Chapitre 20 Les Causes Internes de la Maladie
Les causes « internes » de la maladie sont généralement dues à une tension émotionnelle. Traditionnellement, on oppose les causes internes, émotionnelles, de la maladie, qui lèsent directement les Organes Internes et les causes externes, climatiques, qui affectent tout d’abord l’Extérieur du Corps.
Concevoir les Organes comme des sphères d’influence physique, mentale et émotionnelle est un des aspects les plus fondamentaux de la médecine chinoise. Au centre, on trouve le concept de Qi en tant que matière-énergie qui donne naissance tout à la fois à des phénomènes physiques, mentaux ou émotionnels. Ainsi, en médecine chinoise, le corps, l’esprit et les émotions font partie d’un grand tout qui n’a ni début ni fin, et dans lequel les Organes constituent la principale sphère d’influence.
Par exemple, le « Rein » de la médecine chinoise correspond effectivement aux reins, sur les plans organique et anatomique, mais aussi au Qi et à l’Essence (Jing), au Cerveau, à la volonté et au dynamisme sur le plan mental, et à la peur sur le plan émotionnel.
Tous ces niveaux sont en interaction simultanée et constante.
Le cadre 20.1 recense les causes internes, émotionnelles de la maladie.
C’est là une des différences entre la médecine chinoise et la médecine occidentale. Bien que la médecine occidentale reconnaisse les interactions qui existent entre le corps et les émotions, elle les considère d’une façon tout à fait autre que la médecine chinoise. En médecine occidentale, le cerveau se situe au sommet de la pyramide corps-esprit. Les émotions touchent le système limbique du cerveau, les influx nerveux sont transmis à l’hypothalamus, aux centres nerveux sympathique et parasympathique, et enfin atteignent les organes. C’est ainsi qu’une réponse nerveuse déclenchée par une perturbation émotionnelle est transmise à l’organe concerné (Fig. 20.1).
La médecine chinoise envisage les choses de façon totalement différente. Pour elle, la pyramide corpsesprit n’existe pas, mais le corps et l’esprit constituent une sphère d’interactions entre les Organes et leurs aspects émotionnels (Fig. 20.2).
Alors que la médecine occidentale a tendance à considérer l’influence des émotions sur les organes comme secondaire ou accessoire plutôt que comme un facteur déclenchant primordial de la maladie, la médecine chinoise considère les émotions comme partie intégrante et indissociable de la sphère d’action des Organes, et donc aussi comme une cause directe de la maladie.
L’interaction entre le corps et l’esprit est également exprimée, en médecine chinoise, sous la forme des « Trois Trésors », Essence (Jing)-Qi-Esprit (Shen), que nous avons étudiés dans le chapitre 3. L’Essence est la base matérielle du Qi et de l’Esprit, fondements d’une vie intellectuelle et émotionnelle heureuse et équilibrée (Fig. 20.3).
À quel moment une émotion devient-elle une cause de maladie ? Le terme chinois que nous avons traduit par « émotion » est qing, qui se compose de la clé du « cœur » et d’une autre partie à la fois phonétique et à la fois véhiculant l’idée de « pureté » (par exemple, ces sentiments qui sont purs et spontanés dans le cœur d’un être humain). Le terme « émotion » lui-même n’est pas une bonne traduction pour exprimer la conception que les Chinois ont des causes « émotionnelles » de la maladie. Le mot « émotion » vient du latin « e-movere » (c’est-à-dire « laisser sortir ») : on l’utilise pour indi-quer tout ressenti de l’esprit qui est distinct des états de conscience liés à la cognition et à la volition. Dans ce sens, le terme « émotion » peut renvoyer à n’importe quel sentiment tel que la peur, la joie, l’espérance, la surprise, le désir, la haine, le plaisir, la douleur, etc. ; ce terme ne convient donc pas vraiment pour désigner les émotions comme la médecine chinoise les comprend. Il est intéressant de noter que le mot utilisé pour évoquer une souffrance de l’esprit était, à l’origine, le mot « passion » plutôt que le mot « émotion ». Ce mot de « passion » vient du latin « patire », qui signifie « souffrir ». Le terme « émotion » n’a remplacé celui de « passion » qu’entre la période marquée par Descartes et Rousseau, c’est-à-dire entre 1650 et 1750 (car le premier de ces écrivains utilisait le mot « passion », alors que le second employait le mot « émotion »).
Le mot « passion » véhicule mieux l’idée d’une souffrance psychique que le mot « émotion » parce qu’il implique quelque chose qui est « subi », quelque chose qui nous est imposé. En fait, des sentiments comme la tristesse, la peur ou la colère ne deviennent causes de la maladie que lorsqu’ils envahissent notre esprit, lorsque nous ne les contrôlons plus mais que ce sont eux qui nous « contrôlent ». L’expression qu’emploient la plupart des livres chinois pour décrire la « stimulation » ou « l’excitation » suscitée par les émotions est ci ji , dans laquelle ji comporte le radical de « l’eau » et signifie « déferler, refluer » comme le fait une vague ; autrement dit, ce mot évoque le déferlement des émotions qui, tel une vague, nous emporte.
Les émotions sont des stimuli mentaux qui influencent notre vie affective. Normalement, elles ne sont pas des causes de maladie. Quasiment personne n’échappe, à un moment où l’autre de sa vie, à la colère, à la tristesse, au chagrin, à l’inquiétude ou même à la peur, mais ces émotions ne vont pas engendrer un déséquilibre.
Par exemple, la mort d’un proche provoque un sentiment très naturel de chagrin. Les émotions ne deviennent causes de maladie que si elles sont particulièrement intenses ou lorsqu’elles se manifestent de façon durable. Ce n’est que lorsque nous sommes dans un état émotionnel particulier pendant longtemps (des mois ou des années) que les émotions deviennent causes de maladie ; par exemple, si une situation familiale ou professionnelle précise nous met en colère ou nous frustre de façon continue, cela va affecter le Foie et engendrer un déséquilibre interne. Dans de rares cas, les émotions peuvent devenir une cause de maladie au bout de très peu de temps si elle sont suffisamment intenses : le choc émotionnel en est le meilleur exemple.
