distincts ; l’unique raison d’être du second est de représenter le premier. » Saussure, cité par Jacques Derrida, De la grammatologie, p. 46.

40.

Ibid.

41.

Cf. par exemple le De Architectura Libri Decem, liv. VIII, chap. 4 : « Les Egyptiens ont employé les symboles de la manière suivante : ils gravaient un Œil, par lequel ils entendaient Dieu ; un Vautour pour Nature ; une Abeille pour Roi ; Un Cercle pour Temps ; un Bœuf pour Paix ; et ainsi de suite. Et la raison pour exprimer la signification par de tels symboles était que les mots n’étant compris que par les peuples qui parlent le langage en question, les inscriptions en caractères communs devaient bientôt se perdre, comme il est en fait arrivé à nos caractères étrusques. » D’après la traduction de Giacomo Leoni, éd. Rykwert, Londres, 1955, p. 169.

42.

« Il punto essere segnio quale non si possa dividere in parte (…). I punti, se innordine costàti l’uno al altro crescono una linea et apresso di noi sarà linea segnio la cui longitudine si puo dividere ma di larghezza tanto sarà sottile che non si potrà fendere. » Alberti, Della Pitt., liv. I, p. 55-56.

43.

Comme semble le penser Giulio-Carlo Argan, « The Architecture of Brunelleschi and the Origins of Perspective Theory in the XVth Century », Journal of the Warburg and Courtauld Institute, vol. IX (1946), p. 102.

44.

« Quello ultimo orlo quale chiuda la superficie », Alberti, op. cit., liv. I, p. 56.

45.

« Et dove la circonscriptione non altro sia che certa ragione di segniare l’orlo delle superficie. » Ibid., liv. II, p. 85.

46.

« Adunque l’orlo e dorso danno suoi nomi alle superficie. » Ibid., liv. I, p. 57.

47.

« Non credo io dal pittore si richiegga infinita faticha ma bene s’aspetti pittura quale modo paie rilevata et simigliata a chi ella si ritrae : qual cosa non intendo sanza aiuto del velo alcuno mai possa. » Alberti, op. cit., liv. II, p. 84.

48.

Vasari, « Vie de Paolo Uccello », Vite, éd. Milanesi, t. II, p. 203-217.

49.

« Onde Donatello scultore, suo amicissimo, gli disse molte volte, mostrandoli Paulo mazzocchi a punte a quadri tirati in prospettiva per diverse vedute, e palle a settentadue facce a punte di diamanti, e in ogni faccia bruciloli avvolti sur per e bastoni, e altre bizzarrie, in che spendeva e consumava il tempo ; Eh ! Paulo, questa tua prospettiva ti fa lasciare il certo per l’incerto : queste sono cose che non servono se non a questi che fanno le tarsie. » Ibid., p. 205-206. On ne discutera pas ici l’interprétation de l’art d’Uccello qu’impose le texte de Vasari (cf. sur ce point ma préface au volume consacré à ce peintre dans la série des « Classiques de l’art » Paris, 1972), n’en retenant que le rapprochement qu’il opère entre les recherches du peintre et la pratique de la marqueterie. L’ironie du sort (et/ou le talent de Vasari) aurait voulu qu’une remarque désobligeante du même Donatello ait été à l’origine de la retraite du peintre et de son retour aux études de perspective qui devaient l’occuper jusqu’à sa mort (ibid., p. 216-217).

50.

Cf. Adolfo Venturi, « Intarsi marmorei di Leon Battista Alberti », L’Arte, LXXII (1901), p. 34-36.

51.

Sur la vogue de la marqueterie à Florence, dès la première moitié du XVe siècle, et le rôle d’initiateur joué à cet égard par Brunelleschi, cf. André Chastel, « Marqueterie et perspective au quinzième siècle », La Revue des arts, sept. 1953, p. 141-154. Quant à Piero, dont s’inspireront plusieurs générations de marqueteurs, son influence battra en brèche le « donatellisme » et sa tendance à l’expressionnisme (cf. id., Le Grand Atelier d’Italie, 1460-1500, Paris, 1965, p. 91).

52.

« Ce qui fonde un système de signes, ce n’est pas le rapport d’un signifiant et d’un signifié (ce rapport peut fonder un symbole, mais non forcément un signe), c’est le rapport des signifiants entre eux : la profondeur d’un signe n’ajoute rien à sa détermination ; c’est son extension qui compte, le rôle qu’il joue par rapport à d’autres signes, le mode dont il leur ressemble ou en diffère : tout signe tient son être de ses entours, non de ses racines. » Roland Barthes, Système de la mode, Seuil, 1967, p. 37.

53.

« Principio, vedendo quai cosa, diciamo questo essere cosa quale occupa uno luogo. Qui il pictore, descrivendo questo spatio, dirà questo suo guidare uno orlo con linea essere circonscritione. » Alberti, op. cit., liv. II, p. 81.

54.

Cf. Julia Kristeva, « Le Sens et la Mode », op. cit., p. 66-67.

55.

« Il lume et l’ombra fanno parere le cose rilevate. » Alberti, op. cit., liv. II, p. 99.

56.

« Che già, ove sia la pictura fiore d’ogni arte, ivi tutta la storia di Narcisso viene a proposito. Che dirai tu essere dipigniere, altra cosa che simile abracciare con arte quella ivi superficie del fonte ? » Ibid., p. 78-79.