La médecine chinoise ne s’intéresse aux émotions que si elles sont causes de maladies ou si elles constituent elles-mêmes des symptômes visibles de maladie. En d’autres termes, la médecine chinoise ne néglige pas les émotions en tant que causes de maladies, mais ne leur accorde pas non plus une importance exagérée qui exclurait toute autre cause possible.
En médecine chinoise, les émotions (lorsqu’elles sont considérées comme causes de la maladie) sont des stimuli mentaux qui perturbent l’Esprit (Shen), l’Âme Éthérée (Hun) et l’Âme Corporelle (Po) et qui, en conséquence, modifient l’équilibre des Organes Internes et l’équilibre du Qi et du Sang. C’est pour cette raison que la tension émotionnelle est une cause interne de maladie qui lèse directement les Organes Internes. Le chapitre 66 de « L’axe spirituel » dit : « Une joie ou une colère excessive lèse les Organes Yin … lorsque ceux-ci sont atteints, la maladie est dans le Yin.1
Les émotions sont des causes internes de la maladie qui provoquent directement un déséquilibre interne, contrairement aux facteurs climatiques externes, qui ne peuvent engendrer un déséquilibre interne qu’après être passés par le stade d’un déséquilibre Externe. Par exemple, la tristesse et le chagrin épuisent directement le Qi du Poumon et engendrent un vide de Qi du Poumon. Le Vent externe peut envahir l’espace compris entre la peau et les muscles (appelé l’Extérieur), bloquer la circulation du Qi Protecteur et engendrer des symptômes Externes caractéristiques comme une crainte du froid et de la fièvre. Ce n’est qu’après être passé par ce stade Externe que le Vent externe peut devenir Interne (et se transformer généralement en Chaleur) et peut épuiser, à l’intérieur, le Qi du Poumon (Fig. 20.4).
Le cadre 20.2 résume les émotions comme causes de la maladie.
Cadre 20.2 Les Émotions Comme Causes de Maladie
Une caractéristique très importante de la médecine chinoise est que l’état des Organes Internes affecte notre état émotionnel. Par exemple, si le Yin du Foie souffre d’un vide (peut-être dû à des facteurs diététiques) et engendre une montée du Yang du Foie, la personne va devenir constamment irritable. Inversement, si une personne est constamment en colère pour une raison quelconque, cela peut engendrer une montée du Yang du Foie. Au chapitre 8, « L’axe spirituel » illustre la relation réciproque entre les émotions et les Organes Internes. On y lit : « La peur, l’anxiété et l’excès de réflexion du Cœur lèsent l’Esprit … l’inquiétude de la Rate lèse l’Intellect … la tristesse et le choc émotionnel du Foie lèsent l’Âme Éthérée … la joie excessive du Poumon lèse l’Âme Corporelle … la colère du Rein lèse la Volonté ».2 Par contre, on lit plus loin : « Si le Sang du Foie souffre de vide, la peur surgit, s’il souffre de plénitude, la colère surgit … si le Qi du Cœur souffre de vide, la tristesse surgit, s’il souffre de plénitude, la conduite maniaque surgit ».3 Ces deux citations montrent clairement que, d’une part, la tension émotionnelle lèse les Organes Internes, et qu’inversement, le déséquilibre des Organes Internes engendre une déséquilibre émotionnel.
Comme le corps et l’esprit forment un tout indissociable et unique, les émotions, non seulement peuvent être la cause d’un déséquilibre, mais peuvent aussi en être le résultat (Fig. 20.5). Par exemple, un état prolongé de peur et d’anxiété peut entraîner un vide du Rein et inversement, si le Rein s’épuise, par exemple, en raison d’un surmenage, cela peut entraîner un état de peur et d’anxiété. Il est important, en pratique, de pouvoir différencier ces deux cas correctement afin de conseiller et de guider utilement les malades. Les patients sont souvent rassurés lorsqu’ils comprennent que leur état émotionnel a une origine physique ou, inversement, que les symptômes physiques dont ils souffrent ont une origine émotionnelle. Si nous sommes à même de bien faire cette distinction, nous pouvons alors traiter efficacement les déséquilibres et conseiller utilement les malades.
Le cadre 20.3 résume les interactions entre le corps et l’esprit.
Chaque émotion reflète une énergie psychique particulière, qui se rattache à l’Organe Yin correspondant. Ceci explique, en fait, pourquoi une certaine émotion va affecter un organe précis : cet organe spécifique produit déjà une certaine énergie psychique qui possède des caractéristiques bien précises. Lorsque celle-ci est soumise à des stimuli émotionnels, elle réagit à cette émotion particulière, « entre en résonance » avec elle. Ainsi, les émotions ne sont pas des éléments qui viennent de l’extérieur attaquer les Organes Internes ; au contraire, les Organes Internes possèdent, à l’origine, une énergie psychique positive qui se transforme en émotions négatives lorsque certaines circonstances externes déclenchent celles-ci.
Par exemple, pourquoi la colère affecte-t-elle le Foie ? Si l’on garde à l’esprit que les caractéristiques du Foie sont une circulation libre, facile et rapide, que son Qi a tendance à monter, qu’il correspond au printemps et à sa puissante énergie Yang, qui éclate et monte, qu’il correspond au Bois et à son mouvement d’expansion, il est facile de comprendre que la colère va affecter le Foie. Cette émotion, avec ses explosions rapides, avec la montée du sang à la tête lorsque la colère est à son comble, la caractéristique destructive et expansive de la fureur, est le miroir, au niveau affectif, des caractéristiques du Foie et du Bois décrites plus haut. Ces mêmes caractéristiques psychiques et affectives du Foie qui peuvent engendrer la colère et un ressentiment durable pourraient être exploitées pour arriver à une évolution psychique créative.
La nature d’un organe interne « entre en résonance » avec une émotion. Chaque organe interne a une nature psychique positive qui se transforme en émotions négatives sous l’influence de la tension émotionnelle due aux circonstances de la vie.
Les émotions prises en compte par la médecine chinoise ont varié au fil du temps. Suivant la théorie des Cinq Éléments, le « Classique de l’Empereur Jaune » prend en compte cinq émotions, chacune correspondant à un organe Yin spécifique :
Le chapitre 5 des « Questions simples » dit : « La colère lèse le Foie, la tristesse neutralise la colère … la joie lèse le Cœur, la peur neutralise la joie … l’excès de réflexion lèse la Rate, la colère neutralise l’excès de réflexion … l’inquiétude lèse le Poumon, la joie neutralise l’inquiétude … la peur lèse le Rein, l’excès de réflexion neutralise la peur ».4 Un des éléments intéressants de cette citation vient de ce qu’il est dit que chaque émotion en neutralise une autre selon le cycle de Domination de la théorie des Cinq Éléments. Par exemple, la peur se rattache au Rein et à l’Eau. L’Eau contrôle le Feu (le Cœur), l’émotion liée au Cœur est la joie, la peur neutralise donc la joie. Il y a là des idées intéressantes qui sont certainement vraies en pratique clinique, comme, par exemple, l’idée que « la colère neutralise l’excès de réflexion ».
Toutefois, ce ne sont pas les seules émotions évoquées dans le « Classique de l’Empereur Jaune », loin de là. Dans d’autres passages, on y ajoute la tristesse et le choc émotionnel ; ce qui nous amène aux sept émotions répertoriées dans le cadre 20.4.
On dit que chaque émotion a un effet particulier sur la circulation du Qi. Les « Questions simples », au chapitre 39, disent : « La colère fait monter le Qi, la joie ralentit le Qi, la tristesse dissout le Qi, la peur fait descendre le Qi … le choc émotionnel disperse le Qi … l’excès de réflexion noue le Qi ».5 Le Dr Chen Yan, dans le « Traité sur les trois catégories de causes de la maladie » (1174) écrit : « La joie disperse, la colère fait monter, l’inquiétude rend le Qi instable, l’excès de réflexion le noue, la tristesse resserre le Qi, la peur le rend sombre, le choc émotionnel l’agite ».6
Toutefois, l’effet de chaque émotion sur l’organe correspondant ne doit pas être interprété de façon trop stricte. Certains passages du « Classique de l’Empereur Jaune » attribuent les effets des émotions à d’autres organes que ceux qui viennent d’être mentionnés. Par exemple, le chapitre 28 de « L’axe spirituel » dit : « L’inquiétude et l’excès de réflexion agitent le Cœur ».7 Les « Questions simples », au chapitre 39, disent : « La tristesse agite le Cœur ».8
L’effet d’une émotion dépend aussi d’autres paramètres et varie selon que cette émotion est exprimée ou refoulée. Par exemple, une colère qui s’exprime affecte le Foie (et engendre une montée du Yang du Foie), mais une colère réprimée affecte aussi le Cœur. Si quelqu’un se met en colère au moment des repas (comme cela arrive malheureusement souvent dans certaines familles), la colère va affecter l’Estomac, ce qui va se traduire par un pouls en Corde à la position Barrière à droite. L’effet d’une émotion dépend aussi des caractéristiques constitutionnelles de la personne. Par exemple, si une personne a une faiblesse constitutionnelle du Cœur (qui se traduit par une fissure linguale centrale sur la totalité de sa longueur), la peur va affecter le Cœur plutôt que le Rein.
Le cadre 20.5 résume les effets des émotions sur le Qi.
De plus, toutes les émotions, outre le fait qu’elles affectent directement l’organe qui leur correspond, affectent indirectement le Cœur parce que le Cœur abrite l’Esprit. Lui seul, en tant que responsable de la conscience et de la cognition, peut reconnaître et ressentir les effets de la tension émotionnelle. Fei Bo Xiong (1800-1879) l’exprime très clairement :
Les sept émotions lèsent les 5 organes Yin de façon sélective, mais elles affectent toutes le Cœur. La joie lèse le Cœur … La colère lèse le Foie, le Foie ne peut pas reconnaître la colère mais le Cœur le peut, c’est pourquoi elle affecte à la fois le Foie et le Cœur. L’inquiétude lèse le Poumon, le Poumon ne peut pas reconnaître l’inquiétude mais le Cœur le peut, c’est pourquoi elle affecte à la fois le Poumon et le Cœur. L’excès de réflexion lèse la Rate, la Rate ne peut pas reconnaître l’excès de réflexion mais le Cœur le peut, c’est pourquoi il affecte à la fois la Rate et le Cœur.9
Yu Chang, dans « Principes de pratique médicale » (1658) dit : « L’inquiétude agite le Cœur et cela a des répercussions sur le Poumon ; l’excès de réflexion agite le Cœur et cela a des répercussions sur la Rate ; la colère agite le Cœur et cela a des répercussions sur le Foie ; la peur agite le Cœur et cela a des répercussions sur le Rein. C’est pourquoi les cinq émotions [y compris la joie] affectent toutes le Cœur ».10
Le chapitre 28 de « L’axe spirituel » dit également que toutes les émotions affectent le Cœur : « Le Cœur est le maître des cinq organes Yin et des six organes Yang … la tristesse, le choc émotionnel et l’inquiétude agitent le Cœur ; lorsque le Cœur est agité, les cinq organes Yin et les six organes Yang sont ébranlés ».11 Les écrits chinois confirment clairement l’idée que toutes les émotions affectent le Cœur car les idéogrammes concernant ces sept émotions comportent tous la clé du « cœur ». Il s’agit probablement ici de l’aspect le plus important des fonctions du Cœur et de la principale raison pour laquelle on dit qu’il est « l’Empereur ».