57.

« Diceva Quintiliano che pittori antichi soleano circonscrivere l’ombra al sole et cosi indi poi si truovo quest’arte cresciuta. » Ibid. ; cf. Quintilien, Institutio Oratoria, X, 2 (trad. H. E. Butler, Cambridge Mass.), 1953, t. IV, p. 76-79), où la délinéation est explicitement assimilée à l’imitation ; cf. également Pline, Hist. nat., XXXV, XV.

58.

Vasari, « Vie de Filippo Brunelleschi », Vite, éd. Milanesi, II, p. 332.

59.

« Nè resto ancora di mostrare a quelli che lavorano le tarsie, che è un arte di commettere legni di colori ; e tanto gli stimolo, che fu cagione di buono uso e molte cose utili che si fece di quel magisterio, ed allora e poi di molte cose eccellenti che hanno recato e forma utile a Firenza per molti anni. » Ibid., p. 333.

60.

Chastel, art. cit., p. 142. On trouve confirmation de l’Antiquité des perspectives en marqueterie et du rôle joué en la matière par Brunelleschi et Uccello dans la Vie de Benedetto da Majano, où le même Vasari rapporte que ce sculpteur avait commencé par travailler le bois et qu’il excellait dans « l’art de combiner des bois teints de diverses couleurs pour en faire surgir des perspectives, des rinceaux et autres objets de fantaisie, qui avait été introduit au temps de Filipo Brunelleschi et de Paolo Uccello » (Vite, III, p. 333).

61.

Chastel, art. cit., p. 145. Il est intéressant d’observer que la critique est divisée, s’agissant d’identifier le personnage répondant au nom de Manetti, et qui figure aux côtés de Giotto, Donatello, Brunelleschi et Uccello, parmi les « inventeurs » de la Renaissance, sur un petit panneau conservé au Louvre et souvent attribué à Uccello lui-même. Pour Vasari, et son éditeur Milanesi, il s’agit d’Antonio di Tuccio Manetti (né en 1423), le mathématicien et biographe de Brunelleschi, l’ami aussi d’Uccello, avec lequel, affirme Vasari, il aimait à s’entretenir d’Euclide (“suo amico con quale conferiva essai e ragionava delle cose di Euclide”. Vie de Paolo Uccello, p. 214). Pour Boeck, il s’agit au contraire d’Antonio di Ciaccheri, dit Manetti (né en 1405), spécialiste de l’intarsia et cité parmi les « maîtres de la perspective » dans les Memorie storiche di Benedetto Dei, publiés par Semper dans les Quellenschriften für Kunstgeschichte, IX (1875), p. 263. Il est en tout cas très significatif qu’on puisse envisager de substituer, parmi les « inventeurs de la Renaissance », un marqueteur à un mathématicien. (Cf. John Pope-Hennessy, The Complete Work of Paolo Uccello, Londres, 1950, p. 155.)

62.

« Et per quanto s’aveva a dismostrare di cielo, cioè le muraglie del dipinto stampassono nell’ aria, messo d’ariento brunito, accio che l’aria e cieli naturali vi si specchiassono drento ; e cosi e nugoli, che si veggono in quello ariento essere menati dal vento, quand’e’trae. » Cit. par A. Parronchi, art. cit. La « Vita di Filipo ser Brunelleschi », par Manetti, est reproduite in Piero Sanpaolesi, Brunelleschi, Milan, 1962, p. 137-146.

63.

« Il n’est que deux sortes de corps visibles, l’une n’a ni forme ni extrémités précises ou définies ; celles-ci, bien que présentes, sont imperceptibles et par conséquent leur couleur est difficile à déterminer. Le second genre de corps visibles est celui où la surface définit et caractérise la forme.

A la première catégorie, sans surface, se rattachent les corps soit ténus, soit liquides, qui volontiers se confondent et se mêlent avec d’autres corps ténus, comme la vase et l’eau, le brouillard ou la fumée avec l’air, ou l’élément de l’air avec le feu, et autres choses similaires, dont les extrémités se confondent avec les corps avoisinants, ce pourquoi — leurs limites se brouillant et devenant imperceptibles — ils se trouvent privés de surface attendu que ces limites s’interpénètrent. En conséquence, ces corps sont dits sans surface. » Léonard de Vinci, C.A., 132 r.b., cf. Les Carnets de Léonard de Vinci, éd. par Edward Mac Curdy, trad. française, Paris, 1942, t. II, p. 301.

64.

Il faut ici rappeler (cf. 1.5.) que la tradition aristotélicienne assimile régulièrement le nuage à un miroir. L’optique médiévale se fondait sur cette assimilation pour rendre compte de la formation de l’arc-en-ciel. Les Quaestiones perspectivae attribuées à Biaggio Pelicani expliquent l’apparition « miraculeuse » dans le ciel de Milan d’anges porteurs d’épées et de trompettes, par la réflexion dans les nuages de l’ange doré qui couronnait le campanile de l’église Saint-Gothard. Alessandro Parronchi (« Le Fonti di Paolo Uccello », op. cit., p. 491-493) en tire argument pour considérer la figure renversée qui apparaît dans un nuage au-dessus de l’officiant, dans le Sacrifice de Noé d’Uccello, non comme celle de Dieu (comme le voulait Vasari), mais comme le reflet dans le nuage de Noé lui-même.