Le premier effet de la tension émotionnelle sur le corps est d’affecter la bonne circulation et le sens correct du Qi ; le Qi est non substantiel et l’Esprit, avec ses énergies psychiques et émotionnelles, est la forme la plus immatérielle du Qi. C’est pourquoi il est naturel que la tension émotionnelle qui affecte l’Esprit perturbe la circulation du Qi et altère en premier le Mécanisme du Qi (Fig. 20.6). Bien que, comme nous l’avons décrit plus haut, chaque émotion ait un effet spécifique sur le Qi (c’est-à-dire que la colère le fait monter, la tristesse l’épuise, etc.) toutes les émotions, au bout d’un certain temps, ont tendance à engendrer une stagnation du Qi. Même les émotions qui épuisent le Qi, comme la tristesse, peuvent avoir cet effet parce que si le Qi est insuffisant, il ne peut pas circuler correctement et il a donc tendance à stagner. Par exemple, la tristesse épuise le Qi du Poumon dans la poitrine ; le Qi, qui est insuffisant dans la poitrine, n’arrive pas à circuler correctement, ce qui engendre une stagnation de Qi dans la poitrine (Fig. 20.7).
Toutes les émotions ont tendance à provoquer une stagnation du Qi, même celles qui, comme la tristesse, épuisent le Qi.
Lorsque le Qi stagne, il peut, à un certain moment, entraîner des stases de Sang, surtout chez les femmes. Les stases de Sang affectent particulièrement le Cœur, le Foie et l’Utérus.
La stagnation de Qi peut aussi engendrer de la Chaleur et la plupart des émotions peuvent aussi, au bout d’un certain temps, engendrer de la Chaleur ou du Feu. Une expression traditionnelle de la médecine chinoise dit : « Les cinq émotions peuvent se transformer en Feu ». Ceci s’explique par le fait que la plupart des émotions peuvent provoquer une stagnation de Qi et que lorsque le Qi est ainsi bloqué pendant longtemps, il engendre de la Chaleur, tout comme la température d’un gaz monte lorsque sa pression augmente.
C’est pour cela qu’une personne qui souffre de troubles émotionnels depuis longtemps présente souvent des signes de Chaleur, que ce soit une Chaleur du Foie, du Cœur, du Poumon ou du Rein (Chaleur-Vide dans ce dernier cas). Cette pathologie se traduit souvent sur la langue, qui devient alors rouge ou rouge foncé et sèche, avec parfois aussi une pointe rouge. Une pointe de la langue rouge est un signe très courant en pratique clinique, signe qui constitue toujours un indice fiable de la présence d’une tension émotionnelle chez le patient.
Avec le temps, la Chaleur peut se transformer en un Feu, plus intense, qui assèche plus et qui affecte plus fortement l’Esprit. C’est pourquoi la tension émotionnelle peut, au bout d’un certain temps, engendrer du Feu ; celui-ci peut, à son tour, agresser l’Esprit et provoquer de l’agitation et de l’anxiété.
La perturbation du Qi provoquée par les émotions peut aussi, au bout d’un certain temps, conduire à la formation de Glaires. Comme, dans le cadre du Mécanisme du Qi, la circulation correcte du Qi dans le bon sens est essentielle à la transformation, au transport et à l’excrétion des liquides, la perturbation de la circulation du Qi peut engendrer la formation de Glaires. Les Glaires, à leur tour, obstruent les orifices de l’Esprit et deviennent une cause supplémentaire de perturbation mentale et émotionnelle.
Le cadre 20.6 résume les effets de la tension émotionnelle sur le corps.
Le concept de « colère », peut-être plus que toute autre émotion, doit ici être pris dans son sens le plus large et comprendre de nombreuses autres émotions qui lui sont associées comme, par exemple, le ressentiment, la colère refoulée, l’irritabilité, la frustration, la fureur, la haine, l’indignation, l’animosité et l’amertume. Tous ces états émotionnels, sans exception, peuvent affecter le Foie s’ils sont durables, car ils entraînent une stagnation de Qi ou de Sang du Foie, une montée du Yang du Foie ou un embrasement du Feu du Foie. Ce sont là les trois déséquilibres du Foie les plus couramment provoqués par les émotions mentionnées ci-dessus.
La colère (au sens large mentionné plus haut) fait monter le Qi, si bien que la plupart des symptômes se manifestent au niveau de la tête et du cou. Ceux-ci comprennent des céphalées, des acouphènes, des sensations vertigineuses, des rougeurs sur la face antérieure du cou et une rougeur du visage. Les céphalées représentent le symptôme le plus fréquemment rencontré dans les pathologies dues à la colère (Fig. 20.8).
Au chapitre 8 de « L’axe spirituel », on lit : « La colère engendre la confusion mentale ».12 Au chapitre 39 des « Questions simples », on lit : « La colère fait monter le Qi et provoque des vomissements de Sang et des diarrhées ».13 Elle provoque des vomissements de Sang parce qu’elle fait monter le Qi du Foie et le Feu du Foie ; elle provoque des diarrhées parce que le Qi du Foie envahit alors la Rate. Le chapitre 3 des « Questions simples » dit : « Une forte colère coupe le corps du Qi. Le Sang stagne dans la partie supérieure et la personne peut alors avoir une syncope ».14
Les effets de la colère sur le Foie dépendent d’une part de la réaction de la personne aux stimuli émotionnels et d’autre part des autres facteurs concomitants. Si la colère est refoulée, il va s’ensuivre une stagnation du Qi du Foie, alors que si elle s’exprime, elle va provoquer une montée du Yang du Foie ou un embrasement du Feu du Foie. Chez la femme, la stagnation du Qi du Foie peut facilement entraîner des stases de Sang du Foie. Si la personne souffre aussi d’un vide de Yin du Rein plus ou moins prononcé (peut-être en raison d’un surmenage), celui-ci va avoir tendance à se transformer en montée du Yang du Foie. Si, d’autre part, cette personne présente une tendance à la Chaleur (par exemple, en raison d’une consommation excessive d’aliments chauds), il va en résulter un embrasement du Feu du Foie.
La colère ne se manifeste pas toujours ouvertement par des explosions de colère, de l’irritabilité, des cris, une face rouge, etc. Certaines personnes portent la colère en elles pendant des années, sans jamais l’exprimer. En particulier, une dépression nerveuse durable est souvent due à de la colère refoulée ou du ressentiment. Une personne qui est très déprimée peut paraître pâle et sans entrain, marcher lentement et parler d’une voix faible, signes qui, tous, font penser à un épuisement du Qi et du Sang dû à la tristesse ou au chagrin. Toutefois, lorsque c’est la colère et non la tristesse qui est la cause de la maladie, le pouls et la langue l’indiquent très clairement : le pouls est alors Plein et en Corde, et la langue Rouge avec des bords plus rouges et un enduit jaune et sec. Ce type de dépression est très probablement dû à un ressentiment ancien, généralement nourri à l’encontre d’un membre de la famille.
Dans certains cas, la colère peut affecter d’autres organes, surtout l’Estomac. Ceci s’explique par le fait que le Qi du Foie est bloqué et envahit alors l’Estomac et la Rate. Cette pathologie apparaît plus volontiers lorsque la personne se met en colère au moment des repas ; c’est ce qui se passe lorsque les repas pris en famille donnent régulièrement lieu à des disputes. On trouve aussi cette pathologie en cas de faiblesse préexistante de l’Estomac, auquel cas la colère peut affecter l’Estomac uniquement, sans même toucher le Foie.
Si quelqu’un se met régulièrement en colère une ou deux heures après le repas, alors la colère va affecter les Intestins de préférence à l’Estomac. C’est ce qui arrive lorsqu’une personne retourne, immédiatement après le déjeuner, à un travail stressant et frustrant ; le Qi du Foie qui stagne va alors envahir les Intestins et engendrer une douleur et une distension abdominales et une alternance de constipation et de diarrhées.
Enfin, la colère, comme toutes les autres émotions, peut aussi affecter le Cœur. Cet organe est particulièrement susceptible d’être affecté par la colère parce que, selon la théorie des Cinq Éléments, le Foie est la Mère du Cœur et souvent le Feu du Foie se transmet au Cœur et engendre un Feu du Cœur. La colère remplit le Cœur et y fait affluer le sang. Au bout d’un certain temps, cela entraîne une Chaleur du Cœur qui touche le Cœur, et donc l’Esprit. La colère a d’autant plus tendance à affecter le Cœur que la personne pratique énormément le jogging et les exercices physiques, ou qu’elle est sans arrêt pressée.
Ainsi, de façon générale, la colère affecte essentiellement le Foie et peut engendrer soit une stagnation du Qi du Foie, soit une montée du Yang du Foie. Lorsqu’on conseille les patients sur la façon de gérer leur colère, il faut préciser que si la colère a provoqué une stagnation du Qi du Foie, exprimer cette colère peut être bénéfique. Toutefois, si la colère a engendré une montée du Yang du Foie, l’exprimer n’aura généralement aucun effet positif car il est trop tard pour cela, et exprimer cette colère à tout prix ne ferait que renforcer la montée du Yang du Foie.
Le cadre 20.7 résume les effets de la colère.
Le terme de « joie » aussi doit être compris dans son sens le plus large. De toute évidence, la joie en ellemême n’est pas un facteur de maladie. En fait, au chapitre 39 des « Questions simples », il est dit : « La Joie rend l’Esprit serein et détendu, elle favorise le Qi Nourricier et le Qi Protecteur, elle permet au Qi de se détendre et de prendre son temps ».15
Au chapitre 2 des « Questions simples », on lit : « Le Cœur … contrôle la Joie, la Joie lèse le Cœur, la Peur neutralise la Joie ».16 « L’axe spirituel » dit, au chapitre 8 : « Une joie excessive fait sortir l’Esprit de son logis ».17 Ce que l’on entend ici par « joie » comme cause de la maladie n’est bien évidemment pas cet état salutaire pour le bien-être, mais un état d’excitation et de désir excessifs qui peut léser le Cœur. C’est un tableau que l’on rencontre chez les personnes qui vivent dans un état de stimulation mentale perpétuelle (pour plaisant qu’il soit) ou qui sont constamment survoltées ; autrement dit des gens qui vivent « à cent à l’heure ». Il en résulte une stimulation excessive du Cœur qui peut, en fin de compte, mener à un Feu du Cœur ou à une Chaleur-Vide du Cœur, en fonction de la pathologie sous-jacente.
Des désirs exorbitants représentent un aspect de l’émotion qu’est la « joie » et ils font monter le Feu Ministre, qui stimule alors l’Esprit à l’excès.
La « joie », au sens large évoqué plus haut, dilate le Cœur. Il en résulte une stimulation excessive du Cœur qui peut, au bout d’un certain temps, entraîner des signes et symptômes en relation avec le Cœur. Ceux-ci peuvent différer quelque peu des tableaux traditionnels du Cœur. Les principales manifestations en sont des palpitations, une surexcitabilité, des insomnies, de l’agitation, un flot de paroles et une pointe de la langue rouge (Fig. 20.9). De façon caractéristique, le pouls est alors Lent, légèrement Vaste, mais Vide à la position Pouce à gauche.
La joie se caractérise aussi, en tant que cause de la maladie, par son aspect soudain, par exemple, lorsqu’on apprend une bonne nouvelle de façon inattendue. Dans ce cas, la « joie » est proche du choc émotionnel. Fei Bo Xiong (1800-1879) dit, dans « Collection médicale de quatre familles de Meng He » : « La joie lèse le Cœur … [elle fait] flotter le Yang Qi et les vaisseaux sanguins deviennent trop ouverts et dilatés ».18 Dans ces cas de joie et d’excitation soudaines, le Cœur se dilate et ralentit, et le pouls devient Lent et légèrement Vaste mais Vide. Pour comprendre cela, il suffit de penser à la crise de migraine provoquée par l’excitation due à l’annonce d’une bonne nouvelle, ce qui arrive fréquemment.19 Un autre exemple de la joie comme cause de la maladie est celui d’un rire soudain qui déclenche une crise cardiaque ; cet exemple confirme aussi le lien qui existe entre le Cœur et le rire.
Enfin, on peut aussi se faire une idée de ce qu’est la joie en tant que surexcitation émotionnelle en observant les enfants, chez qui la surexcitation finit souvent par des larmes.
Le cadre 20.8 résume les effets de la joie.
Elle affaiblit le Poumon, mais affecte aussi le Cœur. En fait, d’après les « Questions simples », c’est par l’intermédiaire du Cœur que la tristesse affecte le Poumon. Le chapitre 39 dit : « La tristesse resserre et agite le Cœur, il appuie sur les lobes des poumons, le Réchauffeur Supérieur est alors obstrué, le Qi Nourricier et le Qi Protecteur ne peuvent plus circuler librement, la Chaleur s’accumule et dissout le Qi ».20 Si l’on en croit cette citation, la tristesse affecte principalement le Cœur, puis le Poumon par voie de conséquence, car le Cœur et le Poumon sont tous deux situés dans le Réchauffeur Supérieur.
La tristesse comprend les émotions de chagrin et de regret, comme lorsque quelqu’un regrette une certaine action ou une certaine décision passées, et que l’Esprit revient sans arrêt sur cette période.
Le Poumon gouverne le Qi et la tristesse épuise le Qi. Ceci se traduit souvent au niveau du pouls, qui est alors faible aux deux positions « Pouce » (Cœur et Poumon).
En particulier c’est un pouls qui est sans « ondulation » et qui ne s’étend pas doucement vers le pouce.
La tristesse entraîne un vide de Qi du Poumon et peut se traduire par des symptômes divers, comme de l’essoufflement, de la fatigue, une sensation de gêne dans la poitrine, un état dépressif, ou des pleurs (Fig. 20.10). Chez la femme, le vide de Qi du Poumon entraîne souvent un vide de Sang et de l’aménorrhée.
Une malade de 63 ans se plaint d’anxiété, de dépression, de transpirations nocturnes, d’une sensation de chaleur au niveau des paumes des mains et de la poitrine, et d’insomnies (elle se réveille plusieurs fois au cours de la nuit). La langue est sèche et légèrement pelée. Le pouls est Flottant et Vide, surtout à la position « Pouce », et il n’a pas d’ondulation.
À l’interrogatoire, on découvre que tous ces symptômes sont apparus en très peu de temps, à la suite de trois deuils successifs (la mort de sa mère, de son père et de son mari). Dans ce cas, la profonde tristesse ressentie par cette malade a « dissous » le Qi du Poumon et entraîné, au bout d’un certain temps, un vide de Yin du Poumon. C’est ce que traduisent clairement les transpirations nocturnes, le pouls Flottant et Faible, la sensation de chaleur au niveau des paumes des mains et de la poitrine, et la langue légèrement pelée.
Bien que la tristesse et le chagrin épuisent le Qi et donc conduisent à un vide de Qi, ces émotions peuvent aussi, au bout d’un certain temps, entraîner une stagnation de Qi car le Qi du Poumon et du Cœur, lorsqu’il est insuffisant, ne peut plus circuler correctement dans la poitrine.
Comme nous l’avons dit précédemment, chaque émotion peut affecter d’autres organes que celui qui leur « correspond ». Par exemple, le chapitre 8 de « L’axe spirituel » signale que le Foie est lésé par la tristesse plutôt que par la colère: « Lorsque la tristesse affecte le Foie, elle lèse l’Âme Éthérée ; il s’ensuit de la confusion mentale … le Yin est endommagé, les tendons se contractent et une gêne au niveau des hypochondres apparaît ».21 Dans ce cas, la tristesse peut naturellement affecter l’Âme Éthérée, et donc le Sang du Foie et le Yin du Foie. La tristesse a pour effet d’épuiser le Qi et donc, dans certains cas, elle épuise aussi le Yin du Foie, entraînant dela confusion mentale, de la dépression, une incapacité à donner un sens à la vie et une impossibilité de planifier son existence.
Une femme de 40 ans présente un fort stress dû à son divorce, qui lui cause une grande tristesse. Elle a souvent envie de pleurer. Elle se sent sans but et remet en cause sa capacité de relation avec les hommes ; elle se trouve à un tournant de sa vie et ne sait pas quelle direction prendre. Elle dort mal et son pouls est Rugueux.
Il s’agit-là d’un exemple typique de la tristesse qui affecte le Foie, et donc l’Âme Éthérée. Elle a été traitée et soulagée de façon spectaculaire grâce à des points du Vaisseau Yin de Liaison (Yin Wei Mai) (MC-6 Neiguan à droite et Rte-4 Gongsun à gauche) et à V-23 Shenshu, V-52 Zhishi et V-47 Hunmen.
Enfin, le Dr. Shen considère que le chagrin qui ne s’exprime pas et qui se vit sans larmes affecte le Rein. Selon lui, lorsque le chagrin est intériorisé et ne provoque pas de larmes, les liquides ne peuvent pas sortir (sous la forme de larmes) et ils perturbent le métabolisme des liquides au niveau du Rein. C’est une situation que l’on rencontre lorsque le chagrin a été contenu pendant de nombreuses années.
L’inquiétude est une cause émotionnelle de la maladie que l’on rencontre très fréquemment dans notre civilisation. Les changements rapides et radicaux qui sont intervenus dans les sociétés occidentales au cours de ces dernières décennies ont créé un tel climat d’insécurité dans tous les domaines de la vie que seul un sage taoïste pourrait échapper à l’inquiétude ! Bien évidemment, il existe aussi des personnes qui, en raison d’un déséquilibre préexistant des Organes Internes, ont tendance à se faire plus de souci que d’autres, même en présence d’événements mineurs de la vie. Par exemple, il apparaît qu’un grand nombre de personnes sont très tendues et très inquiètes. Si on les interroge soigneusement sur leur vie professionnelle et leur vie familiale, rien de significatif ne ressort. En fait, elles se font simplement un souci excessif pour des activités quotidiennes insignifiantes et elles ont tendance à tout faire à la hâte et à toujours être pressées par le temps. Ce comportement peut provenir d’une faiblesse consti tutionnelle de la Rate, du Cœur ou du Poumon, ou d’une combinaison de ces possibilités.
L’inquiétude noue le Qi (ce qui veut dire qu’elle entraîne une stagnation de Qi) et elle affecte à la fois le Poumon et la Rate. Le Poumon est touché parce que, lorsqu’une personne est inquiète, sa respiration est superficielle et la Rate est touchée parce que c’est l’organe responsable de la pensée et des idées. Le chapitre 8 de « L’axe spirituel » confirme que l’inquiétude noue le Qi : « L’inquiétude provoque le blocage du Qi, si bien que celui-ci stagne ».22
L’inquiétude peut aussi affecter la Rate, ce que le chapitre 8 de « L’axe spirituel » confirme également : « Pour ce qui est de la Rate, un excès d’inquiétude lèse l’Intellect[Yi] ».23 L’inquiétude est la contrepartie de l’activité mentale de la Rate, qui est de produire les idées. Dans de rares cas, l’inquiétude peut aussi affecter le Foie en raison d’une stagnation dans le Poumon ; dans le cadre de la théorie des Cinq Éléments, cette situation correspond à l’agression du Bois par le Métal. Dans ce cas-là, le cou et les épaules sont extrêmement tendus et deviennent durs et douloureux.
Les signes et symptômes engendrés par l’inquiétude varient selon qu’elle concerne le Poumon ou la Rate. Si l’inquiétude affecte le Poumon, elle engendre une sensation de gêne dans la poitrine, un léger essoufflement, une tension dans les épaules, parfois une toux sèche, une voix faible, des soupirs et un teint pâle (Fig. 20.11). Le pouls à la position Pouce à droite (pouls du Poumon) peut être légèrement Serré ou en Corde, ce qui montre que l’inquiétude a noué le Qi.24
Si l’inquiétude affecte la Rate, elle peut entraîner un petit appétit, une légère gêne épigastrique, une douleur et une distension abdominales, de la fatigue et un teint pâle. Le pouls à la position Barrière à droite (pouls de la Rate) est légèrement Serré mais Faible. Si l’inquiétude affecte aussi l’Estomac (ce qui arrive lorsqu’une personne est en proie à l’inquiétude au moment des repas), le pouls à la position Barrière à droite peut être Faible et Flottant.
Enfin, comme toutes les émotions, l’inquiétude affecte le Cœur et engendre une stagnation du Qi du Cœur avec des palpitations, une légère sensation de constriction dans la poitrine et de l’insomnie.
L’inquiétude est la contrepartie de l’énergie mentale de la Rate, qui est responsable de la concentration et de la mémorisation. Lorsque la Rate est en bonne santé, nous pouvons nous concentrer et nous fixer sur notre objet d’étude ou notre travail. Cette forme même d’énergie mentale, lorsqu’elle est perturbée par l’inquiétude, nous amène à penser sans relâche à certains événements de la vie, à les ruminer et à en faire une source d’inquiétude.
Le cadre 20.10 résume les effets de l’inquiétude.
L’excès de réflexion est très proche de l’inquiétude pour ce qui est de ses caractéristiques et de ses effets. Il consiste à ruminer certaines idées, à penser constamment à certains événements ou à certaines personnes (même si ceux-ci ne représentent pas une cause d’inquiétude), à ressasser sans arrêt le passé et, de façon générale, à passer sa vie à la penser intensément plutôt qu’à la vivre. Dans les cas extrêmes, l’excès de réflexion aboutit aux pensées obsessionnelles. Dans un sens différent, l’excès de réflexion comprend aussi un travail intellectuel excessif dans un cadre professionnel ou pendant les études.
L’excès de réflexion affecte la Rate et, comme l’inquiétude, noue le Qi. Le chapitre 39 des « Questions simples » dit : « Sous l’effet de l’excès de réflexion, le [Qi] du Cœur s’accumule et fait se concentrer l’Esprit ; le Qi Correct s’installe et ne circule pas et donc le Qi stagne ».25 L’excès de réflexion provoque donc des symptômes semblables à ceux de l’inquiétude décrits plus haut. Il engendre, en plus, une légère gêne épigastrique et le pouls à droite, à la différence de celui provoqué par l’inquiétude, est non seulement légèrement Serré, mais n’a pas « d’ondulation » (voir ch. 25, le diagnostic par le pouls).26 Dans le cas de l’excès de réflexion, l’absence d’ondulation du pouls ne se remarque qu’à la position Barrière à droite. Un pouls sans ondulation aux positions Pouce et Barrière est signe de tristesse.
L’excès de réflexion affecte le Cœur et entraîne une stagnation du Qi du Cœur avec des symptômes comme des palpitations, une légère sensation de constriction dans la poitrine et de l’insomnie (Fig. 20.12).
L’énergie mentale positive qui correspond à l’excès de réflexion est la contemplation silencieuse et la méditation. C’est cette même énergie qui nous rend capables de méditation et de contemplation qui va, si elle devient excessive, nous entraîner dans un excès de réflexion, des ruminations ou même des pensées obsessionnelles.
Le cadre 20.11 résume les effets de l’excès de réflexion.
La peur englobe à la fois un état chronique de peur et d’anxiété et une peur soudaine. La peur épuise le Qi du Rein et fait descendre le Qi. Au chapitre 39 des « Questions simples », on lit : « La peur épuise l’Essence, elle bloque le Réchauffeur Supérieur, ce qui fait descendre le Qi du Réchauffeur Inférieur ».27 Comme exemple de descente du Qi, on peut citer l’énurésie nocturne chez les enfants et l’incontinence d’urines ou la diarrhée chez les adultes à la suite d’une frayeur soudaine (Fig. 20.13). L’énurésie nocturne est un problème courant chez les enfants et elle provient généralement d’un sentiment de peur ou d’insécurité dû au contexte familial. Les situations de peur et d’anxiété chroniques ont des effets divers sur le Qi, selon l’état du Cœur.
Chez les adultes, par contre, la peur et l’anxiété chroniques entraînent, le plus souvent, un vide de Yin du Rein et une montée de Chaleur-Vide au Cœur, accompagnés d’une sensation de chaleur au niveau du visage, de transpirations nocturnes, de palpitations, d’une gorge et d’une bouche sèches.
Si le Cœur est fort, le Qi va alors descendre ; si le Cœur est faible, le Qi va alors monter sous forme de Chaleur-Vide. Ce dernier cas est plus fréquent chez les personnes âgées et chez les femmes, car la peur et l’anxiété affaiblissent le Yin du Rein et engendrent une Chaleur-Vide du Cœur avec des symptômes comme des palpitations, de l’insomnie, des transpirations nocturnes, une bouche sèche, une rougeur malaire et un pouls Rapide.
Il existe d’autres causes de peur sans relation avec le Rein. Le vide de Sang du Foie et de la Vésicule Biliaire peut aussi rendre une personne peureuse.
Le cadre 20.12 résume les effets de la peur.
Le choc émotionnel « suspend » le Qi et affecte le Rein et le Cœur. Il épuise brusquement le Qi du Cœur, rétrécit le Cœur et peut entraîner des palpitations, de l’essoufflement et des insomnies (Fig. 20.14). Il se reflète souvent dans le pouls sous forme d’un pouls appelé « Remuant », c’est-à-dire un pouls qui est court, glissant, en forme de haricot, rapide, et qui donne l’impression de « vibrer » lors des pulsations.
Au chapitre 39 des « Questions simples », il est dit : « Le choc émotif affecte le Cœur et le prive de résidence, l’Esprit n’a plus de logis et ne peut se reposer, de sorte que le Qi devient chaotique ».28
Le choc émotionnel « referme » aussi le Cœur ou le rétrécit. Cela se traduit par une teinte bleutée sur le front et un pouls Serré et Fin.
Le cadre 20.13 résume les effets du choc émotionnel.
Dans ce chapitre, vous avez vu :
1. 1981 L’axe spirituel (Ling Shu Jing ), People’s Health Publishing House, première publication environ 100 AEC, p. 121. Il est intéressant de noter que, dans ce chapitre, les causes émotionnelles de la maladie sont mentionnées en même temps que le Vent et l’Humidité, et que les extraits cités disent que les émotions lèsent le Yin, que le Vent lèse la partie supérieure du corps et que l’Humidité lèse la partie inférieure du corps.
4. 1979 Classique de médecine interne de l’Empereur Jaune - Questions simples (Huang Di Nei Su Wen ) People’s Health Publishing House, première publication environ 100 AEC, p. 37-41.
6. Chen Yan 1174 Traité sur les trois catégories de causes de la maladie (San Yin Ji Yi Bing Zheng Fang Lun), cité dans Wang Ke Qin 1988 Théorie de l’esprit en médecine chinoise (Zhong Yi Shen Zhu Xue Shuo ), Ancient Chinese Medical Texts Publishing House, p. 55.
9. Fei Bo Xiong et al. 1985 Collection médicale de quatre familles de Meng He (Meng He Si Jia Yi Ji ), Jiangsu Science Publishing House, Nanjing, p. 40.
10. Practical Chinese Medicine, cité dans Theory of the Mind in Chinese Medicine, p. 34.
13. Questions simples, p. 221.
18. Collection médicale de quatre familles de Meng He, p. 40.
19. En médecine chinoise, il existe une histoire qui illustre cette situation et qui m’a été racontée par deux professeurs différents. D’après cette histoire, un certain jeune homme à l’avenir prometteur avait réussi tous les examens pour accéder au plus haut rang de la bureaucratie impériale de la capitale. Alors qu’il pénétrait dans le Palais Impérial, exultant de joie après sa réussite, un docteur de ses amis le vit, le regarda et lui conseilla de retourner au plus vite à son village natal où l’attendaient de mauvaises nouvelles familiales. Le pauvre jeune homme pâlit et se prépara à partir sans délai. Une fois arrivé dans son village, sa famille lui apprit que tout allait bien et qu’elle ne l’avait jamais réclamé. Le jeune homme s’en retourna alors à la capitale et lorsqu’il revit son ami, il lui demanda avec consternation pourquoi donc il lui avait menti. Ce docteur lui dit alors que lorsqu’il avait vu, sur son visage, qu’il était au comble de l’excitation et que sa joie était sans borne, il avait craint que son cœur n’en fût gravement endommagé. La seule façon de faire tomber cette joie débordante était de remplir son cœur de peur, car la peur neutralise la joie.
20. Questions simples, p. 221.
24. Lorsqu’on évalue les caractéristiques du pouls du Poumon, il faut bien garder à l’esprit que, normalement, ce pouls doit être relativement doux (par rapport aux autres positions du pouls). Ainsi, un pouls du Poumon qui est aussi dur qu’un pouls du Foie (normal) peut en fait être Serré ou en Corde.
25. Questions simples, p. 222.
26. On peut sentir le pouls normal comme une vague qui se déplace sous les doigts, allant de la position Pied à la position Pouce. Le pouls sans ondulation n’a pas de mouvement de la position Pied à la position Pouce, et on le sent en fait comme si chaque position était distincte des autres.